Contenu du sommaire : Cartographier et représenter les migrations

L'introduction de ce dossier thématique a pour objectif de présenter les principaux défis méthodologiques de la cartographie et de la représentation des migrations, un domaine en pleine expansion depuis les années 1980-1990. En effet, la mode est aujourd'hui aux cartes, aux atlas et à diverses techniques de plus en plus sophistiquées, l'objectif étant, pour les scientifiques, de s'adresser à un public plus large que celui du seul monde académique. Dans une première partie, nous reviendrons sur l'histoire de la cartographie et de la représentation des migrations, puis, dans une deuxième partie, nous analyserons les défis méthodologiques auxquels sont confrontés les chercheurs. Enfin, dans la troisième et dernière partie, nous présenterons le contenu de ce dossier qui réunit les contributions de plusieurs auteurs dont certains ont eux-mêmes publié un atlas des migrations. Les travaux rassemblés ici témoignent de la richesse des expériences accumulées et des différentes échelles d'analyse, dans l'espace et le temps, permettant d'appréhender le phénomène migratoire.

Quand il s'agit de représenter les flux migratoires sur une carte, nous nous heurtons à la difficulté de leur représentation graphique lorsque le nombre de zones géographiques impliquées est particulièrement élevé. Durant l'histoire de la cartographie des migrations, qui est relativement courte puisque la première carte des migrations remonte à 1858, différentes simplifications ont permis de contourner cette difficulté. Mais ces simplifications n'ont pas été neutres : elles ont privilégié certains flux, qu'il s'agisse volontairement d'orienter l'interprétation, ou inconsciemment de céder à des présupposés idéologiques aujourd'hui interprétables. La représentation des stocks d'immigrés — c'est-à-dire du nombre de personnes immigrées à une date donnée —, soulève un problème dont la complexité est analogue à celle des flux migratoires. Bien que plus tardive, la représentation des stocks d'immigrés se prête mieux à la cartographie thématique par la multiplication de cartes, par exemple de personnes issues de différentes origines ou de citoyens d'une unité géographique donnée vivant dans d'autres territoires, et plus particulièrement à différentes époques.

Cet article présente les résultats d'un projet de recherche visant à identifier, de manière exhaustive et dans une perspective de comparaison, les quartiers ou les zones urbaines présentant la plus forte concentration d'immigrés dans un certain nombre de pays européens. Dans cette optique, nous discutons dans une première partie de la pertinence des modèles de localisation des immigrés et de ce que l'on appelle les « enclaves ethniques », afin de comprendre à la fois la migration et les villes contemporaines. Nous décrivons ensuite les principaux défis méthodologiques liés à l'identification de ces « enclaves ethniques » et la manière dont ces questions sont abordées dans le cadre de ce projet. Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous présentons les résultats de l'étude, à savoir la localisation et la composition sociodémographique des principaux quartiers multiethniques en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni.

Les sociétés contemporaines se caractérisent par une intensification de la mobilité géographique des individus, laquelle est favorisée par l'évolution des moyens de transport. Les migrations internes représentent, à n'en pas douter, un aspect essentiel de la mobilité, un concept fortement corrélé à celui d'espace. À cet égard, alors que les migrations internationales se déroulent dans un espace physique très vaste, les migrations internes ont lieu dans un espace géographique plus restreint, plus précis, et donc plus facile à représenter sur une carte. C'est pour cette raison qu'en matière de représentation des migrations internes, les techniques de cartographie sont généralement considérées comme la méthode la plus adéquate. Toutefois, même si la cartographie est utilisée depuis les premières publications sur les migrations internes, d'autres méthodes de représentation ont été mobilisées en fonction de la taille et de la densité des flux. L'objectif du présent article est de présenter de façon succincte les principales méthodes de représentation des migrations internes, en prenant pour objet le cas de l'Italie depuis les années 1960. Pour ce faire, nous présentons un tableau global des différentes méthodes de représentation utilisées par les chercheurs, en mettant en évidence les limites et les avantages de ces travaux.

Cet article analyse les enjeux de la cartographie des migrations et des déplacements de populations causés par des catastrophes environnementales, en prenant pour objet d'étude le tremblement de terre de L'Aquila survenu en avril 2009 dans cette commune chef-lieu de la région des Abruzzes, au centre de l'Italie. À partir de l'étude des données démographiques de l'Institut national de statistiques (istat) sur les migrations internes en Italie lors de la période précédant le tremblement de terre (2002-2008) et pendant la période qui a suivi cette catastrophe naturelle (2009-2013), nous proposons un modèle d'analyse des effets possibles des catastrophes environnementales sur les migrations et déplacements de populations, et émettons des hypothèses concernant les principaux défis liés à la gouvernance post-catastrophe. Cet article démontre que la période post-sismique est caractérisée par une forte augmentation des flux d'émigration de L'Aquila vers d'autres provinces, au sein de la région des Abruzzes et en dehors, en particulier vers les régions les plus proches (Latium, Campanie).

Le démantèlement de « la jungle de Calais », décidé et organisé en 2016, sous le mandat de François Hollande, a conduit à la répartition des migrants dans des Centres d'accueil et d'orientation (cao) ouverts un peu partout en France. C'est dans ce contexte qu'a été décidée l'ouverture à Saint-Denis-de-Cabanne, paisible village du département de la Loire comptant autour de 1 300 habitants, d'un Centre d'accueil et d'orientation pour mineurs isolés (caomi), une catégorie de structure publique spécifiquement dédiée à l'hébergement temporaire des migrants présumés mineurs. L'arrivée de 66 jeunes migrants (dont 50 Érythréens, 14 Soudanais, un Afghan et un Gambien) en provenance de Calais, cet espace chargé de symboles et de désespoir, inscrivit de plein fouet une réalité macro-historique dans un environnement rural précisément « sans histoire ». Les faits qui se sont déroulés en ce lieu pendant quelques mois — arrivée des migrants en novembre 2016, départ des derniers d'entre eux en février 2017 —, sont d'éloquents échantillons des comportements humains qui peuvent émerger dans ces circonstances. Ces événements qui interpellèrent positivement de nombreuses consciences en insufflant un remarquable élan de solidarité et de générosité collectif, provoquèrent aussi une stigmatisation exacerbée que nous mettrons en évidence.