Contenu du sommaire : Les régimes miliciens

Revue Cultures & conflits Mir@bel
Numéro no 125, printemps 2022
Titre du numéro Les régimes miliciens
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  • Régimes miliciens et gouvernement transnational dans les guerres civiles : Introduction - Arthur Quesnay p. 7-20 accès libre
  • Dossier

    • Du déplacement forcé à l'auto-défense. : Techniques de contre-insurrection et politiques de développement rural durant la guerre froide globale en Amérique latine - Pamela Colombo p. 21-49 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les programmes de villagisation forcée mis en place durant la guerre froide globale permettent d'explorer le processus de « miliciarisation forcée » de la population civile regroupée dans ces villages. Si l'enrôlement de personnes déplacées dans des milices semble avoir été une constante dans le cadre de ces programmes, comment la villagisation forcée est-elle devenue tout à la fois un outil pour combattre la « menace communiste », un programme de « développement forcé » et un dispositif destiné à forcer la miliciarisation de la population déplacée ? À partir de l'analyse de plusieurs cas en Amérique latine, et notamment celui de l'Argentine, nous voulons comprendre pourquoi le dispositif milicien n'a pas toujours eu le même degré de systématicité ni le même degré de confiance des armées locales vis-à-vis de la population à miliciariser. Cet article se veut avant tout une contribution critique à l'étude de l'appropriation locale d'une technique de contre-insurrection et de développement forcé ainsi qu'une réflexion sur les effets à long terme sur la population ayant subi un processus de miliciarisation forcée.
      The forced villagization programs implemented during the global Cold War allow us to explore the process of “forced milicianization” of the civilian population gathered in these villages. If the recruitment of displaced persons into militias seems to have been a cornerstone of these programs, the question is then how forced villagization become at once a tool to combat the “communist threat,” a program of “forced development,” and a device to force the milicianization of the displaced population. Based on the analysis of several cases in Latin America and in particular that of Argentina, we explore why the militia apparatus has not always had the same degree of systematicity nor the same degree of trust amongst the local armies regarding the recruited population. Critically studying the local appropriation of a technique of counterinsurgency and forced development, this article also offers a reflection on the long-term effects on the population subject to forced milicianization.
    • Le régime milicien en Afghanistan : Anthropologie imaginaire, économie transnationale de la violence et fragmentation de l'État - Adam Baczko, Gilles Dorronsoro p. 51-69 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le régime milicien mis en place par les pays occidentaux entre 2001 et 2021 en Afghanistan donne à voir une forme radicale d'économie transnationale de la violence et ses effets socio-politiques. En Afghanistan, comme ailleurs, la formation de milices est généralement justifiée comme le palliatif d'un manque de contrôle étatique sur le territoire. Or, la genèse des milices en Afghanistan montre qu'elle est d'abord une modalité de l'intervention internationale, plus qu'une réaction à l'insécurité. Les militaires américains apposent en effet une anthropologie imaginaire qui fait de la société afghane un agrégat d'isolats locaux, apolitiques et rétifs à toute forme d'interférence étatique. Les dispositifs miliciens qu'ils mettent en place produisent une nouvelle économie transnationale de la violence et renforcent des acteurs supposément locaux aux dépens des institutions officielles.
      Western countries established a militia regime in Afghanistan between 2001 and 2021, thereby giving a radical form to the transnational economy of violence and its socio-political effects. In Afghanistan as elsewhere, the formation of militias was generally justified as a palliative for a state that was failing to control its territory. However, the milicianization of the Afghan state is not the consequence of weakness or of its lack of historical anchorage, but rather a result of international intervention. The U.S. army applied an imaginary anthropology according to which Afghan society would consist of an aggregate of local isolates, apolitical and resistant to any form of state interference. The militia arrangements they put in place produced a transnational economy of violence and strengthened supposedly local actors at the expense of official institutions.
    • Le mythe des sahwa comme modèle milicien : La présence américaine dans le gouvernorat de Kirkouk (Irak, 2003-2011) - Arthur Quesnay p. 71-93 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Basé sur plusieurs mois de terrain dans les zones arabes sunnites irakiennes entre 2009 et 2021, cet article revient sur le phénomène des milices tribales, les sahwa, aujourd'hui présentées comme un modèle positif de contre insurrection alors que le caractère artificiel de sa construction et la concentration du pouvoir entre les mains d'entrepreneurs de violences, autoproclamés chefs tribaux, a débouché sur une déstructuration de toute alternative politique et sociale dans les régions arabes sunnites. Il interroge la manière dont l'occupation américaine en Irak tente de contrôler la population arabe sunnite en construisant un mode de gouvernance transnational basé sur des dispositifs miliciens en charge du territoire.
      Based on several months of fieldwork in Iraqi Sunni Arab areas between 2009 and 2021, this article investigates the phenomenon of tribal militias, the sahwa. Currently presented as a positive model of counterinsurgency, the sahwa model represents an artificial construction and concentration of power in the hands of entrepreneurs of violence that are self-proclaimed tribal leaders, thereby destroying any political and social alternative in Sunni Arab regions. The article questions the way in which the American occupation in Iraq attempts to control the Sunni Arab population by constructing a transnational mode of governance based on militia apparatuses in charge of the territory.
    • Économie transnationale de la violence et autonomisation des milices au Nord du Mali - Denia Chebli p. 95-113 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Un des paradoxes de la guerre au Mali se situe dans les agendas divergents des armées française et malienne. Alors que l'objectif de l'armée française est d'éradiquer les mouvements islamistes, celui de l'armée malienne est d'affaiblir les mouvements indépendantistes. Contrainte par la présence de forces internationales, l'armée malienne réactive un dispositif de gestion des rébellions qui consiste à fragmenter les mouvements indépendantistes en sous-traitant une partie de ses fonctions répressives à des milices locales. Ces milices qui présentent un fort caractère communautaire ont bénéficié de multiples parrainages, servant notamment dans la lutte antiterroriste auprès des forces françaises. L'article développe l'hypothèse selon laquelle la légitimation et l'usage des milices par l'international contribuent à leur autonomisation et renforcent la perte de souveraineté de l'État malien sur son propre territoire au profit des internationaux et des chefs miliciens.
      One of the paradoxes of the war in Mali lies in the divergent agendas of the French and Malian armies. While the objective of the French army is to eradicate Islamist movements, that of the Malian army is to weaken independence movements. Constrained by the presence of international forces, the Malian army reactivated a rebellion management system with the aim of fragmenting independence movements by subcontracting some of its repressive functions to local militias. These militias, which have a strong communal character, have benefited from multiple sponsorships, notably in the fight against terrorism with French forces. The article develops the hypothesis that the legitimization and use of militias by the international community contributes to their empowerment and reinforces the loss of sovereignty of the Malian state over its own territory to the benefit of internationals and militia leaders.
    • Les dividendes de « la guerre contre le terrorisme » : milicianisation, États et interventions internationales au Mali et au Burkina Faso - Tanguy Quidelleur p. 115-138 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Depuis le début de la guerre au Mali en 2012 et l'intervention militaire française qui visait à chasser les djihadistes, les populations au Sahel ont connu une dégradation constante de leur sécurité. Les violences sont notamment alimentées par des groupes d'autodéfense, perçus comme des moyens de stabilisation par les États centraux qui les soutiennent. Ceux-ci se multiplient et forment un « marché de la protection », dans un contexte de mise en armes des conflits, de circulation transnationale des pratiques et d'interventions internationales croissantes. Une co-production de la violence se construit alors autour d'une lutte pour le monopole de la collaboration avec les États nationaux et leurs partenaires. Ces processus s'accompagnent d'une militarisation croissante des groupes, notamment grâce au travail d'entrepreneurs politiques. Les formes de la mobilisation par le bas diffusent le métier des armes et préparent un dispositif sécuritaire visant à susciter une intervention par le haut. Cette « milicianisation de la guerre contre le terrorisme » et les concurrences politiques qui en découlent, polarisent d'autant plus les sociétés sahéliennes et prolongent les violences.
      Since the beginning of the Mali conflict in 2012 and the French military intervention against the jihadists, Sahelian populations have endured a constant deterioration of their security. This violence is fueled in particular by self-defense groups, paradoxically seen as a stabilizing force by the central states who support them. These groups increase and create a “protection market” in a context of armed conflicts, transnational circulation of practices, and increasing international interventions. Taking part in the co-production of violence, self-defense groups struggle in order to have a monopoly of collaboration with national states and their partners. These processes are associated with the growing militarization of those self-defense groups, particularly through the work of political entrepreneurs. Those actors who live by the gun and shape mobilization “from below” are trying to provoke interventions from above. This “milicianization of the war on terror” and the political competition that results from it further polarize Sahelian societies and extend violence.
  • Hors thème

    • Qui fait « la police pour les Anglais » ? : Enquête sur le quotidien des agents d'escales et de sécurité à la frontière dieppoise - Héloïse Grard p. 139-158 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Fondé sur une enquête ethnographique dans un port qui est aussi une frontière entre la France et le Royaume-Uni, l'article analyse les doubles processus de privatisation et de sécurisation des frontières et l'émergence de nouveaux métiers de la frontière. L'enquête auprès des agents d'escales et de sécurité vise à comprendre comment des agents privés composent avec l'exercice de fonctions publiques qui leur sont déléguées, notamment celle du contrôle migratoire. L'article montre comment ces « petits professionnels de l'international », à mi-chemin entre le secteur public et le secteur privé, s'approprient ou rejettent ces nouvelles fonctions, quelles marges de manœuvre ils réussissent à négocier, et finalement, comment ils construisent quotidiennement la frontière.
      This article is based on fieldwork in a port that serves as a border between France and United Kingdom. The article focuses on the double process of border privatization and securitization whilst pointing to the emergence of new border jobs. The enquiry focuses on port agents and security agents, with the aim of understanding how private workers deal with delegated public functions, namely border control. The article demonstrates how these “low-level international professionals,” positioned between the public and private sector, appropriate or reject these new functions, how much leeway they manage to negotiate, and in short, how they construct the border on a daily basis.
  • Chronique bibliographique