Contenu du sommaire : Moraliser le capitalisme ?

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 241, mars 2022
Titre du numéro Moraliser le capitalisme ?
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  • Moraliser le capitalisme ou capitaliser sur la morale ? - Charles Bosvieux-Onyekwelu, Valérie Boussar accès réservé
  • Le féminisme de marché, ou comment la demande d'égalité « pour toutes » est devenue une égalité pour certaines - Sophie Pochic accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Alors que le « nouvel esprit du capitalisme » était en France silencieux sur les inégalités entre les femmes et les hommes, depuis les années 2000, l'exigence d'égalité semble avoir été cooptée par le discours gestionnaire, notamment le principe de mixité dans les espaces de décision et les métiers techniques. Mais comment expliquer l'intégration tardive et sélective par les grandes entreprises de revendications féministes classiques ? Une enquête sociohistorique sur une grande entreprise publique française d'énergie devenue une multinationale financiarisée éclaire le rôle respectif de deux types d'intermédiaires du droit anti-discriminatoire rarement saisis de concert : les syndicalistes d'une part et les managers « militant·e·s de l'intérieur » d'autre part. Le croisement d'archives et d'entretiens permet de rappeler que la demande syndicale d'égalité « pour toutes » a longtemps été déniée par les dirigeants (masculins) et qu'elle est désormais portée par des « féministes de marché » qui assument leur sélectivité sociale. La politique de « diversité de genre » qui se met en place, de manière concomitante aux transformations économiques de l'entreprise, participe à neutraliser les revendications syndicales dans des espaces de « dialogue social » sous contrôle managérial. Si cette politique tend à conforter les aspirations de carrière des plus dotées, elle laisse les salariées subalternes sans défense face aux restructurations financières.
    While, in France, the “new spirit of capitalism” remained silent on inequalities between men and women, since the 2000s, the equality requirement seems to have been co-opted within management rhetoric, in particular the principle of gender diversity within decision making spheres and skilled employment. What accounts for this late and selective internalization of classic feminist claims within corporations ? This article is based on a socio-historical study of a major French energy firm, which is now a publictraded multinational. It traces the respective roles played by two types of anti-discrimination law intermediaries who are seldom examined together : union members and managers positioned as “insider activists”. Combining archive research and interviews, it shows that while the union demand to foster equality “for all women” was dismissed for a long time by (male) managers, it is now promoted by “market feminists” who own up to their social selectiveness. The “gender diversity” policy - implemented in the context of the economic transformation of the firm - contributes to neutralizing union demands within “social dialogue” spaces controlled by the management. While this policy tends to bolster the careers of the better endowed, it further weakens the position of subaltern female employees against financial restructuration processes.
  • Les stigmates de la vertu : Légitimer la diversité en entreprise, à New York et à Paris - Laure Bereni accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    À partir d'une enquête auprès de managers de la diversité dans les régions de New York et de Paris, cet article prend pour objet les formes de légitimation de la diversité dans les grandes entreprises. Il montre à quel point la diversité demeure une catégorie ambivalente, simultanément inscrite dans l'univers gestionnaire et suspectée d'y introduire des éléments hétéronomes. À New York comme à Paris, la légitimation de la diversité repose sur des arrangements organisationnels qui contribuent à euphémiser ses connotations politiques indésirables (sa proximité avec des discours critiques, son association à des conflits de valeurs, ses liens avec des injonctions de puissance publique, et même son orientation civique). Les efforts organisationnels de dépolitisation de la diversité diffèrent toutefois dans les deux contextes. Aux États-Unis, ils se traduisent par l'affirmation d'une stricte frontière fonctionnelle entre respect du droit anti-discriminatoire et management de la diversité, et par la mise en scène quotidienne de la contribution de la diversité au profit immédiatement mesurable. Sur le terrain français, la dépolitisation de la diversité s'appuie plutôt sur les attributs des responsables diversité (non-spécialisation, blanchité, masculinité), qui signalent leur distance aux visions partielles et partiales de la diversité.
    Drawing on a study of corporate diversity offices in the regions of New York and Paris, this article examines how diversity management is legitimized within large corporations. It shows that diversity remains a highly ambivalent category, at once embedded in the management sphere while suspected of smuggling external, heteronomous claims. Both in New York and Paris, the legitimation of diversity rests on organizational arrangements which tend to euphemize its undesirable political undertones (i.e., its proximity with critical claims, its entanglement with conflicts of values, its links with law and public policy, and even its civic dimension). Yet, organizational efforts to depoliticize diversity differ across the two national settings. In New York, the legitimation of corporate diversity relies on a strict functional boundary between anti-discrimination compliance and diversity management, as well as the routine performance of the alignment with immediate, measurable profit. By contrast, on the French side, it relies on the characteristics of diversity managers themselves (non-specialization, whiteness, masculinity), which signal their distancing from partial and biased conceptions of diversity.
  • Le lobbying ou l'emballage vertueux des marchandises : Quand les agro-industriels s'opposent aux agrocarburants au nom de l'environnement - Armèle Cloteau accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article cherche à saisir comment les pratiques de représentation d'intérêts transforment les propriétés des activités d'une firme et de ses marchandises, en faisant advenir une valeur – tantôt commerciale, « sociétale » ou environnementale – utile aux échanges institutionnels et ajustée aux normes du marché où celles-ci seront commercialisées. Au croisement de logiques économiques et de la structuration d'une politique publique, ce travail de requalification des intérêts marchands est étudié à travers le cas des campagnes de lobbying d'une firme leader mondiale de l'agroalimentaire en réponse aux réglementations européennes promouvant les agrocarburants, pendant les décennies 2000-2010. Sans changement majeur du modèle productiviste, notre analyse montre comment les professionnel·le·s de la représentation d'intérêts contribuent à positionner les firmes comme partenaires vertueuses des régulateurs en incorporant les dimensions, notamment environnementales, au nom desquelles elles sont, pourtant, critiquées.
    This article purports to trace how lobbying practices revamp the characteristic properties of a firm's activities and its products through value claims – be it the market, “society” or the environment – that foster institutional shifts while being specifically tailored to the targeted market's norms. The case-study of the lobbying campaigns launched by a global agroindustry leader to respond to European regulations promoting agrofuels in 2000-2010 underscores how this process of revamping merchant interests is shaped by both economic logics and the structuration of public policy. This case-study shows that while not departing substantially from the productionist paradigm, lobbying professionals contribute to (re)positioning their firms as virtuous partners of regulators through a process of internalization of the very dimensions, including environmental, for which they are being criticized.
  • Un éthos pondérateur : Adoucir et filtrer la critique écologique, l'ouvrir au capitalisme. Et vice versa - Jean-Baptiste Comby accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Les dégradations environnementales alimentent une remise en cause des fondements matériels et idéologiques du capitalisme. Ce dernier parvient pourtant à tirer profit de la critique écologique. Comment ? L'article montre que cette endogénéisation est redevable d'un éthos pondérateur ajusté au courtage tant entre différentes bourgeoisies qu'entre le monde de l'entreprise et le mouvement écologiste. Cet éthos est lui-même le produit de dispositions à « l'engagement civique » couplées à une intégration aux classes dominantes qui se révèle scolairement puis professionnellement dissonante. Il se déploie dans des espaces d'intermédiation où l'accumulation d'un capital social diversifié agit comme une ressource efficiente pour adoucir les alternatives et critiques environnementales, les filtrer et les ouvrir au « capitalisme vert ».
    Environmental damages fuel a critique of the material and ideological foundations of capitalism. Yet, how does the latter continue to benefit from the environmental critique ? This article underscores this as the outcome of a process of internalization produced by an equalizing ethos that befits a brokerage process - both between competing middle-class groups, and the corporate and environment spheres. This ethos is produced by dispositions towards a “civic” form of engagement of individuals that integrate dominant classes on the basis of competing forms of scholarly and professional resources. It permeates intermediary fields where the accumulation of a diversified social form of capital contributes to smoothing and screening environmental critiques and alternatives to capitalism by opening them to a “green capitalism”.
  • De quoi le capitalisme se soucie-t-il ? - Emily Barman accès réservé