Contenu du sommaire : Quelle sociologie politique pour l'enquête globale ?
Revue | Cultures & conflits |
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Numéro | no 119-120, automne-hiver 2020 |
Titre du numéro | Quelle sociologie politique pour l'enquête globale ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Le sociologue en globe-trotter : Réceptions, apports et difficultés de la sociologie de l'international d'Yves Dezalay - Grégory Daho, Antoine Vauchez p. 7-16
- Penser l'impérialisme à partir de la théorie des champs - Antoine Vion, François-Xavier Dudouet p. 17-38 Acteur de la dynamique de sociologisation de l'étude des relations internationales en France, Yves Dezalay y a apporté une contribution majeure en offrant des clés pour analyse sociologique de l'impérialisme. Pour le comprendre, il convient d'abord de la resituer par rapport aux analyses marxistes et transnationalistes qui étaient dominantes lorsqu'il a engagé son travail. L'originalité d'Yves Dezalay à cet égard tient à son attention fine aux parcours élitaires et à son refus d'essentialiser les organisations internationales et les classes sociales, à sa prise en compte des différences structurelles, à la fois matérielles et idéologiques entre les champs du pouvoir, et à l'accent mis sur l'agent double, vu comme la cheville ouvrière de la domination impériale. Ainsi, bien qu'elle n'ait jamais prétendu s'y livrer, l'œuvre d'Yves Dezalay offre, par sa rigueur sociologique, une contribution majeure au renouvellement des théories des relations internationales sur une question que la sociologie tend à éviter soigneusement, celle de l'impérialisme.As an actor involved in sociologizing the study of international relations in France, Yves Dezalay has made a major contribution by offering keys for the sociological analysis of imperialism. In order to understand the importance of his research, it is first necessary to resituate it in relation to the Marxist and transnationalist analyses that were dominant when he began his work. Yves Dezalay's originality notably lies in his close attention to elite trajectories and his refusal to essentialize international organizations and social classes; in his consideration of structural differences, both material and ideological, between the fields of power; and in his emphasis on the double agent, seen as the linchpin of imperial domination. Despite never claiming to do so, Yves Dezalay's work, through its sociological rigor, contributes to the renewal of international relations theories on a question that sociology tends to carefully avoid: that of imperialism.
- La justice transitionnelle, un monde-carrefour : Contribution à une sociologie des professions internationales - Delphine Griveaud, Sandrine Lefranc p. 39-65 Le texte esquisse, au sujet de l'expertise de justice transitionnelle élaborée depuis la fin des années 1980, une sociologie des professions internationales. Plutôt que de rechercher le sens de la norme ou de la réalité des politiques locales de justice, nous avons analysé les trajectoires d'un groupe d'acteurs impliqués dans la production de cette expertise globale. Pour ce faire, nous avons eu recours à la prosopographie, c'est-à-dire l'étude systématique d'une masse importante de données sur les trajectoires et caractéristiques de ces acteurs. Cette démarche éclaire les caractéristiques singulières du monde international de la justice transitionnelle, de manière complémentaire de la théorie des champs. Malgré son fort développement, la justice transitionnelle ne forme pas un champ autonome et institutionnalisé. L'ambivalence des propositions politiques que font ses promoteurs – entre amnistie et poursuites pénales, par exemple – est le reflet de sa nature de monde-carrefour, créé par les interactions entre les mondes sociaux variés qui la constituent, par les coalitions diverses d'acteurs qui la portent ou n'y font que passer. Malentendus fonctionnels et techniques frontalières permettent de définir une justice qui n'en est pas tout à fait une.The article sketches a sociology of international professions through the study of the transitional justice expertise developed since the end of the 1980s. Rather than looking for the meaning of the norm or the efficiency of local justice policies, we analyzed the trajectories of a group of actors involved in the production of global expertise on transitional justice. To do this, we used prosopography, that is the systematic study of a large mass of data on the trajectories and characteristics of these actors. Complementing field theory, our approach sheds light on the singular characteristics of the international world of transitional justice. Despite its strong development, transitional justice does not form an autonomous and institutionalized field. The ambivalence of the political proposals made by its promoters - between amnesty and criminal prosecution, for example - is a reflection of its nature as a crossroads-world. This crossroads-world is the result of interactions between the various social worlds that constitute it, and by the various coalitions of actors who carry it or only pass through it. Functional misunderstandings and technical boundaries allow for the definition of a justice that is not quite one.
- Le barreau « africain » de Paris : entre Big Bang sur le marché du droit des affaires et sillons d'Empire - Sara Dezalay p. 67-93 Les projections politico-idéologiques autour du positionnement de l'Afrique en tant que « dernière frontière de l'économie mondiale » rendent la recherche sur les rapports entre droit et politique sur le continent particulièrement périlleuse. Cet article propose un point d'entrée, fondé sur l'étude du cas du barreau « africain » de Paris, pour un programme de recherche plus large. Ce barreau est un lieu clé pour la négociation de contrats entre multinationales et États francophones du continent africain. L'analyse des trajectoires individuelles des juristes opérant dans ce microcosme social révèle sa caractéristique en tant qu'« espace-carrefour » : Paris y est à la fois l'ancienne métropole impériale et la tête de pont d'une mondialisation du droit des affaires portée par les États-Unis depuis les années 1980 vers l'Europe continentale et dorénavant vers l'Afrique. Si ce programme de recherche s'inscrit dans la lignée de la sociologie structurale du droit et de la mondialisation ouverte par Dezalay et Garth, il emprunte également une stratégie de recherche reflétant le tournant global en histoire : la biographie collective de ce microcosme professionnel offre une vue de coupe de la façon dont les rapports inégaux entre l'Afrique et l'économie-monde se négocient, se transforment et se justifient dans la longue durée sous la forme d'un Big Bang sur le marché du droit des affaires inscrit dans des guerres de palais moulées par la concurrence de passés et de présents impériaux.Politico-ideological projections on Africa's prominence as the “world economy's last frontier” raise particularly acute challenges for researchers interested in the relationship between law and politics on the continent. Based on a case study of the “African” bar in Paris, this article suggests a new entry-point to build a broader research agenda. This bar is a key site for the negotiation of contracts between multinational corporations and Francophone states on the African continent. Through an analysis of the individual trajectories of agents operating within this social microcosm, the “African” bar is characterized as a “crossroads space.” Namely, Paris is both the former colonial métropole and the beachhead of the US-led globalization of corporate law in continental Europe since the 1980s, and now Africa. While this research agenda builds on the structural sociology of globalization carved out by Dezalay and Garth, it also espouses a research strategy reflecting the global turn in history. The collective biography of this professional microcosm provides insights on the ways in which the unequal and uneven relationship between Africa and the world economy is negotiated, transformed and justified in the longue durée: as a Big Bang on the market for corporate law embedded in palace wars molded by competition between imperial pasts and presents.
- Les affaires du droit : Yves Dezalay et la construction du droit et de l'État - Mikael Rask Madsen, Lola Avril p. 95-113 Il ne fait guère de doute qu'Yves Dezalay et Bryant Garth ont fourni les travaux les plus aboutis conceptuellement et les plus approfondis de la mondialisation du droit à ce jour. D'une manière générale, ces recherches sont une mine d'informations empiriques et analytiques rarement rencontrées dans d'autres études sur de tels phénomènes structurels. Ce qui apparaît peut-être moins clairement dans la réception de ces recherches, ce sont les concepts analytiques sous-jacents développés par Dezalay et Garth. Bien que Dezalay puisse être dépeint comme plus enclin à conduire une enquête empirique, il a néanmoins développé un ensemble de concepts clés qui nourrissent son analyse et celle de Garth. Le présent article vise principalement à présenter ces concepts, puis à discuter de leur pertinence pour des objets de recherche différents de ceux étudiés d'ordinaire par Dezalay et Garth.There is little doubt that Yves Dezalay together with Bryant Garth have provided some of the most advanced studies of the globalization of law to date. Their complex sociological studies of the transformation of law and the state provide a treasure trove of empirical and analytical insights rarely found in other studies of such structural phenomena as the globalization and transformation of states and law. What is perhaps less apparent in the reception of these studies are the underlying analytical concepts developed by Dezalay and Garth. Seemingly most at ease when conducting empirical sociology in even the most far-flung corners of the world, they nevertheless provide a set of core concepts informing their analysis. This article core interest is to tease out these concepts and then discuss their applicability to objects of inquiry that are different from those predominately studied by Dezalay and Garth.
- Les ficelles de l'enquête globale : Lectures, usages et débats autour de la sociologie de l'international d'Yves Dezalay ; table-ronde animée par Grégory Daho et Antoine Vauchez - Didier Bigo, Afranio Garcia, Laurent Jeanpierre, Ron Levi, Johanna Siméant-Germanos, Grégory Daho, Antoine Vauchez p. 115-149 Issu d'une table-ronde réunissant des chercheurs d'horizons disciplinaires et de générations différentes, cette discussion revient sur les lectures, les usages et les débats que suscite la sociologie d'Yves Dezalay. Cet échange est l'occasion de partager des réflexions plus personnelles sur les pratiques de l'enquête globale mais aussi sur les positions occupées et les rapports au métier de chercheur construits au fil du temps. Les débats permettent de revenir sur tous ces concepts de « moyenne portée », si nombreux au fil de son travail (« compradors », « courtiers de l'international », « agents doubles », « import-export d'État », « luttes de palais », etc.), de discuter du système d'hypothèses formulées par Yves Dezalay, et de resituer celles-ci dans un ensemble d'écarts et de proximités avec d'autres courants (Relations internationales, histoire connectée ou sociologie critique).The product of a roundtable unique researchers from different disciplines and generations, this article takes the form of a collective discussion on the readings, approaches, and debates that have been sparked by the sociological work of Yves Dezalay. This exchange is an occasion to share more personal reflections on how to conduct global investigations as well as opportunity to reflect on positions occupied by researchers and how their relationship to their profession has developed over time. Mapping distances and proximities between Dezalay's work and other approaches (International Relations, Connected History, Critical Sociology), the debates presented here also offer an overview of the many “middle-range” concepts (“compradors,” “brokers of the international,” “double agents,” “import-export strategies,” “palace wars,” etc.) and hypotheses formulated by Dezalay over the years.
Hors thème
- Violence stratégique et autodéfense en Pays basque - Caroline Guibet Lafaye p. 153-181 Le Pays basque a connu, dans la seconde moitié du xxe siècle, de multiples formes de violence politique clandestine. Les actions armées d'ETA ont fait l'objet de nombreuses publications mais les représentations de la violence portées par les militants clandestins ont été peu analysées. À partir d'une enquête de terrain auprès de 68 militants clandestins, nous mettons en outre en évidence le décalage d'interprétation de cette dernière entre les niveaux méso- et microsociaux. À la différence des discours d'inspiration stratégique portés par les organisations, les militants clandestins privilégient une lecture de la violence à partir d'un cadre d'analyse structurel et évoquant les paradigmes de l'auto-défense ou de la réaction à une violence originelle perpétrée par le pouvoir d'État pour justifier le recours à la lutte armée sur leur territoire.In the second half of the 20th century, the Basque Country experienced several forms of clandestine political violence. The armed actions of the Euskadi Ta Askatasuna (ETA) have been the subject of numerous publications, but little analysis has been made of the representations of violence carried out by clandestine militants. Based on a fieldwork with 68 clandestine activists, this article highlights differences in how violence is interpreted at the meso- and microsocial levels. Far from strategic discourses carried by organizations, clandestine activists prefer a reading of violence that is based on structural analysis. To justify the use of clandestine political violence in Euskal Herria, clandestine activists also frame their actions as grounded on the paradigm of self-defense or as a reaction to an original violence perpetrated by the state power.
- En-quête de démocratie européenne : Engagement interdisciplinaire et réflexivité transnationale au prisme de l'expérience du traité de démocratisation de l'Europe (T-Dem) ; entretien réalisé par Hager Ben Jaffel avec Antoine Vauchez - Hager Ben Jaffel, Antoine Vauchez p. 183-200 Cet entretien est l'occasion d'un retour sur l'expérience de l'écriture et de la diffusion d'une proposition de traité de démocratisation de l'Union européenne forgé par un groupe interdisciplinaire de quatre chercheurs en sciences sociales (S. Hennette, T. Piketty, G. Sacriste, A. Vauchez) dans le cadre de l'élection présidentielle française de 2017, puis des élections européennes de 2019. Il s'interroge sur les conditions et les formats d'intervention des chercheurs dans le débat public, et plus particulièrement, dans ce cas, européen : ce que produire un « traité » veut dire et ce que naviguer au confluent de la recherche, de l'expertise et de l'engagement implique. La discussion insiste tout à la fois sur les effets de connaissance d'une expérience génératrice de curiosités empiriques et de nouvelles hypothèses de recherche, mais pointe aussi les risques, tensions et malentendus qu'il y a à être à la fois « en dehors » et « en dedans » de son objet de recherche. L'entretien plaide au final pour l'utilité de tester ces rencontres « aux frontières » – pourvu que se développe une forme collective de réflexivité sur les conditions dans lesquelles les sciences sociales peuvent effectivement « infuser » le débat public.This interview documents the experience of an interdisciplinary team of four social science researchers— Stéphanie Hennette, Thomas Piketty, Guillaume Sacriste, and Antoine Vauchez—who, in the context of the 2017 French Presidential elections and the 2019 European elections, wrote and diffused a treaty proposal to democratize the European Union. Shedding light on the conditions of intervening in public debates (in this case European) and repertoires of intervention used by researchers, this interview addresses what it means to produce a “treaty” and the implications of navigating through the confluence of research, expertise, and civic engagement. The discussion insists on the knowledge effected of an experience that generated new empirical curiosities and research hypotheses while also pointing to the risks, tensions, and misunderstandings that result from being both “outside” and “inside” one's research object. Overall, the interviewee insists on the usefulness of experimenting with these “frontier” encounters, provided that a form of collective reflexivity on how the social sciences can effectively “infuse” public debate is able to emerge.
- Violence stratégique et autodéfense en Pays basque - Caroline Guibet Lafaye p. 153-181
Chronique bibliographique
- Rendre le milieu hostile : contrôler et réprimer par le son, les gaz lacrymogènes et les projectiles « non-létaux » - Christophe Wasinski p. 203-214