Contenu du sommaire : Normes du droit du travail en France

Revue L'Homme et la société Mir@bel
Numéro no 212, 2020/1
Titre du numéro Normes du droit du travail en France
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial (I)

  • Éditorial (II)

  • Dossier

    • Introduction : Le travail, enjeux normatifs, juridiques et politiques : un état des lieux - Vincent Bourdeau, Luca Paltrinieri, Alexis Cukier p. 19-41 accès libre
    • La législation d'un métier illicite : les premiers statuts des ménestrels parisiens (1321-1407) - Pierre Pocard p. 43-69 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Jusqu'au XIIIe siècle, clercs et juristes affirment généralement que l'activité musicale ne peut en rien être un métier et excluent au moins théoriquement les jongleurs et les ménestrels qui la pratiquent de la société chrétienne. Au début du XIVe siècle cependant, une corporation de musiciens est créée à Paris et des statuts viennent définir des règles professionnelles. La rédaction de ces statuts marque un pas décisif dans l'intégration des musiciens dans la société urbaine médiévale et dans la construction d'un métier du divertissement musical, qui prend le nom de ménestrandise. Ce processus s'articule avec la création d'un marché du travail musical, dont les ménestrels incorporés contrôlent l'offre grâce aux statuts.
      Until the 13th century, clerks had been saying that music could absolutely not be a professional activity and jesters and minstrels who played music were denied the status of worker. Thanks to a change in the clerical views, a guild of minstrels was nevertheless founded at the beginning of the 14th century in Paris and written status defining professional rules were enacted. This was a decisive step towards the integration of musicians into the medieval urban society. Playing music became a real job, called “ménestrandise” (minstrelsy). This process was tightly linked to the creation of a labour market for music, whose control was ensured by minstrels.
    • Le rapport de travail en France au XIXe siècle : un rapport marchand ? - Claire Lemercier p. 71-93 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les renouvellements de l'historiographie ont révisé une vision du travail au XIXe siècle qui était dominée par les modèles du paternalisme, de la discipline usinière et de la liberté de contrat sans limite. Ils décrivent des rapports de travail plus précaires mais aussi plus négociés, notamment dans le cadre des chaînes de sous-traitance complexes de la fabrique collective et de la proto-industrie. Les conseils de prud'hommes étaient en particulier un lieu de délibération sur des règles qui pouvaient dans une certaine mesure redresser le rapport de forces en faveur des ouvrier·ère·s. Ces conseils produisaient un « droit des ouvriers », bien distinct de celui des marchands, même si les rapports entre ouvrier·ère·s et patron·ne·s ressemblaient à des rapports marchands. Les conseils de prud'hommes étaient cependant loin d'être accessibles à tou·te·s les travailleur·euse·s manuel·le·s ; beaucoup ne pouvaient pas participer à l'élaboration de ce droit ni bénéficier de son application.
      In the last decades, historical research has revised the classical vision of work in the 19th century, which had been dominated by the ideas of paternalism, harsh discipline in factories and unlimited contractual “freedom”. Labour relations were less durable, more insecure than we thought; negotiation was also possible and sometimes turned in favor of workers. Labour courts played a crucial role in opening such margins for favorable negotiations. They produced a “workers' law” that was distinct from commercial law, even though labour relations resembled commercial relations – especially in the context of the subcontracting chains that were typical of urban collective manufactures and rural proto-industry. Labour courts, however, were not accessible for all workers, many of whom could neither take part in the production of the “workers' law” nor benefit from its protection.
    • Organiser, réglementer ou démocratiser le travail ? : Lectures croisées de Durkheim, Taylor et Friedmann - Mélanie Plouviez p. 95-126 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article interroge la normativité du travail en revenant à l'une des sources théoriques, bien que minorée, du droit français du travail et de la protection sociale : Émile Durkheim. L'article commence par présenter, en la déconstruisant, la lecture que Georges Friedmann a proposée de La Division du travail social dans Le Travail en miettes, lecture selon laquelle la réglementation durkheimienne du travail peut être rapprochée de l'organisation scientifique du travail défendue par Frederick Winslow Taylor. À rebours d'une telle interprétation, l'article déploie la pensée durkheimienne des normes du travail comme appel en faveur de la nécessaire réglementation juridique du travail sous la forme d'un « droit professionnel » et de sa tout aussi nécessaire démocratisation sociale et économique, dont la réforme du groupement professionnel doit constituer l'assise institutionnelle.
      The article questions the type of standards that may regulate labour and goes back to one of the theoretical sources of French labour and social security law: Emile Durkheim. The article presents, to criticize it, the interpretation Georges Friedmann proposes in The Anatomy of Work of Durkheim's Division of Labour in Society. According to Friedmann, the labour standards that Durkheim is calling for can be compared to the scientific management advocated by Frederick Winslow Taylor. Contrary to such an interpretation, the article shows that Durkheim characterises the labour standards as a legal regulation that, conceptually, paves the way of labour law and of a social and economic democratization of labour.
    • Du mot à la chose : le travail (dé)construit par le droit ? : Du travail normatif à la normativité du travail - Claude Didry p. 127-167 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En dépit des réformes El Khomri et Macron, le droit du travail demeure la référence majeure pour une population active où prédomine l'emploi stable. Pour expliquer une telle situation, le texte revient sur la genèse du droit du travail. Il s'interroge en premier lieu, à partir d'une lecture du Capital, sur la difficulté de saisir le travail pour les acteurs, dans une société rurale dominée par la production à domicile où domine la référence au louage d'ouvrage. Concept analytique de l'économie classique, le travail devient progressivement un concept opératoire pour observer une réalité sociale, avant d'entrer dans la langue du travail à partir de l'adoption d'un code du travail. Résultat d'un travail normatif contribuant à son identification par les acteurs dans leur vie sociale, le travail comme objet du contrat de travail représente l'activité d'un individu, le travailleur, pour un autre, l'employeur. Mais le contrat de travail constitue également la porte d'entrée dans une collectivité, le personnel de l'établissement en ouvrant la voie à une représentation syndicale et élective porteuse d'une normativité du travail.
      Despite recent reforms (2016, 2017), labour law remains the major reference for the French workforce where stable employment predominates. To explain such a situation, the text goes back to the genesis of labour law. He first questions, from a reading of the Capital by Marx, the difficulty of understanding labour for the stakeholders themselves, in a rural society dominated by home production where the reference to piecework contract dominated. As an analytical concept of classical economics, labour gradually became an operational concept for observing a social reality, before entering the language of Law from the adoption of a labour code. Result of a normative work contributing to its identification by the stakeholders in their social life, labour as the object of the employment contract represented the activity of an individual, the worker, for another person, the employer. But the employment contract was also the gateway to a community, the staff of the establishment opening the way to union and elective representation carrying work normativity.
    • Le tournant entrepreneurial du droit du travail en France (1982-2017) : Politiques néo-libérales, aggiornamento académique et espace de production d'un « sens commun » - Laurent Willemez p. 169-194 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les réformes du droit du travail en France dans les années 2016-2017 (loi El Khomri et ordonnances Macron) peuvent être vues comme l'acmé des politiques du travail menées depuis le milieu des années 1980. L'article revient sur cette véritable « révolution symbolique » que constitue le renversement du droit du travail d'un droit protecteur des salariés à un droit tourné vers l'entreprise. C'est le sens même du droit et sa signification qui ont donc changé, à la fois dans le monde du « social », entendu comme les acteurs politiques et administratifs des politiques du travail, et dans le champ académique, du côté des facultés de droit. Pour ce faire, l'article dresse d'abord un panorama des réformes mises en œuvre dans les trois dernières décennies et du discours qui les accompagne. Il analyse ensuite ses transformations analogues dans les facultés de droit et l'enseignement et de la recherche en droit du travail. Il revient enfin sur différents « lieux communs » où se croisent les différents acteurs de deux espaces sociaux, réunis autour de ce « tournant entrepreneurial » du droit du travail.
      French labour laws' reforms in the last years can be understood in the continuity of the policy of work which has been pursued since the middle 80's. Thus, this paper deals with the turn of labour law from a protective law of salaries into a law targeted at corporations, what can be seen as a “symbolic revolution”. Such a change occurred as well in the political field (in the mind of politicians and administrators of policies of work) as in the academic field. To sketch it, the paper points the reforms implemented since the last three decades. Then it analyses the way labour law is now taught in law schools, and how it has become a part of human resources' teaching. It finally stresses how some places (commissions, ministers' offices, conferences…) become spaces where such a new sense of labour law has been built and maintained, through the meeting of stakeholders of both fields.
    • La philosophie juridique des réformes en cours - Michèle Bonnechère p. 195-215 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette étude, écrite en novembre 2018, s'efforce de dégager les éventuels changements apportés au droit du travail français dans ses principes et l'articulation de ses normes, par les ordonnances Macron de septembre 2017, à une période correspondant au début de leur mise en œuvre. La nouveauté, plutôt que celle d'un droit de la proximité émanant de l'entreprise avec le rôle majeur des accords d'entreprise, est dans la signification donnée au vieux thème du droit du travail subordonné à l'efficacité économique. Le droit du travail, vu comme coûteux pour l'entreprise, semble devenir celui des transitions nécessaires aux restructurations économiques.
      By this study, written in November 2018, we try to draw the possible changes brought to the French labour law, in its principles and legal rules by the “ordonnances Macron” of September 2017, at the beginning of their implementation. Rather than in a law of proximity emerging from enterprises with the major role given to the local agreements, the novelty resides in the new meaning given to the old theme of a labour law subordinated to economic efficiency. The labour law, considered as expensive for the firms, seems to become the law of necessary transitions for economical restructurations.
    • Les regroupements de livreurs à vélo : une application de "L'Idée du Droit social" de Georges Gurvitch - Garance Navarro-Ugé p. 217-241 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Suite à un mouvement de contestation des conditions de travail, du statut d'auto-entrepreneur et plus généralement de la précarisation induite par l'économie des plateformes collaboratives, des livreur·euse·s à vélo se sont regroupés, souvent par le biais d'associations et dans le but de se réapproprier les modes d'organisation du travail. On remarque alors une remise en cause des notions de hiérarchie, de pouvoir individuel et de domination, avec notamment l'expérimentation d'une démocratie dans le travail. Ce phénomène, issu spontanément de la société, est analysable en tant que fait normatif, selon le vocabulaire de Georges Gurvitch et la pensée du droit social, et permet une lecture juridique de la remise en cause du capitalisme comme mode d'organisation unique du travail.
      As a result of a protest against working conditions, self-employment status (“auto-entrepreneur”) and the general precariousness induced by collabourative economic platforms, bicycle deliverers are gathering. Through associations, they demand to decide how to organize their work. We notice at this point that they question hierarchy, individual power and domination, especially through the experiment of democracy at work. This phenomenon, spontaneously originating from the society, can be analyzed as a normative fact (according to Georges Gurvitch's vocabulary and the social legal theory), and allows a legal reading of capitalism being challenged as the only possible job's organization.
    • Le salaire et la propriété de l'outil, droits économiques de la personne - Bernard Friot p. 243-273 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Se libérer du postulat qu'il n'y a qu'une seule classe pour soi, la bourgeoisie capitaliste, permet de mettre en évidence le déjà-là communiste de conquis comme le salaire à la qualification personnelle et le financement de l'investissement par le cycle subvention/cotisation. Ce déjà-là qui peut fournir le tremplin de mobilisations offensives contre la « réforme », qui est, en réponse à ce déjà-là, une contre-révolution capitaliste du travail.
      Breaking free from the premise that the capitalist bourgeoisie is the only existing class for itself allows us to perceive already existing communist gains, such as the wage based on a qualification grid attached to the individual and the financing of production investments via a subsidies-social contributions cycle. This "already there" can serve as a springboard to fuel mobilisations against "reforms" targeting these gains and which constitute, in reality, a capitalist counter-revolution.
    • Passé, présent et désir de démocratie dans l'entreprise - Emmanuel Dockès, Vincent Bourdeau, Alexis Cukier p. 275-291 accès libre
  • Hors-dossier

    • Statut politique et sujet singulier : Le subjectif de l'« apatrié » - Saverio Tomasella, Louis Moreau de Bellaing p. 295-320 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les auteurs interrogent les effets à long terme de la colonisation puis de la décolonisation en Algérie à partir des impacts objectifs et subjectifs, à la fois sur les colonisés et sur les populations venues s'implanter dans les territoires conquis pour servir le dessein colonisateur. Les différents statuts politiques coloniaux dessinent la réalité subjective et sociale d'« apatrié » propre à ces exilés : pieds-noirs et harkis à la fin de la guerre d'Indépendance, puis migrants algériens depuis.
      The authors question the long-term effects of colonization and decolonization in Algeria, from the objective and subjective impacts on both the colonized and the populations who came to settle on the territories conquered to serve the colonizing purpose. The various colonial political statutes draw the subjective and social reality of “statelessness” peculiar to these exiles: “pieds-noirs” and Harkis at the end of the War of Independence, then Algerian migrants since.
  • Comptes rendus