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Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 276, juillet-septembre 2021 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les mutations du textile et de ses mains-d'œuvre (fin XVIIIe siècle-années 1930) - Manuela Martini, Anaïs Albert p. 3-15
- Les relations sociales dans une industrie d'art : l'indiennage, 1700-1850 - Pierre Caspard p. 17-26 Les années 1700-1850 ont vu naître, prospérer puis décliner en Europe de l'Ouest l'industrie des « indiennes », toiles de coton imprimées à la main. S'appuyant notamment sur le cas de deux importantes fabriques, française et suisse, qui ont compté chacune près d'un millier d'ouvriers, l'article donne un aperçu de ce qu'ont été dans cette branche la division du travail et ses conséquences : hiérarchie des qualifications et complémentarité des tâches entre hommes, femmes et enfants ; niveaux et modalités des rémunérations ; degré d'autonomie des ouvriers les plus qualifiés dans l'organisation et l'évaluation de leur travail. Sont également évoquées les politiques patronales de l'emploi et certaines revendications ouvrières, avant que la mécanisation des entreprises ne modifie radicalement la composition de leur main-d'œuvre, dans les premières décennies du XIXe siècle.The period 1700-1850 saw the birth, prosperity and then decline of the “indienne” industry, hand-printed cotton fabrics, in Western Europe. Based on a case study of the indienne industries of France and Switzerland, each of which employed nearly a thousand workers, this paper provides an overview of the division of labour and its consequences in this sector: hierarchy of qualifications and complementarity of tasks between men, women and children; levels and methods of remuneration; degree of autonomy of the most qualified workers in the organisation and evaluation of their work. Also discussed are employers' employment policies and certain workers' demands, before the mechanisation of companies radically changed the composition of their workforce in the first decades of the 19th century.
- Des ouvriers, des fabricants ou des oisifs ? : Rôles et hiérarchies dans la fabrique de soie lombarde après l'abolition des corporations (1780-1860) - Lorenzo Avellino p. 27-45 Très souvent, l'industrialisation est envisagée comme processus avançant par étapes successives. Cet article propose de remettre en question cette vision trop linéaire et schématique au travers d'une analyse des hiérarchies dans la fabrique de draps de soie en Lombardie après l'abolition des corporations d'arts et métiers. Il commence par décrire la manière dont les rôles productifs changent respectivement dans les moments de forte croissance, de contraction et de crise du marché des draps. Il montre ensuite comment, en essayant de contrer les vols de soie dans la manufacture, les autorités tentent de distinguer entre ceux qui peuvent légitimement vendre des produits et ceux qui doivent se cantonner à la vente de leur force de travail. Il rend enfin compte des raisons expliquant la persistance ou la disparition de cette fluidité dans le statut des travailleurs à Côme et à Milan.Most accounts describe industrialisation as the culmination of successive stages of development. This paper challenges such linear and schematic characterisations through an analysis of the labour hierarchies in silk textile production in Lombardy after the abolition of trade guilds. It begins by explaining how periods of strong growth in the textile market – and, conversely, periods of contraction and crisis – affected workers' productive roles. We then analyse how efforts by the public authorities to reduce the theft of silk by workers forced them to distinguish between those who could legitimately sell the products they produced on the market and those only permitted to sell the force of their labour. Finally, on the basis of studies of factories in Como and Milan, we provide an account of the factors that determined the persistence of this fluidity in workers' status.
- De Nottingham à Calais, le genre de la dentelle mécanique à l'épreuve des migrations (1810-1860) - Fabrice Bensimon p. 47-69 Jusqu'au XIXe siècle, la dentelle à la main est, en Europe, un secteur exclusivement féminin. Dans la dentelle mécanique, développée dans la région de Nottingham à partir de 1809, seuls des hommes opèrent avec les « Leavers », des machines sophistiquées bientôt couplées à des métiers Jacquard, dont la production ruine progressivement la dentelle à la main. Autour d'eux, souvent dans un cadre familial, femmes et enfants s'activent à la préparation des fils et des bobines, à la broderie, aux retouches, au blanchissage et aux teintures, à toutes les activités périphériques, souvent accomplies dans des conditions difficiles. Ces tâches, parfois très qualifiées, sont considérées comme annexes et sont moins payées. Après 1815, des dentelliers émigrent et développent une industrie dans le Calaisis. La ségrégation sexuée qui prévaut outre-Manche se reproduit-elle en France ? Comment les dentelliers migrants négocient-ils les différences et les similitudes législatives et coutumières entre les deux pays ? Ce sont les questions qui sont ici posées.Prior to the 19th century, hand-made lace was an exclusively female occupation in Europe. When the machine-made lace industry began to develop in the Nottingham region from 1809 onwards, only men operated the sophisticated “Leavers” machines that were soon coupled with Jacquard looms. This production gradually pushed hand-made lace out of the market. Assisting the lacemakers, women and children worked (often in a family setting) on the preparation of threads and bobbins, embroidery, mending, bleaching and dyeing, and all the peripheral activities, often carried out in difficult conditions. These tasks, sometimes highly skilled, were considered to be secondary and were paid less. After 1815, lacemakers emigrated to France and developed an industry in the Calais area. Was the gender segregation that prevailed in Britain reproduced in France? How did migrant lacemakers adjust to the differences and similarities in legislation and customs between the two countries? These are the questions addressed in this article.
- Tisseurs et tisseuses en soie au travail dans les ateliers de la Fabrique de Lyon au milieu du XIXe siècle - Manuela Martini, Pierre Vernus p. 71-92 Cette étude propose d'observer d'un point de vue genré l'un des univers ouvriers les plus emblématiques du XIXe siècle : la Fabrique lyonnaise des tissus en soie. L'organisation de l'industrie de la soie à Lyon permet d'étudier, d'une part, la division genrée du travail dans une multitude de métiers très spécialisés et, d'autre part, les hommes et les femmes au travail dans le même espace et effectuant des tâches semblables. Cette mixité professionnelle, peu fréquente dans bien des espaces de travail au milieu du XIXe siècle, est au cœur de ce travail. L'article dessine, tout d'abord, les contours de cet univers mixte dans un moment charnière de la transformation de la Fabrique lyonnaise, et de son expansion vers les pentes et le plateau de la Croix-Rousse. Il aborde ensuite une question peu étudiée dans la vaste historiographie qui s'est intéressée aux « canuts » : la diversité et l'hétérogénéité du groupe des chefs d'atelier. Pour cerner quelques traits marquants de cette diversité, il s'approche enfin de l'atelier familial en prenant le mariage comme moment fondateur de l'atelier et de resserrement des liens professionnels indispensables pour son fonctionnement.This paper proposes a gendered analysis of one of the most emblematic workers' worlds of the 19th century: the Lyon silk weaving “Fabrique”. The silk industry organisation in Lyon allows us to study, on the one hand, the gendered division of labour in a multitude of highly specialised trades and, on the other hand, men and women at work in the same space and performing the same tasks. This occupational coexistence, which was not very common in mid-19th century workplaces, is the focus of this paper. The study reconstructs, first of all, the features of this mixed universe, at a pivotal moment in the economic transformation of the Lyon silk manufacturing industry, as it expanded into the surrounding hills and the Croix-Rousse area. It then addresses an issue that has received little attention in the vast historiography that has focused on the “canuts”: the diversity and heterogeneity of the group of workshop heads. To identify some of the key features of this diversity, this study zooms in on the family workshop, viewing marriage as the founding moment of a workshop and the strengthening of the professional ties that were essential for its operations.
- L'écart salarial entre femmes et hommes dans un tissage de coton gantois au XIXe siècle - Peter Scholliers p. 93-106 Cette contribution examine l'écart salarial entre une catégorie d'ouvriers et d'ouvrières de 1835 à 1914, en étudiant des tâches semblables au niveau d'une entreprise. Les livres de paye du tissage Voortman à Gand permettent l'analyse détaillée des salaires hebdomadaires des tisseuses et tisseurs. À long terme, l'écart atteint à peine 2 % en moyenne, mais à court terme d'importantes différences apparaissent, atteignant même 40 %. L'évolution des salaires s'explique par la marche générale des affaires, la mécanisation et le marché du travail. L'explication des écarts implique l'analyse de la qualité, de la taille et du nombre des tissus produits : les tisseurs fabriquaient des tissus plus larges (et mieux payés) que les tisseuses, mais celles-ci produisaient plus de toile, ce qui en fin de compte explique l'écart salarial minime.This paper examines the pay gap between a category of male and female workers with similar tasks in one enterprise from 1835 to 1914. The payrolls of the Voortman weaving mill in Ghent allow a very detailed analysis of the weekly wages of male and female weavers. In the long run, the difference is barely 2% on average, but in the short term, sizeable differences appear, even reaching 40%. The trend in wages is explained by the general course of business, mechanisation, and the labour market. The explanation of the gaps involves an analysis of the quality, the size and the number of fabrics: male weavers produced larger fabrics (that were better paid) than female weavers, but the latter made more cloths, which ultimately explains the small pay gap.
- Les conflits du travail dans l'industrie textile à Paris sous le Second Empire - Anaïs Albert p. 107-128 L'industrie textile parisienne est mal connue pour le Second Empire, période qui est également moins présente dans l'histoire des mobilisations ouvrières. À travers une analyse des jugements prud'homaux du Conseil des tissus en 1858, cet article propose de revisiter la conflictualité de ce secteur industriel, pour interroger à la fois l'organisation du travail, les différents motifs de conflit (malfaçon, délai de congé, paiement, apprentissage) et les rapports de force ordinaires entre patrons et ouvriers. Les prud'hommes apparaissent finalement comme le lieu d'expression d'un niveau intermédiaire de conflictualité, entre les relations de travail pacifiques et la mobilisation collective. Les ouvriers et ouvrières parisiens recourent largement à ce tribunal qui leur est favorable, pour y débattre majoritairement de leurs rémunérations. L'étude de ces conflits du travail dans les années 1850 permet de poser un jalon entre les révoltes et les révolutions du premier XIXe siècle et l'émergence de nouvelles formes de mobilisations à la fin du siècle.Little is known about the Parisian textile industry during the Second Empire, a period that is also largely absent from the history of workers' movements. Through an analysis of the decisions handed down by the Conseil des tissus (the industrial tribune for the textile sector) in 1858, this paper proposes to revisit the labour conflicts of this sector, in order to examine the organisation of work, the various grounds for conflict (e.g., poor workmanship, dismissals and terminations, payment, apprenticeship) and the ordinary struggles between bosses and workers. Ultimately, the industrial tribunal appears to have been a forum for an intermediary level of conflict, between peaceful labour relations and collective mobilisation. The Parisian workers made extensive use of this court, which was favourable to them, mainly to discuss their pay. The study of these labour conflicts in the 1850s places a milestone between the revolts and revolutions of the first half of the 19th century and the emergence of new forms of mobilisation at the end of the century.
- Genre et hiérarchies des métiers du textile en France selon les guides pour le « choix d'un état », 1850-1900 - Claire Lemercier p. 129-149 L'objectif de cet article est d'utiliser le cas du textile pour discuter de l'image sociale des métiers dans la seconde moitié du XIXe siècle, à partir d'un corpus de guides pour le « choix d'un état », un nouveau genre éditorial né au milieu du siècle. Le texte en analyse les principales publications jusque dans les années 1890, y explore les interactions entre genre et hiérarchisation sociale et discute plus généralement la notion de « métier », à la fois structurante et fuyante.This paper discusses discourses on the gender and hierarchy of trades by analysing a series of guides “pour le choix d'un état” (to help readers choose the right occupation) and, specifically, their entries on textile trades. The “choix d'un état” publishing genre emerged in France around 1850; the text analyses the major publications until the 1890s. It explores the interactions between the gendering of trades and principles of hierarchisation. It also questions the very notion of “trade”, which stands out as both crucial and elusive in 19th century texts.
- Budgets familiaux et salaires des ouvriers du textile de Barcelone (1856-1917) - Cristina Borderías p. 151-169 À Barcelone, pendant la première étape de l'industrialisation, la plupart des conflits entre patrons et travailleurs sont en rapport avec l'autonomie des ouvriers qualifiés, menacée par le nouveau système des usines, ou avec les changements dans les politiques de valorisation des rendements. Ces conflits se développent très tôt dans le secteur principal de l'industrialisation : le textile cotonnier et plus particulièrement le filage. Ce sont les ouvriers de ce secteur qui les premiers revendiquent un salaire dit « familial », avant que cette aspiration ne s'étende à toute la classe ouvrière barcelonaise. Nous savons comment les discours sur la capacité des salaires masculins à couvrir seuls la subsistance de la famille se sont progressivement répandus dans d'autres secteurs, avec l'appui des élites intellectuelles krausistes, hygiénistes et catholiques sociales. Mais nous connaissons peu leur portée réelle auprès des classes ouvrières de la seconde moitié du XIXe siècle. Cet article analyse la diffusion de la figure du « gagne-pain » à Barcelone pendant la période 1856-1917, en s'appuyant sur la reconstitution des budgets familiaux des ouvriers du secteur textile, secteur le plus important de l'industrialisation catalane et barcelonaise.In Barcelona, during the first period of industrialisation, most of the conflicts between entrepreneurs and workers arose mainly in relation to the autonomy of skilled workers, threatened by the new factory system, as well as because of changes in policies of valuation of yields. These conflicts developed very early in the main sector of industrialisation: cotton textiles and more particularly spinning. It was the workers in this sector who first demanded a so-called “family wage” before this aspiration extended to the entire working class. We know how the rhetoric of the “male breadwinner model” gradually spread to other trades, with the support of Krausist, hygienist and social-Catholic intellectual elites. But we know little about its real scope in the 19th century. This paper sheds light on the dissemination of this model in Barcelona during the period 1856-1917, by relying on a reconstitution of family budgets of workers in the textile sector, the largest sector of the Catalan and Barcelona industrialisation.
- Dans les vapeurs de la chimie : la nouvelle industrie de la soie artificielle et sa main-d'œuvre en France (années 1890-1930) - Hervé Joly p. 171-189 L'industrie des textiles artificiels a employé pendant près d'un siècle jusqu'à plusieurs dizaines de milliers de personnes en France. La fabrication repose sur des fibres artificiellement produites à partir d'un traitement chimique de matières naturelles comme le coton ou la cellulose de bois. On a parlé de « soie artificielle » avant que la dénomination ne soit interdite par une loi de 1934 et remplacée par celle de « rayonne ». Après avoir retracé la multiplication spectaculaire des implantations, parfois rendues éphémères par la Grande Crise, de cette industrie en France dans les décennies 1900-1920, cet article étudie le recrutement largement féminin et migrant de la main-d'œuvre dans l'entre-deux-guerres à travers la population des cités ouvrières de deux usines. Les dures conditions sanitaires de travail dans ces entreprises sont notamment à l'origine de plusieurs mouvements de grèves importants, même si la conflictualité apparaît plutôt moins forte que dans l'ensemble de l'industrie textile.For almost a century, the artificial textile industry employed up to several tens of thousands of people in France. The manufacture was based on fibres artificially produced from a chemical treatment of natural materials such as cotton or wood cellulose. The term “artificial silk” was used until it was banned by law in 1934 and replaced by “rayon”. This paper begins by describing the spectacular increase in the number of “artificial silk” plants in France in the 1900s-1920s, some of which were swept away by the Great Depression. Then, it focuses on the largely female and migrant workforce in the interwar period, by studying the population of the workers' housing estates of two factories. The harsh sanitary conditions in these companies were the cause of several major strikes, even though conflict was apparently less intense than in the textile industry as a whole.
- Cahier d'illustrations
- Notes de lecture - p. 191-235