Contenu du sommaire : L'État des économistes

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 34, no 133, 2021
Titre du numéro L'État des économistes
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 3-4 accès libre
  • Dossier : L'État des économistes. La science économique face à la puissance publique (XXe-XXIe siècles) Volume 1

    • L'État des économistes. La science économique face à la puissance publique (XXe-XXI siècles) - Isabelle Gouarné, Mathieu Hauchecorne, Emmanuel Monneau, Antoine Vion p. 7-27 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette introduction au dossier propose un retour sur l'histoire entremêlée de l'État et de la science économique au XXe siècle. Elle interroge la manière dont l'affirmation de l'État comme acteur économique s'est articulée avec l'institutionnalisation de l'économie comme discipline académique et avec l'extension des objets de celle-ci à l'étude de la puissance publique elle-même. La contribution des savoirs économiques à la construction de l'État est envisagée dans le cadre du dossier à l'échelle des instruments d'action publique qu'elle a contribué à forger aussi bien que des représentations plus générales (souvent concurrentes) qui en sont issues et qui contribuent à légitimer les transformations de son périmètre d'intervention. La présentation des contributions – centrées sur la France, mais aussi la Russie (post)soviétique et les organisations internationales – permet de questionner à nouveaux frais les redéfinitions du rôle (économique) de l'État jusqu'au « tournant néo-libéral », ainsi que les transformations de l'expertise économique et des médiations entre champ politico-administratif et champ scientifique qui les sous-tendent.
      The introduction to this special report reviews the intertwined history of the state and economics in the twentieth century. It examines the way in which the affirmation of the state as an economic actor was linked to the institutionalization of economics as an academic discipline and to the extension of its objects to the study of the state itself. The contribution of economics to the construction of the state is considered at the level of the policy instruments informed by economic knowledge, as well as at the level of the more general (often competing) representations that have emerged from it and have helped to legitimize the transformations of its scope of intervention. The presentation of the contributions—focused on France, but also on (post-)Soviet Russia and international organizations—questions the redefinition of the (economic) role of the state until the “neoliberal turn,” as well as the transformations of economic expertise and of the mediations between the political-bureaucratic and scientific fields that underlie them.
    • Les économistes face à l'État français : François Perroux et la reconfiguration de la discipline économique sous Vichy - Nicolas Brisset, Raphaël Fèvre p. 29-54 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à interroger la manière dont le régime de Vichy fut l'occasion, pour certains économistes, de réviser leur vision de l'État en général, de son rôle économique en particulier. Cette révision passa notamment par une réflexion relative à leur propre positionnement vis-à-vis de l'exécutif, en tâchant d'asseoir la mission d'expertise de l'économiste. Pour ce faire, nous nous concentrerons principalement sur un petit groupe d'économistes réunis autour de François Perroux (1903-1987), qui fut non seulement une figure intellectuelle notable du régime, mais également un entrepreneur scientifique de premier plan à la Fondation française pour l'étude des problèmes humains. C'est au sein de ce haut lieu de la « science » du régime que se mit en place un « Centre d'échange de théorie économique » destiné à faire franchir un pas à la discipline, une expérience certes brève mais qui perdurera sous une forme renouvelée après la Libération. Se concentrer sur la trajectoire de Perroux invite donc à lever l'hypothèse d'une « parenthèse Vichy » concernant la discipline économique en France.
      This article aims to explore how the Vichy regime offered an opportunity for some economists to revise their vision of the state in general and of its economic role in particular. This revision involved a reflection on their own position vis-à-vis the executive, especially by trying to underpin the economist's mission of expertise. This article will focus mainly on a small group of economists gathered around François Perroux (1903–1987), who was not only a notable intellectual figure in the regime, but also a leading scientific entrepreneur at the French Foundation for the Study of Human Problems. From this high position in the regime's scientific production, Perroux set up a Center for the Study and Theory of Economics in order to take the discipline a step forward—an experience that was indeed brief but that did continue in a new form after the Liberation. Focusing on Perroux's trajectory thus invites us to overcome the hypothesis of a “Vichy parenthesis” regarding French economics.
    • La formation de l'économie française : Émergence et stabilisation d'une entité collective - Thomas Angeletti p. 55-78 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Aujourd'hui naturalisée, l'économie française est une entité relativement nouvelle, qui se forme pas à pas dans la première moitié du XXe siècle. Cet article retrace l'histoire de son émergence. Il montre le rôle de la discipline économique et des économistes pour la mettre au jour et, ce faisant, lui donner un surplus d'existence. De nombreux travaux menés dans l'entre-deux-guerres tentent ainsi d'accumuler des preuves sur la consistance de cette entité et d'en documenter la nature. Ce n'est que dans les années qui suivent la Libération que l'économie française est véritablement constituée, reconnue publiquement et associée à une nouvelle inquiétude, celle de trouver les moyens nécessaires pour l'orienter et la maîtriser. L'article montre enfin combien la formation de l'économie française sert une redéfinition de l'État, qui trouve en elle un nouveau terrain d'intervention, une nouvelle catégorie d'action publique, destinée à devenir centrale dans la seconde partie du siècle.
      The French economy is a relatively new entity, taking shape in the first half of the twentieth century. This article traces the history of its emergence. It shows the role of economics and economists in bringing it to light and, in so doing, giving it a surplus of existence. First, we follow the work carried out by economists in the interwar period to accumulate evidence of the consistency of this entity and to document its nature. Second, we show that it was only in the years following the Liberation that the French economy was truly constituted and publicly recognized, and associated with a new concern, that of finding the required means to orient and control it. Third, we argue that the formation of the French economy fostered a redefinition of the state, which found in it a new field of intervention, a new category of public action, destined to become central in the second half of the century.
    • Les voies des économistes réformistes soviétiques vers le pouvoir pendant la perestroïka : une conversion au néolibéralisme ? - Olessia Kirtchik p. 79-110 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les sources intellectuelles et sociales de la transition vers le « marché » et le capitalisme lors de la transformation postsoviétique en Russie sont souvent présentées comme extérieures à l'État et à sa classe dirigeante (nomenklatura). En particulier, les « jeunes économistes » – membres du « gouvernement des réformes », ils furent chargés de la mise en œuvre de mesures de libéralisation économique extrêmement impopulaires – auraient pour l'essentiel, faute d'expérience personnelle, suivi les prescriptions des conseillers occidentaux. Cette contribution vise à remettre en cause cette thèse de l'extériorité des réformateurs postsoviétiques et de leurs idées en suivant de près leurs trajectoires professionnelles et leurs engagements politiques dans les années 1980 et 1990. L'analyse révèle que les membres de ce groupe faisaient partie des réseaux de pouvoir et d'expertise au sein de l'appareil d'État bien avant la fin de l'Union soviétique, et que cette expérience leur a fourni un « capital réformiste » spécifique jouant un rôle décisif dans leur accès au pouvoir au moment charnière de l'automne 1991, peu avant la dissolution de l'URSS. Ainsi, cette analyse éclaire les logiques de sélection et de reproduction des élites intellectuelles et politiques en Union soviétique et en Russie enclenchées par la crise profonde du système soviétique.
      The intellectual and social sources of the transition to the “market” and capitalism during the post-Soviet transformation in Russia are often presented as external to the state and its ruling class (nomenklatura). In particular, the “young economists”– members of the “reform government” responsible for implementing extremely unpopular economic liberalization measures –had, according to this narrative, no experience with the Soviet economy and mostly followed the prescriptions of Western economic advisers. This contribution aims to question this thesis of the exteriority of post-Soviet reformers and their ideas by closely following their professional trajectories leading them to high government positions in the late 1980s and 1990s. This analysis reveals that most of these economists were part of the networks of power and expertise within the state apparatus long before the end of the Soviet Union, and that this experience provided them with a specific “reformist capital” that played a decisive role in their paths to power at the turning point of autumn 1991, shortly before the dissolution of the USSR. Thus, this analysis sheds light on the logic of selection and reproduction of intellectual and political elites in the Soviet Union and Russia triggered by the profound crisis of the Soviet system.
    • Des prophètes aux « data slaves ». Une analyse des signataires des rapports de l'OCDE sur la santé (1990-2018) - Constantin Brissaud p. 111-148 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment les statistiques produites par une organisation internationale économique deviennent-elles un « point de passage obligé » d'un domaine « social » comme la santé ? L'article cherche la réponse à cette question dans l'analyse statistique des profils des agents ayant signé les rapports de l'OCDE consacrés à la santé entre 1990 et 2018. Empruntant à la sociologie des intellectuels, il montre que l'Organisation s'est, dans un premier temps, attaché la légitimité d'économistes généralistes reconnus dont le prestige rejaillit sur l'institution et les conventions d'équivalence qui y ont été produites. Une fois l'Organisation légitimée, à partir des années 2000, les rapports sont signés par des experts en économie de la santé méconnus, employés à plein temps par l'organisation internationale, et dont le travail se réduit à l'agrégation et au commentaire des statistiques transmises par les pays. Combinée à l'analyse d'archives, à des entretiens et à l'observation de réunions à l'OCDE, l'analyse statistique offre ainsi une explication sociologique du succès d'une nomenclature statistique devenue un « point de passage obligé » pour les réformes des systèmes de santé des pays industrialisés.
      How do statistics produced by an international economic organization become an “obligatory passage point” of a “social” sector such as health? This article seeks the answer to this question through a statistical analysis of the profiles of the agents who signed the OECD reports on health between 1990 and 2018. Borrowing from the sociology of intellectuals, it shows that the OECD initially sought the legitimacy conferred by recognized general economists whose prestige reflected on the institution and the conventions of equivalence that were produced. Once the OECD was legitimized, from the 2000s onward, the reports were signed by little-known experts in health economics, employed on a full-time basis by the international organization, whose work was reduced to aggregating and commenting on the statistics transmitted by the countries. Combined with archival analysis, interviews, and the observation of meetings at the OECD, the statistical analysis thus offers a sociological explanation of the success of a statistical nomenclature that has become an “obligatory passage point” for health system reforms in industrialized countries.
    • Gouverner l'économie au temps de la pandémie : Entretiens avec Nadine Levratto et Michaël Zemmour - Agnès Labrousse, Isabelle Gouarné, Mathieu Hauchecorne, Emmanuel Monneau, Antoine Vion p. 149-167 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans le prolongement du premier volet du dossier « L'État des économistes », Politix a souhaité se pencher sur les transformations de la politique économique qu'a occasionnées la crise du Covid et les manières dont elles ont affecté la définition du rôle économique de l'État. Pour cette première tentative de mise en perspective, les économistes Nadine Levratto et Michaël Zemmour ont été sollicités sous forme d'entretien. Spécialiste de l'économie industrielle, Nadine Levratto analyse notamment les mesures d'aide aux entreprises mises en place durant la crise sanitaire, en les réinscrivant dans l'histoire plus longue de la politique industrielle française poursuivie depuis les années 1960. Michaël Zemmour questionne, quant à lui, à partir de ses recherches sur les politiques socio-fiscales, les dispositifs de protection de l'emploi adoptés pendant la pandémie.
      As a continuation of the first part of this special issue, Politix wanted to look at the transformations in economic policy brought about by the Covid crisis and the ways in which they have affected the definition of the economic role of the State. For this first attempt to take a step back from current events, Politix has interviewed the economists Nadine Levratto and Michaël Zemmour. Nadine Levratto, a specialist in industrial economics, analyzes in particular the business support measures put in place during the health crisis, by reinscribing them in the longer history of French industrial policy since the 1960s. Michael Zemmour questions the employment protection measures adopted during the pandemic, based on his research on socio-fiscal policies.
  • Varia

    • Sortir de l'usine pour mieux s'y imposer ? : La résistible affirmation du leadership de militantes syndicales dans une entreprise d'électronique (1968-2018) - Pierre Rouxel p. 171-193 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse les effets de la diffusion d'une « grammaire paritaire » dans les organisations syndicales sur l'agencement des rapports sociaux de sexe au niveau de collectifs militants locaux. À partir de l'étude des recompositions d'un syndicat CGT dans une entreprise d'électronique regroupant une part croissante de femmes qualifiées au fil des dernières décennies, il met en évidence les redéfinitions partielles de la division sexuée du travail militant occasionnées par la participation accrue des femmes aux activités des appareils syndicaux. Vecteur de stabilisation des carrières militantes, l'accès à des responsabilités organisationnelles longtemps réservées aux hommes constitue pour certaines femmes le socle d'une capacité renforcée à mettre en débat les stratégies et les priorités d'action et de revendication du syndicat. Partie intégrante du leadership syndical masculin jusqu'aux années 2000, la position d'interface entre l'entreprise et les réseaux de l'organisation est néanmoins l'objet de controverses renouvelées dans un contexte de fragilisation et d'institutionnalisation du syndicalisme. Cette étude de la féminisation syndicale « par le bas » met ainsi en lumière la variabilité des ressources militantes légitimes qui assure la reproduction dans le temps d'un monopole des hommes dans l'accès aux positions dirigeantes.
      This article analyzes the consequences of the diffusion of the cause of women's representation within trade unions on the gender relations of grassroots activist groups. Based on a study of the recomposition of a CGT union in an electronics company since 1968, it highlights the partial redefinition of the sexual division of labor fostered by the increased participation of women in the activities of the union apparatus. As a vector for stabilizing activist careers, access to organizational responsibilities long reserved for men constitutes for some women the basis for a strengthened capacity to debate the union's strategies and demands. Part of male trade union leadership until the 2000s, the position of interface between the company and the organization's networks is nevertheless being disputed in a context of weakening and institutionalization of trade unionism. This study of trade union feminization “from below” thus highlights the variability of legitimate activist resources which ensures the reproduction over time of a male monopoly on access to leading positions.
    • Renouvellement et frontière de la politique. Une sociologie des candidats aux municipales 2020 en milieu urbain - Sébastien Michon p. 195-223 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article interroge le renouvellement du personnel politique et la frontière de la politique à partir d'une enquête sur les principales listes de candidats aux élections municipales de 2020 dans une grande ville française. Il étudie les conditions sociales de l'éligibilité en milieu urbain à partir d'une perspective localisée et multidimensionnelle, attentive au temps long. Par rapport au scrutin précédent, les candidats sont moins souvent issus du champ politique et plus inexpérimentés dans la compétition électorale. La forte présence de novices de la politique électorale met en exergue les voies de recrutement depuis les milieux partisans et les lisières de la politique locale. En soulignant à la fois le recrutement socialement situé des candidats et la polarisation de l'espace des candidats au regard de leurs propriétés sociales, l'analyse rend compte de l'espace de concurrences pour la conquête du pouvoir et la définition de la frontière de la politique.
      This article examines political renewal and the frontier of politics based on a survey of the main lists of candidates for the 2020 municipal elections in a major French city. It studies the social conditions of eligibility in urban areas from a localized and multidimensional perspective, attentive to the long term. Compared to the previous elections, candidates are less often from the political field and are more inexperienced in electoral contests. The strong presence of novices in electoral politics highlights the recruitment channels from partisan circles and the edges of local politics. By highlighting both the socially situated recruitment of candidates and the polarization of the candidate space with respect to their social properties, the analysis captures the space of competition for power and the definition of the frontier of politics.
  • Notes de lecture