Contenu du sommaire : Frontières policières

Revue Sociétés contemporaines Mir@bel
Numéro no 122, 2021/2
Titre du numéro Frontières policières
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Frontières policières

    • Introduction. Pour une sociologie du champ policier - Laurent Bonelli, Élodie Lemaire, Laurence Proteau p. 5-24 accès libre
    • S'y voir avant d'en être : La fabrication de la « vocation » policière au seuil de l'institution - Frédéric Gautier p. 25-50 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour de nombreux candidats, la décision de se présenter au concours de gardien de la paix ne relève ni du simple hasard ni de la seule nécessité mais résulte bien plus d'un attrait réel pour le métier policier, perçu comme accordé aux aspirations individuelles, qui combinent désir de se rendre utile et goût pour l'action. Cette « vocation policière » peut alors s'analyser comme le produit de dispositions forgées dès l'enfance et l'adolescence qui rendent pensable le projet de devenir gardien de la paix. Mais, à mesure que ce projet se concrétise (premières démarches, passage éventuel par le statut d'adjoint de sécurité, présentation aux épreuves...), la vocation se consolide et impose une forme de travail sur soi qui renforce en retour les dispositions dont elle est le produit. Ainsi, avant même d'être recrutés, les candidats se reconnaissent déjà dans l'institution, se montrent tout disposés à se laisser former par elle et à faire corps avec celles et ceux qui en sont déjà membres. Pour autant, la construction de ce rapport vocationnel au poste convoité ne s'accompagne pas d'une homogénéisation totale de leurs dispositions, de leur vision du monde et de leur représentation de la police, ni, par conséquent, des modalités selon lesquelles ils sont prêts à s'engager. Elle ne peut, à ce titre, être considérée comme la garantie d'un ajustement parfait et durable au rôle.
      For many candidates, the decision to join police forces is neither a matter of mere chance nor of necessity, but results much more from a real attraction for the police profession, perceived as granted to individual aspirations, which combine a desire to be useful and a taste for action. This “police vocation” can then be analyzed as the product of dispositions forged from childhood and adolescence which makes the project of becoming a patrol officer thinkable. But, as this project materializes (first steps, possible passage through the position of adjoint de sécurité (junior police officer), presentation to the recruitement test...), the vocation is consolidated and imposes a form of work on oneself which in return reinforces the dispositions of which it is the product. Thus, even before being recruited, candidates already recognize themselves in the institution, show themselves fully prepared to be trained by it and to join those who are already members. However, the construction of this vocational relationship to the coveted position is not accompanied by a full homogenization of their dispositions, their visions of the world and their representations of the police, nor, consequently, of the modalities according to which they are ready to commit. As such, it cannot be considered as a guarantee of a perfect and lasting fit to the role.
    • « Ici, on est tous pareils ! » : Fabrique du métier et du groupe dans des services de police judiciaire - Marion Guenot p. 51-76 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une enquête ethnographique menée dans les Groupes d'intervention régionaux (GIR) de la police judiciaire, rassemblant des policiers, des gendarmes, des agents des impôts, de la douane et de l'URSSAF, l'article interroge le dépassement des frontières liées à la profession, mais aussi aux corps et grades, au profit d'une cohésion de groupe. En s'intéressant aux trajectoires et aux dispositions des agents des GIR, il s'agit de saisir les conditions de l'élaboration d'un nouveau poste valorisant. En observant le quotidien de travail, l'article montre la manière dont les agents apprennent à faire bloc face à l'extérieur en s'affirmant « tous pareils ». Les agents des GIR, en ascension sociale et professionnelle, réenchantent ainsi leur quotidien et leur parcours tout en promouvant leur unité.
      Based on an ethnographic survey in Groupes d'intervention régionaux (GIR), marshaling police officers from different forces, tax auditors, customs officers and labor market fraud inspectors, this article analyzes the maintenance of a shared team spirit creating an identity of “social avengers.” By analyzing the trajectories and the dispositions, I explain how the agents of the GIR were attracted to join the institution and this work, before showing how they learn to stand together by conveying the idea that they are “all the same.” The members of the group, who are in a situation of social and professional rise, enchant their real life and their career path in promoting the Unit they belong to.
    • S'opposer ou se servir : Les effets inattendus de la présence des avocats lors des interrogatoires policiers - Adélaïde Bargeau p. 77-100 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La réforme de la garde à vue du 14 avril 2011 constitue une situation inédite de présence d'un tiers dans ce qui constituait jusque-là un huis clos policier puisqu'elle autorise la présence de l'avocat aux côtés du gardé à vue pendant l'interrogatoire policier, même si sa marge de manœuvre est juridiquement limitée. Les savoirfaire, les savoir-être et l'autonomie policiers sont désormais soumis au contrôle de ces professionnels du droit. À partir d'une enquête ethnographique dans plusieurs services de police, on observe « si » et « comment » les policiers font corps contre cette intrusion d'un tiers. S'il existe bien un discours policier de rejet des avocats, les frontières entre ces deux groupes professionnels ne sont pas pour autant figées. Elles dépendent des positions des policiers et des avocats dans leur institution respective et des usages différenciés qu'ils font de la garde à vue.
      The April 14, 2011 police custody reform represents an unprecedented situation of one-third penetration into what was previously a police lock-up: suspects now have the right to receive a lawyer's assistance during police questioning, although his or her power is legally limited. In practical terms, this reform means that police know-how, skills and autonomy are now subject to the control of these legal professionals. Drawing on a four-month ethnographic survey of several police services, this article proposes to observe whether and how police officers are uniting against this reform. Admittedly, there is a speech of spontaneous rejection of the lawyer by the police. However, the opposition between police officers and lawyers is not fixed, but depends on the positions that police officers and lawyers occupy in their respective institutions and the differentiated uses they make of police custody.
    • « Sous la peau » des policiers : Enquête sur les activités de coulisses au travail et hors travail - Élodie Lemaire p. 101-126 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La « grande famille » ou la « grande maison » sont des images souvent convoquées pour symboliser l'esprit de corps dans la police. Toutefois, loin de la vision idéalisée d'un corps unifié, les policiers enquêtés insistent sur la démultiplication de frontières internes, mouvantes, séparant parfois des infiniment petits. Cette hypersegmentation de leur univers professionnel réduit leur sentiment d'appartenance au groupe minuscule au sein duquel ils travaillent au quotidien. Certains d'entre eux franchissent même la frontière entre policiers et non-policiers en mobilisant des dimensions non professionnelles de leur identité (politique, sportive, etc.) pour se définir. Aller voir « sous la peau des policiers », en prenant pour objet les coulisses – au travail et hors travail – de leurs activités, permet de mieux comprendre cette perception largement partagée de la dispersion de la condition policière en de multiples « expressions policières » et de rendre raison des frontières professionnelles par d'autres différences que celles strictement fabriquées par l'institution.
      The “great family of policemen” or the “big police house” are idealized representations often used to symbolize esprit de corps policing. However, reality has fallen far short of this vision of a unified group. All police officers emphasize internal borders that separate police forces and units. The strong segmentation of police's working world reduces their sense of belonging to the tiny group in which they work daily. Some of them even across the border between policemen and non-police officers by mobilizing the non-professional dimensions of their identity (political, sports, etc.) to define themselves. Seeing “under the skin” of policemen, by exploring backstage activities – at work and off work – provides a better understanding the shared perception of a dispersion of police condition and helps to explain professional boundaries by other differences than those produced by the police institution.
  • Varia

    • Les inégalités sociales de santé à l'hôpital aujourd'hui : Enquête à partir d'un service de gériatrie - Nicolas Belorgey p. 127-153 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis la création à partir de la Seconde Guerre mondiale d'une institution ouverte à toutes les classes, se pose la question de la persistance éventuelle de différenciations sociales au sein de l'hôpital, de l'existence de différents types de médecine et de différentes carrières de patients et filières de soin. Afin d'y répondre avec des données récentes et une méthode renouvelée, une enquête a été réalisée dans un service de gériatrie. Elle mobilise des méthodes qualitatives (ethnographie) et quantitatives (analyse de trajectoires, régression logistique). Elle montre la persistance de filières de soin différenciées selon des critères sanitaires et sociaux, d'une part entre classes dominantes et classes populaires, d'autre part au sein des classes populaires.
      Since the hospitals in France have been rebuild after Word War II as open institutions, several questions have arisen concerning the equality of treatment among their patients, the existence of different kinds of medicine they propose, and different kind of trajectories between their patients. To address this question, this text uses a fieldwork in a geriatric hospital ward. It uses qualitative methods like ethnography as well as quantitative methods like sequence analysis and logistic regression. It shows that different kind of trajectories still exist, depending of the social class of the patients. A first differentiation is along health lines, as well as high and low social classes. A second differentiation occurs within low classes.
    • Elle dépense, il(s) consomme(nt), il place, qui possède ? : L'appropriation de la production domestique et de son surplus au sein des couples parentaux de sexe différent - Angèle Jannot p. 155-187 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les inégalités patrimoniales de genre sont désormais solidement documentées grâce à des travaux qui se sont centrés sur les moments où les membres des ménages comptent ce qui avait été mis (ou non) en commun, lors des séparations ou lors des héritages. Malgré une mise en commun plus forte des ressources lorsqu'il y a au moins un enfant, les mères sont les grandes perdantes de ces moments de comptabilité des biens domestiques. Elles le seraient de plus en plus, notamment avec le développement des régimes matrimoniaux qui tendent à individualiser les patrimoines des conjoints. Les arrangements économiques qui visent à conserver et transmettre un patrimoine à un enfant leur sont défavorables et leur prise en charge du travail domestique gratuit est moins valorisable sous la forme d'un patrimoine que du travail rémunéré. Face au constat d'un renforcement de ces inégalités, cette contribution tente de saisir les processus qui y aboutissent : comment des inégalités de revenus engendrent-elles des inégalités de possession de biens et des inégalités de patrimoine au sein des couples parentaux ? Pour comprendre ces mécanismes au bas et en haut de l'échelle sociale, cet article propose une analyse des correspondances multiples sur des données représentatives au niveau national, qui questionne l'influence des niveaux absolus et relatifs de revenus, de diplôme et de patrimoine. L'ethnographie d'une dizaine de couples de parents de sexe différent appartenant aux classes populaires stables et aux classes moyennes tente de mieux comprendre ce qui se passe dans les familles situées relativement bas dans l'espace social dont les ressources en jeu sont mal saisies par les catégories de la statistique publique. Les égalités de placements souvent très faibles dans ces familles, masquent d'autres types d'appropriation de la production domestique qui ne concernent pas des capitaux monétaires.
      Gender inequalities in wealth are now well documented thanks to research that has focused on the moments when household members count what has been pooled (or not), at the time of separation or inheritance. Despite a stronger pooling of resources when there is at least one child, mothers are the big losers in these moments of accounting for household goods. This is becoming increasingly the case, particularly with the development of matrimonial regimes which tend to individualize the assets of spouses. Economic arrangements aimed at preserving and passing on an estate to children are unfavorable to mothers and their strong participation in domestic work, unlike paid work, is difficult to value as an asset. This paper attempts to understand the processes that lead to these increasing inequalities: how do income disparities generate inequalities in property ownership and wealth inequalities within parental couples? To understand these mechanisms at the bottom and top of the social ladder, this article proposes a multiple correspondence analysis on nationally representative data, which questions the influence of absolute and relative levels of income, education and wealth. The ethnography of a dozen couples of different sexes belonging to the stable working classes and the middle classes attempts to better understand what happens in families situated relatively low in the social space whose resources are poorly captured by the categories of public statistics. The often very low investment equality in these families masks other types of appropriation of domestic production that do not involve monetary capital.
  • En lutte