Contenu du sommaire : La biomédecine en Asie du Sud-Est

Revue Moussons : Recherche en Sciences Humaines sur l'Asie du Sud-Est Mir@bel
Numéro no 38, 2021
Titre du numéro La biomédecine en Asie du Sud-Est
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Introduction

    • L'appropriation de la biomédecine en Asie du Sud-Est - Meriem M'zoughi p. 5-27 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Des techniques chirurgicales aux traitements pharmaceutiques, en passant par l'usage des sciences biologiques ou cliniques : quelles sont les spécificités et les réalités contemporaines de la biomédecine en Asie du Sud-Est ? La diversité de ses formes invite à penser le caractère situé de savoirs et de pratiques qui visent à médicaliser et transformer les corps. Ce numéro interroge les dimensions du soin lorsque celui-ci est produit par des acteurs mobilisant, en se les appropriant, les outils conceptuels et empiriques de la médecine scientifique d'origine occidentale. Il aborde les expériences de soin des personnes âgées au nord de la Sulawesi, les vécus des aidants d'enfants vivant avec le VIH-sida au Laos, la guérison d'une tumeur du cerveau chez les Dayak Benuaq dans le Kalimantan oriental, les conditions d'exercice des oncologues cambodgiens ainsi que les violences obstétricales en Indonésie et au Cambodge. L'ensemble des contributions permettent d'analyser comment les traitements et les soins sont dispensés à l'hôpital, dans les cliniques privées et dans les centres de santé afin de questionner, plus largement, ce que signifie être médecin, patient, aidant ou femme dans cette région du monde. Loin d'être exhaustives, ces approches entendent contribuer à comprendre comment la biomédecine s'immisce-t-elle dans le quotidien des malades et des familles par l'analyse de ses formes actuelles et quels imaginaires et valeurs charrie-t-elle aujourd'hui en Asie du Sud-Est ?
      From surgical techniques to pharmaceutical treatments, included biological or clinical sciences: what are the specificities and contemporary realities of biomedicine in Southeast Asia? The diversity of its forms invites us to think about the situated character of knowledge and practices that medicalize and transform bodies. This issue examines the dimensions of care when it is produced by actors who mobilize and appropriate the conceptual and empirical tools of Western scientific medicine. It is dealing with providing care for the elderly in North Sulawesi, caregivers of children living with HIV/AIDS in Laos, the healing of a brain tumor among the Dayak Benuaq in East Kalimantan, Cambodian oncologists practices, as well as obstetric violence in Indonesia and Cambodia. All the contributions allow us to analyze how treatment and care are provided in hospitals, private clinics, and health centers to question, more broadly, what it means to be a doctor, a patient, a caregiver or a woman in this region of the world. Far from being exhaustive, these approaches contribute to understanding how biomedicine interferes in the daily life of patients and families by analyzing its current forms, what imaginary and values it carries today in Southeast Asia?
    • The Appropriation of Biomedicine in Southeast Asia - Meriem M'zoughi accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Des techniques chirurgicales aux traitements pharmaceutiques, en passant par l'usage des sciences biologiques ou cliniques : quelles sont les spécificités et les réalités contemporaines de la biomédecine en Asie du Sud-Est ? La diversité de ses formes invite à penser le caractère situé de savoirs et de pratiques qui visent à médicaliser et transformer les corps. Ce numéro interroge les dimensions du soin lorsque celui-ci est produit par des acteurs mobilisant, en se les appropriant, les outils conceptuels et empiriques de la médecine scientifique d'origine occidentale. Il aborde les expériences de soin des personnes âgées au nord de la Sulawesi, les vécus des aidants d'enfants vivant avec le VIH-sida au Laos, la guérison d'une tumeur du cerveau chez les Dayak Benuaq dans le Kalimantan oriental, les conditions d'exercice des oncologues cambodgiens ainsi que les violences obstétricales en Indonésie et au Cambodge. L'ensemble des contributions permettent d'analyser comment les traitements et les soins sont dispensés à l'hôpital, dans les cliniques privées et dans les centres de santé afin de questionner, plus largement, ce que signifie être médecin, patient, aidant ou femme dans cette région du monde. Loin d'être exhaustives, ces approches entendent contribuer à comprendre comment la biomédecine s'immisce-t-elle dans le quotidien des malades et des familles par l'analyse de ses formes actuelles et quels imaginaires et valeurs charrie-t-elle aujourd'hui en Asie du Sud-Est ?
      From surgical techniques to pharmaceutical treatments, included biological or clinical sciences: what are the specificities and contemporary realities of biomedicine in Southeast Asia? The diversity of its forms invites us to think about the situated character of knowledge and practices that medicalize and transform bodies. This issue examines the dimensions of care when it is produced by actors who mobilize and appropriate the conceptual and empirical tools of Western scientific medicine. It is dealing with providing care for the elderly in North Sulawesi, caregivers of children living with HIV/AIDS in Laos, the healing of a brain tumor among the Dayak Benuaq in East Kalimantan, Cambodian oncologists practices, as well as obstetric violence in Indonesia and Cambodia. All the contributions allow us to analyze how treatment and care are provided in hospitals, private clinics, and health centers to question, more broadly, what it means to be a doctor, a patient, a caregiver or a woman in this region of the world. Far from being exhaustive, these approaches contribute to understanding how biomedicine interferes in the daily life of patients and families by analyzing its current forms, what imaginary and values it carries today in Southeast Asia?
  • Articles

    • Waiting for “Good Care”. Biomedicine and the Elderly in North Sulawesi, Indonesia - Peter van Eeuwijk p. 29-56 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les personnes âgées en Sulawesi du Nord (Indonésie) ont partagé une longue expérience des interventions sanitaires biomédicales pendant l'administration du Nouvel Ordre de Soeharto. Ces activités de développement de structure verticale et du sommet vers la base dans le domaine de la santé ne correspondent plus aux transformations démographiques, épidémiologiques et sociales actuelles en Indonésie. Le vieillissement rapide des communautés, la forte augmentation des maladies non transmissibles et des handicaps liés au vieillissement, ainsi que l'évolution rapide de la composition des ménages, exigent une santé publique biomédicale qui, idéalement, couvrirait à parts égales les remèdes et les soins. Cette compréhension et cette vision des « bons soins » conduisent à une appropriation dynamique des services biomédicaux à l'initiative des personnes âgées. Ici, les sessions mensuelles au poste de santé local pour les personnes âgées occupent la scène centrale de ce processus d'appropriation : un contrôle médical hautement formalisé et ritualisé basé sur l'administration de médicaments qui couvrent les besoins curatifs de base. Par ailleurs, les cadres locaux pour les personnes âgées jouent un rôle important d'intermédiaires et médiateurs entre un patient âgé, son ou ses soignants et les professionnels de la santé. Pourtant, à l'exception des visites à domicile des cadres, le système de santé biomédical existant ne se préoccupe guère des soins aux personnes âgées (ou des soins sociaux) au niveau des ménages—ce qui représente, pour les personnes âgées malades et dépendantes des soins de la famille, un véritable « chaînon manquant ». La biomédecine, à son tour, tente de plus en plus de s'approprier la santé des aînés comme sa nouvelle marchandise. Ainsi, les quatre domaines de la pharmaceuticalisation, du plan national d'assurance maladie, de la biomédicalisation en tant que contrôle et exercice du pouvoir dans les soins, et de la commercialisation de la santé des personnes âgées soutiennent la biomédecine dans sa quête d'appropriation hégémonique de la santé et de la maladie des personnes âgées. Cependant, les bouleversements et les déséquilibres dus à la pandémie de Covid-19 révèlent clairement la vulnérabilité structurelle de ce système de santé biomédical : son manque soudain de fiabilité et de durabilité entraîne non seulement une perte de confiance à son égard, mais aussi une plus grande vulnérabilité des personnes âgées qui ont besoin de soins.
      Older persons in North Sulawesi (Indonesia) shared a long experience with biomedical health interventions during Soeharto's New Order administration. These vertically and top-down structured development activities in health no longer fit current demographic, epidemiological, and social transformations in Indonesia. The rapidly aging communities, the sharp increase in non-communicable diseases, and aging impairments along with rapidly changing household assemblages call for a biomedical public health that ideally covers cure and care in equal shares. This understanding and vision of “good care” leads to a dynamic appropriation of biomedical services initiated by older persons. Here the monthly local health post sessions for elderly people occupy center stage of this appropriative process: a highly formalized and ritualized medical check-up based on the administration of drug which covers basic curative needs. In addition, the local cadres for aged persons play a significant role as intermediary and broker between an elderly patient, his/her caregiver(s), and the health professionals. Yet, except for the cadres' home visits, the existing biomedical health system is not very concerned with eldercare (or social care) at household level—for ill older persons fully dependent on kin care truly a “missing link.” Biomedicine in turn increasingly attempts to appropriate elder health as its new market commodity. Thereby, the four fields of pharmaceuticalization, national health insurance scheme, biomedicalization as control and exercise of power in care, and commercialization of elder health support biomedicine in its pursuit of the hegemonic appropriation of older persons' health and illness. However, dislocations and disjunctures due to the Covid-19 pandemic clearly reveal the structural vulnerability of this biomedical health system: Its sudden unreliability and unsustainability leads not only to a loss of trust in it, but also to a higher degree of vulnerability on the side of older persons in need of cure and care.
    • “Give Her the Baby's Hat so She Can Bite it”: Obstetric Violence in Flores, Indonesia - Alicia Paramita Rebuelta-Cho p. 57-84 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La médicalisation de la naissance dans le district de Sikka (Flores, Indonésie) amène des changements précipités dans le mode local d'accouchement, notamment avec l'interdiction de l'accouchement à domicile en 2009. Pourtant, les accouchements à domicile concernent toujours les professionnels biomédicaux, qui soupçonnent que certaines femmes accouchent encore à domicile pour des raisons qu'elles ne veulent pas révéler. Cet article montre que même si les femmes expriment le désir d'accoucher dans des établissements médicaux combinant les traitement biomédical et local, les différentes formes de violence obstétricale au sein des salles d'accouchement ne le permettent pas, parmi elles : l'exposition prolongée des organes génitaux, l'imposition de la position couchée, les épisiotomies automatisées, les piqûres douloureuses et l'absence de pratiques locales telles quelles le support des du'a rawin, une corde pour pousser les contractions et attendre quelques minutes avant de couper le cordon ombilical. Ainsi, alors que certaines femmes assument le traitement qu'elles reçoivent dans les établissements médicaux, d'autres voient l'opportunité de s'autonomiser et d'accoucher dans des environnements de sécurité culturelle.
      The medicalization of birth is bringing about precipitous changes in local birth-giving practices in the Sikka district (Flores, Indonesia), particularly with the prohibition of homebirths in 2009. However, homebirths remain a concern for biomedical professionals, who suspect that some women still give birth at home for reasons they do not want to disclose. This paper shows that even though women do express the desire to give birth in medical facilities and expect to benefit from a combination of biomedical and local treatments, this is made impossible by different forms of obstetric violence within the labour wards, which include: the long-time exposure of genitals, the imposition of the supine position, the systematic use of episiotomy, painful stitching and the absence of local practices such as being supported by a du'a rawin (healer), pulling on a rope during contractions, or waiting a few minutes before cutting the umbilical cord. As a consequence, while some women choose to receive treatment in medical facilities, others prefer to empower themselves and give birth in an environment of cultural safety.
    • Biomédicalisation massive de l'accouchement au Cambodge après 150 ans de résistance - Clémence Schantz p. 85-110 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Alors que le protectorat français a tenté sans succès de médicaliser l'accouchement au Cambodge à travers la création d'écoles de sages-femmes, l'ouverture de maternités et des incitations financières, des politiques de santé globale fortement relayées au début des années 2000 ont abouti à une biomédicalisation extrêmement rapide de l'accouchement au Cambodge, engendrant une rupture médicale et sociale sans précédent dans le pays. À partir d'une recherche doctorale menée entre 2013 et 2016 et mobilisant une méthodologie mixte (qualitative et quantitative), l'article montre qu'aujourd'hui, le recours à la biotechnologie est massif dans la capitale Phnom Penh. La pratique de l'épisiotomie est systématique, l'usage de la périnéorraphie (visant à resserrer le vagin des femmes) est fréquent, et les taux de césarienne augmentent rapidement, répondant à une demande construite socialement. Si cette biomédicalisation de l'accouchement a indéniablement participé à la diminution récente et spectaculaire du taux de mortalité maternelle au Cambodge, elle participe aussi à un façonnage des corps des femmes et à la construction d'un corps féminin venant répondre à des normes sociales et conjugales.
      While the French protectorate tried unsuccessfully to medicalize childbirth in Cambodia through the creation of midwifery schools, the opening of maternity wards and financial incentives, global health policies strongly relayed in the early 2000s led to an extremely rapid biomedicalization of childbirth in Cambodia, causing an unprecedented medical and social disruption in the country. Based on a doctoral research conducted between 2013 and 2016 and mobilizing a mixed methodology (qualitative and quantitative), the article shows that today, the use of biotechnology is massive in the capital Phnom Penh. The practice of episiotomy is systematic, the use of perineorraphy (aimed at tightening women's vagina) is frequent, and caesarean section rates are increasing rapidly, responding to a socially constructed demand. If this biomedicalization of childbirth has undeniably contributed to the recent and spectacular decrease in the maternal mortality rate in Cambodia, it also contributes to the shaping of women's bodies and to the construction of a female body that meets social and conjugal norms.
    • Biomedical Science's Embodiments in Contemporary Laos. Informal Caregivers and Children Living with HIV - Phonevilay Viphonephom, Pascale Hancart Petitet, Didier Bertrand, Nicolas El Haïk-Wagner, Phimpha Paboriboune p. 111-135 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Qui fournit des soins informels ? Quel type d'aide et de soutien les aidants fournissent-ils et à quel prix ? Cette contribution vise à décrire les déclinaisons contemporaines de la science biomédicale au Laos en examinant la matérialité de ses technologies au quotidien et dans l'ordinaire. Nous aborderons cette question en analysant la vie quotidienne des enfants vivant avec le VIH du point de vue des personnes qui en prennent soin, les aidants. L'article met en évidence les contraintes créées par les responsabilités de soins, les problèmes liés à la révélation de l'infection à VIH, à la stigmatisation et à la discrimination et aux sentiments contradictoires qui émergent du travail de ce travail du care. Les récits des aidants donnent à voir comment le travail de care pour les enfants vulnérables est pensé et distribué au sein des familles, des institutions et des institutions locales, nationales et transnationales. Les soins informels constituent un prisme pour analyser les inégalités sociales et genrées en matière de santé, à la fois corrélées et trop souvent ignorées par la science biomédicale.
      Who provides informal care? What help informal caregivers do provide it and at what costs? This contribution examines the Biomedical Science's Embodiments in Contemporary Laos in looking at the materiality of its technologies in the everyday and the ordinary. We aim to tackle this issue in approaching the daily lives of children living with HIV from the point of view of the people who are taking care of them, the so-called informal caregivers. The paper highlights the constraints created by caregiving responsibilities, and the emerging issues related to HIV disclosure, stigma and discrimination and conflicting feelings. The informal caregivers' narratives underline how families, institutions and local, national and transnational institutions are assigning care work. Informal care offers a lens to explore the social and gender health inequalities, both interrelated with, and too often disregard by the biomedical science.
    • Bricolage médical. Savoirs et pratiques des oncologues cambodgiens - Meriem M'zoughi p. 137-165 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse les manières dont les cancérologues exercent la médecine au Cambodge. Il s'agit de s'intéresser aux pratiques courantes du quotidien et de décrire les processus d'adaptation et d'appropriation biomédicaux, autrement dit, de décrire comment les médecins adaptent leurs savoirs et leurs savoir-faire, en s'appropriant les outils et les ressources dont ils disposent, afin de soigner leurs patients. Je montre comment les médecins cambodgiens s'appuient sur la « médecine des preuves » (la médecine basée sur les essais cliniques randomisés) afin de légitimer le bien-fondé de leurs pratiques. Ils se réfèrent à la science – à une « vérité scientifique » entendue comme un savoir positiviste – en mobilisant des statistiques issues d'études médicales occidentales lorsqu'ils doivent convaincre les malades et leur famille de suivre un traitement. Or, ces médecins font face à un certain nombre de contraintes locales qui les conduisent à adapter les traitements standards. Ils s'ajustent au cas par cas pour « ne pas tuer le patient » comme ils disent. Certes ils sont confrontés aux incertitudes liées aux effets délétères des médications et à l'évolution de la maladie. Mais ils doivent aussi prendre en compte les ressources financières des malades. Médecins et usagers sont ainsi confrontés à des dilemmes thérapeutiques qui incitent les premiers à faire preuve d'une flexibilité dans leurs pratiques. La médecine repose ici sur une transformation des savoirs résultant des formes complexes d'accommodement de l'exercice médical, elle est produite par des professionnels de santé confrontés à des réalités empiriques en décalage avec les savoirs formels et théoriques.
      This article analyzes the ways in which oncologists practice medicine in Cambodia. It focuses on everyday practices and describes the processes of biomedical adaptation and appropriation, in other words, to describe how physicians adapt their knowledge and skill, by appropriating the tools and resources at their disposal, in order to treat their patients. I illustrate how Cambodian physicians rely on “evidence-based medicine” (medicine based on randomized clinical trials) to legitimize the validity of their practices. They refer to science—to a “scientific truth” understood as positivist knowledge—by mobilizing statistics from Western medical studies when they must convince patients and their families to undergo treatment. However, these doctors face a certain number of local constraints that lead them to adapt standard treatments. They adjust on a case-by-case basis to “not kill the patient” as they say. Of course, they are confronted with uncertainties related to the deleterious effects of medications and the evolution of the disease. But they must also consider the financial resources of patients. Doctors and users are thus confronted with therapeutic dilemmas that encourage the former to be flexible in their practices. Medicine is based here on a transformation of knowledge resulting from the complex forms of accommodation of medical practice, it is produced by health professionals confronted with empirical realities that are out of step with formal and theoretical knowledge.
    • Curing a Brain Tumor with High Tech Operations and the Help of Spirits: The Appropriation of Biomedicine among the Dayak Benuaq - Michaela Haug p. 167-191 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse l'appropriation de la biomédecine chez les Dayak Benuaq dans le Kalimantan oriental, en Indonésie. Prenant comme exemple la guérison réussie d'une tumeur au cerveau, je montre comment la biomédecine est entrelacée de façon créative aux pratiques de guérison indigènes et animistes afin de guérir le patient de façon globale. J'intègre cette étude de cas à une discussion plus large sur la modernité et l'enchantement, qui ont longtemps été perçus comme une paire d'opposés dans la théorie occidentale, car les attributs de la modernité comme la rationalisation, la sécularisation et la bureaucratisation sont généralement considérés comme opposés aux connexions animistes, aux attentes magiques et aux explications spirituelles du monde. Je soutiens que l'introduction de la biomédecine chez les Dayak Benuaq ne conduit pas à un abandon des idées animistes et des pratiques de guérison indigènes et, en tant que tel, à un processus de désenchantement. Au contraire, leur capacité à accepter la pertinence simultanée d'hypothèses alternatives sur le fonctionnement du monde leur permet de combiner la biomédecine et la médecine autochtone de manière créative.
      This article analyses the appropriation of biomedicine among the Dayak Benuaq in East Kalimantan, Indonesia. Taking the successful curing of a brain tumour as an example, I show how biomedicine is creatively intertwined with indigenous, animist healing practices in order to cure the patient comprehensively. I embed the case study within a broader discussion of modernity and enchantment, which have long been perceived as an opposing pair in western theory, as attributes of modernity like rationalization, secularization and bureaucratization are commonly seen as opposed to animistic connections, magical expectations and spiritual explanations of the world. I argue that the introduction of biomedicine among the Dayak Benuaq does not lead to an abandonment of animistic ideas and indigenous healing practices and as such to a process of disenchantment. Instead, their ability to accept the simultaneous relevance of alternative assumptions about how the world works allows them to combine biomedicine and indigenous medicine in a creative way.
  • Memoriam note

    • Clark E. Cunningham's Cutting-edge Contributions to Research on Biomedical Appropriation in Southeast Asia - Lorraine V. Aragon, Susan Orpett Long p. 193-202 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Clark Edward Cunningham (1934-2020), professeur émérite de l'université de l'Illinois (États-Unis), a été le pionnier dans les domaines de l'anthropologie médicale et de la biomédecine en Asie du Sud-Est dans les années 1960 et 1970. Les contributions de C. Cunningham à l'anthropologie de la Thaïlande et de l'Indonésie sur les questions de santé, la structure sociale, le symbolisme et l'habitat, sont le fruit de décennies de travail sur le terrain. Ses influences exemplaires en matière d'enseignement et de recherche perdurent. Au-delà des détails biographiques et des réflexions personnelles de deux anciennes étudiantes (Lorraine V. Aragon et Susan O. Long), cette note commémorative scindée en deux parties met en lumière la clairvoyance et la perspicacité de l'article que publia C. Cunningham en 1970 dans la revue Social Science and Medicine intitulé “Thai Injection Doctors: Antibiotic Mediators”. Malgré le caractère bref et le style propre au xxe siècle de cet article, les points principaux portant sur un mode de guérison biomédicale populaire et semi-illicite qui a fait son entrée sur le marché rural thaïlandais sont toujours d'actualité cinquante ans après sa publication.
      Clark Edward Cunningham (1934-2020), professor emeritus at the University of Illinois (USA), pioneered the subfields of medical anthropology and biomedicine in Southeast Asia during the 1960s and 1970s. Cunningham's contributions to the anthropology of Thailand and Indonesia on health, social structure, symbolism, and houses, emerged from decades of fieldwork. His exemplary teaching and research influences endure. Beyond biographical details and personal reflections by two former students (Lorraine V. Aragon and Susan O. Long), this two-part Memoriam essay highlights the foresight and insights of Cunningham's 1970 Social Science and Medicine article titled “Thai Injection Doctors: Antibiotic Mediators.” Despite its brevity and twentieth-century style, the main points of this essay about a popular and semi-illicit mode of biomedical healing that entered the rural Thai marketplace hold up well fifty years after its publication.
  • Varia

    • Les représentations de la panthère nébuleuse à Taïwan : usages et résilience dans les débats contemporains - Agathe Lemaitre p. 203-227 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se penche sur la relation entre la panthère nébuleuse (雲豹) et l'ethnie Paiwan de Taïwan et s'intéresse aux coiffes et vêtements traditionnels confectionnés pour le chef de village et sa famille par cette ethnie. Ces coiffes et vêtements sont notamment composés de peaux et de canines de panthères (mais également de plumes d'aigle, de défenses de sangliers, et parfois de cheveux issus de têtes d'ennemies) et confèrent un certain prestige à son porteur en tant que symbole de puissance lié à cet animal rare et puissant. Aujourd'hui, alors que les panthères ont disparu depuis plusieurs décennies, Taïwan envisage leur réintroduction dans la partie sud de la chaîne montagneuse de l'île, entre les comtés de Pingtung et Taitung. Dans cette optique, il apparaît nécessaire de comprendre l'interrelation qui existe entre l'ethnie Paiwan et l'animal. L'importance symbolique de ce félin pour ces autochtones s'est modifiée au cours du temps et des changements sociaux et environnementaux. Les objets confectionnés à partir de panthère nébuleuse ont été modifiés par la disparition de cette dernière et les significations qui leur sont attachées se sont également transformées. De plus, le discours sur la réintroduction de ce félin induit de nombreuses réactions et nombreux questionnements et pousse à s'interroger sur les effets d'un discours scientifique conservationniste sur les autochtones paiwan au niveau local.
      This article considers the relationship between the Paiwan tribe in Taiwan and the clouded leopard. This research studies the headdresses and traditional clothes made from the skin and teeth of this leopard for the Paiwan community chief and his family. These ornaments give to the person wearing them some prestige as an emblem of power related to the clouded leopard seen as a sacred animal. Presently, while the leopards are extinct since few decades, Taiwan think about reintroducing it in the southern part of Taiwan mountain range, between Taitung and Pintung counties. Though, in this aim, it seems necessary to understood the interaction between the Paiwan tribe and this animal. The symbolic importance of this animal for the Paiwan have change over time and with the social and environmental changes. The objects made from clouded leopard have been modified by the disappearing of the feline and the meaning associated to them have also changed. The debate about a possible reintroduction of this feline induces many reactions and questioning and pushes to wonder about the effect of the discourse environmental conservationist on the local level.
  • Article de compte rendu

  • Comptes rendus