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Revue Critique internationale Mir@bel
Numéro no 94, janvier-mars 2022
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  • Éditorial - p. 5-7 accès libre
  • Varia

    • L'administration des problèmes solubles ou comment gouverner au cœur de la violence au Mexique (Badiraguato, Sinaloa) - Adèle Blazquez p. 11-31 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En quoi consiste la routine d'une administration municipale œuvrant au cœur de la violence dans une commune considérée comme le « berceau du narcotrafic » national ? Faire du tourisme l'objectif économique phare quand des risques pèsent sur les déplacements ordinaires des habitants ; construire la sécurité routière comme problème prioritaire quand des homicides sont courants ; stimuler le « lien social » à travers des programmes de développement alors même que la principale source de revenus des habitants les enferme dans une économie réprimée par un autre échelon du même État... La fabrique de problèmes solubles est un jeu subtil de prise en compte du contexte pour mieux l'éviter et ne jamais le nommer. En s'appuyant sur l'ingénierie du développement par programmes – et sur son potentiel dépolitisant et décontextualisant –, les élus et fonctionnaires de Badiraguato parviennent à produire un agenda et une routine imperméables aux soubresauts de violence qui secouent régulièrement la commune. Ces pratiques constituent un mode de gouvernement qui, en s'affranchissant des dynamiques sociales les plus lourdes, assure une administration stable dans un contexte de violence et d'incertitude.
      How does the municipal administration govern in the midst of violence in Badiraguato, Sinaloa, a municipality considered to be Mexico's national “cradle of drug trafficking”? One strategy, used by the current administration in Badiraguato, Sinaloa, is to make tourism the main economic objective while inhabitants' daily movements put them at risk; to make road safety a priority while homicides are a recurring occurrence in daily life; to encourage “social bonding” through development programmes while inhabitants' main source of income locks them into an economy that is repressed by a different level of the state. This approach of addressing solvable problems is a subtle game, taking the context into account in order to better avoid it and never name it. By relying on programme-based development engineering – and on its depoliticising and decontextualising potential – elected officials and civil servants of Badiraguato are managing to produce an agenda and routine that are impervious to the outbursts of violence that affect the municipality. These practices constitute a mode of government which, by dodging the most prevalent social dynamics, ensures a stable administration in a context of violence and uncertainty.
    • La fabrique de l'autorité publique dans le bazar de Karachi : apolitisme, piété et ethos de la confrontation - Sophie Russo p. 33-52 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Quels sont les ancrages sociaux de la fabrique de l'autorité publique dans des contextes marqués par la violence et l'incertitude ? À partir d'une enquête de terrain conduite auprès des leaders de marchands dans le bazar de Karachi, j'explique en quoi l'adhésion à un style de vie constitue un mode efficace d'exercice de la domination. Si d'aucuns affirment que l'autorité publique se forme et se maintient souvent dans la violence, je souligne que les acteurs qui évoluent dans des situations de conflit valorisent des modes d'action, tels que la confrontation non violente, qui permettent de défendre des intérêts sans pour autant alimenter les tensions. Pour construire leur autorité, ces leaders privilégient également les registres de légitimation vernaculaires, notamment l'apolitisme, donc l'absence supposée de compromission avec le monde du crime, et la piété, qui va de pair avec l'honnêteté et le respect de la morale islamique dans la conduite des affaires. Ainsi l'autorité de ces leaders s'inscrit-elle à la fois dans les normes propres aux milieux marchands de Karachi et dans l'environnement urbain dans lequel ils travaillent.
      What are the social bases of the making of public authority in contexts marked by violence and uncertainty? Based on fieldwork conducted with trade association leaders in Karachi's bazaar, I explain how adherence to a particular style of life constitutes an effective mode of domination. While some argue that public authority is generally shaped and maintained through violence, this article shows that actors in conflict situations value modes of action, such as non-violent confrontation, that allow them to defend interests without fueling tensions. In order to build their authority, these leaders also privilege vernacular registers of legitimacy, notably apoliticism†the supposed absence of compromise with the criminal underworld†and piety, which goes hand in hand with honesty and respect for Islamic morality in the conduct of business. Hence these leaders' authority is embedded both in the norms of Karachi's market society and the urban environment in which they work.
    • Courtiser l'État et traquer les djihadistes : mobilisation, dissidence et politique des chasseurs-miliciens dogons au Mali - Tanguy Quidelleur p. 53-75 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Comment se construit une milice légitimiste dans le Mali contemporain, en particulier dans un contexte de lutte contre des groupes djihadistes ? Cette enquête met en lumière la façon dont les chasseurs-miliciens dogons sont devenus des défenseurs de leur communauté, mais aussi des partenaires fluctuants de l'État dans la « guerre contre le terrorisme ». Tandis que l'État – pourtant souvent décrit comme failli – se révèle être un acteur central dans la production des violences, des acteurs politiques spécialisés dans l'intermédiation apparaissent, qui endossent des rôles de courtiers, dans un contexte d'internationalisation du conflit. Ces élites miliciennes mettent en avant leur « autochtonie » et leur implication dans la guerre contre les djihadistes pour négocier leur place et s'assurer des trajectoires sociales ascendantes. L'utilisation du lexique local dans des configurations nationales comme transnationales renforce ainsi les assignations identitaires et favorise le prolongement des conflits.
      How is a legitimist militia constructed in contemporary Mali, particularly in the context of the fight against jihadist groups ? The investigation presented in this article sheds light on the way the Dogon hunter-militiamen have become defenders of their community, but also intermittent partners of the state in the “war on terror”. While the state†often described as failed†appears as a central actor in the production of violence, political actors who specialise in intermediation emerge and take the role of brokers in a context of internationalising conflict. These militia elites put forward their “autochthony” and their involvement in the “war on terror” in order to negotiate their position and secure rising social trajectories. These processes highlight the use of a local lexicon in national and transnational configurations, which reinforces identity assignments and the prolongment of conflict.
    • Les élections législatives de 2020 en Jordanie : stratégies et modalités de conquête de l'espace politique - Camille Abescat p. 77-97 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      À partir des données collectées au cours d'une enquête de terrain conduite en Jordanie pendant les élections législatives de 2020, j'étudie les modalités de campagne et les stratégies de mobilisation électorale des candidats. Je m'intéresse en particulier à leurs pratiques territoriales, c'est-à-dire à l'organisation de leurs campagnes dans l'espace de la circonscription électorale. En suivant trois candidats dans leurs circonscriptions respectives, je montre d'abord que le choix de l'électorat et de l'espace de mobilisation dépend de leurs représentations de la configuration électorale, de leurs trajectoires ainsi que des ressources et moyens en leur possession. J'analyse ensuite la façon dont ce choix affecte leurs méthodes d'investissement du territoire, tant en termes de répertoires d'actions (porte-à-porte sur un territoire limité, mobilisation d'un électorat catégoriel « a-spatialisé » sur des thèmes précis, délégation à une organisation partisane) que de localisation de ces pratiques à travers la circonscription.
      Using data collected during fieldwork conducted in Jordan during the 2020 legislative elections, I examine campaign modalities and candidates' electoral mobilisation strategies. I am particularly interested in their territorial practices, namely in the spatial organisation of their campaigns in their electoral districts. By following three candidates in their respective constituencies, I first show that their choice of electorate and mobilisation space depends on their representations of the electoral configuration, their trajectories, as well as the resources and means they have at their disposal. I then analyse how this choice affects the way the candidates invest their energies throughout the territory, both in terms of repertoires of action (door-to-door campaigning in a limited territory, mobilisation of an “a-spatialised” categorical electorate on specific themes, delegation to a party organisation) and in terms of the location of these practices across the constituency.
    • Quel « Nous » dénonce l'injustice ? Politiser les discriminations par le biais d'identifications raciale ou urbaine à Paris et à Londres - Elodie Druez p. 99-121 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Dans cet article, je propose une analyse des identifications collectives que mobilisent des diplômé·es du supérieur d'ascendance subsaharienne parisien·nes et londonien·nes pour politiser leurs expériences de discrimination. Celles-ci font directement écho aux politiques et débats publics propres à chacun des pays étudiés. Si elle est affirmée de façon claire dans le contexte race-conscious britannique, une identification raciale, noire, peine à être pleinement politisée dans le cadre colour-blind français. Elle n'est politiquement investie que par des enquêté·es très conscientisé·es sur les enjeux de race quand d'autres privilégient un « Nous » descendant·es immigré·es ou un « Nous » de quartier pour dénoncer l'injustice. En effet, en raison d'une spatialisation des problèmes sociaux propre au contexte hexagonal, la politisation des discriminations émerge plus aisément via une identification de quartier, mais dans laquelle s'imbrique de fait une dimension raciale. À l'inverse, cette appartenance territoriale n'est pas politisée au Royaume-Uni, où la ségrégation raciale n'est pas constituée en enjeu public.
      In this article, I compare the collective identifications mobilised by university graduates of sub-Saharan origin in Paris and London to politicise their experiences of discrimination. I reveal how these identifications echo French and British public policies and debates. While a black identification is clearly claimed in the “race-conscious” British context, it is scarcely politicised in the “colour-blind” French framework. Blackness is mobilised only by French respondents who are highly aware of race issues; others promote migrant or neighbourhood identities to denounce injustice. In effect, the spatialisation of social problems in France means that the politicisation of discrimination emerges more easily through a neighbourhood identification, albeit one into which a racial dimension is interwoven. Conversely, this kind of territorial belonging is not politicised in the United Kingdom, where racial segregation is less of a public issue.
    • L'ONU : un tiers (dé)politisant ? Médiations et conflictualités dans la mise en place du Forum national des femmes au Burundi (2012-2014) - Marie Saiget p. 123-145 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Entre 2012 et 2014, la mise en place du Forum national des femmes a fait l'objet d'une importante controverse au Burundi, opposant les associations de femmes au parti au pouvoir. L'ONU Femmes, qui était l'un des principaux bailleurs du Forum, a été prise à partie. Ce cas d'étude permet d'aborder la question de la participation des organisations internationales à la (dé)politisation de la représentation des femmes dans un pays ayant connu un conflit armé. À rebours de l'hypothèse d'une seule dépolitisation, je montre, en mobilisant la notion de tiers, que l'action de l'agence onusienne est plus équivoque. En effet, l'ONU Femmes s'est tout d'abord posée en tiers structurant du conflit relatif à cet enjeu, réactivant en cela une dispute ancienne entre les institutions politiques et les associations de femmes ; puis en tiers neutre, cherchant à apaiser les antagonismes en mobilisant des normes universelles ; enfin, en tiers exclu, lorsque, non reconnue en tant que médiatrice, elle a rouvert un espace de débats sur les droits et les devoirs de l'État, de la société civile et de la communauté internationale dans la représentation des femmes et la défense de leurs revendications.
      Between 2012 and 2014, the establishment of the National Women's Forum was the subject of considerable controversy in Burundi, pitting women's associations against the country's ruling party. UN Women, which was one of the main donors of the Forum, was taken to task. This case study addresses the issue of the participation of international organisations in the (de)politicisation of women's representation in a country that has experienced armed conflict. Against the hypothesis of a single depoliticisation, I show, by mobilising the notion of a third party with varying roles, that the actions of the UN agency are more equivocal. Indeed, UN Women first stood as a structuring third party in the conflict relating to this issue, reactivating a long-standing dispute between political institutions and women's associations ; then it served as a neutral third party, seeking to neutralise antagonisms by mobilising universal norms ; finally, it acted as an excluded third party, when – unrecognised as a mediator – it reopened a space for debates on the rights and duties of the state, civil society, and the international community in representing women and defending their claims.
    • La « crise » du droit de grève à l'OIT : genèse d'une mobilisation patronale transnationale - Julien Louis p. 147-168 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En 2012, pour la première fois de sa longue histoire, l'Organisation internationale du travail (OIT) voit son système de contrôle des normes internationales du travail paralysé par un conflit interne initié par le groupe des employeurs lors de la Conférence internationale du travail. Les délégués patronaux contestent en effet la protection du droit de grève par la Convention no 87 ainsi que la légitimité de la Commission d'experts pour l'application des conventions et des recommandations à interpréter cette Convention. J'analyse ce conflit inédit comme une mobilisation patronale transnationale dont il convient d'expliquer la genèse. Je présente tout d'abord les raisons de ce conflit : d'une part, les évolutions de l'OIT depuis la fin de la guerre froide ; d'autre part, l'audience accrue des normes internationales du travail. Je propose ensuite une analyse sociologique des entrepreneurs de la mobilisation. Je montre qu'il s'agit d'avocats issus de grands cabinets anglo-saxons spécialisés dans le conseil antisyndical. Ceux-ci se caractérisent par un style juridique antagoniste (adversarial legalism), qui se situe à rebours de la logique du consensus tripartite de l'OIT.
      In 2012, for the first time in its long history, the international labour standards' supervisory system of the International Labour Organization (ILO) was paralysed by an internal conflict started by the employers' group at the International Labour Conference. During the conference, the employers' delegates challenged the recognition of the right to strike by Convention no. 87 and the legitimacy of the Committee of Experts on the Application of Conventions and Recommendations to interpret the Convention. I analyse this unprecedented conflict as a transnational mobilisation of the employers' group, and explain the genesis of this movement. First, I underline the reasons for this conflict, which resulted from the evolution of the ILO since the end of the Cold War and from the increased visibility of international labour standards in the legal landscape. Second, I focus on the sociology of the entrepreneurs of the mobilisation. I show the role of lawyers from large Anglo-Saxon law firms who specialise in anti-union counsel. These lawyers are characterised by an antagonistic legal style (adversarial legalism) at odds with the ILO's logic of tripartite consensus.
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