Contenu du sommaire
Revue | Flux |
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Numéro | no 128, 2022/2 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial – Les services urbains en réseaux au prisme des interdépendances : portées et limites d'une notion de sciences sociales - Kevin Caillaud, Hélène Nessi, Bénédicte Rulleau p. 1-14 Dans le domaine des services urbains en réseaux, la question des « interdépendances » – entendues globalement comme des relations mutuelles, produisant des effets de réciprocité – est longtemps restée secondaire. Elle n'intervenait de manière explicite le plus souvent que pour analyser la vulnérabilité des services et des réseaux et les effets cascade engendrés lors de crises. Néanmoins, depuis une dizaine d'années, cette notion connaît une acuité accrue, notamment sous l'effet des changements globaux et du développement des approches transversales en matière d'action publique. Mais que signifie concrètement cette notion d'interdépendance ? Comment se traduit-elle empiriquement ? Quel(s) intérêt(s) présente-t-elle d'un point de vue heuristique ? Et quels impératifs méthodologiques convoque-t-elle ? C'est à ces questions qu'ambitionne de répondre ce chapitre introductif du numéro spécial de la revue Flux, en ouvrant un espace de dialogue et de réflexion au croisement d'une exploration épistémologique de la notion en sciences humaines et sociales et de six contributions originales. Précisément, ce chapitre permet de clarifier le sens et le contenu de la notion, en insistant sur l'analyse de la « matière » et des formes d'interdépendance.In the field of networked urban services, the question of “interdependencies”—globally understood as mutual relations producing reciprocal effects—has long been relegated to second place. It was only explicitly considered when analysing the vulnerability of services and networks and the cascade effects generated by crises. Nevertheless, over the last ten years, this notion has become more acute, particularly under the effect of global changes and the development of cross-cutting and multi-level approaches to public action. But what does this notion of interdependence mean in practice? How does it translate empirically? What interest(s) does it present from a heuristic point of view? And what methodological imperatives does it call for? This introductory chapter of special issue of the journal Flux aims to answer these questions by opening a space for dialogue and reflection at the intersection of an epistemological exploration of the notion in the human and social sciences and six original contributions. Specifically, this chapter clarifies the meaning and content of the notion, with an emphasis on the analysis of “matter” and forms of interdependence.
- Les boucles de rétroaction au sein des interdépendances. Le cas des infrastructures d'eau potable - Kevin Caillaud p. 15-31 De par leur dimension historique et leurs caractéristiques sociotechniques (dont une fonction relationnelle établie entre ressources, territoires, services et populations), les infrastructures d'eau potable apparaissent comme des révélateurs des interdépendances auxquelles sont confrontés les services publics. Ces interdépendances – entendues comme des relations mutuelles entre les éléments constitutifs du système d'eau potable produisant des effets de réciprocité – se nichent au sein et à la croisée de différentes dimensions liées au fonctionnement des services publics et impliquant la question infrastructurelle : l'environnement, l'appareillage technique, l'organisation politico-administrative, l'aménagement territorial, la demande et les usages de l'eau, etc. Elles mettent en scène une confrontation des registres de représentation et d'action sur le système d'eau, et les interactions qui en découlent. Ces relations d'interdépendance se traduisent par des boucles de rétroaction ayant pour conséquence d'agir sur le positionnement des acteurs, et pour résultat de recomposer les enjeux, les rapports de force et les actions. L'enfermement des acteurs dans une approche segmentée des problèmes empêche ainsi d'appréhender le secteur dans sa globalité et d'anticiper l'imbrication des différents éléments problématiques. L'article vise ainsi à contribuer à l'analyse sociohistorique et cognitive des services et des infrastructures d'eau potable, en les repositionnant dans une perspective holistique non linéaire.Due to their historical dimension and their socio-technical characteristics (including a relational function established between resources, territories, services and populations), drinking water infrastructures reveal the interdependencies faced by public services. These interdependencies—understood as mutual relations between the constituents of the drinking water system producing effects of reciprocy—occur within and across different dimensions of the functioning of public services and involving the infrastructure issue: environment, technical equipment, political and administrative organisation, territorial planning, water demand and uses, etc. Interdependencies depict a confrontation of representation registers and actions linked to the water system, and the resulting interactions. These interdependent relationships are reflected by feedback loops that reposition the actors in specific positions, and reproduce issues, power relations and actions. The confinement of actors in a segmented approach of water problems prevents them from understanding controversial points in their entirety and anticipating their interrelatedness. This article aims at contributing to the socio-historical and cognitive analysis of drinking water services and infrastructures, by repositioning them in a non-linear holistic perspective.
- Des tuyaux qui comptent. Tournant patrimonial et renégociation des relations entre voirie et réseaux d'eau et d'assainissement - Jérôme Denis, Daniel Florentin p. 32-46 Dans un grand nombre de collectivités, la gestion des réseaux techniques d'eau et d'énergie est insérée dans une direction chargée de la voirie. Cette organisation traduit une interdépendance entre le souterrain et la surface qui nourrit des formes de coordination asymétrique, la voirie « dictant » généralement les occasions de travaux, indépendamment des besoins spécifiques des réseaux. Cette hiérarchie des services témoigne de la « sensibilité politique » de la voirie, surface urbaine dont chacun fait l'expérience quotidiennement.S'appuyant sur une enquête qualitative de 18 mois en France métropolitaine, cet article montre que depuis quelques années, cette hégémonie de la voirie est remise en cause par la mise en place progressive de politiques de gestion patrimoniale spécifique aux réseaux, à laquelle s'ajoutent une écologisation de certaines pratiques d'aménagement, et une contrainte budgétaire accrue sur les finances locales. Ce triple processus contribue à une forme de « tournant patrimonial » qui reconfigure les interdépendances au sein de services techniques, et se traduit dans les services par de nouvelles manières de « faire compter » les réseaux techniques d'eau et d'assainissement et leur entretien face à la voirie.In many local authorities, water and energy networks are enshrined in larger departments in charge of road and highways. One such organisation reveals an interdependence between the surface and the underground, and fleshes out forms of asymmetric coordination where the roads and highways services are influencing and setting the public works agendas, regardless of the specific need of urban technical networks. This hierarchy of the different services emphasises the “political sensitivity” of the urban roads, which are an urban surface experienced by everyone on a daily basis.Drawing on a qualitative 18-month survey in various French territories, this article shows that this hegemony of roads and highways departments in the organisation of public works has been challenged over the last decade by a threefold process. It combines the increasing development of specific and ambitious policies of “gestion patrimoniale” (asset management) for the urban technical networks; the ecological transformation of some urban planning practices; and a higher budgetary constraint on local finances. This threefold process contributes to a form of “patrimoine” turn (including maintenance, heritage and legacy dimensions), which is reassembling interdependencies between various urban technical infrastructures. It translates into new ways to make water and sanitation networks matter and to value them vis-à-vis roads and highways.
- Les acteurs de la mobilité urbaine à Mexico : Les interdépendances au cœur des processus d'intégration - Kei Tanikawa Obregón p. 47-65 La gouvernance de la mobilité urbaine se structure autour d'interdépendances entre acteurs à travers des systèmes socio-techniques complexes. Qu'ils soient publics ou privés, formels ou en marge d'une organisation étatique, les services de transport urbain se heurtent à une cohabitation territoriale et créent ainsi des relations de dépendance réciproques. À l'aune des projets de modernisation du secteur, l'intégration et l'unification des systèmes de transport constituent un horizon balisé des politiques publiques. Les interdépendances entre acteurs (opérateurs et régulateurs) apparaissent alors au cœur des processus de numérisation. Le projet « Mobilité Intégrée » mis en place par l'organisme en charge de la mobilité de la ville de Mexico (secretaria de movilidad ou SEMOVI) en 2019, constitue un observatoire privilégié pour étudier les interdépendances au sein d'un jeu d'acteurs particulièrement éclaté. Ce travail s'appuie sur des enquêtes de terrain menées début 2021. L'article identifie les interdépendances entre acteurs comme une clé de lecture fondamentale dans la compréhension des politiques et projets d'intégration des systèmes de transport. Il met en évidence les limites de l'organisation sociale et politique face aux défis techniques et aux promesses du numérique. Enfin, il questionne la mise en place d'une mobilité intelligente et son articulation avec le concept de Mobility as a Service (MaaS) dans un contexte de mobilité urbaine fragmentée.The governance of urban mobility is structured around interdependencies between actors through complex socio-technical systems. Whether they are public or private, formal or on the bangs of a state organization, urban transport services are confronted with territorial cohabitation and thus create relationships of mutual dependence. In the light of the sector's modernization projects, the integration and unification of transport systems is a key public policy objective. Interdependencies between actors (operators and regulators) are at the heart of the digitization process. The “Integrated Mobility” project implemented by the organization in charge of mobility in Mexico City (secretaria de movilidad or SEMOVI) in 2019, constitutes a privileged observatory to study interdependencies within a particularly fragmented set of actors. This work is based on field surveys conducted in early 2021. The article identifies interdependencies between actors as a fundamental key to understanding transport system integration policies and projects. It highlights the limits of social and political organization in the face of technical challenges and the promises of digital technology. Finally, it questions the implementation of smart mobility and its articulation with the concept of Mobility as a Service (MaaS) in a context of fragmented urban mobility.
- Le sens de l'événement : Effondrement infrastructurel et interdépendance des réseaux : leçons du Liban en temps de blackout - Éric Verdeil p. 66-74
- Les déchets, un secteur pour appréhender les asymétries et les relations de pouvoir inhérentes aux interdépendances ? - Claudia Cirelli, Fabrizio Maccaglia, Kevin Caillaud, Hélène Nessi, Bénédicte Rulleau p. 75-80
- La dimension politique des interdépendances. L'exemple des services d'eau potable - Eddy Renaud, Kevin Caillaud, Bénédicte Rulleau p. 81-84
- Métabolisme et métropole. La métropole lilloise entre mondialisation et interterritorialité, Sabine Barles, Marc Dumont, Paris, Autrement, 2021, 141 p. - Éric Verdeil p. 85-86