Contenu du sommaire : Les espaces publics et leurs indésirables

Revue Les Politiques sociales Mir@bel
Numéro no 1-2, 2021
Titre du numéro Les espaces publics et leurs indésirables
Texte intégral en ligne Accès réservé
  • Les espaces publics et leurs indésirables : interactions, institutions, politiques - Sarah Van Hollebeke, Mathieu Berger, Louise Carlier p. 4-26 accès réservé
  • Habermas au Starbucks. Clients, oisifs et traînards dans le tiers-lieu capitaliste - Robin Wagner-Pacifici p. 27-53 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Réinterrogeant la conceptualisation habermassienne du « café » dans la société des XVIIe et XVIIIe siècle pour analyser le rôle démocratique des cafés contemporains, l'auteure revient sur un incident survenu entre un employé d'un établissement Starbucks à Philadelphie et des clients afro-américains – le terme « client » posant justement ici question. Elle documente cette interaction en resituant ses observations et interprétations à la fois dans l'histoire urbaine d'un quartier et dans l'histoire des héritages sociaux et culturels du racisme et du capitalisme aux États-Unis. Elle montre que les obligations et charges du capitalisme (la nécessité de consommer, de travailler, d'éviter l'oisiveté) pour entrer et rester dans ces espaces supposés ouverts à tous, pèsent différemment sur les visiteurs selon qu'ils sont reconnus comme clients ou comme potentiels « traînards », et cela à partir d'indices de leur condition sociale et économique, mais aussi selon leur couleur de peau. L'article présente le tiers-lieu capitaliste comme un espace particulièrement ambigu, distinct du café habermassien et de sa prétendue atmosphère de civilité, d'ouverture démocratique et d'accessibilité universelle ; un espace qui, malgré lui, à travers des incidents comme celui du Starbucks de Philadelphie, est devenu aux USA une scène publique de mobilisation et de débat autour de ces questions.
    Revisiting the Habermasian conceptualization of “cafe” in seventeenth- and eighteenth-century society in order to analyze the democratic role of contemporary cafes, the author revisits an incident between a Starbucks employee in Philadelphia and African-American customers - the term “customer” being in question here. She documents this interaction by situating her observations and interpretations both in the urban history of a neighbourhood and in the history of the social and cultural legacies of racism and capitalism in the United States. She shows that the obligations and burdens of capitalism (the need to consume, to work, to avoid idleness) in order to enter and remain in these spaces, which are supposed to be open to all, weigh differently on visitors depending on whether they are recognised as customers or as potential ‘stragglers', and this according to indices of their social and economic condition, but also according to their skin colour. The article presents the capitalist third place as a particularly ambiguous space, distinct from the Habermasian cafe and its supposed atmosphere of civility, democratic openness and universal accessibility; a space that, in spite of itself, through incidents such as that of the Philadelphia Starbucks, has become a public arena for mobilisation and debate around these issues in the USA.
  • Perception et sémiose du malvenu. Retracer l'excommunication d'un participant dans une assemblée publique - Mathieu Berger p. 54-71 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Les travaux en sciences sociales et politiques relatifs à la disqualification de certains participants dans des processus de démocratie participative ne manquent pas. La plupart d'entre eux traitent de la question en se focalisant sur les actes de discours ratés, malheureux, par lesquels les participants considérés apparaissent publiquement inaptes à la discussion, délibération, consultation, etc. Lorsqu'elles s'inquiètent de difficultés pouvant précéder la prise de parole, pointant la reconnaissance anté-discursive de l'énonciateur comme condition de félicité primordiale pour l'énonciation, ces recherches limitent souvent l'examen empirique à quelques critères catégoriels (genre, couleur de peau, signes culturels ou religieux, marqueurs de classe), et associent donc les processus d'exclusion à des types de participants. Dans ce texte, en revenant sur un exemple flagrant d'infélicité issu d'une ethnographie d'assemblées civiques en Californie, l'auteur retrouve les signes spécifiques et retrace les processus perceptifs et sémiotiques non verbaux à travers lesquels, en amont de la prise de parole, le caractère malvenu de la participation d'un individu “se pressent”, “se devine”, puis “se découvre” dans une séquence de micro-événements générant un trouble croissant. Dans une perspective pragmatiste, l'indésirable y est redéfini dans les termes du malvenu, l'exclusion du participant — que l'auteur nomme ici excommunication — s'accomplissant pas à pas au fil d'une venue malencontreuse à la communauté communicante.
    There is no shortage of works in social and political sciences on the disqualification of certain participants in participatory democracy processes. Most of these works deal with the issue by focusing on the failed, infelicitous speech acts through which a citizen speaker appears publicly unqualified for discussion, deliberation, consultation, etc. When addressing issues that may arise prior to speaking, pointing to the pre-discursive recognition of the speaker as a primary felicity condition for her speech act, these researches often limit empirical examination to a few category-based criteria (gender, skin color, cultural or religious signs, class markers), and thus associate exclusion processes to certain types of participants. In this article, by revisiting a flagrant example of infelicity taken from an ethnography of civic assemblies in California, the author traces the specific signs and the non-verbal perceptive and semiotic processes through which, before having uttered a single word, the unwelcome aspect of an individual's participation is “sensed”, “guessed”, then “discovered” in a sequence of micro-events generating a growing disturbance. In a pragmatist perspective, the undesirable is redefined as the unwelcome, the exclusion — which the author calls here excommunication — of the participant accomplishing itself gradually, in the course of an unfortunate introduction into the communicating community.
  • Ce que produit l'incongru. Affects et socialité dans un lieu public à Shanghai - Lisa Richaud p. 72-82 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Qu'apprend-on de l'indésirabilité lorsqu'elle est envisagée non comme objet de contrôle mais dans sa dimension productive, tant au niveau interactionnel qu‘affectif ? La question sert de fil conducteur à ce court essai, où l'indésirabilité réfère à une « impropriété situationnelle » telle qu'elle se manifeste dans une librairie de Shanghai, perturbant momentanément les conditions de la coprésence. Oscillant entre interactionnisme goffmanien et analyse des variations atmosphériques, la contribution met en évidence la socialité et les affects ordinaires que fait émerger l'indésirabilité. Celle-ci désorganise l'ordre interactionnel local autant qu'elle réorganise les possibilités d'engagements entre inconnus, orientés au-delà d'une restauration des conditions sensibles à la conduite des activités individuelles. En dialogue avec la littérature sur la socialité urbaine, l'article conclut sur le caractère heuristique des affects suscités par la situation, et décrits ici comme tempérés.
    What do we learn by considering undesirability in its productive dimensions on the interactional and affective level, rather than as an object of control? The question serves as a line through this short essay. Undesirability, here, refers to a “situational impropriety” momentarily disturbing the conditions of copresence of a Shanghai bookstore. Combining goffmanian interactionism with an attention to atmospheric variations, the contribution foregrounds the sociality and ordinary affects that emerge as participants in the situation engage the undesirable. Undesirability disorganizes the local interaction order as much as it reorganizes the possibilities for engagements among strangers, beyond attempts to restore the sensory conditions for the pursuits of individual activities. Ultimately, the contribution concludes on the importance of the tempered affects emerging in the situation at hand to the study of urban sociality.
  • D'intruses à invitées, l'accès des femmes à la ville d'Alger et leur appropriation des espaces urbains - Ghaliya Djelloul p. 83-94 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    À partir d'une expérience en première personne des rapports de genre dans les quartiers périphériques d'Alger, l'auteure propose d'éclairer les obstacles rencontrés pour accéder, en tant que femme, à l'espace extradomestique, et s'y mouvoir. Elle décrit les circonstances particulières dans lesquelles ces présences jamais totalement légitimes peuvent déambuler dans certains lieux, comme des espaces marchands et des cérémonies festives, tout en se gardant de réduire le trouble que la perception de leur corps peut susciter pour certains hommes à l'ordre moral et religieux. Elle décrit la dynamique d'enserrement et de desserrement qui gouverne la mobilité des femmes et qui les fait glisser entre la figure d'intruse, d'invitée ou d'indésirable.
    Based on a first-person experience of gender relations in the outlying districts of Algiers, the author proposes to shed light on the obstacles encountered in accessing and moving around in extra-domestic space as a woman. She describes the particular circumstances in which these never totally legitimate presences can wander in certain places, such as market spaces and festive ceremonies, while being careful not to reduce the disturbance that the perception of their bodies can cause for certain men to the moral and religious order. She describes the dynamic of enclosure and unenclosure that governs women's mobility and which makes them slip between the figure of intruder, guest or unwanted.
  • Entre bienfaisance et pollution. Les ambassadeurs d'ONG dans l'espace public - Baptiste Véroone p. 95-100 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article traite des dispositions et des techniques que les ambassadeurs d'ONG présents dans les espaces publics urbains utilisent pour déjouer, par anticipation, les réactions et affects négatifs qu'ils peuvent générer. À partir d'expériences vécues et d'une enquête ethnographique, l'auteur analyse cette figure d'« indésirable », ambivalente du fait de sa fonction bienfaitrice. À travers des formations qui préparent l'entrée sur le terrain de ces salariés, ces derniers en viennent à développer certaines dispositions socioprofessionnelles, ainsi que des règles de conduites ajustées à leur statut d'indésirable tout autant qu'à leur objectif de récolte monétaire. Grâce à elles, ils apprennent, de manière subtile, à surmonter le sentiment de constituer une « pollution urbaine » et à susciter la sympathie des passants à leur égard. Un préalable nécessaire pour tenir bon et parvenir à recruter des donateurs.
    This article deals with the techniques that NGO ambassadors use to thwart, by anticipation, the negative reactions and affects they may generate in urban public spaces. Based on an ethnographic survey, the author analyzes this ambivalent figure of “undesirable”. Through training that prepares these employees to enter the field, they come to develop certain socio-professional dispositions as well as rules of conduct adjusted to their undesirable status as well as to their objective of monetary harvest. Thanks to them, they learn, in a subtle way, to overcome the feeling of constituting “urban pollution” and to arouse the sympathy of passers-by towards them. The article concludes by mentioning that these techniques are a necessary precondition to keep on their motivation and successfully recruiting donors.
  • Feindre l'indifférence en passant. Perceptions des femmes en attente de clients au coin d'une rue à Bruxelles - Sarah Van Hollebeke p. 101-111 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article questionne le trouble et les affects négatifs relatifs à la visibilité des situations d'interaction entre des prostituées et leurs clients dans la rue. À partir des parcours ordinaires d'un groupe d'habitantes, cette contribution montre que cette rencontre déclenche un éventail de réactions émotionnelles et de façons de se déplacer parfois ambivalentes : entre répulsion, anxiété, embarras et compassion. L'article revient sur les conduites par lesquelles ces résidentes tentent de se prémunir de ces situations embarrassantes, et sur leurs façons de contrôler l'image qu'elles-mêmes renvoient à des visiteurs extérieurs à ce quartier. L'article conclut sur la possibilité d'un renversement du geste de répulsion initial vers une forme d'assistance mutuelle et de prise en charge institutionnelle.
    This article questions the disorder and negative affects related to the visibility of the interactions between prostitutes and their clients on the street. Based on the ordinary journeys of a group of female residents, this contribution shows that this encounter triggers a range of emotional reactions and ways of moving, sometimes ambivalent: between repulsion, anxiety, embarrassment and compassion. The article looks at the behaviours by which these residents try to protect themselves from these embarrassing situations and the ways in which they control their own image. The article concludes on the possibility to reverse the initial gesture of repulsion into a form of mutual assistance.
  • Négocier le discrédit dans des réunions de patients vivant avec la maladie d'Alzheimer - Simon Lemaire p. 112-127 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Dans ce texte, l'auteur présente les particularités communicationnelles d'espaces visant à recueillir la parole et les expériences de personnes jeunes vivant avec la maladie d'Alzheimer, et de leurs aidants proches. Cette attention permet de mettre en lumière un dispositif cherchant à la fois à faire participer les personnes directement concernées, et à faire de ces espaces des lieux dans lesquels l'indésirabilité de leurs symptômes est renégociée. À cet effet, l'auteur aborde les modalités pratiques de ces réunions, les normes participatives et les difficultés rencontrées pour les concilier avec la maladie d'Alzheimer. Il compare ensuite la recevabilité du discours des jeunes patients et le travail de réception effectué par l'assemblée.
    This article presents the communicational specificities of spaces that aim at gathering the voices and experiences from people living with dementia and their carers. This allows focusing on an arrangement that seeks in the same time to involve people with Alzheimer's disease and to create spaces where the undesirability of their symptoms are renegotiated. In order to do so, the author addresses the practical modalities of those gatherings, the participative norms and the difficulties to meet their standards. He then compares the admissibility of the young onset dementia speeches and the reception work made by the group.
  • Psychiatrie hors les murs et signalement des citoyens - Antoine Printz p. 128-139 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article interroge la pratique de signalement psychiatrique dans les espaces publics urbains. À partir de l'analyse documentaire des rapports d'intervention de police pour des « indésirables » à Bruxelles, il est possible de saisir les caractéristiques typiques des troubles « psychiatrisables » qui mènent à une prise en charge institutionnelle. Cette démarche permet d'identifier les conduites et comportements qui sont requis de la part de « la personne du malade mental » pour déclencher une prise en charge institutionnelle. Cela soulève des enjeux majeurs de contrôle social, d'accès aux soins et de protection des personnes, d'autant plus brûlants à l'heure de la désinstitutionalisation psychiatrique.
    This article examines the practice of psychiatric reporting in urban public spaces. Based on the documentary analysis of police intervention reports for ‘undesirables' in Brussels, it is possible to grasp the typical characteristics of ‘psychiatrizable' disorders that lead to institutional care. This approach makes it possible to identify the behaviours and attitudes that are required of the ‘mental patient' to trigger institutional care. This raises major issues of social control, access to care and protection of individuals, which are all the more pressing at a time of psychiatric deinstitutionalisation.
  • Les gardiens de la paix bruxellois, défenseurs d'un ordre moral aux contours flous - Lionel Francou p. 140-150 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article porte sur la pratique d'identification et de traitement des indésirables dans les espaces publics urbains par des agents appelés, en Belgique, les « gardiens de la paix », qui ne sont pas des policiers. Ces métiers de la gestion de l'ordre en public et de la régulation des espaces se sont multipliés ces trente dernières années et leur professionnalisation fait débat. À partir d'un travail ethnographique qui l'a conduit à participer aux rondes de ces agents dans une commune de la région bruxelloise et à analyser les rapports d'observation de ces travailleurs, l'auteur décrit la manière dont ils identifient les situations problématiques et les usages indésirés des espaces qu'ils parcourent, pour ensuite relayer leurs observations vers les services compétents. L'article montre qu'ils remplissent un rôle paradoxal qui revient à la fois à repérer, accueillir et gérer le trouble, à prévenir et réprimer son apparition ; ce qui conduit, dans certains cas, à une prise en charge institutionnelle et/ou policière de l'indésirable.
    This article focuses on the practice of identifying and dealing with undesirables in urban public spaces by agents known in Belgium as ‘peacekeepers', who are not police officers. These professions of public order management and space regulation have multiplied over the last thirty years and their professionalization is under debate. Based on an ethnographic study which led him to participate on patrols of these agents in a municipality in the Brussels region and to analyse the observation reports of these workers, the author describes the way in which they identify problematic situations and undesirable uses of the spaces they patrol, and then relay their observations to the competent services. The article shows that they fulfil a paradoxical role, which is to identify, welcome and manage the disorder, and to prevent and repress its appearance; this leads, in certain cases, to institutional and/or police management of the undesirable.
  • La figure de l'enquêteur dans le quartier de la Villeneuve de Grenoble - Maïlys Toussaint p. 151-159 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    En s'appuyant sur un récit de terrain restituant un moment d'échange entre l'ethnographe et une habitante d'un quartier de la Villeneuve de Grenoble, cet article soulève les réactions ambivalentes que suscite cette figure d'enquêteur, potentiel indésirable. Le contexte particulier de ce quartier, entre rénovation urbaine et enquêtes à répétition, influence et prédispose la perception de cette présence qui vient perturber et dérégler le déroulement ordinaire de la vie. À travers les notions d'habituation aux ambiances, de trouble et d'évitement, l'auteure explore les affects négatifs que peuvent générer les interactions entre enquêteurs et habitants. L'article montre que la conjonction entre des épreuves du passé, l'inquiétude du présent et l'anticipation de ce qui pourrait se produire génère une hypervigilance des habitants vis-à-vis des ambiances de leur espace de vie. Pour ces habitants sur le qui-vive, il y a toujours la possibilité que l'ambiance recherchée se teinte subitement de quelque chose de désagréable, ces affects négatifs troublant alors tant l'ordre interactionnel que la conduite ordinaire des activités.
    Based on a field report of an exchange between the ethnographer and a resident of the Villeneuve district of Grenoble, this article raises the ambivalent reactions to the potentially undesirable figure of the interviewer. The particular context of this neighbourhood, between urban renovation and repeated surveys, influences and predisposes the perception of this presence that comes to disturb and disrupt the ordinary course of life. Through the notions of habituation to environments, disorder and avoidance, the author explores the negative affects that can be generated by the interactions between investigators and inhabitants. The article shows that the conjunction between past events, present anxiety and the anticipation of what could happen generates a hypervigilance of the inhabitants with regard to the ambiences of their living space. For these inhabitants on the alert, there is always the possibility that the desired atmosphere is suddenly tinged with something unpleasant, and these negative affects disturb both the interactional order and the ordinary conduct of activities.
  • Recensions - p. 174 accès réservé