Contenu du sommaire : Échos de La Marseillaise : l'héritage des Lumières et de la Révolution française dans les constructions nationales aux XIXe et XXe siècles

Revue Astérion Mir@bel
Numéro no 24, 2021
Titre du numéro Échos de La Marseillaise : l'héritage des Lumières et de la Révolution française dans les constructions nationales aux XIXe et XXe siècles
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • Échos de La Marseillaise : l'héritage des Lumières et de la Révolution française dans les constructions nationales aux XIXe et XXe siècles - Stéphanie Roza, Myriam-Isabelle Ducrocq accès libre
    • I/ Échos contemporains : la Révolution française, l'Europe et le monde (1789-1830)
      • Briser les « chaînes extérieures » : le combat commun de la Révolution française et de la Doctrine de la science de Fichte - Thomas Van der Hallen accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Dans sa violente charge contre la Révolution française, Edmund Burke avait élevé le débat politique à un niveau philosophique. Son argument le plus profond consistait à reprocher aux révolutionnaires de pécher par apriorisme, en cherchant à déduire, comme des géomètres, une nouvelle constitution à partir des principes abstraits énoncés dans la Déclaration des droits de l'homme. Reprise par les disciples allemands de Burke, cette critique de la méthode adoptée par la Constituante tirait des postulats empiristes des Lumières anglo-écossaises toutes les implications conservatrices que recelaient déjà les textes politiques et historiques de Hume. Or c'est d'emblée sur ce terrain spéculatif que se joue, chez Fichte, la défense du droit de révolution. Reprochant à l'empirisme de réduire l'esprit au « mécanisme aveugle de l'association des idées », passivement déterminé par une extériorité en soi, Fichte entend au contraire fonder l'expérience elle-même sur l'activité d'un « Moi-en-soi », absolument indépendant. Conçu comme causalité libre, pouvant donc s'affranchir des « conjonctions coutumières » humiennes pour commencer une nouvelle série dans l'ordre des phénomènes, l'homme, pour Fichte, n'a pas seulement la « faculté de se perfectionner », mais la loi de sa liberté lui en fait même un devoir. Au regard de cet impératif catégorique de perfectionnement, il n'y a pas de Common Law qui tienne. Aussi Fichte ne recule-t-il pas devant la révolution, si les institutions du passé font obstacle à la destination de l'homme.
        In his violent charge against the French Revolution, Edmund Burke elevated the political debate to a philosophical level. His deepest argument consisted in reproaching revolutionaries for sinning by apriorism, seeking to deduce, like geometricians, a new constitution from the abstract principles set out in the Declaration of Human Rights. Taken up by the German disciples of Burke, this criticism of the method adopted by the Constituent Assembly drew from the empiricist postulates of the Anglo-Scottish Enlightenment all the conservative implications already concealed in Hume's political and historical texts. Yet, it is from the outset on this speculative ground that the defence of the right of revolution is played out in Fichte. Reproaching empiricism for reducing the mind to the “blind mechanism of the association of ideas”, passively determined by an exteriority in itself, Fichte intends, on the contrary, to base the experience itself on the activity of an absolutely independent “I-in-itself”. Conceived as a free causality, thus being able to free oneself from Humian “customary conjunctions” in order to begin a new series in the order of phenomena, man, for Fichte, not only has the “faculty of self-improvement”, but the very law of his freedom even makes it his duty. With regard to this categorical imperative of self-improvement, there is no Common Law, nor Ancient Constitution, nor “inheritance from our forefathers” that can stand. Hence, Fichte does not shrink from revolution if these venerable institutions of the past are an obstacle to man's destiny.
      • « Cette heureuse contrée deviendra désormais une terre de promission » : la Révolution française écrite par des témoins britanniques à Paris - Rachel Rogers accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Plusieurs hommes et femmes britanniques, inscrits dans des mouvements pour la réforme parlementaire en Grande-Bretagne, s'installèrent à Paris après la chute de la Bastille en juillet 1789 afin d'observer de plus près les événements de la Révolution française et d'y participer. Pour certains, c'est la chute de la monarchie le 10 août 1792 qui devient le moteur de leur engagement politique sur le sol français. Cet article a pour but de replacer les écrits des membres de la communauté britannique à Paris sur la Révolution dans leur contexte diplomatique et politique. Il se penche tout d'abord sur la réception de la Révolution française en Grande-Bretagne, avant de s'intéresser à la naissance du club politique qui rassembla les Britanniques et Irlandais partisans de la Révolution française et domiciliés à Paris et qui sera connu sous le nom de la « Société des amis des droits de l'homme ». Il s'attache ensuite à faire l'état des lieux des contributions des Britanniques au débat sur la rédaction d'une nouvelle constitution républicaine entre octobre 1792 et février 1793, en portant une attention particulière à la façon dont ces derniers appréhendèrent l'idée d'un gouvernement fondé sur la souveraineté populaire. Enfin, il jette un éclairage sur la façon dont ces auteurs – témoins oculaires des événements – appréhendèrent la Révolution et dont ils tentèrent, en insistant sur la véracité de leurs témoignages, d'infléchir l'opinion nationale dans leur pays natal.
        A number of British men and women who were active in the movement for parliamentary reform in Great Britain settled in Paris after the fall of the Bastille in July 1789 to witness and take part in the events of the French Revolution at first hand. For some, it was the fall of the monarchy on the 10th of August 1792 that became the catalyst of their political activism on French soil. This article seeks to situate the writings of members of the British community in Paris on the French Revolution within their broader diplomatic and political context. First it examines the way the French Revolution was seen from a British perspective before going on to explore the creation of the political club that brought together British and Irish residents of Paris who were supportive of the French Revolution, which became known by the name “Society of the Friends of Human Rights”. It will then consider the different perspectives offered by British residents on the drafting of the new republican constitution written between October 1792 and February 1793, paying particular consideration to the way in which British observers approached the question of a government based on popular sovereignty. Finally, it sheds light on the way in which these authors – eyewitnesses of the events they reported on – understood the Revolution and how they attempted, through emphasis on the veracity of their accounts, to shape national opinion in their home country.
      • Les indépendantistes vénézuéliens face à l'esclavage : les défis d'une révolution atlantique dans une société coloniale (1790-1830) - Frédéric Spillemaeker accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        De la fin du XVIIIe siècle à 1830, l'Amérique hispanique est entrée dans l'ère des révolutions atlantiques. Sur les côtes du Venezuela, dans les années 1790, les échos des révolutions de France, de Saint-Domingue et d'autres îles des Antilles ont contribué à la floraison de révoltes et de conspirations aux mots d'ordre nouveaux. Les demandes de liberté des esclaves et d'égalité des métis s'inscrivaient désormais dans un nouvel horizon d'attente révolutionnaire. Cependant, la monarchie hispanique était toujours capable de mobiliser des troupes pour défendre l'ordre établi. À partir de 1806, le Vénézuélien Francisco de Miranda, ancien général de la Révolution française, tenta de coordonner, d'abord sans succès, les efforts des premiers indépendantistes. La première indépendance fut proclamée à Caracas en 1811 dans un contexte de dislocation de la monarchie hispanique, à la suite de l'invasion des troupes napoléoniennes et des conflits entre péninsulaires et hispano-américains. Les patriotes proclamèrent l'égalité civile en mettant fin aux catégories socio-raciales d'Ancien Régime, mais maintinrent l'esclavage. Ce n'est que progressivement qu'ils incorporèrent des esclaves aux armées en échange de la liberté. Malgré ces libérations par les armes, l'alliance avec Haïti et les tentatives de Simón Bolívar, l'indépendance ne coïncida pas avec l'abolition de l'esclavage, qui fut finalement proclamée au Venezuela en 1854.
        From the end of the 18th century to 1830, Hispanic America entered the era of Atlantic revolutions. On the shores of Venezuela in the 1790s, the echoes of the French revolutions in Santo Domingo and other West Indian islands contributed to the flowering of revolts and conspiracies with new slogans. The demands for freedom for slaves and equality for mestizos were now part of a new horizon of revolutionary expectation. However, the Hispanic monarchy was still able to mobilise troops in defence of the established order. From 1806 onwards, the Venezuelan Francisco de Miranda, a former general in the French Revolution, tried to coordinate the efforts of the first independence fighters, although without success. The first independence was proclaimed in Caracas in 1811 within a context of dislocation of the Hispanic monarchy following the invasion of Napoleonic troops and conflicts between the Spanish and Hispanic Americans. The patriots proclaimed civil equality by putting an end to the socio-racial categories of the Ancien Regime, whilst maintaining slavery. Only gradually did they incorporate slaves into the armies in exchange for freedom. Despite these armed liberations, the alliance with Haiti and the attempts of Simón Bolívar, independence did not coincide with the abolition of slavery that was finally proclaimed in Venezuela in 1854.
    • II/ Les constructions nationales au XIXe siècle face au modèle français
      • La Révolution française et la gauche allemande dans le premier XIXe siècle : les cas de Ludwig Börne et Bruno Bauer - Stéphanie Roza accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Les remarques des jeunes Marx et Engels relatives à la Révolution française sont bien connues et ont été largement commentées. Mais on oublie souvent qu'ils appartiennent à une génération d'intellectuels contestataires allemands qui, dans les années 1830-1840, ne cesse de se référer au XVIIIe siècle français dans le but de le comparer à la philosophie et à la vie politique allemandes de leur temps. L'article propose une analyse de deux positions divergentes sur ces questions, formulées par deux représentants de cette génération : celle de Ludwig Börne, qui ressortit à ce que l'on peut considérer comme une version allemande du jacobinisme, et celle de Bruno Bauer, Jeune hégélien promoteur d'une révolution philosophique allemande susceptible de surpasser la Révolution française en radicalité et en profondeur spirituelle. Ainsi, le rapport des intellectuels allemands à la Révolution française pendant le Vormärz apparaît dans toute l'ambiguïté relevée par Lucien Calvié : tel le renard aux raisins de la fable de La Fontaine, partagés entre attirance et frustration, les Allemands de gauche ont les yeux rivés sur une France révolutionnaire à la fois enviée et décriée.
        The comments on the French Revolution by the young Marx and Engels are well-known and have been abundantly discussed. However, what is less known is that they belonged to a generation of German intellectual activists who, in the 1830s and 1840s, constantly used the French Enlightenment as a key reference to assess contemporary German philosophy and political life. This article provides an analysis of the two diverging positions on such questions articulated by two representatives of this generation: Ludwig Börne who elaborated a German version of Jacobinism, and Bruno Bauer, a young Hegelian who promoted a German philosophical revolution whose radicalism and spiritual depth was capable of surpassing that of the French Revolution. Thus, as underlined by Lucien Calvié, the relationship of German intellectuals to the French Revolution during the Vormärz (pre-March) appears as an ambiguous one: just as the fox with the grapes in La Fontaine's fable, left-wing Germans viewed revolutionary France with a mixture of envy and frustration.
      • Un écho de la Révolution française : la mobilisation de la référence aux jacobins et au jacobinisme en Suisse lors des événements de 1847-1848 - Yves Palau accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        L'usage des termes de jacobin et de jacobinisme dans la vie politique ne renvoie jamais exclusivement aux membres du club de la Révolution française ni aux idées souvent contradictoires et mouvantes dans le temps qui y furent débattues. Ils servent à désigner, souvent de manière disqualifiante, des personnages politiques et des courants d'idées, jusqu'à nos jours, qui peuvent n'avoir qu'un lointain rapport avec la pensée révolutionnaire française. Les événements politiques qui marquèrent la Suisse dans les années 1847-1848 fournissent une excellente illustration de la transposition et de l'usage de ces termes en tant que catégories politiques hors du contexte de la Révolution française mais en écho à celle-ci. Les événements des années 1847-1848 sont en effet, encore aujourd'hui, souvent analysés de manières savante ou profane à travers ces catégories qui contribuent à une historiographie particulière souvent teintée de présupposés idéologiques. Cette historiographie reprend, parfois sans recul, les termes utilisés par les contemporains les plus opposés à une construction fédérale helvétique, lesquels n'hésitèrent pas à la comparer aux épisodes sanglants de la Révolution française, dont les jacobins étaient censés être les acteurs. L'usage des termes de jacobin et de jacobinisme s'inscrit dans une vision mécaniste et répétitive de l'histoire et remplit ici une fonction disqualifiante de courants et d'acteurs politiques pourtant fort éloignés des idéaux révolutionnaires français.
        The terms Jacobin and Jacobinism in political discourse never exclusively refer to the members of the French revolutionary club, or to the often contradictory and changing ideas that were debated there. They have been used over time to designate, often in a derogatory way, some political figures and intellectual currents that sometimes bear only a vague relationship to French revolutionary thought. The political events that marked Switzerland in the years 1847-1848 offer a perfect illustration of the way such terms were constituted as political categories and transposed in the Swiss context as remote echoes of the French Revolution. Still today, the events of the years 1847-1848 are often analysed by scholars or by the public using such categories. This tendency fuels a historiography often tainted with ideological preconceptions. Now, this historiography takes up again, sometimes without hindsight, the terms used by the staunchest contemporary opponents to a Helvetic federal construction who did not hesitate to draw a parallel with the bloodiest episodes of the French Revolution, of which the Jacobins were supposed to be the main protagonists. The use of the terms Jacobin and Jacobinism therefore pertains to a mechanistic and repetitive conception of history and serves to disqualify political actors and currents that stand poles apart from the French revolutionary ideals.
      • Le langage sociopolitique russe face à la France des Lumières : de Radichtchev aux décembristes - Galina Durinova accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        L'article étudie comment les idées de la France des Lumières et de la France révolutionnaire ont contribué au changement de la langue sociopolitique russe, comment elles ont interféré avec le processus littéraire du romantisme en Russie et ont finalement contribué au changement du paradigme intellectuel en Russie dans la deuxième moitié du XIXe siècle. L'histoire des concepts de citoyen, de société, d'opposition politique est retracée de la deuxième moitié du XVIIIe siècle – à travers des documents officiels (Instructions, par Catherine II), des textes littéraires (A. Radichtchev) – jusqu'au premier tiers du XIXe siècle – à travers les écrits politiques des décembristes. En conclusion, il est soutenu que l'échec du républicanisme des décembristes inspiré par la France des Lumières a orienté, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la pensée russe vers la problématique de la diversité humaine et de la nationalisation de l'Empire. Les principes universels du siècle des Lumières sont remplacés par l'intérêt porté à la diversité humaine de l'Empire russe, ce qui nécessitera, à son tour, l'élaboration d'un langage spécifique et de ses concepts. Cependant, ce tournant serait une conséquence du processus de réception des idées et des concepts de la France des Lumières et aurait été accéléré par la Révolution française.
        The article examines the impact of the French Enlightenment and the French revolution on the Russian socio-political language, on the literary process of Romanticism in Russia and, finally, on the change of the intellectual paradigm in the second half of the 19th century. The history of the concepts of citizen, of society, and of political opposition is traced from the second half of the 18th century (on the example of Nakaz by Catherine II, the texts by the writer A. Radishchev) to the 1830s (on the example of the political texts of the Decembrists). In conclusion, it is argued that the defeat of the Decembrist's republicanism that was inspired by the French Enlightenment had oriented, in the second half of the 19th century, the Russian intellectuals to the problematics of human diversity and the nationalisation of the Empire. The universal principles of the Enlightenment were replaced by an interest in the human diversity of the Russian Empire that in turn required the development of a specific language and its concepts. However, this turn itself is viewed as a consequence of the reception of the ideas of the French Enlightenment and accelerated by the French Revolution.
    • III/ La Révolution française et la nation au XXe siècle : entre décolonisations et affirmations identitaires
      • L'impact de la Révolution française sur l'évolution du concept de révolution en Chine (fin XIXe-début XXe siècle) - Céline Wang accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        La Révolution française et certaines idées des Lumières ont produit une évolution radicale de sens du terme geming (révolution) qui, devenant un mot d'ordre, a engendré un nouveau courant de pensée à la fin de la dynastie des Qing. Connue tardivement en Chine, elle fut d'abord présentée comme négative pour prêcher une réforme politique d'urgence, devint ensuite un objet de polémiques qui opposèrent réformistes et révolutionnaires. Dans le même temps, le terme geming, qui désignait à l'origine le « changement de mandat céleste », ne cessa de susciter des interprétations diverses selon la période et la position politique des commentateurs. L'objectif de cet article est d'interroger le processus de transformation de cette notion et de son adaptation à la réalité chinoise, afin de mieux mesurer en quoi consiste l'héritage de la Révolution française dans la construction de la Chine moderne.
        The French Revolution, and certain ideas of the Enlightenment, produced a radical change in the meaning of the term geming (revolution) that, becoming a slogan, spawned a new current of thought at the end of the Qing Dynasty. Known belatedly in China, it was first presented as a negative term to preach urgent political reform, then became the subject of polemical debate between reformers and revolutionaries. At the same time, the term geming, which originally referred to "change of heavenly mandate", never ceased to provoke various interpretations depending on the period and the political position of the commentators. The objective of this article is to question the process of transformation of this notion and its adaptation to Chinese reality, in order to better measure what constitutes the legacy of the French Revolution in the construction of modern China.
      • La Corse contemporaine au prisme du XVIIIe siècle français : de l'enracinement républicain à l'affirmation nationaliste - Ange-Toussaint Pietrera accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Cet article entend explorer les liens qui unissent le territoire corse et le XVIIIe siècle français. Durant les révolutions de Corse, marquées par la période indépendante de l'île jusqu'à la conquête française (1755-1769), l'île et son chef Pascal Paoli suscitèrent l'admiration des philosophes des Lumières, particulièrement de Voltaire et Rousseau. Pendant la IIIe République, cette référence est abordée dans une perspective d'enracinement de l'idéal républicain sur l'île. En septembre 1889, la Corse vit un événement statuaire d'importance avec le retour en Corse des cendres de Paoli. L'un de ses enjeux idéologiques sera la reconstruction historiographique du personnage, Paoli devenant de façon téléologique et raccourcie le précurseur de la Révolution française. Après 1945, le XVIIIe siècle français est toujours présent, mais dans une tout autre configuration politique. En effet, la période des Lumières se trouve désormais mobilisée par le mouvement nationaliste des années 1970 dans sa globalité (autonomistes, indépendantistes, clandestins, etc). Les citations phares des fameux philosophes concernant la Corse se retrouvent ainsi reproduites sur de nombreux supports (tracts, manifestes), y compris au sein de la sphère culturelle alors en pleine expansion. La moindre publication ou revendication ne manque pas d'y faire allusion, le sujet s'affirmant pour les nationalistes en tant que véritable légitimation de leur projet politique.
        This article aims to explore the links between Corsica and the French eighteenth century. During the Corsican revolutions, marked by the island's period of independence until the French conquest (1755-1769), the island and its leader Pascal Paoli were admired by the philosophers of the Enlightenment, particularly Voltaire and Rousseau. During the Third Republic, this reference was approached from the perspective of rooting the republican ideal on the island. In September 1889, Corsica experienced an important statuary event with the return to Corsica of the ashes of Paoli. One of the ideological issues at stake was the historiographic reconstruction of the figure. Paoli became, in a teleological and shortened way, the precursor of the French Revolution. After 1945, the French 18th century was still present, albeit in a completely different political configuration. Indeed, the period of the Enlightenment was now mobilised by the nationalist movement of the 1970s in its entirety (autonomists, independentists, and clandestines, etc.). The key quotations of the famous philosophers concerning Corsica were thus reproduced on numerous media, tracts, and manifestos, including within the cultural sphere that was then in full expansion. The slightest publication or claim did not fail to allude to it, the subject asserting itself for the nationalists as a true legitimation of their political project.
  • Varia

    • La crise organique comme décompensation du corps capitaliste : Gramsci et Spinoza - Frédéric Lordon accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Par son nom même, la « crise organique » de Gramsci est une invitation à penser la formation sociale comme un corps politique. Il faut cependant recourir à Spinoza, à sa théorie générale des corps, pour donner à cette intuition toute sa rigueur conceptuelle. Combiné à Marx, et au marxisme « hétérodoxe » de la théorie dite de la « Régulation », ce recours conduit à une application inattendue des concepts spinozistes de « forme » et de « figure » pour penser les corps capitalistes. La crise organique signale alors un seuil de décompensation du corps politique capitaliste, et peut être comprise comme crise figurale : une crise où se joue la nécessité pour le corps capitaliste de se trouver une nouvelle figure afin de persévérer dans sa forme. Gramsci suggère que cette « refiguration » a le plus souvent pour lieu les institutions politiques, par lesquelles s'opère en dernier ressort l'accommodation des antagonismes propres à la forme capitaliste même – à ses rapports sociaux fondamentaux (Marx). Une refiguration caractéristique est celle du césarisme qui, entre autres choses, consiste en une modification de la géométrie de l'affect commun, substituant à la géométrie réticulaire du complexe institutionnel la géométrie radiale de la polarisation passionnelle sur le « César ».
      By its very name, Gransci's “organic crisis” hints at a view of the social formation as a political body. Yet, a general theory of bodies such as Spinoza's is required to give this intuition all its conceptual rigour. Combined with Marx and the heterodox Marxism of the so-called “Régulation” theory gives way to an unexpected use of Spinozism concepts of “form” and “figure” in order to conceive the capitalist bodies. The organic crisis then indicates a decompensation threshold of the political capitalist body. It can then be appraised as a “figural crisis”; a crisis in which the capitalist body has to find a new figure in order to persevere in its form. Gramsci suggests that this “refiguration” endeavour mostly takes place within the realm of the political institutions through which the inherent and intrinsic antagonisms of the capitalist form itself - its fundamental social relations (Marx) - are ultimately accommodated. A characteristic refiguration is that of Caesarism that consists in a transformation in the geometry of the common affect, the “lattice” common effect of the institutional complex mutating into the radial geometry of the “Caesar” as an affective focus.
    • Pour une nouvelle approche du populisme au sein des démocraties représentatives contemporaines - Pierre-Yves Cadalen accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les débats académiques autour de la montée des mouvements définis comme populistes s'interrogent rarement sur ce à quoi renvoient les tensions qui traversent les démocraties représentatives aujourd'hui. Le « déficit démocratique » ou la « crise de la démocratie » sont autant d'expressions qui supposent le caractère non structurel de ce moment. Nous y voyons plutôt une rupture structurelle, issue de la désarticulation progressive du principe représentatif d'avec le principe démocratique. Alors que ces deux principes ont défini la démocratie représentative à partir du XIXe siècle, leur désarticulation suscite des interrogations et produit des réponses au sein du champ politique : le retour de la nation, l'évocation de possibles assemblées constituantes ainsi que la défense d'un régime représentatif dépourvu de ses traits démocratiques sont autant de possibilités politiques qui naissent de cette désarticulation. Le présent article développe cette thèse et la propose à la discussion théorique autour de la situation actuelle des démocraties représentatives, et du moment dit populiste.
      The academic debates around the rise of so-called populist movements rarely refer to the origins of the tensions structuring representative democracies today. The “democratic deficit” or the “democratic crisis” are expressions that imply the unstructured nature of this moment. We argue here that it points out a structural shift, resulting from the progressive disarticulation between the representative principle and the democratic principle. As both principles defined representative democracy since the 19th century, their disarticulation raises interrogations and produces reactions within the political field: the return of the nation, the possible Constituent Assemblies, as well as the defence of a representative regime deprived of its democratic features are the many political possibilities born out of this disarticulation. The present article develops this thesis and aims at contributing to the theoretical discussions around the current situation of representative democracies, as well as around the so-called populist moment.
    • Une philosophie de terrain ? Réflexion critique à partir de deux journées d'étude - Marine Bedon, Maud Benetreau, Marion Bérard, Margaux Dubar accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis quelques années, on observe une nouvelle tendance en philosophie : les chercheur.euses de cette discipline mobilisent de plus en plus ce que les sciences sociales ont thématisé comme le « terrain ». Mais ce que l'on pourrait appeler une « philosophie de terrain » soulève des enjeux spécifiques. Qu'est-ce que le terrain en philosophie ? Pourquoi mener une enquête de terrain quand on est philosophe ? Comment procéder d'un point de vue pratique comme théorique ? Cet article se nourrit des discussions menées en 2019 au cours de deux journées d'étude lyonnaises avec des chercheur.euses et des doctorant.es en philosophie engagé.es dans un travail de terrain, dans les domaines de la santé et de l'écologie. À partir de ces échanges, nous interrogeons les objets, les formes et les finalités de cette démarche, tout en proposant quelques jalons méthodologiques. Pratique de recherche à la fois ancrée dans la tradition philosophique et soucieuse de son actualité, la philosophie de terrain telle que nous la comprenons contribue à enrichir la discipline philosophique, notamment dans sa tradition bibliographique et historienne, et à développer la réflexion sur les rapports entre philosophie et société. La formation d'une communauté de recherche nous semble ainsi essentielle pour encourager la créativité méthodologique et continuer à réfléchir aux enjeux et méthodes de cette pratique.
      In recent years, more and more philosophy scholars have been practicing what social sciences commonly refer to as “fieldwork”. However, what one may call “field philosophy” raises a number of specific issues. What is fieldwork in philosophy? Why should philosophers engage in fieldwork? How can they proceed both in theory and in practice? The present paper draws on the two-day conference that took place in Lyon in 2019 bringing together philosophy scholars and PhD students who conducted fieldwork in the domains of health and ecology. Based on these discussions, we question the objects, forms, methods, and aims of this approach, while proposing some methodological milestones. As a method that is rooted in the philosophical tradition all the while being concerned with its ongoing topicality, field philosophy as we understand it contributes to enriching the philosophical discipline in its bibliographical and historian traditions, and to elucidating the relationship between philosophy and society. We believe that a community of inquiry is thus crucial in fostering methodological creativity and in continuing to elaborate on the aims and methods of this practice.