Contenu du sommaire : Les sciences sociales face à la pandémie, entre nouvelles et vieilles marginalités en Europe

Revue Revue Sciences et Actions Sociales Mir@bel
Numéro no 15, 2021
Titre du numéro Les sciences sociales face à la pandémie, entre nouvelles et vieilles marginalités en Europe
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Introduction

  • Dossier

    • Loin des autres : Une lecture de la condition d'isolement imposée par la pandémie à partir de la leçon de Norbert Elias - Teresa Grande p. 7-16 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      “Loin des autres” : c'est la règle principale que nous avons tous appris à suivre depuis que Covid-19 a fait irruption dans nos vies il y a plus d'un an.Dans cet article, je me propose de réfléchir sur la situation d'isolement que le virus nous impose à partir d'une relecture du célèbre livre que le sociologue Norbert Elias a consacré à La solitude du mourant. La situation de solitude décrite par Elias au début des années 1980 se reproduit avec une force particulière dans la pandémie actuelle. Comme nous le verrons, les normes de distanciation sociale ont des conséquences sur la façon dont nous nous rapportons aux “autres”, sur notre perception des liens sociaux et sur nos émotions ; ces conséquences sont particulièrement visibles dans la solitude qui caractérise les patients Covid-19. En outre, les personnes décédées de Covid-19 représentent les victimes symboliques de cette pandémie et, en tant que telles, commencent à être commémorées de manière publique. L'article se termine par une brève réflexion sur la “Journée nationale à la mémoire des victimes du Covid-19” (instaurée par l'État italien dans la journée du 18 mars) et sur les mémoires futures des expériences individuelles et collectives de l'urgence pandémique que nous vivons encore.
      “Away from others” : this is the main rule we have all learned to follow since Covid-19 broke into our lives more than a year ago. In this article, I would like to reflect on the situation of isolation that the virus imposes on us, starting with a re-reading of the sociologist Norbert Elias' famous book The Loneliness of the Dying. The situation of loneliness described by Elias at the beginning of the 1980s recurs with particular strength in the current pandemic. As we shall see, the norms of social distancing have consequences on the way we relate to “others”, our perception of social ties and our emotions ; these consequences are particularly visible in the loneliness that characterises Covid-19 patients. Moreover, those who have died of Covid-19 are the symbolic victims of this pandemic who should be commemorated in a public way. The article concludes with a brief reflection on the “National Day in memory of the victims of Covid-19” (established by the Italian State on 18th March) and on the future memories of the individual and collective experiences of the pandemic emergency we are still experiencing.
    • Entre désenchantement et monde magique : Comment la pandémie redessine nos sociétés - Walter Greco p. 17-32 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comme effet secondaire de la pandémie actuelle, nous nous trouvons à vivre une crise de l'approche rationnelle au monde. La recherche effrénée d'une solution pour sortir du confinement forcé, et l'amputation de toutes les formes caractéristiques de socialité qui en découlent, engendrent de nouvelles formes de marginalité et d'exclusion sociale. En outre, la surexposition médiatique de chercheurs et d'experts jusqu'alors inconnus rendent le phénomène pandémique très semblable à une série de représentations au contenu magique, démontrant toutes les faiblesses du discours scientifique, remplacé par une suite de prédictions monotones qui, sans trouver une solution réelle, reviennent toujours au même point de départ.
      As a side effect of the current pandemic, we find ourselves in a crisis of rational approach to the world. The unbridled search for a solution to escape from forced lockdown, and the amputation of all the characteristic forms of sociality that result from it, generate new forms of marginality and social exclusion. Moreover, the overexposure of researchers and experts in the media hitherto unknown makes the pandemic phenomenon very similar to a series of representations with magical content, demonstrating all the weaknesses of the scientific discourse, replaced by a series of monotonous predictions that always return to the same starting point.
    • Citoyenneté en urgence : pauvreté, inégalités sociales et revenu minimum pendant la pandémie en Italie. Notes sur le débat public et institutionnel - Emanuela Chiodo p. 33-44 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'augmentation de la pauvreté et des inégalités est l'un des impacts les plus évidents de la crise économique et sociale liée à la pandémie de Covid-19. Comme jamais auparavant, la pauvreté montre son caractère de processus social complexe dans lequel experts, politiciens, acteurs sociaux et récits dominants interagissent pour produire des significations et des horizons institutionnels du risque, en créant des catégories qui décrivent et prescrivent en même temps. Si l'urgence pandémique n'a fait que rendre plus visibles toutes les limites et les contradictions de la lutte à la pauvreté dans le pays, le débat public et institutionnel en Italie semble encore se focaliser sur la recherche du statut des pauvres, de "quels pauvres" reconnaître, quels pauvres admettre ou exclure du public des bénéficiaires des interventions. L'article aborde les dispositifs de revenu minimum et les discours qui ont accompagné leur adoption/remodelage pendant la pandémie selon une perspective sociologique qui lit la pauvreté comme une catégorie pour la représentation et pour l'action (Autès, 2000).
      The increase in poverty and inequalities is one of the most evident impacts of the economic and social crisis linked to the Covid-19 pandemic. At the same time, as never before, poverty shows its character of complex social process in which experts, politicians, social actors and prevailing narratives interact in producing meanings and institutional horizons of risk, in creating categories that describe and prescribe at the same time. Although the coronavirus pandemic showed the limits of Italian social policies against poverty of individuals and families, the public and institutional debate in Italy still seems to focus on the search for the status of the poor, of "which poor" to recognize, which poor people to admit or exclude from the audience of the beneficiaries of social protections.The article discusses the ordinary and extraordinary minimum income protection in the COVID-19 pandemic and the public and institutional speeches that accompanied their adoption or remodeling during the first wave of the pandemic in Italy according to a sociological perspective that sees poverty as a category both for representation and for the action (Autès 2000).
    • L'invasion des “contamineurs” : l'impact du Covid-19 dans la rhétorique anti-migrants en Italie - Anna Elia, Valentina Fedele p. 45-64 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'essai s'attarde sur la narration anti-migrants dans le contexte de la pandémie de Covid-19, en particulier en Italie, à travers l'analyse d'articles publiés sur la version en ligne de deux journaux nationaux parmi les plus lus, entre février 2019 et mars 2021. Cette analyse tente de montrer l'impact, durant ce laps de temps, des pratiques liées à l'urgence sanitaire, notamment la distanciation sociale et le confinement, sur le processus d'altérisation des migrants. Ces derniers en particulier, mobiles à un moment où l'immobilité est générale, lorsqu'ils traversent les frontières, sont dépeints comme une menace physique, sanitaire mais aussi symbolique car ils ne s'adapteraient pas aux valeurs présumées d'une société en crise. Cet essai s'intéresse ensuite de manière particulière aux titres associant coronavirus et migrations, et tente de mettre en évidence les articulations rhétoriques et les références discursives se rattachant plus ou moins aux précédentes rhétoriques anti-migrations.
      The essay focuses on the anti-migrant narrative raised during the Covid-19 pandemic, with particular reference to the Italian experience. Articles from two of the most widely read on-line national newspapers are examined, between February 2019 and March 2021. The analysis aims to verify how health emergency practices relatissng to social distancing and lockdown have affected the discursive othering of migrants. The latter, in particular, being mobile, in a moment of general immobility, crossing borders, are narrated both as a physical threat - as a menace to collective health - but also as a symbolic one - as they are perceived as not adapting to the alleged values of a society in crisis. Particular attention is, then, paid to articles linking coronavirus and migration, trying to highlight narrative articulations and possible discursive references to traditional anti-migrant rhetoric.
    • Soutenir les mineurs étrangers non accompagnés pendant le Covid 19 : un aperçu sur le rôle des tuteurs, des associations et des institutions en Italie - Lucia Montesanti, Francesca Veltri p. 65-92 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'essai analyse la condition des mineurs étrangers non accompagnés en Italie pendant la pandémie de Covid 19, en examinant en particulier comment les restrictions ont affecté les processus de socialisation auxquels les mineurs étrangers non accompagnés sont confrontés dans la société d'arrivée. Une attention particulière a été portée aux domaines les plus touchés (école et entrée dans le monde du travail) mettant en évidence les stratégies d'adaptation mises en œuvre par les mineurs, les tuteurs et les associations, face à cette condition d'émergence.
      The essay analyses the condition of unaccompanied foreign minors in Italy during the Covid-19 pandemic, looking at how the restrictions affected the minors' socialisation processes in the Italian society. Particular attention was paid to the areas most affected (school and entry into the world of work) highlighting the adaptation strategies implemented by minors, guardians, and associations, confronted with this condition of emergence.
    • Violence domestique et pandémie. Changements et perspectives - Sabrina Garofalo p. 93-104 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La crise pandémique a mis en évidence les spécificités de la violence de genre en se référant particulièrement à la violence domestique. À partir du concept d'« espace sûr », identifié comme espace domestique de confinement pour la protection contre le virus, il est possible d'identifier les formes structurelles de violence de genre dans la vie des femmes.L'objectif de cet article est de focaliser, après une analyse de la législation actuelle et des recherches récentes, les contradictions que la crise pandémique a mises en évidence mais également les opportunités. En particulier, la proposition de ce travail est de donner la possibilité d'identifier de nouvelles perspectives et de nouvelles propositions politiques en termes de sécurité et de santé pour les femmes, à partir des concepts-clés de l'épistémologie féministe.
      The pandemic crisis has highlighted the specificities of gender violence, especially of domestic violence. The domestic space is thus identified as a "safe space" of protection against the virus, but it is also where structural forms of gender violence in women's lives can be identified. After an analysis of the current legislation and recent research on the topic, the article focuses on the contradictions that the pandemic crisis has highlighted, but also on some emerging opportunities for the fight against gender and domestic violence. In particular, the paper aims at identifying new perspectives and new policy proposals in terms of women's safety and health, arising from key feminist epistemology concepts.`np pagenum="094"/b
    • La surdité face à la pandémie. Un silence qui nous interroge tous - Donata Chirico' p. 105-114 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'histoire socio-culturelle de la surdité naît en France au milieu du XVIIIe siècle. Charles-Michel L'Épée – un prêtre inconnu auquel l'Assemblée Constituante accordera en 1791 le titre de bienfaiteur de l'humanité – fait la connaissance fortuite de deux sœurs sourdes. Étonnamment pour l'époque, elles communiquent par un langage visio-gestuel, habituellement très peu pratiqué par les sourds. Depuis toujours, être sourd signifiait être considéré « naturellement » inapte à toute activité linguistique et cognitive. Pourtant, L'Épée comprend que pour déconstruire ce préjugé il suffirait que les sourds accèdent à l'instruction par la vue. Sa rencontre inattendue lui avait démontré que ces derniers avaient « à portée de main » une langue qu'ils maîtrisaient spontanément et qui renversait ainsi tout ordre de discours les concernant. C'est exactement ce que L'Épée réalisa lorsqu'il décida de « mouler » le langage naturel des sourds pour qu'il devienne un système « méthodique » de signes et finalement une langue des signes. Dès lors, on assiste à un échange de pas qui depuis n'aura pas d'égale. Gagné le droit à leur propre parole, les sourds peuvent finalement se vivre comme citoyens. Toutefois, au XIXe siècle, l'histoire culturelle de la surdité a terriblement ralenti au point d'être complètement arrêtée un moment. Suite au célèbre Congrès de Milan du 1880, l'emploi de la langue des signes fut interdite dans les écoles pour sourds. En Italie comme ailleurs, il faudra plus d'un siècle avant que la langue des signes sorte de la clandestinité à laquelle cet événement l'avait contrainte. Par ailleurs, on est jamais vraiment sorti de l'« audisme » dont le Congrès de Milan fut et est l'expression la plus explicite et définie. Des traces subsistent à tous les niveaux de la vie sociale et culturelle, notamment des politiques relatives à l'instruction et à l'information. Celle de la période de la pandémie de Covid-19 n'a pas fait de différence.`np pagenum="106"/b
      The socio-cultural history of deafness began in France in the mid-18th century. Charles-Michel L'Épée - a then unknown priest to whom in 1791 the Constituent Assembly granted the title of benefactor of humanity - accidentally met two deaf sisters. Surprisingly for the time, they were able to communicate through visio-gestural language. This was a far cry from the life usually led by the deaf. In fact, being deaf has always meant being considered “naturally” unfit for any linguistic and cognitive activity. Yet L'Épée understood that to deconstruct this prejudice, having access to instruction by sight could be the answer. As his unexpected meeting had shown him, the latter had "at hand" a language which they spontaneously mastered and which reversed any order of discourse concerning them. This is exactly what L'Épée achieved when he decided to “mould” the natural language of the deaf into a “methodical” system of signs and, ultimately, sign language. From then on we can see a change in attitude which has not been matched since. By gaining the right to their own words, the deaf can finally live as citizens. However, in the 19th century, the cultural history of deafness slowed down dramatically. There even came a time when it came to a complete halt. Indeed, following the famous Milan Congress of 1880, the use of sign language was banned from all schools for the deaf. In Italy as elsewhere, it took more than a century before sign language emerged from clandestinity into which this event had forced it. At the same time, it must be said that in a way we have never left the audism of which the Milan Congress was and still is the most explicit and defined expression. Traces of it remain at all levels of social and cultural life, notably in education and information policies. The period of the Covid-19 pandemic did not make any difference.
  • Varia

    • L'intervention en Mission Locale, une association d'objectifs d'insertion socioprofessionnelle et de perceptions d'un public « difficilement insérable » au service des stratégies d'accompagnement - Assa Kamara p. 115-132 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article montre un paradoxe de la soumission des « jeunes en insertion » à un système de préjugés, et surtout les diverses stratégies adoptées par les intervenants sociaux pour y faire face. Le public de la Mission Locale étudiée en région parisienne n'échappe pas à la stigmatisation dont sont victimes les bénéficiaires des politiques de ciblage. Par conséquent, le dispositif censé aider ses usagers à acquérir un emploi peut constituer un obstacle à leur accès à l'emploi. Pour y remédier, les intervenants mettent en place d'autres outils d'accompagnement, au-delà de ceux prévus par les politiques, pour contourner les présupposées négatives associées au statut de « jeunes en insertion ».
      The article shows a paradox of the submission of "young people in integration" to a system of prejudices, and especially the various strategies adopted by social workers to cope with it. The users of the Local Mission studied in the Paris region are not immune to the stigmatisation of which the beneficiaries of targeting policies are victims. Therefore, the scheme intended to help its users to acquire employment may constitute an obstacle to their access to employment. To remedy this, social workers are putting in place other support tools, beyond those provided by policies, to circumvent the negative perceptions associated with the status of "young people in integration".`np pagenum="116"/b
    • Les conditions de travail du sexe. Pour une approche environnementale des risques - Jenny Ros p. 133-153 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet article, je propose une réflexion sur les conditions de travail du sexe dans le canton de Vaud (Suisse) et sur les risques auxquels sont confrontées les personnes exerçant ce travail. Les données (des focus groups et des observations) sont issues d'une recherche-action participative réalisée avec une association de soutien aux travailleurs et travailleuses du sexe (TdS) et leurs bénéficiaires. Les résultats soulignent que la prévention et la réduction des risques devraient davantage cibler des changements d'infrastructures à disposition des TdS ainsi que leur protection sociale et juridique afin de réduire leur vulnérabilité face à la violence et face aux
      In this article, I propose a reflection on the working conditions of sex workers in the canton of Vaud (Switzerland) and on the risks they face. The data (focus groups and observations) comes from participatory action-research carried out with an association supporting sex workers and their beneficiaries. The results underline that prevention and risk reduction should focus more on changes in the infrastructure available to sex workers as well as their social and legal protection in order to reduce their vulnerability to violence and STIs.
    • Le pouvoir d'agir des personnes en situation de vulnérabilité : un nouveau paradigme à partir duquel le travail social peut se réinventer ? - Séverine Demoustier p. 154-176 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Face aux aspirations de liberté et d'émancipation des personnes, dans un contexte politique qui les promeuvent, les formes nouvelles que peut prendre le travail social, comme ses outils, sont à investiguer. Le pouvoir d'agir (ou l'empowerment), à travers la possibilité conférée à une personne d'être actrice de sa vie, semble être le socle sur lequel il pourrait se réinventer. L'article propose de s'appuyer sur les origines de l'empowerment, et de sa traduction francophone en pouvoir d'agir, comme sur les théories dans lesquelles il puise, pour en comprendre les ressorts, les intérêts et limites pour le travail social. Les débats dont fait l'objet cette notion seront ensuite présentés.
      Faced with the aspirations for freedom and emancipation of people, in a political context that promotes them, the new forms of social work, as well as its tools, are to be investigated. The power to act (or empowerment), through the possibility conferred on a person to be an actor of his life, seems to be the base on which he could reinvent himself. The article proposes to look into the origins of empowerment, and of its French-speaking translation into the power to act, as well as the theories on which it draws, to understand its sources, interests and limits for social work and then present the debates over this concept.`np pagenum="155"/b
  • Comptes rendus