Contenu du sommaire : Lutter avec le temps

Revue Participations Mir@bel
Numéro no 31, 2021/3
Titre du numéro Lutter avec le temps
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Introduction : Le temps du conflit démocratique - Federico Tarragoni p. 7-25 accès libre
  • Le quotidien à l'épreuve de l'événement : les reformulations du temps dans les écrits personnels féminins en 1830 et 1848 - Isabelle Matamoros p. 27-51 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    En prenant appui sur les écrits personnels de douze femmes qui ont vécu les révolutions de 1830 et de 1848 sans y participer directement, cet article cherche à analyser les reformulations du temps à l'œuvre chez celles qui semblent au plus loin de l'expérience révolutionnaire. Ennuyeux, banal, ordinaire… elles ne mâchent pas leurs mots pour décrire, avant l'événement, un quotidien marqué par la répétition. C'est pourquoi lorsque l'événement surgit, il met en mouvement leurs émotions, bouleverse leurs manières d'être au monde. Plus qu'une critique de la domination, il leur offre l'espoir d'être enfin impliquées dans un présent collectif dont elles s'estimaient jusqu'alors exclues.
    In this paper, we analyze how twelve women—the citizens who seem to be furthest from the revolutionary experience—wrote about their experiences of time during the revolutions of 1830 and 1848. None of them took an active part in these revolutions, but all wrote about their life in diaries, letters, or memoirs. Before the event, they describe a boring, ordinary, and routine daily life. When it occurs, it triggers new emotions and upsets their way of being in the world. More than a criticism of domination, it offers them the hope of finally being involved in a collective present from which they had felt excluded.
  • Libérer le temps des femmes. Division sexuelle du travail et agir féministe en 1848 - Caroline Fayolle p. 53-77 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article se propose d'interroger le temps du quotidien comme un enjeu de lutte politique pour les féministes socialistes lors de la révolution de 1848. Ces dernières dénoncent une division sexuelle du travail et du temps qui vient entraver la participation des femmes des classes populaires à la vie sociale et politique. Pour cela, elles entreprennent deux démarches intrinsèquement liées. D'une part, elles cherchent à donner une visibilité au travail domestique qui monopolise au quotidien le temps des femmes et vient contraindre leur capacité d'agir politique. D'autre part, elles proposent des solutions concrètes, comme la création de crèches au sein des associations ouvrières, visant à dégager pour les femmes le temps nécessaire à leur engagement dans l'organisation de la vie collective. L'enjeu de cet article est ainsi de comprendre en quoi l'utopie féministe socialiste visant à dessiner un autre possible – celui d'une société égalitaire et inclusive – implique de concevoir le temps social dans sa matérialité.
    This article examines everyday time as an issue of political struggle for socialist feminists during the 1848 revolution. The latter denounced a sexual division of labor and time that hindered the participation of working-class women in social and political life. To this end, they took two intrinsically linked steps. On the one hand, they sought to give visibility to the domestic work that monopolized the daily time of working-class women and constrained their capacity for political action. On the other hand, they proposed concrete solutions, such as the creation of childcare centers within workers' associations, aimed at freeing up the time necessary for women to become involved in the organization of collective life. The aim of this article is thus to understand how the socialist feminist utopia aiming to outline another way of life—that of an egalitarian and inclusive society—implies the conception of social time in its materiality.
  • La place des spectres (1871/1968). Des appels du passé pour nourrir l'avenir - Ludivine Bantigny p. 79-110 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Durant la Commune de Paris, on s'est beaucoup référé au passé, en particulier à la Révolution française et aux révolutions de 1830 et 1848. En mai-juin 1968, c'est la Commune à son tour qui a été très présente et très citée. Cet article propose de montrer comment cette manière de se situer dans le temps et ce sentiment puissant de faire l'histoire en prenant appui sur des événements du passé participent pleinement d'un protagonisme actif et conscient, qui conforte les engagements et leur donne de l'élan. Grâce à ces deux exemples entremêlés, 1871 et 1968, l'article analyse une « temporalité utopique » où l'aspiration à l'émancipation devient une ligne forte du temps, une sorte d'esprit d'époque, un trait temporel dominant. Les morts du passé sont alors des spectres, qui en quelque sorte réclament une mémoire mais aussi des combats prolongés.
    During the Paris Commune, much reference was made to the past, in particular to the French Revolution and the revolutions of 1830 and 1848. In May–June 1968, the Commune was very present and much cited in its turn. This article proposes to show how this way of situating oneself in time and this powerful feeling of making history by relying on events of the past contribute to an active and conscious protagonism, which reinforces commitments and gives them momentum. Through these two intertwined examples, 1871 and 1968, the article analyzes a “utopian temporality” where the aspiration to emancipation becomes a strong line of time, a kind of zeitgeist, a dominant temporal feature. The dead of the past are then specters, who in a way demand to be remembered but also demand prolonged struggles.
  • Entre temps de l'inéluctable et temps du possible : les grèves de l'automobile (1981-1984) - Vincent Gay p. 111-134 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les grèves des ouvriers immigrés de l'automobile du début des années 1980 sont traversées par un sentiment de crise, plus ou moins fort selon les parties prenantes concernées. Pour les protagonistes industriels et étatiques, la nécessité de restructurer condamne une partie des ouvriers immigrés à devoir quitter les usines. Or, en participant aux conflits sociaux, les ouvriers immigrés de Citroën et Talbot agissent à contretemps de ce sentiment de crise. Les consciences différenciées de la crise traduisent des rapports variés au temps : le temps de crise est celui de l'inéluctable et du déterminisme industriel, auquel fait face le temps du conflit qui agit comme un temps du possible.
    The strikes by migrant automobile workers in the early 1980s were marked by a feeling of crisis. The strength of this feeling varied depending on the actors concerned. For the industrial employers and state officials, the need for restructuring condemned some of the immigrant workers to have to leave the factories. However, by taking part in social conflicts, the migrant workers of Citroën and Talbot acted against this feeling of crisis. The differenciated awareness of the crisis reflects varied relationships to time: the time of crisis represents unavoidable and industrial determinism. This is confronted by the time of conflict, which functions as a time of possibility.
  • Quand le mouvement fait événement : la flamme utopique de Nuit debout - Arthur Guichoux, Federico Tarragoni p. 135-163 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Certains mouvements sociaux constituent des événements politiques. C'est le cas lorsque, en raison de leurs répertoires d'action et/ou de la conjoncture dans laquelle ils prennent place, ils sont perçus par les parties prenantes comme de véritables « ruptures » dans leur parcours de politisation et, plus globalement, dans leur trajectoire biographique. Les « mouvements des places » qui ont surgi après la crise des subprimes sont, de ce point de vue, absolument exemplaires. L'occupation des places est devenue une utopie collective – ou une « hétérotopie » pour reprendre le terme de Foucault –, à l'issue de laquelle les individus sont sortis radicalement transformés. C'est ce que montre cet article à l'aide d'une double enquête longitudinale, par récits de vie et entretiens semi-directifs, sur les personnes ayant participé à Nuit debout (Paris). Il cherche à élucider les raisons structurelles et contextuelles en vertu desquelles la perception d'avoir vécu une « utopie en actes » a pu être partagée par des individus aux socialisations politiques et militantes différentes.
    Some social movements are political events. This is the case when, because of their repertoires of action and/or the context in which they take place, they are perceived by their actors as real breakthroughs in their politicization process and, more generally, in their biographical trajectory. The “square movements” that arose after the subprime crisis are, from this point of view, absolutely typical. The occupation of the squares became a collective utopia —or a “heterotopia” to use Foucault's term— at the end of which the individuals left radically transformed. This is the hypothesis that this article tests with the help of a double longitudinal survey of participants in Nuit debout (Paris), using life stories and semi-structured interviews. It seeks to elucidate the structural and contextual reasons behind why the perception of having experienced a “utopia in action” was shared by individuals with different political and activist socializations.
  • Les temps de l'imaginaire révolutionnaire. Temporalités de l'agir politique dans la révolution tunisienne - Nabila Abbas p. 165-195 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Dans cet article, je défends l'hypothèse que les imaginaires politiques des acteurs et actrices de la Révolution tunisienne (2011) nous permettent de comprendre leur relation à la temporalité du moment révolutionnaire. Par « imaginaires », on entend les significations et représentations partagées que les acteurs et actrices développent au cours de leurs actions et expériences politiques, et qui ne s'expriment pas uniquement ou même principalement en termes idéologiques. À partir d'une longue étude de terrain, l'article montre que c'est l'expérience révolutionnaire elle-même qui a libéré l'imaginaire des actrices et acteurs, les affranchissant de la représentation qui prédominait sous la dictature d'un présent sans futur.
    In this article I hypothesize that the political imaginaries of the actors of the Tunisian revolution allow us to understand their relationship to the temporality of the revolutionary moment. By “imaginaries” I understand the political meanings and representations that the actors develop in the course of their political actions and experiences, and which are not expressed solely or even mainly in ideological terms. Based on a field study, the article shows that it is the revolutionary experience itself that liberated the imagination of the actors, freeing them from the representation that prevailed under the dictatorship of a present without future.
  • Le tournant démocratique de la citizen science : sociologie des transformations d'un programme de sciences participatives - Aymeric Luneau, Élise Demeulenaere, Stéphanie Duvail, Frédérique Chlous, Romain Julliard p. 199-240 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Nous analysons dans cet article les transformations de la citizen science depuis son émergence dans les années 1990 à partir des projets du Cornell Lab of Ornithology (CLO). La citizen science est classiquement définie comme un moyen de produire des connaissances, d'éduquer le public et de démocratiser les sciences. L'analyse diachronique de corpus textuels et des réseaux d'acteurs et actrices montre cependant que l'argument « démocratique » n'apparaît que dans les années 2010, à la différence des deux autres présentes dès les fondements. Cette évolution procède d'un recadrage de l'approche du CLO au prisme de celle que le sociologue des sciences britannique Alan Irwin a conceptualisée Citizen Science (1995).
    Our paper deals with the transformations of citizen science since its emergence from Cornell Lab of Ornithology's projects in 1990. Citizen science is defined as a means to produce scientific knowledge, increase scientific literacy, and democratize the sciences. But the diachronic analysis of social networks and bodies of texts shows that the “democratic” argument has only arisen during the past decade, unlike the other two arguments which appeared from the beginning. This evolution stems from a reframing of the CLO approach according to arguments conceptualized by the british sociologist of sciences Alan Irwin in Citizen Science (1995).