Contenu du sommaire : La nuit pénitentiaire

Revue Parlement[s] Mir@bel
Numéro no 36, 2022/1
Titre du numéro La nuit pénitentiaire
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  • Introduction - Frédéric Chauvaud p. 11-20 accès libre
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    • La Maison centrale d'Embrun (1800-1815) : la naissance d'un modèle carcéral français ? - Ludovic Maugué p. 23-37 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Au lendemain de la Révolution française, l'immense majorité des prisons ne parviennent pas à concrétiser les plus élémentaires exigences du nouveau système carcéral (classification des détenus, salubrité, labeur carcéral). Pour y remédier, le gouvernement consulaire encourage la création de vastes établissements – les maisons centrales de détention – où sont centralisés les détenus de plusieurs départements, et dont la gestion du travail est confiée à des entrepreneurs privés. Inspiré par ce programme, le préfet des Hautes Alpes installe, dès 1804, une manufacture carcérale dans l'ancien séminaire jésuite d'Embrun. Industrie, hygiène, ordre public, sédentarisation des populations flottantes : la première maison centrale de détention française doit permettre de remédier aux maux sociaux du département. Livré à lui-même en raison du désengagement du gouvernement, l'établissement est confronté à d'innombrables difficultés qui portent en germe les dérives du système carcéral contemporain. En dépit de sa finalité, Embrun demeure en pratique un lieu privatif de liberté hybride – entre dépôt de mendicité, hôpital général, maison de correction et prison d'État – que les pouvoirs publics utilisent sans véritable discernement pour garantir la stabilité sociale. Rationalité économique, carcérale ou sécuritaire : la manufacture pénale est ainsi traversée par des logiques contradictoires qui révèlent toutes les difficultés inhérentes à la spécialisation des lieux d'enfermement au début du xixe siècle.
      In the aftermath of the French Revolution, many prisons failed to meet the most basic requirements of the new prison system (classification of prisoners, hygiene, prison labor). To remedy this, the consular government encouraged the creation of large prisons – the maisons centrales de détention – where prisoners from several departments were centralized, and where the management of work was entrusted to private contractors. The prefect of the Hautes Alpes took up this program and, in 1804, set up a prison factory in the buildings of the former Jesuit seminary in Embrun. Industry, hygiene, public order, sendentarization of the floating populations: the first French central prison was to remedy the social ills of the department. Left to its own devices due to the government's disengagement, the establishment was confronted with countless difficulties that bore the seeds of the excesses of the contemporary prison system. Despite its purpose, Embrun remained in practice a hybrid place of deprivation of liberty – between a begging depot, a general hospital, a reformatory and a state prison – which the public authorities used without any real discernment to guarantee social stability. Economic, prison or security rationality: the penal manufacture is thus crossed by contradictory logics which reveal all the difficulties inherent in the specialization of the places of confinement at the beginning of the 19th century.
    • La prison en débats sous la IIIe République. Une philosophie pénale au cœur de la République - Martine Kaluszynski p. 39-55 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      La prison est, sous la IIIe République, l'objet de nombreuses discussions entre les philanthropes et les hommes politiques car les élites voient dans la réforme pénitentiaire un moyen de résoudre la question sociale. Le projet de réforme est constitutif, majeur, prédominant, pour cette jeune République en quête de légitimité, qui témoigne ici d'une capacité inventive dans la création du politique. C'est la réforme qui initie nombre de projets en cette période et ce n'est pas tant la prison en soi qui est discutée que ce qui peut en éviter l'accès ou le retour. Nous nous attacherons spécifiquement à la loi du 27 mai 1885 sur les récidivistes et à la loi du 14 août 1885 sur les moyens de prévenir la récidive, et nous montrerons en quoi elles sont révélatrices d'une société républicaine en construction, et en quoi elles permettent de comprendre les dynamiques de changement et de régulation à l'œuvre dans l'État républicain. Ces lois, ainsi que le débat national qui présida à leur adoption, se trouvent au cœur même de l'édifice qui aboutira à la constitution d'un État-providence moderne où la loi pénale, base même du lien politique républicain, apparaît comme la seule alternative aux carences d'un pacte social ébréché. La loi pénale devient ainsi un instrument privilégié dans la construction de l'État, et s'installe au fondement de l'identité démocratique.
      During the Third Republic, the prison was the subject of numerous discussions between philanthropists and politicians, as the elites saw prison reform as a means of resolving the social question. The reform project was constitutive, major, predominant, for this young Republic in search of legitimacy, which demonstrated an inventive capacity in the creation of politics. It is the reform that initiates several projects in this period, and it is not so much the prison itself that is discussed as what can prevent its access or return. We will focus specifically on the law of 27 May 1885 on recidivists and the law of 14 August 1885 on the means of preventing recidivism, and we will show in what way they reveal a republican society under construction, and in what way they make it possible to understand the dynamics of change and regulation at work in the republican state. These laws, as well as the national debate that presided over their adoption, are at the very heart of the edifice that will lead to the constitution of a modern welfare state in which the penal law, the very basis of the republican political bond, appears as the only alternative to the shortcomings of a chipped social pact. The penal law thus becomes a privileged instrument in the construction of the State and settles at the foundation of the democratic identity.
    • Mutations et évolutions de la population carcérale dans les Alpes-Maritimes de la Révolution française à la veille de la Seconde Guerre mondiale - Aline Martinet p. 57-80 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'incarcération constitue une expérience individuelle marquante. Le présent article vise à comprendre les trajectoires des hommes et des femmes qui ont vécu dans les prisons des Alpes-Maritimes depuis la Révolution française jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale. L'étude de la population carcérale peut être réalisée à la fois de façon globale, à l'aide des registres d'écrou permettant de dégager de nombreux tableaux statistiques et graphiques, et à la fois sous un angle plus humain grâce aux nombreux témoignages laissés par les prisonniers ou par l'administration pénitentiaire. Le nombre important des individus incarcérés peut rendre caricatural toute tentative de globalisation car chacun est singulier. Chaque homme ou femme est enfermé en prison pour une raison propre qui s'inscrit dans son parcours personnel. Il s'agit, à l'aide d'exemples concrets, de brosser un portrait sociologique des prisonniers, d'analyser l'évolution de la population carcérale enfermée à Nice tout au long du xixe siècle, de comprendre quelles sont les différentes infractions qui conduisent en prison et quelles sont les peines subies.
      This article aims to understand the trajectories of the men and women who lived in the prisons of the Alpes-Maritimes from the French Revolution to the eve of the Second World War. The study of the prison population can be carried out both in a global way, with the help of the registers of imprisonment, which make it possible to draw up numerous statistical tables and graphs, and from a more human angle, thanks to the numerous testimonies left by the prisoners or by the prison administration. The large number of individuals incarcerated can make any attempt at globalization a caricature, as each one is unique. Each man or woman is locked up in prison for his or her own reason, which is part of his or her personal history. Using concrete examples, the aim is to draw up a sociological portrait of the prisoners, to analyze the evolution of the prison population in Nice throughout the 19th century, to understand the different offences that lead to prison and the sentences that are suffered.
    • L'enfermement des « mineurs de justice » (1830-1939) - Jean-Jacques Yvorel p. 81-97 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Si l'évolution des décisions judiciaires concernant les adultes et les mouvements de la population carcérale des majeurs ont été bien étudiés, il n'en est pas de même de l'enfermement des mineurs. Il ne s'agit pas ici de retracer l'histoire des politiques pénales à l'égard des enfants, nous voulons simplement donner quelques pistes de réflexion sur la propension plus ou moins grande de la société française à enfermer, non pas l'ensemble de l'enfance « irrégulière », même si les liens entre les différentes populations juvéniles prises en charge par l'État ou la philanthropie privée sont nombreux, mais les mineurs de justice, ceux qui comparaissent devant les tribunaux.
      While the evolution of judicial decisions concerning adults and the movements of the adult prison population have been well studied, the same cannot be said of the confinement of minors. The aim here is not to retrace the history of penal policy towards children, but simply to provide some food for thought on the greater or lesser propensity of French society to lock up, not all “irregular” children, even if there are many links between the different juvenile populations taken into care by the state or private philanthropy, but juveniles in the justice system, those who appear before the courts.
    • Les prisons peuvent-elles trouver le Nord ? Le modèle scandinave, boussole de la décroissance carcérale - Julie de Dardel p. 99-112 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les profonds bouleversements sociétaux générés par la crise du Covid-19 n'ont pas épargné le monde pénitentiaire. Poudrières sanitaires et sécuritaires, les prisons sont apparues pendant la pandémie comme des espaces à très haut risque aux yeux des gouvernements. En Europe, des dizaines de milliers de détenus ont été libérés au printemps 2020 dans l'urgence. Ces mesures temporaires de diminution de l'incarcération ont été saluées par de nombreux spécialistes qui appellent aujourd'hui à une pérennisation de cette tendance. Dans cet article, nous explorerons en quoi la notion de « décroissance carcérale » peut être utile pour penser des alternatives, après quarante ans d'hyper-incarcération au niveau international. Nous analyserons le cas des pays scandinaves qui, à contre-courant, ont développé un « modèle réductionniste » susceptible d'inspirer des réformes ailleurs dans le monde au cours des années à venir.
      The major societal disruptions generated by the Covid-19 crisis did not spare the prison world. As ticking health and security time bombs, prisons appeared to be high risk areas in the eyes of governments during the pandemic. In Europe tens of thousands of prisoners were released in the spring of 2020 as a matter of urgency. These temporary measures to reduce incarceration have been welcomed by many experts who are now calling for a continuation of this trend. In this article we will explore how the notion of ‘prison degrowth' can be useful in thinking about alternatives after forty years of hyper-incarceration at the international level. We will analyse the case of the Scandinavian countries which have developed a “reductionist model” that could inspire reforms elsewhere in the years to come.
  • Sources

  • Varia

    • Les récits du sacre de Marie de Médicis : de l'anecdote à la légende noire - Cassandre Feuillâtre p. 155-172 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le sacre est un événement important qui marque la vie des reines de France lors d'une cérémonie fastueuse. Cependant cet événement est à peine repris par les auteurs. Cela est notamment vrai pour Marie de Médicis sacrée le 13 mai 1610. En effet, en analysant un corpus d'une centaine d'ouvrages des xviie et xviiie siècles on constate que cet évènement est à peine décrit. Pourtant Marie de Médicis est régulièrement évoquée par ces mêmes auteurs qui s'intéressent à sa régence. Il s'agira donc de comprendre pourquoi le sacre de Marie de Médicis est passé sous silence malgré son intérêt historique.
      The coronation is an important event that marks the life of French queens during a sumptuous ceremony. However, this event is hardly repeated by the authors. This is especially true for Marie de Medici crowned on May 13, 1610. Indeed by analyzing a corpus of a hundred books of the seventeenth and eighteenth centuries we notice that this event is rarely described. Nevertheless Marie de Medici is regularly mentioned by these same authors who are interested in her regency. It will therefore be a question of understanding why the coronation of Marie de Medici is passed over in silence despite its historical interest.
    • « Enfin Fouché le vrai ! » Les méthodes anti et contre-subversives de Raymond Marcellin (1968-1974) - Bryan Muller p. 173-193 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les événements de mai-juin 1968 provoquent un traumatisme auprès d'une partie de la majorité. Convaincus qu'une subversion visant à renverser le régime en faveur d'une dictature marxiste a lieu, des militants et élus gaullistes et républicains indépendants tentent de limiter les activités des « agents subversifs ». Nommé par le général de Gaulle et maintenu par Georges Pompidou, Raymond Marcellin joue alors un rôle central dans la mise en place d'une lutte anti et contre-subversives. Le locataire de la place Beauvau défend une certaine vision (fantasmée) de la menace qui pèserait sur le pays. Ses théories et les troubles qui marquent la France, notamment dans les Universités et durant certaines manifestations, nourrissent l'élaboration de nouvelles méthodes et dispositions juridiques visant à combattre plus efficacement les militants révolutionnaires sur le terrain.
      The events of May-June 1968 provoked a trauma for part of the majority. Convinced that a subversion with the purpose of overthrowing the regime in favor of a Marxist dictatorship is taking place, Gaullist and Independent Republican activists and elected officials tried to limit the activities of “subversive agents”. Appointed by General de Gaulle and maintained by Georges Pompidou, Raymond Marcellin have played a central role in the establishment of an anti and counter-subversive struggle. The tenant of Place Beauvau defended a certain (fantasized) vision of the threat that would weigh on the country. His theories and the disturbances that mark France, particularly in the universities and during certain demonstrations, feed into the development of new methods and legal provisions aimed at combating revolutionary militants on the ground more effectively.
    • En finir avec les nuits blanches au Palais-Bourbon ? L'impossible réforme des trente dernières années - François Dubasque p. 195-209 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      La lourdeur croissante de l'activité législative impose fréquemment aux députés de vivre quelques nuits blanches dans l'exercice de leur mandat. Il en résulte d'inévitables crispations, voire des jugements critiques, de la part des acteurs eux-mêmes, sur la qualité du travail parlementaire produit. Depuis le milieu des années 1990, les tentatives de réforme visant à améliorer le fonctionnement de l'institution se sont multipliées, mais sans parvenir à faire disparaître les séances de nuit. Pour comprendre la persistance de ce phénomène, il convient, au-delà de l'analyse conjoncturelle, de replacer le temps du débat nocturne dans une perspective historique plus large afin de mettre en relief la spécificité des comportements et pratiques politiques individuels et collectifs qu'il génère.
      The increasing heaviness of legislative activity often means that MPs have to spend a few sleepless nights in the exercise of their mandate. This inevitably leads to tension, and even to critical judgements, on the part of the members themselves, about the quality of the parliamentary work produced. Since the mid-1990s, attempts to improve the functioning of the institution have multiplied, but have failed to eliminate the night sessions. To better understand the persistence of this phenomenon, it is necessary to go beyond the conjunctural analysis and place the time of nocturnal debate in a wider historical perspective in order to highlight the specificity of the individual and collective political behavior and practices that it generates.
  • Lectures