Contenu du sommaire : Les émotions politiques des combattants, entre guerre et paix

Revue Critique internationale Mir@bel
Numéro no 91, avril-juin 2021
Titre du numéro Les émotions politiques des combattants, entre guerre et paix
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  • Éditorial - p. 5-6 accès libre
  • Thema. Les émotions politiques des combattants, entre guerre et paix

    • Les émotions politiques des (ex-)combattants. Pour une sociologie des sentiments moraux - Pénélope Larzillière, Jacobo Grajales p. 9-22 accès réservé
    • De l'engagement armé à l'engagement humanitaire : trajectoires militantes, émotions et sentiments moraux dans la Syrie post-2011 - Laura Ruiz de Elvira p. 23-44 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'articulation des émotions et des sentiments moraux avec les logiques d'engagement est désormais bien documentée, en revanche, elle l'est moins avec les processus de désengagement et de démobilisation. Ce sont ces deux articulations interdépendantes que j'explore dans le contexte syrien post-mars 2011, marqué par une « crise révolutionnaire » qui a débouché sur une guerre civile internationalisée toujours en cours. Pour ce faire, je m'appuie sur une enquête de terrain effectuée en 2019 à Gaziantep (Turquie) au cours de laquelle j'ai conduit une série d'entretiens biographiques auprès de six anciens combattants reconvertis dans l'action humanitaire. Suivant une perspective interactionniste et de carrière, j'interroge les parcours de ces anciens combattants et l'expression de leurs émotions et sentiments moraux. J'analyse leur imbrication avec des formes de légitimation et de justification de l'action et avec des références axiologiques dans la (re)présentation du conflit, de la cause et du militantisme. Ce faisant, je mets en lumière la centralité des registres de la corruption, de l'injustice, de la responsabilité et de la culpabilité, ainsi que l'existence d'un continuum entre l'engagement révolutionnaire, armé et humanitaire.
      The manner in which emotions and moral sentiments interact with dynamics of engagement has been well documented. This is not the case, however, in what concerns processes of disengagement and demobilization. It is the latter that this paper explores, focusing on the post-2011 Syrian context, where a “revolutionary crisis” led to an internationalized civil war, one that is still underway. To do so, I draw upon fieldwork conducted in 2019 in Gaziantep (Turkey), where I conducted a series of biographical interviews with six ex-combatants now involved in humanitarian action. Adopting an interactionist and career perspective, I consider the trajectories of these ex-combatants and the manner in which they express their emotions and moral sentiments. I examine the ways in which they legitimate and justify their actions as well as the values to which they appeal in representing the conflict, the cause and their activism. In so doing, I shed light on the central role played by the frames of corruption, injustice, responsibility and guilt as well as on the existence of a continuum spanning revolutionary, armed and humanitarian engagement.
    • Entre le front et la maison : émotions et affects de combattants du Hezbollah libanais engagés dans le conflit syrien - Erminia Chiara Calabrese p. 45-65 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'exemple des combattants du Hezbollah libanais a ceci d'avantageux pour l'analyse de la dimension émotionnelle dans l'engagement armé qu'il permet de travailler sur une organisation partisane qui produit un entre-soi combattant chargé d'une forte dimension affective et qui effectue un « travail émotionnel » important afin de valoriser certaines émotions et d'en discréditer d'autres. J'interroge le rapport entre émotions et engagement chez certains combattants de ce parti politico-religieux armé engagés depuis 2012 sur les fronts syriens aux côtés des troupes du régime de Bachar al-Assad dans la guerre que celui-ci mène contre les factions armées rebelles et djihadistes, ainsi que contre toute forme d'opposition. J'analyse les émotions que ces combattants associent à l'expérience du feu ainsi que les continuités et/ou discontinuités des émotions et des valeurs entre l'expérience combattante d'un proche et le foyer domestique. Par une pratique ethnographique, je m'attache à mettre en évidence les enchantements et les désillusions, la fierté et le dégoût, qui accompagnent ces parcours, et rends compte ainsi du caractère évolutif et fluctuant de ces registres émotionnels en réfutant les analyses qui n'ont associé à ces parcours que des émotions positives.
      From the perspective of the emotional dimension of armed engagement, the advantage of studying the case of Lebanese Hezbollah combatants is that it allows one to work on a partisan organization that produces an emotionally highly charged combatant sociability and performs significant “emotional work” for the purpose of promoting certain emotions and discrediting others. In this paper, I examine the relationship between emotion and engagement among certain combatants of this armed politico-religious party. Since 2012, all have been engaged on the frontlines in Syria alongside troops from the regime of Bachar al-Assad in the latter's war against armed rebel and jihadist factions (and all other forms of opposition). I examine the emotions these combatants associate with the experience of being under fire as well as the continuities and/or discontinuities that characterize the emotions and values of home and those of their loved ones. Taking an ethnographic approach, I seek to underscore the joys and disappointments, pride and disgust, that accompany these trajectories and thereby account for the evolving and fluctuating character of these types of emotion, refuting analyses that only associate positive emotions with these trajectories.
    • Donner sens et cohérence à la désertion en contexte de guerre : les émotions d'ex-militaires syriens - Valentina Napolitano p. 67-87 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Face à la répression sanglante des manifestations contre le régime de Bachar al-Assad et à la violence du conflit qui s'est ensuivi, plusieurs milliers de militaires syriens ont fait le choix de quitter l'armée régulière entre 2011 et 2013. En questionnant le processus de cette désertion, plutôt que ses causes, cette contribution s'inscrit dans la lignée de travaux récents qui ont envisagé les trajectoires des acteurs en guerre sur un continuum allant de l'avant-guerre à l'après-guerre. Elle analyse conjointement les mutations des statuts sociaux occupés par les déserteurs au fur et à mesure de l'évolution du conflit, ainsi que les émotions et sentiments moraux mis en avant dans leurs récits. Cette approche vise tout d'abord à mettre en relief les procédés de mise en cohérence de la désertion avec les trajectoires passées et présentes des ex-militaires ; ensuite à comprendre la redéfinition des frontières entre les groupes et les « communautés émotionnelles » dans un contexte de guerre interne.
      Faced with the bloody repression of protests against the regime of Bachar al-Assad and the violence of the subsequent conflict, between 2011 and 2013 several thousand Syrian soldiers chose to leave the regular army. By considering the process by which their desertion took place rather than its causes, the present paper follows in the footsteps of recent work that examines the trajectories of actors in war as part of a continuum running from the pre-war to postwar period. It simultaneously examines the transformation of deserters' social status over the course of the conflict as well as the emotions and moral sentiments emphasized in their accounts. This approach first seeks to highlight the processes by which a coherent account is developed to integrate the desertion into the former soldiers' past and present trajectories. It then attempts to understand how the frontiers between groups and “emotional communities” are redefined in a context of internal war.
    • Des « démobilisés » en quête de reconnaissance : le renouveau du combat politique des ex-combattants ivoiriens - Léo Montaz, Kamina Diallo p. 89-110 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      À plusieurs reprises entre 2004 et 2012, la Côte d'Ivoire a engagé des programmes de « Désarmement, Démobilisation et Réintégration » (DDR) de ses combattants, qui se sont officiellement achevés en 2015 avec la fermeture de l'agence chargée du suivi des dossiers. Cependant, six ans plus tard, une partie des démobilisés considèrent toujours ne pas être réintégrés à la société civile et se plaignent de vivre dans des situations de grande précarité. Sur la base d'enquêtes de terrain menées dans différentes villes de la Côte d'Ivoire, nous proposons de suivre le parcours de ces démobilisés durant les cinq années qui ont suivi la fin des programmes. À travers l'analyse de leur quête de reconnaissance, nous interrogeons le rôle des émotions politiques dans la manière dont ces hommes, qui considèrent avoir été délaissés par l'État, se sont construits une identité politique nouvelle dans la Côte d'Ivoire « post-crise ». Nous questionnons également les processus qui concourent à la marginalisation et au déclassement social d'une partie d'entre eux, remettant ainsi en cause les visions normatives et positives des programmes de DDR.
      On several occasions between 2004 and 2012, the Ivory Coast undertook programs to “Disarmam, Demobilize and Reintegrate” (DDR) its combatants. These officially drew to a close in 2015 when the agency responsible for monitoring case files was disbanded. Six years later, however, some demobilized soldiers still see themselves as having not been integrated into civil society and complain of living in highly precarious situations. Drawing upon fieldwork carried out in various Ivory Coast cities, we follow the trajectories of these demobilized soldiers in the five years that followed the termination of the country's DDR programs. Through an examination of their search for recognition, we consider the role played by political emotions in the effort of these men – who see themselves as having been abandoned by the state – to construct a new political identity in “post-crisis” Ivory Coast. We also consider the processes that, in some cases, contributed to their marginalization and social declassification, thereby challenging the positive, normative portrayal of DDR programs.
  • Coulisses

    • Les dynamiques émotionnelles du militantisme jihadiste : propositions méthodologiques sur leur repérage - Amélie Blom p. 113-134 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Reconnaître l'importance des émotions pour la compréhension du militantisme armé implique également d'exercer la plus grande vigilance dans l'attribution à distance de motivations émotionnelles, procédé largement répandu dans l'étude de l'engagement jihadiste en raison de la difficulté à saisir les émotions en situation. L'une des façons de surmonter cet obstacle est d'analyser les dynamiques émotionnelles du militantisme armé à partir d'un questionnement sur les méthodes exploratoires et, plus spécifiquement, sur l'entretien biographique. Certes, celui-ci soulève des difficultés, mais il se révèle aussi d'une grande richesse pour peu que l'on adopte une démarche sensible à ce que l'interaction enquêteur.rice-enquêté.es fait à la compréhension des dynamiques émotionnelles du militantisme. L'expérience sensorielle et émotionnelle d'un ancien combattant jihadiste pakistanais, associée à un retour réflexif sur les émotions de l'observatrice, sert de point d'appui à une tentative de typologie des voies d'accès aux émotions dans le cadre des entretiens sociologiques.
      Recognizing the significance of emotions in the understanding of armed militancy also requires that one exercise the greatest vigilance in attributing emotional motivations to militants from afar – a very common way of proceeding in studies of Jihadist engagement given the difficulty of accessing emotions in context. One way to overcome this obstacle is to interrogate our exploratory methods and, more specifically, that of the biographical interview. This presents difficulties of its own, of course, but is also very rewarding provided that one remains sensitive to the interaction between the investigator and his or her interlocutors as well as to how this interaction impacts the understanding of the emotions at play. Joined with a reflexive analysis of the observer's emotions, the sensory and affectual experience of a former Jihadist combatant in Pakistan supplies the basis for a tentative typology of the various routes by which one may access and document emotions via sociological interviews.
  • Varia

    • Immigrés et descendants d'immigrés chinois face à l'épidémie de Covid-19 en France : des appartenances malmenées - Isabelle Attané, Ya-Han Chuang, Aurélie Santos, Su Wang p. 137-159 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les immigrés et descendants d'immigrés chinois en France ont été affectés par la pandémie de Covid-19 à plusieurs titres. Indépendamment des désagréments qu'ils ont subis au même titre que l'ensemble de la population dans ce contexte de crise, ils ont été confrontés à des comportements de stigmatisation, voire de rejet ou de racisme, qui ont provoqué chez nombre d'entre eux un sentiment de malaise. Par ailleurs, pris en étau entre un discours médiatique régulièrement antichinois et la rhétorique triomphante du gouvernement chinois concernant sa lutte contre le virus, ils ont été ébranlés dans leurs sentiments d'appartenance et leurs représentations de soi. Nous documentons les processus à l'œuvre dans la fabrique d'une stigmatisation sur des bases a priori sanitaires, et restituons les manières dont nos interlocuteurs se sont positionnés en termes d'appartenance identitaire. Nous nous appuyons pour cela sur des entretiens qualitatifs réalisés pendant le premier confinement en France, et dont le contenu est confirmé par des extraits d'articles de presse. Dans ce contexte de crise, les personnes interrogées ont témoigné de vécus personnels différents selon la nature de leur lien avec la Chine. L'enjeu est d'examiner les différentes formes de ce sentiment d'appartenance face aux catégorisations véhiculées par les interactions avec la société majoritaire et les médias.
      Chinese immigrants and their descendants in France have been affected by the Covid-19 pandemic in several respects. Independently of the inconveniences to which, in this context of crisis, they have been subjected together with the rest of the population, they have been confronted with stigmatizing behaviors and sometimes rejection and racism, a source of unease for many of them. Moreover, caught between the habitually anti-Chinese discourse of the media and the triumphant rhetoric of the Chinese government concerning the fight against the virus, their self-representations and sense of belonging have been undermined. In this article, we document the processes at work in the fabrication of public health stigmatization and reconstruct the manner in which our interlocutors have positioned themselves in terms of their identity and belonging. In doing so, we rely on a series of qualitative interviews conducted during the first confinement in France, the content of which was confirmed by news excerpts. In this context of crisis, those interviewed revealed personal experiences that varied depending on the nature of their relationship to China. Our goal is to examine the various forms taken by this feeling of belonging vis-à-vis the categories conveyed in interactions with majority society and the media.
  • Lectures