Contenu du sommaire : Dissidences sexuelles et de genre en URSS et dans l'espace postsoviétique

Revue Cahiers du monde russe Mir@bel
Numéro volume 62, no 2-3, avril-septembre 2021
Titre du numéro Dissidences sexuelles et de genre en URSS et dans l'espace postsoviétique
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Sexual and gender dissent in the USSR and post-Soviet space : Introduction - Dan Healey, Francesca Stella p. 225-250 accès libre
  • La dissidence sexuelle et de genre en URSS et dans l'espace postsoviétique : Introduction - Dan Healey, Francesca Stella p. 251-282 accès libre
  • Tema, a ne «LGBT»? Vremia i prostranstvo seksual´no-gendernogo dissidentstva v postsovetskom Kyrgyzstane - Georgy Mamedov, Nina Bagdasarova p. 283-306 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Fondé sur un travail de terrain ethnographique mené en 2017 et 2018, cet article explore les dimensions temporelles et spatiales de la dissidence sexuelle et de genre dans la république du Kirghizistan, une ancienne république soviétique. À la suite de la décriminalisation de l'homosexualité masculine et d'une libéralisation des mœurs dans les années 1990, le sigle « LGBT » devient le principal mode d'autoreprésentation des communautés non hétérosexuelles et non cisgenres au Kirghizistan. Dans le même temps, les formes soviétiques d'auto-identification queer telles que tema ou v teme (le fait d'en être) perdurent. L'article, qui s'inscrit dans une perspective comparative et critique, examine les relations complexes, contradictoires et parfois conflictuelles entre ces formes globalisées et locales de la vie queer, offrant ainsi une compréhension plus nuancée de la dissidence sexuelle et de genre dans le Kirghizistan contemporain.
    Based on ethnographic fieldwork conducted in 2017 and 2018, this article explores the temporal and spatial dimensions of sexual and gender dissent in the post-Soviet Republic of Kyrgyzstan. Following decriminalization of male homosexuality and general liberalization of social life in the 1990s, the acronym “LGBT” became the main way of self-representation for non-heterosexual and non-cisgender communities in Kyrgyzstan. At the same time, the Soviet forms of queer self-identification such as tema or v teme (in the know) also remained in place. The article considers the complex, contradictory and at times conflicting relations between these globalized and local forms of queer life in comparative and critical perspective, and advances a more nuanced understanding of sexual and gender dissent in contemporary Kyrgyzstan.
  • «My vykhodim iz shkafa ne edinozhdy, a mnogo-mnogo raz»: kaming-aut, doverie i variatsii otkrytosti v biografiiakh rossiiskikh negeteroseksual´nykh liudei - Polina Kislitsyna p. 307-332 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Se fondant sur des entretiens biographiques et des écrits autobiographiques, l'article explore les stratégies que déploient les non-hétérosexuel·le·s russes pour dévoiler leur sexualité ainsi que les degrés d'ouverture (otkrytost´) dont ils disposent pour la faire savoir. L'article établit une distinction entre le concept de coming out et celui d'ouverture – en russe otkrytost´ –, ou le fait de ne pas cacher sa non-hétérosexualité. Les non-hétérosexuels peuvent choisir à qui et quand faire leur coming out. Cependant, celui-ci peut susciter violence, menaces, rupture de la relation ou tout bonnement absence de réaction. Ce dernier point crée une situation ambiguë pour la personne non hétérosexuelle : elle fait son coming out, mais il n'en est pas tenu compte (cela ne la rend pas ouverte). À l'inverse, sans avoir fait de coming out, une personne non-hétérosexuelle peut très bien être consciente que sa sexualité n'est un secret pour personne. L'article apporte un éclairage nouveau sur les stratégies de coming out des personnes russes non hétérosexuelles et montre la porosité entre non-hétérosexualité ouverte et non-hétérosexualité fermée.
    The article explores the disclosure strategies of Russian non-heterosexuals and their degrees of openness, drawing on biographical interviews and written autobiographies. The article distinguishes between the concepts of coming-out and openness and traces the relationship between them. Non-heterosexuals can choose to whom and when come out. However, coming out can result in abuse, threats, the breakdown of relationships, or the interlocutor ignoring the disclosure. Situations when coming out is ignored produce ambivalent situations: for example, some non-heterosexuals come out but their sexuality is not necessarily out in the open; some non-heterosexuals do not come out, but they are sure that people around them know, and their sexuality is an open secret. The article supplements existing literature about disclosure strategies of Russian non-heterosexuals and develops the idea of flexibility in the boundaries between openness and closeness.
  • «Neschastnaia sluchainost´ rozhdeniia»: lishnie identichnosti, bestaktnye podrobnosti i distillirovannaia lichnost´ - Galina Zelenina p. 333-365 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article aborde un épisode de la longue histoire d'une analogie qui associe altérité ethnique (religieuse) et sexuelle (de genre), en l'occurrence judéité et queerité, mais aussi qui établit un parallèle entre antisémitisme et homophobie. Il s'agit d'une double paralipse (praeteritio), ou d'un quasi-renoncement aux deux identités, non pas parce qu'elles seraient dangereuses ou honteuses, mais parce qu'elles seraient trop particulières et trop privées, insignifiantes et inappropriées, et surtout non pertinentes avec la définition de soi propre à « une personne de culture russe » telle que l'entendent les membres de l'intelligentsia soviétique. En s'appuyant d'abord sur des sources d'histoire orale et des ego-documents, l'auteure analyse les représentations de la judéité et de l'homosexualité, ou plutôt leur absence, au sein de l'intelligentsia, notamment celle du monde universitaire de l'époque soviétique tardive. L'auteure s'attache ensuite à relever ce même ethos dans un grand nombre de mémoires d'universitaires d'origine juive. Elle mène ainsi une étude comparative de ces représentations (omission, détachement, et parole d'autorité attachée à la position d'expert telle qu'elle a pu être revendiquée) en examinant les travaux, principalement des récits autobiographiques, de trois intellectuels juifs, Lydia Ginzburg, Lev Klein et Igor´ Kon, dont le positionnement apparaît emblématique d'au moins une partie de l'intelligentsia soviétique, voire postsoviétique.
    The paper examines one episode in the long history of the parallelism between ethnic (religious) and sexual (gender) otherness, particularly Jewishness and queerness, and between antisemitism and homophobia. It is a case of double paralipsis, or near-renunciation of both identities, not really as fraught with danger or shameful but as too particular and too private, insignificant and inappropriate, and, most importantly, as irrelevant for a Soviet intelligent's self-definition as “a person of Russian culture.” First, drawing on oral history sources and ego-documents, the author examines the representations of Jewishness and homosexuality – or, rather, the lack thereof – in late Soviet intelligent/academic milieus, then traces the same ethos in a large body of memoirs by late Soviet academics of Jewish origin. The pivot of the paper is a comparative study of these representations (such as omission, detachment, and speaking from an expert position) in the works (primarily, autobiographical narratives) of three Russian Jewish intellectuals whose position seems to be representative for at least part of Soviet (and, perhaps, post-Soviet) intelligentsia: Lydia Ginzburg, Lev Klein, and Igor´ Kon.
  • An inconspicuous sexual dissident in the Georgian Soviet republic: Subjectification, social classes and the culture of suspicion in the late Soviet period - Arthur Clech p. 367-390 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    À partir d'un entretien de trois heures réalisé en 2016, la présente étude de cas permet d'appréhender dans quelle mesure l'identité professionnelle et la carrière d'un homme géorgien, né au début des années 1950 et vivant un désir homosexuel dans les années 1970-1980, se sont façonnées en fonction de sa perception des risques liés à la stigmatisation et à la répression de l'homosexualité. Elle révèle comment, dans un processus de subjectivation, un individu met en œuvre des tactiques d'évitement et des stratégies de survie, qui sont aussi le reflet de sa perception de la répression policière qui a résulté de l'article de loi antisodomie et de la médicalisation de l'homosexualité masculine. Nous voyons comment l'identité sociale de médecin, et donc de membre de l'intelligentsia, de cet homme le protège aussi bien qu'elle le désolidarise des autres hommes qui vivent un désir homosexuel sans appartenir à sa classe sociale. Les soupçonnant d'être des délateurs potentiels, il a entériné la stratification sociale en vigueur alors, une dynamique qui, à plus grande échelle, a sans doute facilité la régulation des dissident·e·s sexuel·le·s par le régime soviétique. Cette étude de cas s'inscrit ainsi dans le contexte de la répression de l'homosexualité et de la disparition des identités sociales homosexuelles et des communautés visibles après 1934, du stalinisme à la perestroïka.
    Drawing on a three-hour interview conducted in 2016, this case study sheds light on how the professional identity and career path of a Georgian man born at the beginning of the 1950s, who negotiated the challenges associated with expressing his homosexual desire as an adult in the 1970s-1980s, was informed by his perception of the risk associated with stigmatization and repression. This case study reconstructs a process of subjectification from the tactics of avoidance and survival strategies which were internalized in response to the milieu of repression shaped by antisodomy laws and the medicalization of male homosexuality. It also illustrates how the interviewee's social identity as a medical doctor and therefore as a member of the intelligentsia protected him, while at the same time precluding the possibility of solidarity with men outside his own social class. Ever suspicious of the possibility that they might be informers, the interviewee internalized social stratification, a dynamic which on a larger scale, we may infer, facilitated the regulation of sexual dissidents by the Soviet regime. We thus chart the landscape wrought by the repression of homosexuality and the disappearance of homosexual social identities and visible communities after 1934, from Stalinism to Perestroika.
  • Taming the desire: Pavel Krotov's “bisexual” closet - Rustam Alexander p. 391-414 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'auteur de cet article étudie l'autobiographie de Pavel Krotov, un Soviétique qui, dans sa quarantaine, a suivi une « thérapie de conversion » à Gor´kij à la fin des années 1970. Tout au long de sa vie, Krotov a été déchiré entre deux pulsions, sa perpétuelle attirance sexuelle pour les hommes et son désir de vivre comme un hétérosexuel. L'article explore les événements de la vie de Krotov autant que le langage qu'il a déployé pour les décrire afin de répondre aux questions suivantes : la manière des historien·ne·s de penser aujourd'hui la bisexualité éclaire-t-elle le cas de Krotov ? Quelle compréhension donner à ses pratiques bisexuelles ? Quelle était la bisexualité soviétique ?
    This article examines the autobiography of Pavel Krotov – a Soviet man in his forties who underwent treatment for homosexuality in Gor´kii in the late 1970s. Throughout his life, Pavel was torn between two impulses – an attraction to men and a desire to act and live as a heterosexual man. Exploring the events from Krotov's life as well as the language he used to describe them, the article seeks answers to the following questions: Is it possible to view Krotov's case through the prism of the existing historical thinking on bisexuality? What was the meaning of Krotov's bisexual behavior? And what was Soviet bisexuality?
  • Documenting the queer self: Kaspars Aleksandrs Irbe (1906-1996) in between unofficial sexual knowledge and medical-legal regulation in Soviet Latvia - Ineta Lipša p. 415-442 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Se fondant sur l'analyse narrative du journal intime qu'un Letton queer, Kaspars Aleksandrs Irbe (1906-1996), a tenu régulièrement de 1940 à 1996, l'article étudie trois thématiques sur lesquelles Irbe se fonde pour documenter son rapport à soi en tant que sujet queer. La première est un savoir sur la sexualité dont il se dote à partir des années 1950 en lisant des ouvrages de sexologues du début du XXe siècle, publiés en allemand avant la Seconde Guerre mondiale, mais depuis inaccessibles au public letton. Une deuxième thématique se dégage : l'auto-identification ainsi que l'identification des autres auxquelles Irbe procède à partir de ce savoir sur la sexualité qu'il s'est constitué mais en puisant aussi dans la mythologie classique. Enfin, une troisième thématique apparaît quand il interprète son expérience en recourant à la notion de pulsions qui, soit relèveraient de force obscures (sexuelles) soit de la clarté (spirituelle).
    Through narrative analysis of the diary of Latvian queer Kaspars Aleksandrs Irbe (1906–1996), written regularly from 1940 to 1996, the paper focuses on the examination of three themes by which Irbe documented his queer self. First, through the use of the unofficial sexual knowledge he had gained since the 1950s by reading works by early twentieth-century sexologists in German published before the Second World War. Second, through self-identification and identification of others on the basis of this unofficial sexual knowledge and Classical mythology. Third, through continual application of the concept of dark (sexual) and light (spiritual) drives to his experiences.
  • New perspectives on the Parajanov affair: The role of Italian activism in the transnational campaign for his release - Stefano Pisu p. 443-472 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article retrace la campagne de solidarité transnationale qui s'est déployée de 1974 à 1977 en faveur du cinéaste soviétique Sergej Paradjanov. Arrêté à Kiev fin 1973, celui-ci est accusé de relations homosexuelles et est condamné à cinq ans de prison. Pourquoi et comment cette campagne en faveur de la libération de Paradjanov a-t-elle pu mobiliser des acteurs occidentaux issus de milieux et de pays différents ? L'auteur soutient que l'« affaire Paradjanov » peut nous permettre de comprendre dans quelle mesure le thème de l'homosexualité en URSS dans les années 1970 constituait un volet d'un cadre transnational plus large dans lequel se croisaient les questions d'identité sexuelle, de droits de l'homme, d'expression artistique et même de politique italienne. Il étudie en particulier le rôle joué dans cette campagne par certains acteurs italiens et analyse le processus qui a conduit à la libération de Paradjanov. Plus généralement, l'affaire Paradjanov incarne la lutte pour la liberté de l'expression artistique, de la créativité, de la pensée politique et de l'identité sexuelle, autant d'éléments recouvrant les contours plus larges de l'activisme de l'époque.
    This article seeks to reconstruct the 1974-1977 transnational solidarity campaign in support of the Soviet filmmaker Sergei Parajanov, who was arrested in Kiev in late 1973 on charges of homosexual relations and sentenced to five years in prison. The mobilization for Parajanov's release raises various research questions that one can summarize as follows: Why and how was that campaign able to mobilize Western players coming from different milieux and countries? The author argues that the “Parajanov affair” may allow us to understand the extent to which the topic of homosexuality in the USSR in the 1970s represented a strand of a broader transnational framework in which sexual identity, human rights, artistic expression and even Italian political issues intersected. The author investigates the role played by some Italian actors in this campaign and in the process leading to Parajanov's release. More generally, the Parajanov affair embodies the struggle for the freedom of artistic creativity, political thinking and sexual identity, all elements of the broader activism of the period.
  • Parler de sexualités non hétéronormées dans la littérature jeunesse russe contemporaine : entre silence et surgissements du queer - Bella Ostromooukhova p. 473-499 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'article analyse l'évolution des frontières du permis dans les représentations de « sexualités dissidentes » dans la littérature jeunesse russe de la fin de la perestroïka à aujourd'hui, à travers trois périodes historiques. Dans un premier temps, à partir de l'exemple de deux publications de la fin des années 1980 et du début des années 1990, l'auteure montre que l'enjeu de cette époque était d'avancer l'âge d'accès au savoir sur la sexualité, mais nullement de bouleverser sa perception hétéronormée. La deuxième partie traite la période allant de la première moitié des années 2000 à 2013 et porte sur les controverses autour de remises en cause, à des degrés différents, de la représentation hétéronormée de la sexualité. La troisième partie montre l'impact des lois « sur la protection des enfants contre les informations qui peuvent nuire à leur santé » (2012) et « contre la propagande homosexuelle » (2013) : les acteurs réfractaires à la présence du queer dans la littérature jeunesse s'imprègnent de la rhétorique et du vocabulaire de ces lois tandis que des mécanismes de censure prennent forme et que l'autocensure se développe.
    This article analyzes the evolution of the boundaries of possibility in representations of “dissident sexualities” in Russian Children's literature from the end of Perestroika to the present day across three historical periods. First, using the example of two publications from the late 1980s and early 1990s, the author shows that the challenge of the period was to bring forward the age of access to knowledge about sexuality, but not to upset its hetero-normative representation. The second part deals with the period from the first half of the years 2000 to 2013 and focuses on the controversies surrounding the questioning, to varying degrees, of the heteronormative representations of sexuality. The third part shows the impact of the laws “on the protection of children against information that may harm their health” (2012) and “against homosexual propaganda” (2013): actors resisting the presence of queer in children's literature became permeated with the rhetoric and vocabulary of these laws, while censorship and self-censorship mechanisms developed.
  • Essai historiographique

  • Livres reçus - p. 502 accès libre