Contenu du sommaire : Les langues de l'internationalisme ouvrier (1850-1950)
Revue | Mil neuf cent |
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Numéro | no 39, 2021 |
Titre du numéro | Les langues de l'internationalisme ouvrier (1850-1950) |
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- Avant-propos - Christophe Prochasson p. 3-4
Dossier
- Les langues de l'internationalisme ouvrier - Sarah Al-Matary, Emmanuel Jousse p. 5-10
- Des langues du matérialisme historique : L'Anti-Dühring d'Engels et ses traductions (1877-1911) - Emmanuel Jousse p. 11-40 En quoi la traduction et la circulation des textes théoriques d'une langue à l'autre contribue-t-elle à structurer des traditions partisanes ? À partir de l'Anti-Dühring, l'ouvrage publié en allemand en 1878, et de ses traductions multiples en français jusqu'en 1911, les élaborations successives du texte montrent la façon dont le marxisme discuté par les socialistes européens s'élabore au fil des controverses et des interprétations. Sous la forme de l'écrit théorique et de la brochure, l'Anti-Dühring est progressivement construit comme une référence, qui donne une légitimité à des responsables politiques, ou constitue un point d'appui pour la discussion critique des révisions du marxisme au tournant du siècle.In what sense can we say that translating and circulating theoretical texts from one language into another contributes to fostering partisan traditions? From Anti-Dühring, Engel's book published in German in 1878, through its various French translations and until 1911, the text's successive developments show how Marxism – as discussed by European socialists – grew through a series of controversies and reinterpretations. Circulated as a theoretical work and a pamphlet, Anti-Dühring gradually became a reference which legitimized political leaders or backed critical discussions on the meanings of Marxism at the turn of the century.
- Vers une fraternité universelle : Vingt ans de débats autour de l'espéranto dans les milieux anarchistes (1887-1907) - Javier Alcalde, Marc Audí p. 41-58 L'espéranto a-t-il offert une alternative à la diversité des langues pour les mouvements ouvriers ? Créée par Louis-Lazare Zamenhof en 1887, cette langue nouvelle rejoint les préoccupations formulées par les mouvements utopistes de la première moitié du xixe siècle. Mais si les partis ouvriers organisés tiennent cette langue à distance, qu'ils associent aux philanthropes bourgeois, elle est appropriée par des groupes militants, et plus particulièrement par les anarchistes. Ces derniers suivent des cours du soir dans les locaux des syndicats et des centres socioculturels populaires, et entretiennent des correspondances avec des travailleurs d'autres pays grâce à cette langue internationale. À partir de 1907 surtout, ils en font un symbole de la fraternité universelle qu'ils appellent de leurs vœux.Did Esperanto provide an alternative to the diversity of languages in working class movements? This new language, created in 1887 by L.L. Zamenhof, echoed the concerns of Utopist movements in the first half of the 19th century. But while organized working-class parties kept it at bay for its purported links with bourgeois philanthropists, it was appropriated by militant groups, and more specifically by anarchists. The latter followed night classes held in union buildings and popular socio-cultural centers, and exchanged letters with workers from other countries thanks to that international language. From 1907 especially, it became a symbol of the type of universal fraternity they were hoping to see.
- « La réalité du nom de l'anarchie » : Les traductions chinoises des termes « anarchisme » et « entraide » (1906-1927) - Aurore Michelat p. 59-85 La variété des langues à laquelle les mouvements ouvriers sont confrontés est d'abord restreinte aux idiomes européens, qui peuvent partager une armature théorique commune et faciliter les transferts. Mais comment traduire des concepts dans des langues extra-européennes ? La diversité des traductions en chinois des termes « anarchie » et « anarchisme » témoigne de la logique complexe des emprunts linguistiques et aussi de la dimension créatrice du processus de traduction. L'introduction de cette terminologie, amorcée dès la fin du xixe siècle, accompagne un rayonnement important de l'anarchisme dans la Chine post-impériale des années 1910-1920. Quant à la large diffusion au sein de la société chinoise de la notion d'« entraide », empruntée à Kropotkine, elle atteste la postérité de concepts promus par l'anarchisme au-delà des seuls cercles partisans.The variety of languages working class movements were confronted with was initially restricted to European idioms, which had a shared theoretical framework facilitating exchanges. But how to translate these concepts into non-European languages? The diversity of Chinese translations for the terms “anarchy” and “anarchism” testifies to the complexity of linguistic borrowing as well as to the creative dimension of translation processes. This new terminology was gradually introduced from the end of the 19th century and ushered in the influence of anarchism in post-imperial China between 1910 and 1920. The subsequent spread of the notion of “mutual aid” to Chinese society – borrowed from Peter Kropotkin – attests to the longevity of concepts promoted by anarchism outside of partisan circles.
- Le Parti communiste français, un éditeur cosmopolite (1920-1939) ? - Marie-Cécile Bouju p. 86-102 À partir de 1919, la diversité des langues des mouvements ouvriers paraît surmontée par le mouvement communiste et le Komintern qui centralise une propagande rayonnant à partir du russe. En France, le parti communiste, lié à la IIIe Internationale, serait le vecteur de cette diffusion par la mise en place dans les années vingt d'un service de propagande structuré. Dans l'entre-deux-guerres, le parti renforce ainsi une organisation éditoriale dont l'étude bibliométrique adoptée donne la mesure, tout en la nuançant. Si le russe devient la langue de l'Internationale, elle n'est pas celle des militants communistes français, peu intéressés par les traductions.From 1919 onwards, the diversity of languages of working-class movements seemed to be overcome by the Communist movement and the Komintern, which centralized and spread Russian-speaking propaganda. In France, the Communist party – linked to the Third International – became the main vehicle for this diffusion through the setting up of a well-structured propaganda service in the 1920s. Between the two World wars, the party strengthened its editorial organization, a fact which this bibliometric analysis helps to evaluate and qualify. If Russian then became the language of the Communist International, it wasn't that of French activists, who cared little for translations.
- Les guides-interprètes des voyageurs du mouvement ouvrier en URSS - Rachel Mazuy p. 103-117 Dans les années 1920 et 1930, l'URSS, devenue le point de référence de la révolution mondiale, attire des militants du monde entier. Leur venue suppose le truchement de médiateurs, d'abord militants étrangers vivant en URSS dans les années 1920 ou des Soviétiques polyglottes ayant vécu en exil, puis, de plus en plus, des interprètes professionnels. Ces médiateurs recouvrent des tâches diverses et complexes qui nécessitent l'apprentissage d'un double-langage car ils doivent répondre aux attentes de leurs invités et à celles du pouvoir soviétique. Leurs témoignages, leurs rapports, comme leurs silences, montrent la difficulté de bâtir l'internationalisme par la pratique des langues. Enfin, leur parcours, quand nous le connaissons, révèle les dangers auxquels ils sont de plus en plus exposés du fait de leurs contacts avec ceux qui, mêmes internationalistes, restent des étrangers.In the 1920s and 1930s, the USSR became the point of reference of the world revolution, and attracted militants from all around the world. Their visits required the use of mediators. Initially they were foreign activists who lived in the USSR in the 1920s or multilingual Soviets in exile. Then, gradually, those were replaced by professional interpreters. These mediators had various and complex missions which required that they learn a double-language – they had to satisfy to the demands of both the visitors and the Soviet government. Their testimonies, their reports, as well as their silences, show how difficult building Internationalism was through the practice of languages. Finally, their careers – when they are known to us – reveal the dangers to which they were more and more exposed because they were in contact with people who, although they were Internationalists, were foreigners nonetheless.
- L'épilogue des `ibCloches de Bâle`/ib : Blanc ou oubli des langues de l'Internationale ? - Sarah Al-Matary p. 118-136 En 1934, Louis Aragon publie son premier roman réaliste, Les cloches de Bâle. L'épilogue décrit le Congrès socialiste international qui s'est tenu dans cette ville en 1912, où se sont rendues des délégations de toute l'Europe. C'était l'occasion, pour l'auteur communiste, de donner à entendre ces langues étrangères pour lesquelles il n'avait cessé d'exprimer son intérêt. Cependant Aragon les passe quasiment sous silence, et « lisse » son texte dans un français lyrique. Pour comprendre cette omission, il est nécessaire d'envisager l'œuvre aragonienne sur le long terme, en croisant enquête historienne et analyse stylistique à différentes échelles, car seule l'articulation de facteurs idéologiques et esthétiques explique comment l'écrivain militant se positionne.In 1934, Louis Aragon published his first realist novel, The Bells of Basel. The novel's epilogue describes the international socialist Congress that was held in that city in 1912, attended by delegations from all over Europe. It could have been an opportunity for the communist author to portray these foreign languages, for whom he never ceased to express his interest. However, Aragon basically glossed them over in favor of poetic French. To understand this omission requires that we consider Aragon's work in its entirety, and cross historical research with stylistic analysis at various levels. Indeed, articulating ideological and esthetic factors is the only way to make sense of the author's positioning.
Document
- Comment Raymond Saleilles est-il devenu dreyfusard ? : L'affaire Dreyfus dans les Cahiers d'un catholique libéral - Patrice Rolland p. 137-188 Professeur à la faculté de droit de Paris, Raymond Saleilles suit l'affaire Dreyfus au jour le jour dans son journal intime, dont de larges extraits sont publiés ici. Immédiatement révisionniste parce que le procès n'est pas équitable, il admet progressivement l'innocence d'Alfred Dreyfus. Hostile à l'antisémitisme, il se scandalise de la compromission des catholiques avec le nationalisme. Comment peuvent-ils à ce point manquer du sens de la justice ? Il salue le rôle éducatif que des « intellectuels » peuvent jouer pour éduquer les jeunes catholiques.Raymond Saleilles was a professor at the Paris Faculty of Law when he started documenting daily the Dreyfus case in his diary, sizable extracts of which are published here. He positioned himself as a revisionist from the get-go, for he believed the trial unfair and gradually came to believe Alfred Dreyfus was innocent. He was hostile to anti-Semitism and raged at the Catholics' connivance with nationalism. How could they be so oblivious of Justice? He praised the role that “intellectuals” could have in educating young Catholics.
- Comment Raymond Saleilles est-il devenu dreyfusard ? : L'affaire Dreyfus dans les Cahiers d'un catholique libéral - Patrice Rolland p. 137-188
Lectures
- Lectures - p. 189-202
In memoriam
- Robert Paris (1937-2020) - Willy Gianinazzi, Michel Prat p. 203-204