Contenu du sommaire : L'héritage de Rawls
Revue | Archives de philosophie |
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Numéro | tome 84, no 4, octobre-décembre 2021 |
Titre du numéro | L'héritage de Rawls |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - p. 3-4
Dossier
- L'héritage de Rawls. Cinquante ans après "Théorie de la justice" : Avant-propos - Charles Girard, Juliette Roussin p. 5-8
- Le conflit des libertés : Les droits fondamentaux peuvent-ils être « ajustés » ? - Charles Girard p. 9-28 Le conflit des libertés constitue un problème redoutable pour toute théorie des droits fondamentaux, tant du point de vue de leur justification que de leur mise en œuvre. La théorie rawlsienne de la justice comme équité suggère une réponse originale, qui cherche à éviter tant la mise en balance des libertés que leur absolutisation rigide. Le système des libertés de base est strictement prioritaire par rapport à toute autre considération, mais les libertés elles-mêmes ne sont pas, prises individuellement, absolues : elles doivent être ajustées les unes aux autres pour former un système cohérent, où les contradictions sont évitées. Elles ne sont toutefois pas négociables, car cet ajustement doit les réguler sans les restreindre. L'article reconstruit et évalue cette réponse au conflit des libertés. Il montre qu'elle n'est convaincante que si l'on renonce à l'exigence rawlsienne d'une priorité absolue du système des libertés.The conflict of liberties constitutes a daunting problem for any theory of fundamental rights, both from the point of view of their justification and of their implementation. The Rawlsian theory of justice as fairness suggests an original response to this problem, which seeks to avoid both the balancing of liberties and their rigid absolutization. The system of equal basic liberties is strictly prioritized over any other consideration, but the freedoms themselves are not, individually, absolute: they must be adjusted to each other to form a coherent whole, where contradictions are avoided. They are not negotiable, however, because this adjustment must regulate them without restricting them. The article reconstructs and evaluates this response to the conflict of liberties. It argues that it is only convincing if one renounces the Rawlsian requirement that the system of basic liberties be given absolute priority.
- Priorité de la liberté et écologie - Cécile Degiovanni p. 29-48 La prééminence que le libéralisme accorde aux libertés individuelles apparaît parfois comme un obstacle à la mise en œuvre de politiques environnementales contraignantes. Chez Rawls, cette prééminence s'incarne dans le principe de priorité de la liberté : on ne peut restreindre une des libertés de base qu'au nom de la liberté – et donc pas, semble-t-il, pour protéger l'environnement. Il est ici montré que ce principe, retouché à la suite d'une critique de Herbert L. A. Hart, autorise et même exige plus de politiques écologiques qu'il n'y paraît. En outre, deux modestes aménagements internes de la théorie permettent d'en autoriser et exiger plus encore : considérer un environnement de qualité comme un bien premier, et un droit à un environnement de qualité comme une liberté de base.Liberalism's concern with personal liberties sometimes seems to prohibit ambitious environmental policies. In Rawls's version of liberalism, this concern is embodied in the principle of the priority of liberty: one cannot restrict basic liberties but for the sake of liberty itself—and therefore not, it seems, for the sake of the environment. However, it is showed that this principle—which was revised following a critique by H. L. A. Hart—allows and even demands more environmental policies than it seems. Furthermore, two internal adaptations of the theory could allow and demand even more of such policies: to consider a healthy environment as a primary good, and a right to a healthy environment as a basic liberty.
- Quels principes de justice pour la famille ? : L'égalitarisme libéral face aux injustices de genre - Marie Bastin p. 49-64 Quels principes de justice pour la famille ? Rawls défend la thèse selon laquelle si la famille appartient bien à la structure de base de la société, sa vie interne doit être régulée par des principes de justice locale. À l'inverse, Okin soutient l'idée selon laquelle l'application directe des principes de la justice sociale à la vie interne des familles est nécessaire pour lutter contre les injustices de genre dont les femmes sont les principales victimes et assurer un bon développement moral des enfants. Nous défendons la thèse selon laquelle les questions de justice dans la famille, et notamment celles relatives au genre, peuvent être mieux saisies si l'on désagrège la famille en différentes institutions, auxquelles les principes de la justice sociale doivent, ou non, s'appliquer directement.Which principles of justice for the family? Rawls argues that while the family belongs to the basic structure of society, its internal life must be regulated by principles of local justice. Conversely, Okin argues that the direct application of the principles of social justice to the internal life of families is necessary to overcome gender injustices, of which women are the main victims, and to ensure the proper moral development of children. We argue that issues of justice within the family, including gender justice, can be better addressed by disaggregating the family into different institutions, to which social justice principles may or may not be directly applied.
- Principe de différence et politiques fiscales - Blondine Desbiolles p. 65-82 Cet article examine les objections de Thomas Nagel au principe de différence. Quoiqu'il partage les thèses égalitaristes de Rawls, il relève des failles internes au principe de différence : il renforce des asymétries entre favorisés et défavorisés, est psychologiquement inacceptable pour des individus réels, et ne suffit pas à définir un système fiscal pleinement égalitariste. Nous présentons et discutons alors les analyses et propositions que Nagel avance sur le plan de la justice distributive et fiscale. Elles constituent des correctifs et prolongements de la théorie de Rawls, dans une perspective toutefois distincte : il s'agit non plus de définir la structure de base d'une société bien ordonnée, juste et équitable, mais de réaliser l'égalité dans une société démocratique actuelle.This paper examines Thomas Nagel's objections to the difference principle. Though he shares Rawls's substantive egalitarian doctrine, he points out some internal flaws in the difference principle: it reinforces asymmetries between the worst off and the better off, it is psychologically unacceptable for real individuals, and it is not enough to define a fully egalitarian tax system. We then present and discuss Nagel's analyses and suggestions about distributive justice and the tax system. They offer to correct and extend Rawls's theory but with a distinct perspective: the point is no longer to define the basic structure of a well-ordered, just, and fair society, but to achieve equality in an actual democratic society.
- Désaccord raisonnable et démocratie - Juliette Roussin p. 83-101 Peut-on justifier l'emploi de procédures démocratiques de décision en invoquant le désaccord irrémédiable qui existe entre les citoyen·nes sur les questions sociales, de justice et de droit ? Forgé par Rawls pour penser le statut des conceptions morales, philosophiques et religieuses dans une société libérale, le concept de « désaccord raisonnable » a été étendu par certain·es théoricien·nes de la démocratie, notamment Jeremy Waldron, pour englober toutes les questions politiques et juridiques. Cet article montre qu'une telle extension a des effets contre-productifs pour la justification de la démocratie. D'une part, elle aboutit à relativiser l'importance de la décision démocratique. D'autre part, elle fait paradoxalement apparaître le mode de décision démocratique comme injustifié.Can deep disagreement among citizens on social, political, and legal issues justify the use of democratic decision-making procedures? Put forward by Rawls to account for the status of moral, philosophical, and religious doctrines in a liberal society, the concept of “reasonable disagreement” has been extended by democratic theorists, among whom Jeremy Waldron, to encompass all issues of justice and rights. This article shows that such an extension has counterproductive effects for the justification of democracy. First, it undermines the moral importance of democratic decision-making. Second, it paradoxically makes democratic decision-making appear unjustified.
Varia
- La science de Dieu dans le Système figuré de l'Encyclopédie - Gerhardt Stenger p. 103-118 Cet article étudie les transformations que les sciences de Dieu, de l'âme et de l'esprit dans le Système figuré des connaissances humaines ainsi que dans son commentaire explicatif publiés par Diderot dans le Prospectus de l'Encyclopédie ont subies dans la reprise dans le tome I. Emprunté à Bacon mais aussi à Chambers, l'arbre encyclopédique présente un schéma conventionnel que le classement épistémologique des trois sciences dans l'« Explication détaillée » des éditeurs subvertit en les assimilant à la pneumatologie, qui traite des êtres abstraits considérés par Diderot comme « vides de sens ».This article studies the transformations that the sciences of God, the soul, and the spirit in the map of the system of human knowledge as well as in its explanatory commentary published by Diderot in the Prospectus of the Encyclopédie underwent in their remake in volume I. Borrowed from Bacon but also from Chambers, the encyclopedic tree presents a conventional diagram that the epistemological classification of the three sciences in the “Detailed Explanation” of the editors subverts by assimilating them to pneumatology, which deals with the abstract beings considered by Diderot as “meaningless.”
- Bachelard plus-que-kantien : Redonner à la raison critique toute sa place - Alain Panero p. 119-132 Libérée de l'injonction métaphysicienne de fonder la scientificité des sciences, l'entreprise criticiste prendrait chez Bachelard un nouvel éclat. En substituant à la question de l'Inconnaissable celle de la contingence de tout savoir, Bachelard renouvelle le concept de « transcendantalité ». Originairement sans pourquoi et sans but, la transcendantalité, dont l'autre nom est à présent la symbolisation mathématique, apparaît pourtant comme seule garante de toute objectivité possible. D'où la nécessité pour l'épistémologue de se faire psychanalyste du savoir.Freed from the metaphysical injunction to found the scientificity of science, the criticist enterprise would take on a new shine with Bachelard. By substituting the question of the Unknowable for the question of contingency, Bachelard renews the concept of “transcendentality.” Originally without why and without a goal, transcendentality, also known nowadays as mathematical symbolization, nevertheless appears to be the only guarantee of any possible objectivity. Hence the need for the epistemologist to become a psychoanalyst of knowledge.
- La science de Dieu dans le Système figuré de l'Encyclopédie - Gerhardt Stenger p. 103-118
Note de lecture
- Jacobi au travail - Victor Béguin p. 133-138
Bulletin