Contenu du sommaire : Le gouvernement international de la violence légitime

Revue Critique internationale Mir@bel
Numéro no 92, juillet-septembre 2021
Titre du numéro Le gouvernement international de la violence légitime
Texte intégral en ligne Accès réservé
  • Éditorial - p. 5-6 accès libre
  • Thema. Le gouvernement international de la violence légitime

    • Les espaces sociaux du gouvernement international de la violence - Sylvain Antichan, Cyril Magnon-pujo p. 9-22 accès réservé
    • Policing & big data. La mise en algorithmes d'une politique internationale - Anthony Amicelle p. 23-48 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le concept de policing renvoie à une dimension spécifique du contrôle social, et désigne l'existence d'opérations de surveillance couplées à la menace de sanctions en cas de déviance. En appelant à surveiller les transactions financières pour lutter contre la criminalité et le terrorisme, l'action publique internationale contre l'argent sale a légitimé et généralisé au cours de ces dernières décennies une nouvelle forme de policing. Celle-ci implique des acteurs majeurs du capitalisme qui ne sont pas à proprement parler des entreprises de sécurité privée. À l'instar d'initiatives du même ordre plus récentes, elle repose sur l'articulation d'univers relevant, d'une part, de l'économie et de la finance, d'autre part, du pénal et de la sécurité. Comment cette articulation s'opère-t-elle, et avec quels effets, tant sur le fonctionnement de ces univers sociaux que sur l'exercice du policing contemporain ? Pour répondre à ces questions, nous situons l'analyse sur un plan sociotechnique, en étudiant la mise en algorithmes des opérations de surveillance. Figure montante dans le domaine de la sécurité, les algorithmes sont omniprésents au sein du policing financier. En tant qu'objets-frontières, ils constituent un point d'entrée crucial pour étudier les relations entre « économie » et « sécurité » sur lesquelles repose une partie croissante du policing à l'heure des big data.
      The concept of policing refers to a specific dimension of social control and designates the existence of operations of surveillance coupled with the threat of sanction in the event of deviance. By calling for the control of financial transactions to fight against criminality and terrorism, international public action against dirty money has legitimised and generalised a new form of policing over the last decades. This policing involves major actors of capitalism that are not private security companies. Like similar and more recent initiatives, it is based on the articulation between universes relating to the economy and finance on the one hand, and criminal justice and security on the other. How is this articulation operated and what are the effects on the functioning of these social universes and on the exercise of contemporary policing? To answer these questions, the analysis I offer is socio-technical and examines how operations of surveillance are transformed into algorithms. Increasingly used in the field of security, algorithms are omnipresent in financial policing. As boundary objects, they constitute a crucial entry point for the study of the relationship between “economy” and “security” on which is based a great deal of the increasing policy in the time of big data.
    • Le droit des contrats contre la peine de mort : controverses contemporaines autour du commerce international des produits nécessaires aux injections létales aux États-Unis - Nicolas Fischer p. 49-69 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis le début des années 2000, une controverse d'abord nationale puis transnationale a émergé autour des exécutions capitales par injection létale aux États-Unis. Au cours de cette période, cette forme particulière de mise à mort a été dénoncée pour son usage détourné de techniques et de produits empruntés à la pratique médicale. L'ampleur du débat a été telle que les principales multinationales du médicament sont intervenues. Depuis une dizaine d'années, celles-ci ont adopté des mesures contractuelles visant à empêcher la vente et l'usage de leurs produits pour l'exécution de condamnés. Une enquête combinant des entretiens et l'analyse de documents permet ici de retracer les étapes de cet enrôlement inédit. Elle met également en évidence ses effets sur la prétention étatique à monopoliser la violence légitime et ses moyens : parce qu'ils constituent en armes des produits qui restent par ailleurs des médicaments échangés sur un marché, les États fédérés doivent négocier leur achat et leur détention avec des industriels hostiles, devant des juridictions commerciales où leurs objectifs punitifs sont rarement pris en compte.
      Since the beginning of the 2000s, a controversy has emerged around executions by lethal injection in the United States, first nationally and then extending to a transnational scale. During this period, this particular form of capital punishment has been denounced for its highjacking of techniques and products borrowed from medical practice. The amplification of the debate has been such that the principal multinational pharmaceutical companies have intervened. For about a decade these companies have adopted contractual measures to prevent the sale and use of their products for the execution of condemned inmates. A research combining interviews and document analysis enables here a retracing of the stages of this unprecedented mobilisation of contract law. It also reveals the effects this activity has on state pretention to the “monopoly” on legitimate violence and its means : because they make weapons out of products that above all are traded on the market as medicines, American states must negotiate their purchase and possession of supplies with hostile industries, before commercial courts where their punitive objectives are rarely taken into account.
    • Nettoyer, contrôler et cibler : les engrenages de violence et la guerre de l'OTAN contre le terrorisme en Afghanistan - Julien Pomarède p. 71-94 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Il est désormais admis que l'après-guerre froide, et plus encore la guerre contre le terrorisme post-11 septembre 2001, ont donné lieu à un interventionnisme occidental permanent, caractérisé par un engrenage de la violence militaire. Toutefois, peu d'analyses portent sur les conditions sociopolitiques à partir desquelles les appareils diplomatico-militaires usent de cette violence et, surtout, la conçoivent comme logique et instrumentale en dépit de ses impasses. En explorant les luttes d'influence au sein de la FIAS (Force internationale d'assistance et de sécurité), la mission de l'OTAN en Afghanistan, nous cherchons à rendre compte de la plasticité du sens et des significations investis dans ces rapports de force. La domination diplomatico-militaire d'un groupe d'acteurs (celui des États-Unis) sur un autre (celui des Européens) résulte en effet de logiques de compromis caractérisées par d'irréductibles multiplicités de significations. Cette pluralité, encastrée dans les âpres négociations multilatérales relatives aux nombreux enjeux concernant le pilotage de la guerre, est le fondement d'une violence dont l'usage continu constitue, in fine, le dénominateur commun du consensus interventionniste. Loin d'être des machines de guerre devenues incontrôlables, ces interventions sont en fait le produit sociologique de luttes et d'accords qui rationalisent ces spirales de violence contemporaines.
      It is now commonly admitted that the post–Cold War era and even more the war against terrorism since 9/11 have given birth to a permanent Western interventionism characterised by a spiral of military violence. There are, however, few scholarly studies on the socio-political conditions from which the diplomatic-military apparatuses make use of this violence and, above all, conceive of it as logical and instrumental despite the stalemates it has led to. By exploring the wars of influence within the NATO mission in Afghanistan†the ISAF, International Security Assistance Force†I aim to show the malleability of what is invested in these power struggles in terms of meaning and signification. The diplomatic-military domination of one group of actors (the Unites States') over another (the Europeans') is the result of logics of compromise characterised by irreducible multiplicities of significations. This plurality, entrenched in fierce multilateral negotiations related to all that is at stake concerning the running of war, is at the basis of a violence whose continuous use constitutes, in the end, the common denominator of the interventionist consensus. Far from being war machines that have become uncontrollable, these interventions are in fact the sociological product of struggles and agreements that rationalise the contemporary spirals of violence.
    • Comment une chimère est devenue une politique internationale : l'arène de la « paix positive » - Sandrine Lefranc p. 95-120 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En contrepoint des modalités usuelles d'intervention des organisations internationales en faveur de la paix, une arène s'est développée autour des ambitions de peacebuilding et de « paix positive ». Les initiatives prises dans ce cadre contournent les élites des gouvernements pour susciter le dialogue et construire, à l'échelle locale, des liens entre les gens « ordinaires ». Confrontées à ce que les sciences sociales disent de la guerre et de la paix, ces pratiques paraissent chimériques. Comment expliquer alors leur diffusion depuis la fin de la guerre froide ? À rebours des hypothèses privilégiées par l'étude des relations internationales et à partir de l'étude d'une diversité d'organisations non gouvernementales appréhendées comme autant de maillons d'une chaîne d'intervention, nous montrons que cette arène n'est pas née d'un projet impérialiste ou d'un contre-projet militant. La proposition a priori naïve d'une paix positive tire sa force et sa capacité à structurer des interventions internationales, d'une part, des causes locales (principalement aux États-Unis) qu'elle transpose à l'échelle internationale, d'autre part, de la constitution « en miroir » de l'espace académique et des politiques internationales de paix. Ce sont ces projections, ces rencontres et ces interdépendances qui, d'une chimère, font une politique.
      Peacebuilding and positive peace, as opposed to the usual modalities of peace intervention, has founded an international arena. Initiatives undertaken in this context bypass government elites to foster dialogue and build bridges between ordinary people at the local level. Compared to what the social sciences know about war and peace, they seem to be wishful thinking. How, then, can we explain their diffusion since the end of the Cold War ? Analyzing a diversity of non-governmental organizations understood as links in a chain of intervention, we show that this arena was not born either from an imperialist project or from a militant counter-project. This a priori naïve proposition gets its strength and its capacity to structure international interventions, on the one hand, from local causes, and on the other hand, from the mutual constitution of the academic space and of international peace policies. These projections, encounters and interdependencies turn wishes into reality.
  • Coulisses

    • La « prison dorée », ou les luttes de pouvoir dans l'Arabie Saoudite de Mohammed ben Salman : retour sur un terrain limite pour les sciences sociales - Thomas Brisson p. 123-141 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En novembre 2017, plusieurs centaines de membres des élites politiques et économiques saoudiennes ont été arrêtés et détenus à l'hôtel Ritz-Carlton de Ryad. Présenté par les autorités saoudiennes comme une vaste opération anti-corruption, cet épisode a été analysé par les spécialistes de la région comme un moment de purge et de consolidation du pouvoir autour de la figure du prince héritier, Mohammed ben Salman. Tout en revenant sur les luttes de pouvoir qui ont été à l'origine de cet événement, l'article en aborde une dimension passée inaperçue : l'enfermement dans un cadre luxueux, symbole de puissance. Prendre en considération le caractère « doré » de la prison qu'a été le Ritz permet d'apprécier plus finement les recompositions menées au sein de l'État saoudien qui ont consisté à soumettre les élites au prince héritier sans détruire la structure politique sur laquelle reposait leur pouvoir. En mobilisant les notions de reconnaissance mutuelle et de dénégation, il propose une réflexion sur ce qu'est un terrain limite pour les sciences sociales : faire sens d'un espace clos oblige en effet à développer une forme d'analyse particulière qui interroge la spécificité d'objets politiques marqués du sceau de l'occultation et du secret.
      In November 2017, several hundred members of the Saudi political and economic elite were arrested and detained at the Ritz-Carlton Hotel in Ryadh. The roundup, described by the Saudi authorities as a mere anti-corruption campaign, has been analysed by the specialists of the Middle-East as a purge aimed at consolidating the rule of the Crown Prince, Mohammed bin Salman. After analyzing the power struggles that led to these events, the article tackles a previously unnoticed aspect of the imprisonment and asks: to what extent was the luxury of the hotel instrumental in the political process that took place there? It show that paying attention to the fact that the cage was “gilded” allows us to gain a better understanding of what was at stake in the Ritz-Carlton: the Crown Prince had to walk a fine line between forcing the Saudi elites into submission and avoiding to completey destroy their power, on which his own rule is eventually premised. Finally, as the Ritz-Carlton remained a stricly enclosed space, making almost impossible to get a factual account of the events, the article reflects on what means researching political objects shrouded in secrecy and calls for a new methodology to study politics in concealed fieldworks.
  • Varia

    • « Asseoir l'État » en territoire amazonien : l'extraction pétrolière entre production et contestation de l'ordre national - Doris Buu-Sao p. 145-170 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Alors que les conflits environnementaux d'Amérique latine semblent éprouver frontalement les pouvoirs publics, l'observation des terrains extractifs laisse entrevoir des processus plus ambivalents. À partir d'une ethnographie menée aux abords du plus ancien site pétrolier d'Amazonie péruvienne, j'explore les liens entre l'exploitation des sous-sols d'une nation, les contestations qu'elle suscite et la formation de l'État. Je développe ainsi une analyse par le bas des modes de gouvernement et des contestations qui se déploient autour de l'exploitation de la nature, en tant que processus qui influent sur la production d'un ordre politique national. Je montre tout d'abord comment, sur le temps long de l'histoire amazonienne, l'exploitation des ressources naturelles a été un instrument au service du contrôle exercé sur le territoire. Je reviens ensuite sur la contribution du développement de l'industrie pétrolière au gouvernement des populations amazoniennes depuis les années 1970. Enfin, je m'intéresse aux habitant·es confronté·es à l'industrie pétrolière qui, en se mobilisant face à l'État, contribuent à consolider sa légitimité et son assise territoriale aux frontières du pays.
      While the environmental conflicts of Latin America seem to test public powers head-on, observation of the extractive fields lets us catch a glimpse of more ambivalent processes. Starting from an ethnography carried out in the area around the oldest petroleum extraction site in the Peruvian Amazon, I explore the links between the exploitation of the subsoil resources of a nation, the contestations that this provokes, and the formation of the State. I thus develop an analysis from below of the modes of government and of the contestations that are deployed around the exploitation of nature, as processes that influence the production of a national political order. I demonstrate above all how, in the long history of the Amazon, the exploitation of natural resources has been an instrument in the service of control exercised over the territory. I then return to how the development of the petroleum industry has contributed to the government of populations in the Amazon since the 1970s. Finally, I am interested in the inhabitants confronted with the petroleum industry, which, in mobilising against the State, contributes to consolidate its legitimacy and its territorial base at the countries' borders.
  • Lectures