Contenu du sommaire : L'égalité par les chiffres : production et usages sociaux des nombres contre les discriminations

À partir d'une participation ethnographique à un projet de statistiques ethnoraciales mené par les militants du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) en 2015, cette recherche analyse la manière dont les catégories ethnoraciales peuvent constituer des ressources mises au service d'un raisonnement statistique à des fins militantes. En mobilisant la sociologie de la quantification et du « statactivisme » cet article interroge les opérations de définition et de classement des catégories ethnoraciales. Il montre notamment la manière dont une pratique de catégorisation ethnoraciale profane et militante a pu faciliter la quantification de la réalité en appui à la dénonciation des discriminations raciales.

Cet article traite des usages du « rapport de situation comparée entre femmes et hommes », produit par les entreprises françaises de plus de 50 salarié·e·s, et devant servir d'appui à la négociation de l'égalité professionnelle entre partenaires sociaux. Ce rapport, produit par les directions des ressources humaines à destination des syndicats et composé principalement d'indicateurs quantifiés, échoue la plupart du temps à produire un consensus sur la situation de l'entreprise au regard de l'objectif d'égalité. Les représentants des salarié·e·s ne restent pas passifs devant les données qui leur sont présentées : ils produisent un discours critique visant la qualité ou le sens des chiffres qui leur sont, demandent d'autres indicateurs et, dans les cas où ils en ont la possibilité, produisent une quantification alternative des inégalités sexuées. Si les nombres ne jouent pas le rôle de « juge de paix » entre les partenaires sociaux, ils permettent néanmoins dans certains cas d'initier une démarche de discussion critique au sein de l'entreprise.

À partir d'une comparaison franco-britannique, cet article montre en quoi la disponibilité et les usages différenciés de statistiques ethniques entre ces deux pays jouent sur la propension de diplômé·e·s du supérieur d'origine subsaharienne à politiser leurs expériences de racisation. Les Britanniques interrogé·e·s s'appuient sur des statistiques ethniques et sur le concept de racisme institutionnel pour politiser ces expériences, deux ressources qui font l'objet d'une reconnaissance politique et d'une large diffusion médiatique. En France, une telle dynamique est freinée par une conception du racisme comme résultant de préjugés individuels et par un relatif manque de données chiffrées sur ces questions, la sphère professionnelle constituant une exception à cet égard.