Contenu du sommaire : La théorie économique est-elle utile ?
Revue | Cahiers d'économie politique |
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Numéro | no 77, printemps 2020 |
Titre du numéro | La théorie économique est-elle utile ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- 1. Théorie économique et jugement pratique - Arnaud Berthoud, Patrick Mardellat p. 7-28 Savoir s'il y a encore utilité à produire des théories économiques au vu de ce qu'on appelle communément le tournant empirique actuel ne peut pas être traité sans poser en même temps plusieurs questions. D'abord, que faut-il entendre par connaissance théorique en général et connaissance théorique en économie en particulier ; ensuite, quelle forme de vérité ou de validation en constitue la qualité ; enfin, qui pourrait en faire usage, dans quelles circonstances et pour quel objectif ? Ce sont ces questions et tout ce qu'elles impliquent que traitent les sept articles de ce numéro, illustrant la pluralité des conceptions du travail de l'économiste et du rôle de la théorie qu'introduisent les remarques suivantes.Classification JEL : A11, B4.To know wether it is still useful to produce economic theories in the light of what is commonly called the current « empirical turn » cannot be addressed without asking several questions at the same time. First, what is meant by theoretical knowledge in general and theoretical knowledge in economics in particular; secondly, what form of truth or validation constitutes its quality; finally, who could make use of it, under what circumstances and for what purpose? These are the questions and all what they imply that the seven articles of this issue are dealing with, illustrating the plurality of the conceptions of the labor of the economist and the role of theory, introduced by the following remarks.JEL Classification: A11, B4.
- 2. Sur la méthode de l'économie - Pierre-Noël Giraud p. 29-50 Cet article propose de reprendre certains aspects du débat épistémologique et méthodologique sur l'économie à la lumière d'une description pragmatique, inspirée de la sociologie des sciences, de la manière dont « ça fonctionne ». Plus précisément de : i) la façon dont l'économie s'insère dans le débat politique et manifeste ainsi son caractère « performatif » et, ii) sa méthode d'élaboration de modèles et de théories. Cette double description permet à l'auteur quelques remarques et hypothèses sur : l'unité et la diversité des discours économiques, la pertinence de la distinction entre écoles et entre grandes théories générales, la différence entre modèles et théories, l'impérialisme de l'économie, l'apport des mathématiques, le débat instrumentalisme/conventionnalisme et le réalisme des hypothèses, enfin sur l'interprétation de ce qui est aujourd'hui qualifié de tournant, voire de rupture expérimentale en économie.Classification JEL : B41.This article proposes to revisit some aspects of the epistemological and methodological debate on economics in the light of a pragmatic description, inspired by the sociology of science, of the way « it works ». More precisely of: i) the way in which economics fits into the political debate and thus manifests its «performative» character and ii) its method of elaboration of models and theories. This double description allows the author some remarks and hypotheses on the unity and diversity of economic discourses, the relevance of the distinction between « schools » and between major « general theories », the difference between models and theories, the imperialism of economics, the contribution of mathematics, the debate instrumentalism – conventionalism and the realism of hypotheses, finally on the interpretation of what is today described as an « experimental » turning point in economics.JEL Classification: B41.
- 3. La théorie économique : un monument en péril ? - Jean Cartelier p. 51-72 La théorie économique n'a plus les faveurs des économistes académiques et autres. Les raisons de ce discrédit sont multiples mais elles concernent principalement le rétrécissement du domaine couvert en raison d'une exigence croissante de cohérence et la volonté de tester empiriquement certaines hypothèses fondamentales qui efface la frontière traditionnelle entre les disciplines. Le développement des techniques quantitatives de traitement des données et la nature des questions posées font que maints travaux empiriques relèvent autant de l'économie que de la sociologie.Ce déclin de la théorie économique concerne principalement le paradigme dominant qui a donné aux économistes à la fois le type de problèmes à résoudre (existence et optimalité des équilibres) et les outils pour le faire (modèles mathématiques associant comportements rationnels et conditions d'équilibre). Il concerne peu le paradigme dominé, que Schumpeter appelle analyse monétaire qu'il oppose à la théorie de la valeur. Illustré par Steuart au xviiie siècle et Keynes au xxe, il se caractérise par d'autres questions (viabilité plutôt qu'équilibre) et d'autres représentations de l'économie (matrices de paiements plutôt que matrices de demandes excédentaires).Classification JEL : A10, A11, A12, B10, B20.Economic theory is has lost most of its attractiveness amongst academic economists. Multiple reasons may explain that discredit but two seem of special interest: most severe requirements about logical consistency and questions to be solved have contributed to shrink the field of economic theory while a strong desire to confront assumptions with reality have blurred the frontier between economics and social sciences. The remarkable development of quantitative techniques (big data) and the type of questions on the agenda have made empirical economics and empirical sociology almost impossible to distinguish.The neglect of economic theory is more evident for the dominant paradigm than for the dominate one, called monetary analysis by Schumpeter who opposed it to real or value analysis. Illustrated by Steuart in 18th century and Keynes in the 20th century, monetary analysis deals with different questions (viability rather than equilibrium) and resorts to different tools (payment matrices rather than excess demands).JEL Classification: A10, A11, A12, B10, B20.
- 4. Economic theory and history of economic thought: a Ricardo's unexpected general assertion - Édith Klimovsky p. 73-94 Cet article vise à justifier l'importance de la théorie économique pour parvenir à une interprétation appropriée de propositions d'auteurs anciens. À la lumière de la théorie classique contemporaine, nous analysons la relation ricardienne dans les Principes entre le taux de profit et l'excédent de travail. En opposition avec ce qui est généralement admis, nous montrons que cette relation se vérifie indépendamment de la théorie de la valeur travail. Ricardo découvre les limites de cette théorie et ne signale jamais que les valeurs travail sont nécessaires pour rapporter le taux de profit à l'excédent de travail.Classification JEL : B12, B24, B51, D30.The aim of this article is to justify the relevance of economic theory for achieving an accurate interpretation of past authors' statements. In the light of the contemporary classical theory, we analyze the Ricardian relationship between the rate of profit and surplus labour in the Principles. In contrast to what is usually assumed, we argue that such relationship is verified independently of the labour theory of value. Ricardo discovers the limits of this theory and never points out that labour values are necessary for relating the rate of profit to surplus labour.JEL Classification: B12, B24, B51, D30.
- 5. La théorie économique est-elle encore utile ? - Richard Arena p. 95-125 Depuis les années d'après-guerre, la théorie économique a connu une période de prédominance qu'elle avait rarement atteint par le passé. Jusqu'aux années 1970 elle a pris essentiellement la forme du programme de recherche de la théorie de l'équilibre économique général et sa caractéristique principale a été l'auto-suffisance scientifique : l'analyse économique était censée ne rien devoir aux autres sciences sociales. Cette situation s'est fondamentalement modifiée à partir de la fin des années 1980. Des démarches partiellement nouvelles telles que les expériences aléatoires ou les expériences de laboratoires et les approches expérimentalistes tentent de plus en plus d'imposer à la théorie économique la nécessité d'une vérification expérimentale, voire son remplacement par des constructions inductives. Ensuite, la multiplication et l'exploitation systématique des big data a parfois conduit à minimiser le rôle de la théorie économique en tant que telle. Enfin le remplacement de constructions théoriques « fermées » ou auto-contenues se réclamant peu ou prou d'une rigueur axiomatique par des constructions « ouvertes » faisant appel à d'autres sciences sociales change profondément la signification de la notion de théorie économique, y compris en recourant à la notion de système complexe. L'objet de notre contribution est d'analyser ces démarches nouvelles et de mesurer ce qu'il reste aujourd'hui de l'utilité de la théorie économique.Classification JEL : A, B2, B3, B4, B5.Since the Second Post-War years, economic theory became more and more predominant, perhaps more than in any past period. Till the years 1970, it took essentially the form of the research program of the theory of general economic equilibrium and its main characteristic was its scientific self-sufficiency: economics had to be built independently from any other social science. This situation changed drastically since the 1980s. New approaches as random and laboratory experiments which contributed to develop the idea that experimental approaches could replace and test the validity of economic theory and favor a more inductive conception of economics; it was also associated to the development and diffusion of big data; it also had to be compared with the birth and the development of another form of interdisciplinary economic analysis refusing the assumption of self-sufficiency and accepting an open methodology including the advances of sociology, philosophy, psychology, history,… even in a complex system context. The purpose of our contribution is to face these new methods and developments and to assess what is remaining today when we consider the issue of the utility of economic theory.JEL Classification: A, B2, B3, B4, B5.
- 6. Utilité de la théorie économique et rôle du théoricien selon Joan Robinson - Marlyse Pouchol p. 127-158 Joan Robinson (1903-1983) s'intéresse à l'avenir que le capitalisme réserve au monde. Ce thème la place d'emblée en rupture avec les économistes néoclassiques qui ont cherché à créer un objet d'étude universel et atemporel. La persistance du modèle néo-classique malgré les objections majeures qui lui ont été apportées, en particulier par Keynes, mais aussi par son propre travail concernant l'ambiguïté du concept de capital, va la conduire à s'interroger sur la nature de l'activité de l'économiste. Dans un ouvrage de 1962, intitulé Philosophie économique, elle explique que l'analyse économique a nécessairement un pied dans la science et un pied dans la philosophie car elle n'existerait pas sans un individu qui se pose des questions sur la marche du monde parce qu'il pense qu'il peut en infléchir le cours.Classification JEL : B 51, B 52, E 11, E 12.Joan Robinson (1903-1983) is interested in the future capitalism is planning for the world. This theme immediately sets her at odds with the neo-classical economists who sought to create a universal and timeless object of study. The persistence of the neo-classical model despite the major objections to it, especially by Keynes, but also by Robinson's own work regarding the ambiguity of the concept of capital, leads her to question the nature of the activity of the economist. In a 1962 book entitled ‘Economic Philosophy' she states that economic analyses necessarily has a foot in science and a foot in philosophy; it would not exist she argues, without an individual who questions the way of the world because they believe they can influence its course.JEL Classification: B 51, B 52, E 11, E 12.
- 7. Retour sur la controverse Cahuc-Zylberberg : science plus empirique ou sanctuarisation du noyau dur théorique ? - Michaël Lainé p. 159-189 Dans leur ouvrage controversé sur le « négationnisme économique », Cahuc et Zylberberg s'appuient sur trois arguments : l'économie serait devenue une science expérimentale ; cela provoquerait une véritable rupture épistémologique, laquelle permettrait une plus grande proximité avec les faits. Si le constat est tout à fait excessif, puisque la très large majorité des travaux actuels ne relèvent ni de l'expérimentation aléatoire, ni des expériences naturelles ou de laboratoire, cet article examine le bien-fondé des deux derniers arguments. Nous démontrons que les méthodes expérimentales s'inscrivent pleinement dans l'épistémologie dominante. Il n'y aurait donc pas de rupture mais un simple approfondissement. Nous montrons également que les protocoles expérimentaux ne sont pas dénués de théorie ou de défauts techniques propres (les données doivent toujours être construites et interprétées et la « méthode expérimentale » ne change rien à cela). Enfin, nous nous interrogeons sur la place des faits dans la recherche actuelle. Ils inspireraient les nouvelles théories en ce qu'ils signaleraient des déviations empiriques dont il faut rendre compte. Nous aurions là le signe d'un moindre renouvellement, les programmes de recherche tendant au renforcement de leur « noyau dur » par la mise en compatibilité des théories secondaires avec les résultats empiriques.Classification JEL : B41, C90.In their controversial book on “economic negationism”, Cahuc and Zylberberg draw on three arguments: economics became an experimental science, which would bring about an epistemological disruption, which in turn would allow theory to be closer to facts. Even though the main observation is ill-founded (since the great bulk of modern economics does not implement randomized-controlled trials, nor field or lab experiments), the aim of this article is to examine the relevance of the other two arguments. We show that experimental methods fall within mainstream's epistemology. Thus, there would be no revolution, but a simple evolution. Besides, experimental settings are theory-laden and are not devoid of proper technical biases. Data always have to be built and interpreted; the so-called “experimental method” does not change this. Finally, we reflect on the place of facts in modern economics. We observe they inspire new theories by signaling empirical deviations which have to be accounted for. This would hint at a lesser renewal; the theoretical hardcore would be strengthened by making auxiliary theories more compatible with empirical results.JEL Classification: B41, C90.
- 8. On Lawson's definition of heterodox economics by its ontological/realist orientation - Hendrik Schnitzer p. 191-206 Dans cet article j'oppose deux objections à l'argument de Tony Lawson selon lequel la propriété distinctive de l'économie hétérodoxe par rapport à l'économie orthodoxe-mainstream consiste dans son orientation ontologique-réaliste. À cette fin, pour distinguer le sens possible des concepts, je me réfère aux concepts de mainstream, néoclassique, orthodoxe et hétérodoxe, dont la définition peut être “intensionnelle” ou “extensionnelle”. Alors que la définition extensionnelle des termes est relativement arbitraire, une définition intensionnelle positive de ceux-ci peut en être propose, sauf pour le terme “hétérodoxe”. Lawson tente d'en donner ne définition positive méthodologique : selon une acception implicite commune toutes les écoles hétérodoxes adoptent une orientation ontologique réaliste. Bien que l'argument de Lawson soit prometteur en première instance, il est en fait hautement problématique en raison de l'usage qu'il fait des concepts d'ontologie et de réalisme. Je montrerai que son usage de ces concepts est incohérent et contradictoire, au moins dans le contexte de sa distinction entre hétérodoxie et orthodoxie-mainstream.Classification JEL : B4.In this paper, I will raise some objections against Tony Lawson's argument that the distinguishing property of heterodox economics in comparison to orthodox/mainstream economics can be seen in its ontological/realist orientation. Therefore, in order to delineate the possible meaning of the concepts, I will refer to the concepts “mainstream”, “neoclassical”, “orthodox” and “heterodox”. The definition of the terms can either proceed in an intensional or in an extensional manner. While the extensional definitions of the terms must remain rather arbitrary, there can be positive intensional definitions of the terms “mainstream”, “neoclassical” and “orthodox”. But in the case of “heterodox”, there can possibly be no positive intensional definition at all. By opposing this claim, Lawson is trying to give a positive definition methodologically: In a common implicit commitment of heterodoxy's various schools they would all subscribe to an ontological/realist orientation. While Lawson's argument looks promising at first sight in providing an intensional positive definition, it is indeed highly problematic due to his use of the concepts of ontology and realism. I will argue that his use of these concepts, at least in the context of his distinction between heterodoxy and orthodoxy/ the mainstream, is inconsistent and even self-contradictory. With this rather vague use of the concepts ontology and realism his definition of “heterodox” also falls short of consistency.JEL classification: B4.