Contenu du sommaire : Le revenu universel : une proposition radicale ?

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 83, août 2021
Titre du numéro Le revenu universel : une proposition radicale ?
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  • Éditorial

  • Dossier

    • Trois modèles de revenu de base - Pierre-Étienne Vandamme p. 17-29 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Parler du revenu de base (revenu universel, allocation universelle) au singulier n'a pas beaucoup de sens. Évaluer une telle proposition dans l'abstraction, sans préciser de quel modèle de revenu de base on parle, encore moins. Il s'agit en effet d'un instrument pouvant être mis au service d'une multitude de causes et aux effets très variés selon le projet politique présidant à son implémentation. Cet article propose pour cette raison de distinguer trois idéaux-types de revenu de base : néolibéral, social-démocrate et de transition écologique et sociale. Ces idéaux-types se distinguent par leurs caractéristiques internes (montant ; financement ; articulation avec les aides sociales existantes) et par les projets politiques qui les guident. La question de la radicalité du revenu de base dépend donc du modèle envisagé. Le modèle « néolibéral » est radical dans la simplification de l'État providence qu'il propose, tandis que le modèle « de transition » l'est dans ses visées de transformation des relations sociales et des dynamiques économiques. Le modèle « social-démocrate », quant à lui, n'entend pas révolutionner la protection sociale, mais constituer une réforme qui, tout en étant plus réaliste à court-terme, est susceptible d'initier une transformation plus graduelle des États sociaux dans le sens d'un renforcement de la protection sociale.
      Talking about basic income in the singular does not make much sense. Evaluating such a proposition in the abstract, without specifying what kind of basic income we are talking about, even less so. For it is an instrument that can be used for a diversity of purposes and with varied effects depending on the political project guiding its implementation. Therefore, this article proposes to distinguish between three ideal types of basic income: neoliberal, social-democratic, and of ecological and social transition. These ideal types distinguish themselves by their internal characteristics (amount; financing; articulation with existing social protection) and by the political projects that guide them. The question of the radicality of the basic income proposal thus depends on the model envisaged. The “neoliberal” model is radical in the simplification of the welfare state it proposes, while the “transition” model is radical in its aim to transform social relations and economic dynamics. The “social-democratic” model, in contrast, does not intend to revolutionise social protection, but rather to introduce a reform that, while being more realistic in the short term, is likely to initiate a more gradual transformation of welfare states towards a strengthening of social protection.
    • Pour des politiques sociales radicales, penser l'allocation universelle en féministe - Mathilde Duclos p. 31-44 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet article, je confronte le revenu universel à la promesse de radicalité affichée par Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght en commentant le chapitre 7 consacré à la question des « femmes ». Je me demande alors en quoi le regard porté par les deux auteurs sur les enjeux de genre met à mal cette prétention à la radicalité du revenu universel affirmée dans le sous-titre de leur ouvrage. Je réponds à cette question en examinant successivement deux idées fortes contenues dans ce passage : (1) les féministes devraient soutenir le revenu universel parce que celui-ci constitue un outil d'autonomie, (2) les femmes seraient les grandes gagnantes d'une telle réforme de la protection sociale. Je conclus que cette grille de lecture du revenu universel révèle le caractère réformiste de la mesure présentée par les deux auteurs, dont la prétention à la radicalité est mise à mal par la manière dont ils perçoivent les enjeux liés au genre. Pour autant, ces critiques de l'allocation universelle d'un point de vue féministe ne constituent pas une fin de non-recevoir. J'invite bien plutôt à les considérer comme autant d'opportunités de constituer un nouveau récit du revenu universel cette fois-ci radical car plus spécifiquement articulé autour d'une critique des représentations et de l'organisation genrées du travail contemporain.
      This article challenges the use of the term “radicality” by Philippe Van Parijs and Yannick Vanderborght to qualify Universal Basic Income. I do so by commenting a section of chapter 7 which is dedicated to the “women's” question. My research question is the following: to what extent the authors' position on gender issues weakens the claim they make about the radicality of UBI? To answer this question, I successively put under scrutiny two main ideas included in this section: (1) feminists should endorse UBI because it is a tool for autonomy, (2) women will be the greatest beneficiaries of such a reform of social protection. I conclude that this way of grasping UBI reveals its reformist character: Van Parijs and Vanderborght's claim for radicality is heavily challenged by their understanding of gender issues. However, those critics of UBI from a feminist standpoint do not invalidate the proposal per se. I see it as an opportunity to write a new story around UBI that will be more radical because it will be more specifically articulated around a critique of contemporary gendered representation and organization of work.
    • Adapter l'utopie au réel ? : Analyse critique des stratégies gradualistes dans le débat sur le revenu de base, ou les vertus de la radicalité - Laudine Grapperon p. 45-73 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Face à la place croissante occupée par les considérations techniques et tactiques dans le débat sur le revenu de base en France, cet article entend montrer que les freins à la progression de l'idée se situent au moins autant du côté de sa désirabilité que de sa faisabilité. À partir d'une analyse des limites rencontrées par le revenu de base partiel proposé par Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght dans Le revenu de base inconditionnel : une proposition radicale (La Découverte, 2019), il est montré que dans pareil contexte, les stratégies gradualistes, lorsqu'elles consistent à adapter la proposition radicale idéale aux exigences du réel, tendent à s'avérer contre-productives. L'article conclut sur l'intérêt que présenterait le réinvestissement du débat par la pensée utopique, et sur une façon d'envisager le gradualisme qui lui ferait toute sa place.
      Given the growing importance of technical and tactical considerations in the debate on basic income in France, this article aims to show that the obstacles to the progress of the idea lie at least as much on the side of its desirability as on the side of its feasibility. Based on an analysis of the limits encountered by the partial basic income scheme proposed by Philippe Van Parijs and Yannick Vanderborght in Basic Income: A Radical Proposal for a Free Society and a Sane Economy (Harvard University Press, 2017), it is shown that in such a context, gradualist strategies, when they consist in adapting the ideal radical proposal to the requirements of reality, tend to prove counterproductive. The article concludes on the interest of reinvesting the debate with utopian thought, and on a way of envisaging gradualism that would give it its rightful place.
    • Un revenu de base mondial répondrait-il aux objections faites à un revenu de base national ? - Guillaume Allègre p. 75-91 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Un revenu de base mondial répondrait-il aux objections faites à un revenu de base national ? La mise en place d'un revenu de base est généralement discuté au niveau national et surtout dans les pays développés qui ont déjà un État-providence. Les propositions de revenu de base font l'objet de trois objections principales : le coût serait trop élevé ; il aurait un impact ambigu sur les inégalités femmes-hommes ; la justification éthique serait peu convaincante. Après avoir discuté ces objections, nous montrons qu'elles ne s'appliquent pas à un revenu de base mondial. Le revenu de base mondial est néanmoins confronté à d'autres objections pertinentes (problèmes d'implémentation, hétérogénéité des contextes nationaux, risque de dépendance aux transferts internationaux). Au final, le revenu de base mondial est une idée plus radicale que des revenus de base nationaux : il crée un instrument de solidarité internationale là où il n'y en a pas, il donne des revenus à des personnes jusqu'ici sans assistance et il permettrait de sortir de la trappe à extrême pauvreté.
      The implementation of a basic income is generally discussed at the national level and especially in developed countries which already have a welfare state. There are three main objections to these Basic Income proposals: the cost would be too high; it would have an ambiguous impact on gender inequalities; the ethical justification would be unconvincing. After discussing these objections, we show that they do not apply to a global basic income. Global basic income is nevertheless faced with other relevant objections (implementation problems, heterogeneity of national contexts, risk of dependence on international transfers). In the end, global basic income is a more radical idea than national basic income: it creates an instrument of international solidarity where there is none, it gives income to people hitherto without assistance and it would allow people to escape from the trap of extreme poverty.
    • Le revenu de base inconditionnel : raisonnablement radical, radicalement raisonnable : Réponse à Guillaume Allègre, Mathilde Duclos, Laudine Grapperon et Pierre-Étienne Vandamme - Philippe Van Parijs, Yannick Vanderborght p. 93-104 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Notre proposition est radicale au sens où le modèle qu'elle défend est irréductible aux composantes existantes de nos États-Providence. Elle l'est aussi au sens où sa réalisation est destinée à induire des transformations profondes en matière de travail. Mais elle ne l'est pas dans la mesure où elle s'accommode d'une progression graduelle et de compromis découlant d'une pluralité d'objectifs légitimes. Elle ne l'est pas non plus au sens où, dans l'immédiat, elle concerne principalement le niveau national et ne s'attaque donc pas à l'injustice la plus massive, qui est globale. Notre proposition se veut donc raisonnablement radicale. En même temps, s'inscrivant dans la perspective d'une gauche libertaire, elle se prétend aussi radicalement raisonnable.
      Our model is radical in the sense that the model it defends is irreducible to the existing components of our welfare states. It is also radical in the sense that it is meant to generate a deep transformation in the work sphere. But it is not radical to the extent that it is willing to accommodate gradual progress and compromises that stem from a plurality of legitimate objectives. It also fails to be radical in the sense that, for the time being, it concerns chiefly the national level and therefore does not address the most massive injustice, which is global. Hence, our proposal is meant to be reasonably radical. At the same time, being anchored in a freedom-friendly left perspective, it claims to be radically reasonable.
  • Varia

    • Hobbes écosophe - Julien Vincent p. 105-120 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le Léviathan, publié en 1651, se présente comme une théorie du corps politique artificiellement constitué au terme d'un contrat de soumission au souverain. Mais il offre aussi une réflexion fondatrice sur le « corps naturel » du Léviathan, complémentaire de son corps artificiel, dont l'examen permet de faire émerger un Hobbes « écosophe », articulant sa pensée environnementale à une réflexion sur la subjectivation politique. Le territoire hobbesien apparaît d'abord comme une réalité matérielle, un ensemble de corps humains et non-humains dont les mouvements doivent être étroitement contrôlés afin de maintenir la paix et la prospérité. Il est ensuite une terre promise, la contrepartie d'un contrat reliant le souverain aux citoyens. Il est enfin un espace de signes et d'images : la société civile ne peut se fonder que sur une cosmologie naturaliste dans laquelle les croyances aux fées, fantômes et autres phénomènes surnaturels sont inhibées par la peur que suscite le souverain.
      Hobbes' Leviathan, published in 1651, presents itself as a theory of the body politic as artificially constituted by contract and submission to the sovereign. But it also offers a major reflection on the Leviathan's body natural. Examining the relationship between the Leviathan's two bodies brings to light Hobbes' “ecosophy”, i.e. his philosophy of the relationship between the material environment and the citizen's subjectivity. Hobbes conceives of territory, first as a material reality, including both human and non-human natural bodies, whose movements must be strictly controlled in order to maintain peace and prosperity. Secondly, the Leviathan's territory is also a promised land, the counterpart of a contract that binds the sovereign state to its citizens. Finally it is a space of phantasms, signs and images. Civil society can only emerge from a cosmology in which beliefs in fairies, ghosts and other supernatural phenomena are inhibited by the fact that citizens are kept in awe by the sovereign's incomparable power.
    • L'intérêt des vivants contre l'honneur des morts ? Retenir les corpsennemis à des fins de négociation - Étienne Dignat p. 121-137 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'article prend pour point de départ une décision de la Cour suprême de l'État d'Israël en 2019, qui autorise officiellement la rétention de dépouilles d'individus ayant commis des attentats. Afin d'en comprendre à la fois l'origine et la visée selon l'optique israélienne, il restitue d'abord le contexte politique de ce jugement, marqué par les concessions récurrentes octroyées par l'État hébreu pour le retour des restes de ses propres soldats retenus par le Hamas et le Hezbollah. Au travers d'une mise en exergue d'une économie politique de l'échange, il cherche ensuite à mieux comprendre les débats éthiques qui traversent la nation, entre fermeté sécuritaire et devoir envers ses morts, ainsi que la manière dont se consolide une politique contre-terroriste du moindre mal. Ce travail illustre enfin l'importance prise par l'utilisation du droit face aux stratégies asymétriques déployées par les groupes armés.
      The article takes as its starting point a decision by the Supreme Court of the State of Israel in 2019, which officially authorises the retention of the remains of individuals who have committed attacks. In order to understand both the origin and the purpose of this decision from an Israeli perspective, he firstly describes the political context of this ruling, marked by the recurrent concessions granted by the Hebrew State for the return of the remains of its own soldiers retained by Hamas and Hezbollah. By highlighting a political economy of exchange, it then seeks to better understand the ethical debates that run through the nation, between security firmness and duty towards its dead, as well as the way in which a counter-terrorist policy of the lesser evil is consolidated. Finally, this work illustrates the importance of the use of law in the face of asymmetric strategies deployed by armed groups.
  • Lecture critique

    • Redéfinir « populisme » : À propos de Federico Tarragoni, L'esprit démocratique du populisme (La Découverte, 2019) - Gérard Bras p. 139-150 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'article est un compte-rendu critique du livre de Federico Tarragoni, L'esprit démocratique du populisme (La Découverte, 2020). Le titre énonce l'inspiration wébérienne de l'auteur. Il refuse de ramener le populisme à ce que les sciences politiques nomment tel, présenté comme une pathologie de la démocratie, un mixte de démagogie post-idéologique, sous-tendu par un désir d'autorité du peuple. À partir des expériences revendiquées du populisme dans l'histoire (Russie, États-Unis, Amérique latine), l'auteur forge un idealtype du populisme. Il en ressort que le populisme procède de moments de crise de la démocratie où les institutions représentatives sont critiquées au nom de la radicalité démocratique, opposant « peuple » et « élites » en un minimalisme idéologique, caractéristique des soulèvements destituants, interclassistes. La présence d'un leader charismatique n'est pas nécessaire : elle intervient dans le deuxième moment d'un processus populiste, celui de la prise du pouvoir. Ce moment institutionnel met souvent à mal, comme ce fut le cas en Amérique latine, les principes démocratiques initiaux du populisme, faisant du « populisme par en haut » un mode autoritaire de gouvernement. La rigueur conceptuelle de ce travail invite à voir dans le populisme une critique démocratique et plébéienne de la modernité politique, différente de la critique socialiste ou communiste. Le moment contemporain de recomposition idéologique peut être celui d'un nouveau populisme selon l'auteur.
      The article discusses Federico Tarragoni's book, L'esprit démocratique du populisme (La Découverte, 2020). The title states the author's Weberian inspiration. He refuses to reduce populism to what political science calls a pathology of democracy, a mixture of post-ideological demagogy, underpinned by a desire for authority of the people. Based on the claimed experiences of populism in history (Russia, USA, Latin America), the author forges an idealtyp of populism. It emerges that populism arises from moments of democratic crisis when representative institutions are criticised in the name of democratic radicalism, opposing “the people” and “the elites” in an ideological minimalism, characteristic of destituent, interclassist uprisings. The presence of a charismatic leader is not necessary: it occurs in the second moment of a populist process, that of the takeover of power. This institutional moment often undermines, as was the case in Latin America, the initial democratic principles of populism, making “populism from the top” an authoritarian mode of government. The conceptual rigour of this work invites us to see populism as a democratic and plebeian critique of political modernity, different from the socialist or communist critique. The contemporary moment of ideological recompositing can be that of a new populism according to the author.