Contenu du sommaire : Folies ?
Revue | Terrain |
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Numéro | no 76, printemps 2022 |
Titre du numéro | Folies ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Introduction
- Les épreuves de la folie - Baptiste Moutaud p. 04-23 La folie constitue dans la modernité occidentale un univers d'altérité et d'altération qui ouvre à l'exploration et à l'expérimentation des formes du vivant humain. Elle met tout autant à l'épreuve les épistémologies scientifiques qu'elle donne accès à une représentation singulière de la réalité et participe à la construction de notre monde commun. Les contributions de ce numéro explorent ces thèmes sur trois niveaux intimement imbriqués : les expériences, les expérimentations, et les matérialités de la folie.
- The Trials of Madness - Baptiste Moutaud In Western modernity, madness constitutes a universe of otherness and alteration that opens up the exploration and experimentation of the forms of the human being. It challenges scientific epistemologies as much as it gives access to a singular representation of reality and contributes to the construction of our common world. The contributions in this issue explore these themes on three intimately intertwined levels: experiences, experimentations, and the materialities of madness.
- Les épreuves de la folie - Baptiste Moutaud p. 04-23
Articles
- Comment la dépression vint aux singes - LUCIE GERBER p. 24-43 Peut-on substituer l'animal à l'humain pour étudier le trouble mental ? À la fin des années 1960, le psychologue Harry F. Harlow de l'université du Wisconsin a formé le projet de modéliser, chez le singe, la dépression comme un trouble motivé par des chocs externes, se manifestant par une perturbation de la vie sociale. En retraçant les origines, les voies techniques et la marche de ce projet de psychopathologie expérimentale au cours des années 1970, et en confrontant ses ambitions à la récalcitrance des singes, cet article examine les ressorts de la fragilité des modèles animaux de troubles mentaux.
- Le Sujet Numérique d'avant-garde et sa part irréductible - Danielle Carr La pratique psychiatrique est travaillée par la quantification depuis l'essor de la psychologie expérimentale. Ces deux dernières décennies ont vu, avec l'émergence de la psychiatrie dite digitale, une intensification de la production et l'utilisation des données. Cet article examine le cas d'une expérimentation sur un sujet du premier système d'implant cérébral couplé à une intelligence artificielle. Pour la psychiatrie digitale, l'extraction des données neuronales vise à exciser le langage de la fabrique expérimentale des chiffres, et à substituer l'objectivité des data à la subjectivité du langage. Et si nous considérions, a contrario, le langage comme au cœur de la production de ces nouvelles technologies de quantification ?
- Excess in the avant-garde of the data subject - Danielle Carr Although quantification has marked psychiatric practice since the rise of experimental psychology, the past two decades have seen an intensified use of data, implemented in tandem with a general move toward big data and “scored societies” across the biosciences. Today, a new, hyper-quantified psychiatry is aiming to map the neurological substrates of affective disorder through extracting neural data from brain implants. The classic story that is often rendered by many critical scholarly accounts about this new form of hyper-quantified psychiatry is that in their drive to render psychiatry profitable to new forms of data capitalism, such technologies evaporate language and the subjective into a cascade of numbers. This paper examines a case study of a subject enrolled in an experimentation in psychiatry for the first brain implant system coupled to an artificial intelligence in order to trouble such easy narratives about quantification. How would our account of quantification change if we saw language not as an extraneous surplus to the experimental production of numbers, but at the heart of how these new technologies of quantification are being developed?
- Entraîner les cerveaux schizophréniques - Baptiste Moutaud p. 64-83 Le développement de méthodes d'entraînement cognitif pour la schizophrénie illustre la place prépondérante prise par les neurosciences dans la psychiatrie contemporaine. Dans cet article je décris comment ces pratiques orientent et modèlent les conceptions du soin et des troubles mentaux, et en particulier les représentations de l'entremêlement des causalités sociales, psychologiques et biologiques de la schizophrénie. D'abord en faisant émerger une représentation du corps des malades comme perméable et sensible à son environnement social et matériel ; puis en mobilisant une conception du cerveau comme organe plastique support d'un idéal d'émancipation et d'autonomisation. Enfin, je montre enfin comment cette pratique devient pour ses promoteurs un outil d'insertion sociale et professionnelle.
- Des vies en dépendances - Nicolas Marquis p. 84-103 À rebours d'une approche de la folie comme une construction sociale ou un rapport de pouvoir, l'article développe une perspective pragmatiste qui vise à prendre au sérieux l'expérience de la folie. À partir d'une enquête ethnographique dans deux institutions psychiatriques situées respectivement en Belgique et en France, je propose de déplacer la question de la définition de la folie à celle de son mode d'existence. La folie, alors, se lit tout d'abord dans une vie massivement empêchée et vécue sous l'empire de la rechute ; ensuite dans une situation institutionnelle occasionnant une distribution extrême de la marge de manœuvre ; enfin dans la confrontation – en négatif – aux idéaux d'une société valorisant l'autonomie individuelle et le fait d'agir de soi-même. La folie se déploie alors comme une configuration particulière d'autonomie et de dépendance, d'action et de passion.
- Varieties of experience in navigating disaster: - Anne Lovell The qualitative, undifferentiated time of disaster affords propitious moments, requiring quick action by those in its midst. During Katrina, the rapidly transforming watery world of New Orleans created new resistances and lines of flow. In the absence of government-organized disaster assistance during Katrina, some New Orleanians already long afflicted with chronic mental illnesses were left to navigate the flooded city on their own, as this essay captures from oral histories gathered and observations made over four years. For some long disabled by severe mental illness, surviving the disaster resembled their life pattern of circuitous movement, the survivors appearing caught up in a circular pattern of water, floating along with no external force to push against or momentum to be retrieved. Their particular mode evokes pre-steam engine era sailors stuck in the Doldrums, the Equatorial belt where atmospheric conditions deprive the sea of wind-force and momentum. Yet others deviated from the usual everyday scripts in which they were ensconced, be they those of patient-clinician routines or of stigmatizing encounters in public places. Rather than stagnating, these survivors moved along, improvising at every turn, divinely realized or sheer happenstance. They interacted with the disaster's undercurrents, crafting temporary solutions through chance encounters and found resources. Such wayfarers place-mark a world wide open, even for those whose lives are usually confined to a circuit of institutions and marginal spaces that stymie agency and narrow relational possibilities. Mark Bradford's Katrina-inspired art resonates with such varieties of experience, from exclusion to the possibility of community and rebirth, however momentary.
- Comment la dépression vint aux singes - LUCIE GERBER p. 24-43
Focus
- Ommatos Thrasos - Steeves Demazeux p. 104-111 À quels signes reconnaît-on un fou ? Les psychiatres disent : il n'y a rien de plus simple à reconnaître qu'un fou. Mais ils disent aussi qu'il n'y a rien de plus compliqué à reconnaître, et que c'est pour cela qu'ils ont besoin de beaucoup d'expérience et des subtilités de l'art clinique. Qu'y a-t-il donc dans ce regard ambivalent ? De quoi est fait le savoir clinique ?
- Ommatos Thrasos - Steeves Demazeux p. 104-111
Récits
- La mémoire multivers - Denielle Elliott p. 112-129 Quelle est la texture de la temporalité, et comment savons-nous ce qui est réel, irréel, une hallucination, un souvenir, une confabulation ? L'article explore les expériences sensorielles inhabituelles associées aux lésions cérébrales traumatiques, les imaginations apparemment irrationnelles d'êtres apparemment rationnels. Le « jamais vu » et le « déjà vu » – expériences sensorielles associées à des troubles neurologiques résultant d'une lésion ou d'une épilepsie – sont des expériences mnésiques, lorsque l'organique et le psychique sont indiscernables. Elles sont vécues comme des troubles de la mémoire, impliquant le jeu du temps, brouillant le fantasme et la réalité. Ces troubles sont vécus par la narratrice et son autre moi, confondant l'esprit, subvertissant l'espace et le temps.
- Les voix de la folie - Tanya Luhrmann p. 130-145 La phénoménologie de la psychose est notoirement difficile à appréhender. Je propose ici une étude de cas de voix psychotiques dans lesquels ni les mots ni la voix proprement dite n'ont une place de premier plan. J'examine l'étrangeté de ces expériences, puis j'attire l'attention sur les caractéristiques de ce phénomène qui consiste à entendre des voix, que je considère comme étant d'une importance capitale : le non-moi ; une différente forme de ce qui est réel ; et la présence.
- La mémoire multivers - Denielle Elliott p. 112-129
Portfolios
- Des architectures du soin : - Meredith Tenhoor p. 146-163 Cet article examine les schémas pour les hôpitaux et les cliniques de santé mentale issus de la collaboration entre le psychiatre Philippe Paumelle et l'architecte Nicole Sonolet dans les années 1960 et 1970 en France. Élaborations architecturales de la pratique de « psychothérapie institutionnelle », la clinique L'Eau Vive à Soisy-sur-Seine et le complexe ASM-13 de la rue Albert Bayet à Paris sont des modèles expérimentaux et novateurs de traitement psychiatrique et de programmation architecturale.
- Un gigantesque zoo vertical - Des Fitzgerald p. 164-181 Comment se fait-il que lorsque nous voyons des images de nouveaux aménagements urbains majeurs aujourd'hui – qu'il s'agisse de logements, d'immeubles de bureaux ou de centres commerciaux – ces aménagements ont toutes les chances d'être revêtus d'un mince couvert d'arbres ? L'idée que les villes seraient mauvaises pour les êtres humains, et en particulier pour notre santé mentale a une longue histoire. De Shanghai à Paris, de la biophilie à la « nature bon marché », de Donna Haraway à Thomas Heathwick, j'examine l'intrication croissante entre la ville psychologiquement réparatrice et la ville verte. Pourquoi demandons-nous aujourd'hui à nos espaces urbains, refondus en centres de nature et de vie biologique, d'avoir une relation réparatrice avec la santé mentale ?
- A gigantic vertical zoo - Des Fitzgerald Why is it that when we see images of major new urban developments today – whether housing units, office blocks, or shopping malls – those developments are as likely as not to be covered in a thin canopy of trees? In this paper, I approach this question by thinking about the long history of the idea that cities are somehow bad for human beings, and especially that they are bad for our mental health. From Shanghai to Paris, from Biophilia to “cheap nature”, from Donna Haraway to Thomas Heatherwick, I examine the growing entanglement between the psychologically restorative city and the green city. I ask: what does it mean, for historical cultures of both madness and the city, that we now ask our urban spaces, recast as centres of nature and biological life, to have even a reparative relationship to mental health?
- Des architectures du soin : - Meredith Tenhoor p. 146-163
Muséo
- Des patients au travail - Claire Edington p. 182-189 Dans le Vietnam colonial, les asiles psychiatriques étaient conçus comme de grandes colonies agricoles, où les patients devaient travailler la terre sur le chemin de la guérison et d'une éventuelle libération. Cet article traite du rôle du travail comme une forme de thérapie pour les patients de l'asile, et de la façon dont les experts psychiatriques français étaient constamment entraînés dans des réseaux plus larges de soins et d'économie, déplaçant ainsi l'attention de l'asile lui-même vers le monde au-delà de ses murs.
- Psychiatric patients at work - Claire Edington In colonial Vietnam, mental asylums were designed as large agricultural colonies, where patients would work the land on the path to healing and eventual liberation. This article discusses the role of labor as a kind of therapy for asylum patients, and how French psychiatric experts were constantly drawn into broader networks of care and economy, thereby shifting attention from the asylum itself to the world beyond its walls.
- Des patients au travail - Claire Edington p. 182-189