Contenu du sommaire : Dossier : Violences du passé, politique(s) au présent ?

Revue L'année du Maghreb Mir@bel
Numéro no 26, 2021
Titre du numéro Dossier : Violences du passé, politique(s) au présent ?
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  • Éditorial

  • Dossier : Violences du passé, politique(s) au présent ? La justice transitionnelle comme passage « d'une histoire dans une autre »

    • Violences du passé, politique(s) au présent ? - Frédéric Vairel p. 23-37 accès libre
    • La politique de réconciliation nationale en Algérie : une approche sécuritaire - Mansour Kedidir p. 39-57 accès libre avec résumé
      Depuis la fin du xxe siècle, la justice transitionnelle s'est imposée comme un ensemble de mécanismes pouvant inspirer les pays en proie à des guerres civiles en quête de sortie de crise. Toutefois, les procédures varient selon les contextes particuliers à chaque société et les identités des protagonistes, ainsi que leurs revendications, bien qu'elles cherchent toutes une issue vers la paix. Confrontée à une guerre opposant l'Armée nationale populaire et les groupes islamiques armés, l'Algérie a connu une décennie d'insécurité dont les effets sur le plan des vies humaines, les dégâts matériels et les séquelles sur la psyché collective ont été considérables. Pour restaurer la paix et la sécurité, le pouvoir en place a entrepris un processus de réconciliation caractérisé par trois temps : les mesures de clémence relevant du domaine pénal et de deux politiques de concorde civile et de réconciliation nationale. La première vise les personnes impliquées dans les actions terroristes qui expriment leur volonté de cesser leurs activités criminelles. Elle énonce deux mesures : l'exonération des poursuites ; l'atténuation des peines. Quant à la deuxième et la troisième, parachevant le processus engagé, elles reposent sur cinq axes : la reconnaissance du peuple envers les artisans de la sauvegarde de la République ; les mesures d'extinction des poursuites, de grâce et de commutation de peines ; la réinsertion socioprofessionnelle des responsables politiques de la tragédie nationale ; la prise en charge des disparus ; le renforcement de la cohésion nationale. Au regard de la perception de l'armée de la menace terroriste, de la nature du dispositif adopté, ses temporalités et son mode opératoire, la politique de réconciliation semble s'inscrire dans une approche d'ordre sécuritaire. Pour discuter cette hypothèse, cet article empruntera deux directions : l'impératif de restauration de la paix et l'oubli ordonné.
    • Réconciliation nationale et compensation en Algérie et au Maroc - Yazid Ben Hounet p. 59-75 accès libre avec résumé
      L'Algérie et le Maroc ont mis en place au début de ce XXIe siècle, des politiques affichées de « réconciliation ». L'Algérie, après sa politique de la clémence (1995) et sa concorde civile (1999), a mis en œuvre, à la suite d'un référendum (2005), les mesures de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale ; politique ultime, à ce jour, pour solder les comptes d'une décennie meurtrière (années 1990) opposant l'État et les groupes islamiques armés. Au Maroc, un comité d'arbitrage (1999), puis l'Instance équité et réconciliation (2004) ont été installés pour tourner la page de la période des « années de plomb » (règne de Hassan II) pendant laquelle ont été commis des crimes d'État (tortures, emprisonnements, assassinats, etc.). Au centre de ces mécanismes de réconciliation, se trouve une pratique : la compensation (monétaire) pour les crimes perpétrés. Celle-ci a été très peu étudiée. Dans cet article, j'explique pourquoi, m'intéressant aux politiques de réconciliation nationale en Algérie et au Maroc, j'en suis venu à consacrer mon analyse à l'acte compensatoire. L'idée que je développe est que la compensation demeure en Afrique du Nord une pratique centrale des mécanismes de réconciliation, notamment pour des raisons normatives, sociales et culturelles, mais elle n'apparaît plus suffisante, en soi, parce que la vision de la personne, de la souffrance et du trauma a profondément changé. La compensation, en elle seule, échoue à intégrer les attentes de réparations, telles qu'elles sont de plus en plus promues, ici comme ailleurs ; c'est- à-dire davantage centrées sur la « condition de victime » (Rechtman, 2011).
    • L'Algérie « post-décennie noire » : de l'imposition de l'impunité à la revendication d'une justice transitionnelle - Morgane Jouaret p. 77-96 accès libre avec résumé
      Cette contribution propose de regarder rétrospectivement le processus de « réconciliation nationale » après la décennie noire en Algérie (1992-1999) afin d'analyser la co-construction des récits mémoriaux par des acteurs institutionnels et associatifs. Pour le pouvoir politique, l'urgence de ramener la paix s'est imposée face aux aspirations d'une partie de la société civile, principalement les victimes et leurs proches, organisés en associations et engagés dans une logique de vérité et de justice. Cet article propose d'analyser six « temps » de la politique de réconciliation nationale afin de mettre en avant la co-construction du processus de justice, à la fois par l'État et par les associations locales de victimes. D'un côté, la justice pénale nationale a entrepris de résorber la violence en démobilisant les combattants engagés dans les groupes islamistes armés (1995-1999) et de prononcer verticalement la « réconciliation nationale » (2006). De l'autre, les associations locales de victimes ont internationalisé leurs revendications et mobilisé des outils de la justice transitionnelle et restauratrice afin de faire émerger un « contre-récit » de la guerre. Cette réflexion s'appuie sur plusieurs terrains de recherche ethnographique menés à Alger et Oran entre 2015 et 2019 ainsi que sur l'analyse de textes juridiques (les lois de 1995, 1999, 2006) et de rapports publiés sur internet par des associations et ONG (CFDA, SOS Disparus, Algeria Watch). L'analyse rétrospective de l'hybridation du processus de « réconciliation nationale » donne à voir la confrontation des références au passé. Les modalités juridiques et judiciaires qui ont permis l'arrêt des violences ont durablement compromis la construction d'un récit national auquel adhéreraient les différentes catégories d'acteurs aux prises avec les antagonismes du passé.
    • « Ce que nous voulons, c'est une Commission vérité et réconciliation ». La justice transitionnelle en Mauritanie : un modèle, sa promotion et des évitements politiques - Sidi N'Diaye p. 97-118 accès libre avec résumé
      En 2007, lorsque Sidi Ould Cheikh Abdellahi accéda au pouvoir, il engagea un processus de « réconciliation nationale » qui était censé permettre la reconnaissance publique des violences des années 1980-1990 et des victimes de celles-ci. Mais très vite, les mesures en faveur de cette politique de reconnaissance et la possibilité de voir l'entière vérité surgir, déplurent aux généraux de l'armée, caciques de l'ancien régime. Ces derniers s'emparèrent donc du pouvoir en août 2008. Avec le général Ould Abdel Aziz, qui prit la suite d'Ould Cheikh Abdellahi, le processus de réconciliation nationale produisit confusions et ambiguïtés. Le travail des autorités militaires, en collaboration avec un collectif de victimes, apparut pour de nombreux autres comme une tentative d'évacuation du passé douloureux. Il était donc impératif, selon les victimes « exclues », de revenir à la table des négociations. Faisant face au refus du pouvoir de rouvrir ces dernières, quelques collectifs de victimes et organisations de droits humains, accompagnés par des ONG internationales, entreprirent d'aborder la question des violences du passé et leurs conséquences en recourant à un mécanisme de sortie de crise qui avait l'objet de discussions prometteuses sous la brève mandature d'Ould Cheikh Abdellahi : la justice transitionnelle. S'appuyant sur des entretiens avec des victimes mobilisées au sein de structures associatives et politiques, sur les déclarations publiques de responsables associatifs et les travaux d'associations de victimes et d'ONG internationales, cet article rend compte des conditions d'introduction de la justice transitionnelle dans le débat sur la « réconciliation nationale », mais également du travail de promotion de ce modèle par des acteurs associatifs et leurs partenaires internationaux. Par ailleurs, cet effort de promotion se heurtant aux réticences des autorités officielles, l'article revient sur les motivations de ces dernières, avant de conclure avec les revendications en cours des organisations de victimes.
    • La politique nationale de réconciliation et de relocalisation des populations déplacées dans le Liban d'après-guerre - Dima de Clerck p. 119-140 accès libre avec résumé
      La Guerre du Liban, longue de 16 ans, a été, dans de nombreuses régions du pays, l'occasion d'un « nettoyage confessionnel », qui a engendré d'importants déplacements de population. Ces déplacements ont profondément affecté la société et l'économie libanaises. La répartition démographique nationale a été modifiée, de nombreux villages ont été vidés de leurs habitants et de nombreuses régions et des secteurs de l'économie sont restés sous-développés. Pour que les populations déplacées reprennent leur vie dans leurs localités d'origine à la fin de la guerre, dans un contexte d'amnistie quasi générale, il était nécessaire de développer une stratégie nationale de relocalisation (SNR). Une telle politique à l'échelle nationale ne pouvait être élaborée et mise en œuvre que par l'État, car elle nécessitait des ressources financières importantes, une législation spécifique et des mesures de sécurité. Un ministère et un fonds pour les déplacés ont été créés en 1992 pour assurer le retour de toutes les personnes déplacées au Liban. La SNR a dû être étoffée d'une étape supplémentaire pour les villages du sud du Mont Liban, qui avaient été le théâtre de massacres en 1983. Il s'agit d'un processus de réconciliation dont l'objectif était d'endiguer toute violence vindicative entre chrétiens et druzes. Trente ans après son lancement, le processus n'a pas atteint ses objectifs. Les ressources du Ministère des déplacés ont été utilisées à des fins politiques et électorales. Une logique communautaire a dilué la responsabilité individuelle dans l'ensemble plus large qu'est le groupe confessionnel et contribué à consolider le système communautaire et alimenter les luttes de pouvoir au niveau national. En outre, le processus laissait peu de place au deuil personnel des victimes. Cet article examine l'échec de la politique de réconciliation de l'État libanais à encourager les populations déplacées à retourner dans leurs villages d'origine et à promouvoir une pacification durable.
    • Le Rif : les méandres d'une réconciliation - Badiha Nahhass, Ahmed Bendella p. 141-156 accès libre avec résumé
      L'objet de cet article, qui s'appuie sur des entretiens réalisés avec différents acteurs sociaux et politiques ainsi que sur des observations participantes, est d'étudier les déclinaisons locales de processus de la réconciliation, sous le prisme de la réparation, à travers le cas d'une région victime, le Rif. La mise en place au Maroc de l'Instance équité et réconciliation (IER) en 2004 a permis l'émergence sur la scène publique, notamment nationale, de récit(s) d'évènements qui ont longtemps marqué l'actualité politique du pays et dont la mémoire est encore vive et mobilisée par les acteurs (la guerre de la résistance, les évènements de 1958-1959, les émeutes de 1984…). L'IER n'a pas classé de manière explicite le Rif comme région victime mais l'a inclus dans le programme de réparation communautaire. Cette désignation du Rif comme région victime conforte et appuie les différentes narrations de la marginalité de la région et répond, en grande partie, aux revendications des acteurs associatifs relatives au traitement de la marginalité dans le cadre d'une réparation communautaire sous le prisme des programmes socio-économiques. Toutefois, ni les revendications des acteurs locaux, ni les programmes de réparation, ne reconnaissent ni n'énoncent la marginalité dans ses sens multiples, la réduisant à son seul aspect économique, retard en développement ou enclavement de la région.
    • Repenser le rôle des victimes dans la justice transitionnelle en Tunisie : le cas de la « Journée de la loyauté » - Sélima Kebaili p. 157-174 accès libre avec résumé
      En Tunisie, un processus de justice transitionnelle a été initié en 2011 et s'est concrétisé par la mise en place d'une commission de vérité (2014-2018), dans un contexte de fort clivage politique et de réappropriation partisane du label. Cet article s'intéresse à la manière dont les associations de victimes ont investi ce processus et ses espaces de politisation. Il s'appuie plus spécifiquement sur l'analyse de la mobilisation d'une association de victimes femmes et montre comment, par le biais de l'organisation d'une conférence sur le mode des commissions de vérité, celle-ci parvient à infléchir le processus de justice transitionnelle dès les premières étapes de sa mise en place en 2011. A partir d'entretiens menés entre 2015 et 2018 avec des membres de l'association et une analyse des archives produites par cette dernière, l'article étudie la construction de la figure de victime femme, montre comment les témoignages des plaignantes ont été des éléments-clés de leur affirmation au sein du processus et met en lumière les effets de ces derniers sur les dispositifs formels de la justice transitionnelle tunisienne. L'article montre ainsi que la figure de victime femme est construite et travaillée par des militantes qui s'approprient le label de la justice transitionnelle en négociations avec les acteurs de la sphère politique instituée.
    • Se réconcilier « entre victimes » pour tenir la lutte : la coordination transversale des familles de disparus au Liban et de leurs alliés de la justice transitionnelle - Yves Mirman p. 175-191 accès libre avec résumé
      Les enjeux de réconciliation au Liban sont liés aux questions héritées de la guerre civile dont certaines sont portées par des familles de disparus du conflit (1975-1989). Soutenues par des organisations de défense des droits de l'Homme et de la justice transitionnelle, elles font valoir depuis 40 leur lutte de manière dispersée mais aussi rassemblée. S'appuyant sur la sociologie de l'action collective, à distance des enjeux normatifs du post-conflit, cet article décrit des logiques transversales de coordination entre groupes militants, par-delà le rôle des leaders, dans ce qu'elles révèlent des enjeux de la réconciliation de la société libanaise. Accusées de « menaces à la paix civile » par les autorités et les anciens chefs de guerre, ces militantes – souvent des femmes – tentent de faire valoir leur cause sur le temps long, depuis les années 1980 jusqu'en 2018. En s'appuyant sur les rapports des organisations de défense des droits de l'Homme, sur des archives militantes et des entretiens, je décris trois processus de coordination : la comparaison des cas des disparus permettant de partager les mêmes incertitudes, les opérations conflictuelles de labélisation de la cause et des objets communs de leur lutte, la mise en scène de leur réunification par-delà les logiques du confessionnalisme. L'analyse de ces processus transversaux de coordination de l'action collective, sur le temps long de la lutte, permet ainsi de délimiter plusieurs enjeux du post-conflit au Liban.
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