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Revue Sociologie du travail Mir@bel
Numéro vol. 63, no 1, janvier-mars 2021
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Articles

    • Être journaliste dans un quotidien au Japon. Entre logique organisationnelle et logique de métier - César Castellvi accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet article, nous étudions les relations entre le rattachement salarial à une entreprise et l'appartenance à un groupe professionnel à partir du cas des journalistes de la presse quotidienne japonaise. S'appuyant sur une observation ethnographique longue de la rédaction de l'un des principaux quotidiens du pays et sur une série de 72 entretiens, ce travail montre d'abord comment les normes en vigueur dans les grandes firmes japonaises donnent aux entreprises de presse une place centrale dans l'organisation de l'activité journalistique : ces entreprises sélectionnent les futurs reporters, les forment, gèrent les carrières qui se déroulent sur leur marché interne et fournissent à leurs salariés un monopole d'accès aux sources institutionnelles. Mais l'enquête révèle aussi qu'une logique de métier coexiste avec cette logique organisationnelle, à travers la socialisation professionnelle extérieure à l'entreprise et l'évaluation du travail par les pairs. Enfin, l'analyse se focalise sur des solutions apportées par les directions éditoriales à un contexte de crise de la presse traditionnelle, et montre qu'elles bouleversent l'équilibre entre logique organisationnelle et logique de métier en faveur de la seconde. La presse quotidienne japonaise fournit ainsi un exemple, très atypique par rapport à d'autres objets de recherche en sociologie du travail et des professions, de renforcement, à l'initiative du management, d'une logique de métier initialement faible.
      In this article, we examine the relationship between employment attachment to a firm and affiliation to a professional group by focusing on the case of journalists in the Japanese daily press. Based on a lengthy ethnographic observation carried out in the newsroom of one of the country's major daily newspapers as well as on a series of 72 interviews, this work first shows how the standards in force in major Japanese firms give media companies a central role in the organization of the profession: they select new reporters, train them, manage the careers that take place in the internal market and provide their employees with a monopoly on access to institutional sources. But the study also reveals that an occupational logic coexists alongside the organizational logic, through professional socialization outside the company and the evaluation of work by peers. Finally, the analysis focuses on solutions provided by managers in a context of crisis for the traditional press, and some decisions upset the balance between organizational logic and business logic in favour of the latter. The Japanese daily press thus provides an example (very atypical compared to other research subjects in the sociology of work and professions) of management's initiative to reinforce an initially weak occupational logic.
    • Au-delà de l'informel : réputation et normes sur les chantiers de construction en Ukraine - Pierre Deffontaines accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'enjeu de cet article est de proposer une sociologie des dispositifs d'engagement, au-delà des cadres administratifs et juridiques de l'emploi. À partir d'une étude de cas dans le secteur de la construction, appuyée sur une enquête ethnographique menée en Ukraine, l'article montre comment ces dispositifs sont de plus en plus déterminants dans la production des trajectoires professionnelles, notamment celles des travailleurs situés au bas des hiérarchies du travail, dans un contexte d'effritement de la société salariale. Pour ce faire, l'auteur s'attache à décrire les normes au travail sur les chantiers, malgré leur diversité et celle des employeurs, malgré la sous-déclaration de l'emploi et du salaire et l'absence de cadres professionnels institutionnalisés. Ces normes dépendent peu d'institutions telles que l'État ou les entreprises, mais reposent sur le fonctionnement d'un marché du travail s'appuyant sur l'interconnaissance professionnelle. Elles se maintiennent par les dispositifs résultant d'un travail réputationnel et de stratégies distinctives au sein des cercles d'embauche, où se recrutent mutuellement les travailleurs. Aux yeux de leurs potentiels recruteurs, ces derniers doivent en permanence faire la preuve non seulement d'un savoir-faire de métier, mais également d'un savoir-marchander, c'est-à-dire d'une connaissance des prix et des modes d'évaluation du travail et d'une capacité à négocier les rémunérations et les conditions de l'embauche.
      The aim of this article is to propose a sociology of hiring arrangements, beyond administrative and legal employment frameworks. This construction sector case study is based on ethnographic research carried out on building sites in Ukraine. In a context of wage society crisis, it demonstrates how these arrangements are increasingly decisive in the production of the occupational trajectories of workers located at the bottom of the work hierarchy. The author describes the norms at work on building sites, despite their diversity and despite the under-registration of employment and wages and the lack of any institutionalized professional qualification system. These norms depend less on institutions such as the State or companies than on a professional workers network. They are maintained by arrangements that result from reputational work and distinctive strategies within hiring circles, where workers select their workmates. Under the scrutiny of potential employers, the latter must constantly demonstrate not only professional know-how, but also bargaining skills, i.e. an understanding of pricing and of evaluation methods along with an ability to negotiate remuneration and working conditions.
    • Résister dans les interstices : la subversion au travail dans un studio de création de jeux vidéo - Maxime Besenval accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article porte sur les formes de résistance à l'œuvre dans une industrie pourtant régulièrement analysée comme propice à des modes d'engagement dans le travail marqués par une subordination totalisante, le développement de jeux vidéo. Pour saisir les ressorts de la parole critique, et ses modalités singulières d'expression, on montre l'intérêt de partir de l'expérience de travail et des différents processus qui la dévalorisent aux yeux de salariés qualifiés du numérique. Leurs pratiques, qu'elles passent par de nouvelles exigences prescriptives ou par la modulation de leur engagement, s'inscrivent dans une dynamique de réévaluation de l'activité. Contrairement aux approches principales des résistances au travail, qui leur prêtent un ressort générique (inhérent à la condition humaine ou à la subordination salariale), on fait ici du motif contestataire l'objet de l'enquête. Il s'agit de comprendre, en contexte, les épreuves auxquelles répondent les pratiques subversives, et ce que ces dernières proposent et défendent.
      This article tackles resistance in the videogame development industry, where the traditional resources of collective actions seem to be lacking. In order to shed light on the roots of dissent and its singular means of expression, we demonstrate the relevance of taking as a starting point work experience and the multiple ways it can be devalued for these digital workers. Whether it is through the modulation of their work commitment or through attempts at transforming the proper nature of these experiences, workers' actions of resistance are always embedded in the continuous reassessment of their work practices. Contrary to the main approaches to resistance at work, the reason for dissent is the main focus of our study. We aim to understand, in practice, to which kind of ordeal they respond, but also which values and life forms they suggest and defend.
  • Review

    • Les recherches participatives à l'épreuve du politique - Maïté Juan accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Nébuleuse aux contours mouvants, les recherches participatives connaissent un succès grandissant. Cet état de l'art constitue une cartographie critique des clivages et convergences entre les différentes traditions et approches de recherches participatives, en interrogeant, plus particulièrement, les rapports des recherches participatives au politique. Deux échelles d'analyse sont explorées : les relations de pouvoirs dans la division sociale du travail de recherche et dans le rapport aux institutions, entre reconnaissance et injonction. Cet article souligne un défi majeur : celui de se distancer des approches pacifiées et consensuelles des recherches participatives, les appréhendant comme des partenariats vertueux entre sphères académique, professionnelle et citoyenne. L'investigation des débats théoriques permet de distinguer trois formes idéal-typiques : les recherches participatives radicales, caractérisées par la lutte contre la hiérarchie des pouvoirs et des savoirs dans le sillage des épistémologies critiques ; les recherches collaboratives et partenariales, renvoyant à une coopération réflexive visant la co-production de savoirs « actionnables » ; les recherches participatives fonctionnelles et instrumentales, caractérisant les sciences citoyennes dans le champ de la gouvernance des risques et de la biodiversité et s'inscrivant dans une perspective à la fois de vigilance et de surveillance collective et d'acculturation aux normes scientifiques conventionnelles.
      Participatory research is on the rise. This state of the art proposes a critical mapping of the convergences and cleavages between the different traditions and approaches of participatory research, in particular by questioning the relationship between participatory research and politics. It explores two axes of analysis: between recognition and injunction, the power relationships in the social division of research and in relation to institutions. This article focuses on a major challenge: the need to depart from pacified and consensual approaches of participatory research, and to understand them as virtuous partnerships between academic, professional and citizen spheres. The exploration of theoretical debates allows us to discern three ideal-typical forms: radical participatory research, characterized by the fight against the hierarchy of knowledge and powers, in the wake of critical epistemologies; collaborative research, referring to a reflexive cooperation oriented toward the co-production of actionable knowledge; and functional and instrumental research characterizing citizen science in the field of risk and biodiversity governance, and falling within a perspective both of collective vigilance and monitoring and of acculturation to conventional scientific standards.
  • Comptes rendus