Contenu du sommaire : Politique du tirage au sort

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 82, mai 2021
Titre du numéro Politique du tirage au sort
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  • Éditorial

  • Dossier

    • Les démocraties du tirage au sort : Légitimités et modèles institutionnels en conflit - Dimitri Courant p. 13-31 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les expérimentations délibératives basées sur des mini-publics de citoyens tirés au sort vont croissantes partout dans le monde. Cependant, ces dispositifs restent presque toujours ad hoc, laissant ainsi la porte ouverte à l'arbitraire et entraînant un débat sur leur future stabilisation. Quelles sont les pistes concurrentes envisagées pour institutionnaliser le tirage au sort et au sein de quels systèmes politiques ? J'identifie quatre modèles institutionnels de démocratie reposant sur des légitimités et des visions du politique radicalement opposées : la consultation d'élevage, la démocratie radicale, la clérôcratie représentative et la polyarchie hybride. Chacun de ses modèles de démocratie se distingue également par son rapport au conflit et à la représentation. Certains modèles pensent les mini-publics comme des instruments de légitimation des gouvernants afin d'étouffer les conflits sociaux, d'autres voient dans le tirage au sort un moyen de donner le pouvoir au peuple contre des élites jugées illégitimes, d'autres enfin font du sort le moyen d'éviter tout suffrage, électif ou référendaire.
      Randomly selected deliberative mini-publics are on the rise all over the world. However, those devices remain almost always ad hoc, opening the door to arbitrary maneuver and triggering a debate on their future stabilization. What are the competing proposals aiming at institutionalizing sortition within political systems? I identify four institutional models of democracy, relying on opposing views of legitimacy and of politics: tokenistic consultation, radical democracy, empowered clerocracy and hybrid polyarchy. Each of those models of democracy are distincts by their visions of conflict and of representation. Some models think mini-publics as tools for legitimizing elected officials and for bypassing social conflicts, others see in sortition a way to give power to the people in a struggle against delegitimized elites, finally others make sortition a way to avoid any vote, in election or referendum.
    • Les trois imaginaires contemporains du tirage au sort en politique : démocratie délibérative, démocratie antipolitique ou démocratie radicale ? - Nabila Abbas, Yves Sintomer p. 33-54 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En France et au-delà, le tirage au sort est au centre d'importants débats sur la démocratisation des institutions politiques. Des acteurs souvent opposés l'érigent en moyen privilégié de répondre à la crise de la représentation politique. Comment faire sens d'un consensus réunissant des personnalités et courants disparates ? Les deux dernières décennies ont vu se modifier profondément le champ d'expérience et l'horizon d'attentes des citoyens du Nord global. Nous avons reconstruit de façon idéal-typique trois imaginaires contrastés qui proposent de développer les mini-publics tirés au sort : la démocratie délibérative, la démocratie antipolitique et la démocratie radicale. L'article analyse chacun d'eux, exposant les parallèles et les contrastes qui les unissent ou les séparent, contribuant ainsi à expliquer l'étonnante convergence de nombreux acteurs autour de la sortition.
      In France and beyond, sortition is in the heart of important debates on the democratization of the political institutions. Different actors, often opposed to each other, advocate sortition as the privileged tool in order to address the crisis of political representation. How is it possible to make sense of the consensus on sortition of quite different personalities and political tendencies? Over the last two decades, the field of experience and the horizon of expectation of the citizens in the Global North have profoundly changed. We have reconstructed three ideal-types of imaginaries which defend the development of minipublics drawn by lot but which otherwise differ on a number of crucial issues: deliberative democracy, antipolitical democracy and radical democracy. This article analyses each of them, outlining the parallels and the contrasts that unite or distinguish them, contributing hence to explain the astonishing convergence of numerous actors on sortition.
    • Intérêts particuliers et bien commun dans les assemblées citoyennes - Théophile Pénigaud p. 55-71 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      La plupart des discussions théoriques sur les assemblées citoyennes ont jusqu'ici porté sur leur représentativité, leur qualité délibérative ou leur place en démocratie. L'intérêt particulier des personnes siégeantes est en revanche peu pris en compte. L'une des raisons tient à ce que l'impartialité constitue souvent l'une des premières qualités recherchées. Ce scrupule repose toutefois sur des attentes irréalistes à l'égard de tels dispositifs. À rebours, cette contribution soutient que la mise en présence d'intérêts particuliers conflictuels pourrait constituer l'un des traits attractifs des assemblées tirées au sort, dans la mesure où l'on peut espérer que le conflit adéquatement encadré mette au jour et contribue à corriger des injustices jusque-là inapparentes
      Most theoretical discussions of citizens' assemblies have thus far focused on their representativeness, their deliberative quality or their place in democracy. The particular interests of the individuals sitting, however, have been taken little into account. One of the reasons is that impartiality is often one of the first qualities sought. This scruple, however, is based on unrealistic expectations for such innovative institutions. Conversely, this contribution argues that the presence of particular conflicting interests together could constitute one of the attractive features of citizen's assemblies. An adequately regulated conflict could bring to light and contribute to correcting injustices that have been hitherto inapparent.
    • Tirage au sort et dépolitisation : XXe et XXIe siècles - Nadia Urbinati, Maud Harivel p. 73-89 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Traduits par Maud Harivel, les chapitres 6 et 7 de La Democrazia del sorteggio écrits par Nadia Urbinati, politologue italo-américaine, nous offre une réflexion précieuse sur les rapports complexes entre partis politiques et promotion du tirage au sort. En Italie, le mouvement mené par Guglielmo Giannini dans l'après-guerre fait déjà la promotion du tirage au sort dans l'optique d'une démocratie post-idéologique débarrassée des partis politiques. En faisant le lien entre cette histoire, l'expérience islandaise et les réclamations plus récentes du Mouvement Cinq Étoiles, Nadia Urbinati souligne toutes les contradictions et les paradoxes du souhait visant à créer une démocratie sans partis, de la négation du jugement partisan aux logiques d'assignation et de représentation par l'identité sociale.
      Translated by Maud Harivel, the chapters 6 and 7 of La Democrazia del sorteggio, written by Italian-American political scientist Nadia Urbinati, offer a valuable reflection on the complex relationship between political parties and the promotion of the lottery. In Italy, the movement led by Guglielmo Giannini in the post-war period was already promoting sortition wishing a post-ideological democracy, free of political parties. By linking this history with the Icelandic experiment and the more recent claims of the Five Star Movement, Nadia Urbinati highlights all the contradictions and paradoxes of this desire of creating a democracy without parties, from the negation of party judgement to the logics of assignment and representation by social identity.
    • Échapper à la conflictualité ? Le tirage au sort comme outil de management et d'union nationale - Lionel Cordier p. 91-105 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se propose d'examiner d'abord ce qui constitue les sources d'inspiration du Forum national et du processus constitutionnel islandais. Puis il revient sur la façon dont le tirage au sort est ici utilisé comme outil de dépassement de la conflictualité sociale en contexte de crise politique, en revenant notamment sur la signification que lui donnent ses concepteurs et ses liens au discours néomanagérial. Enfin, il analyse l'échec relatif du dispositif islandais – son abandon par le Parlement et sa transformation en objet de luttes partisanes – au regard de ces mêmes données.
      This paper first examines what constitutes the sources of inspiration for the Icelandic National Forum and the constitutional process. Then it discusses the way in which the political lottery was used here as a tool for overcoming social conflictuality in the context of a deep political crisis, reviewing in particular the meaning given to it by its creators and its links with neomanagerial discourse. Finally, it analyzes the relative failure of the process, its withdrawal by the Parliament and its transformation into an object of partisan struggle.
    • Tirage au sort et conscience des injustices - Pierre-Étienne Vandamme p. 107-124 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article examine dans quelle mesure le tirage au sort de représentants politiques pourrait être un vecteur de justice sociale. En raison de sa capacité à amener à des postes de pouvoir des représentants de groupes désavantagés, la réponse semble a priori positive. Elle présuppose toutefois la capacité des représentants tirés au sort issus de ces groupes à agir dans le meilleur intérêt du groupe – et donc qu'ils aient conscience des injustices subies et des moyens efficaces d'y remédier. Or, tant la pensée marxiste que la psychologie sociale contemporaine ont mis en évidence le fait qu'une telle conscience des injustices n'allait pas de soi pour des personnes éduquées et socialisées dans des contextes où dominent des idéologies anti-égalitaires. Une telle conscience des injustices n'est parfois acquise qu'au terme d'un processus assez lent de politisation collective, dans une dynamique d'antagonisme. Loin de condamner le tirage au sort, la prise en compte de cette réalité amène d'une part à mesurer l'avantage d'assemblées citoyennes s'inscrivant dans la durée, et d'autre part à ne pas perdre de vue certains bénéfices de la démocratie électorale comme la capacité de mobilisation et de conscientisation des partis politiques et le rôle essentiel joué par la société civile.
      This article examines the extent to which the random selection of political representatives could be a vehicle for social justice. Given its ability to bring representatives of disadvantaged groups into positions of power, the answer may seem positive. However, it assumes that the representatives selected by lot from these groups are capable of acting in the best interest of the group – and thus that they are aware of the injustices they suffer and of effective ways to fight them. Yet both Marxist thought and contemporary social psychology have shown that such an “injustice consciousness” is not evident for people educated and socialized in contexts dominated by anti-egalitarian ideologies. Such a conscience is sometimes acquired only after a rather slow process of collective politicization, in an agonistic dynamic. Far from condemning political sortition, taking this reality into account invites measuring the benefits of citizens' assemblies taking place over a longer time, and not to lose sight of some benefits of electoral democracy, such as the capacity of political parties to mobilize and raise consciousness and the essential role played by civil society.
  • Parcours de recherche

    • Les ambiguïtés du cosmopolitisme : entretien avec Martha Nussbaum - Martha Nussbaum, Daniel Steinmetz-Jenkins, Nina Tousch p. 125-139 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet entretien, initialement publié dans The Nation, Martha Nussbaum revient sur les limites de la tradition cosmopolite. Le cosmopolitisme – l'idée selon laquelle nous sommes avant tout des citoyens du monde–est fondé sur les concepts de dignité humaine et de justice, mais la philosophe défend que nous ne pouvons parvenir à cet idéal sans une aide matérielle. Son approche des capabilités se présente comme une réponse politique aux dissonances du cosmopolitisme traditionnel. Dès lors, que devient le cosmopolitisme ? Quelles sont les implications pour les États ? Martha Nussbaum répond à ces questions et propose une lecture de la politique contemporaine à la lumière du libéralisme et des critiques du cosmopolitisme.
      In this interview, originally published by The Nation magazine, Martha Nussbaum discusses the limits of the cosmopolitan tradition. Cosmopolitanism – the idea that we are first and foremost citizens of the world – is based on the concepts of human dignity and justice, but the philosopher argues that we cannot achieve this ideal without material aid. Her capability approach is then proposed as a political response to the dissonances of traditional cosmopolitanism. So what becomes of cosmopolitanism? What are the implications for states? Martha Nussbaum answers these questions and suggests a reading of contemporary politics in the light of liberalism and criticism of cosmopolitanism.
  • Varia

    • Vers une distinction conceptuelle entre « ennemi » et « adversaire » en démocratie - Éric Rouby p. 141-157 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Malgré l'intérêt de la thématique et de nombreuses contributions, les concepts d'« ennemi » et d'« adversaire » restent flous, et ce particulièrement au sein du cadre démocratique. L'objectif de cette contribution est d'identifier et de qualifier la distinction entre ces deux notions en cherchant dans le discours des élites politiques leurs caractéristiques respectives. Pour parvenir à cela, nous identifions différents « théâtres d'opposition » sur lesquels sont placés « ennemis et adversaires » (entre opposition, compétition, conflit et guerre). Cette contribution apporte également une caractérisation fondamentale de l'« ennemi » sous la forme d'une « perception de domination illégitime ». Enfin, la dernière partie de l'article propose une identification des différents processus de délégitimation de l'adversaire en démocratie (politique, juridique et moral), le transformant en « ennemi »
      Despites the importance of the theme and many contributions, the line between the concepts of “enemy” and “adversary” remain blurry, especially within democratic regimes. This article aims to identify and describe the distinction between those two notions by searching in the discourse of political elites their respective features. In order to do so, we identify different “opposition theaters” in which are placed “enemies and adversaries” (namely, opposition, competition, conflict and war). This work also characterizes the “enemy” as a “perception of illegitimate domination”. Finally, the article offers the identification of different delegitimization processes in democracy (political, legal and moral) that transforms the “adversary” into an “enemy”.
  • Lecture critique