Contenu du sommaire : Qui a peur des sciences sociales ?

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 243-244, septembre 2022
Titre du numéro Qui a peur des sciences sociales ?
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  • Anti (sciences) sociales, tu perds ton sang-froid ! - Bourdieu Jérôme, Sara Dezalay, Julien Duval, Johan Heilbron, Franck Poupeau p. 4-17 accès réservé
  • Une haine tentaculaire - Rose-Marie Lagrave p. 18-25 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    En reconstruisant la configuration hétéroclite des prises de position qui mettent en accusation les sciences sociales, et singulièrement la sociologie, de transgresser les places et les fonctions qui leur sont assignées par les pouvoirs en place et leurs épigones, cet article porte au jour la convergence entre des charges scientifiques, politiques et médiatiques prenant pour cible des thématiques, telles que l'intersectionnalité, l'islamo-gauchisme, et les études de genre. Au nom d'un usage dévoyé de la neutralité axiologique, utilisée comme certification de la « bonne » sociologie, des recherches sont ostracisées, des chercheur·es mis·es au pilori, quand dans d'autres pays, ils sont emprisonnés, et leurs travaux interdits. En confrontant quelques travaux qui disqualifient ces thématiques, soit en les classant sous le qualificatif de science militante, soit en leur reprochant de délaisser ou de sous-estimer le primat de la classe sociale, on constate que les logiques argumentaires n'empruntent pas aux mêmes objections. Les premières s'opposent, voire dénoncent les approches critiques en sociologie ; les secondes méconnaissent la fécondité heuristique que donne le croisement des rapports sociaux de sexe, de race, de classe, de sexualité et d'âge, ce qui suppose de distinguer ces critiques tout en montrant qu'elles s'adossent et se confortent dans le contexte scientifique et politique de ces dernières années.
    Public stances in the media, the political field, and the scientific field itself have long targeted the social sciences – and particularly sociology – for the alleged transgression of their position and function in society. Tracking this motley configuration of attacks exposes their unprecedented convergence against research themes construed specifically as societal threats - such as intersectionality, ‘Islamo-Leftism' or gender studies. In the name of a misappropriated notion of axiological neutrality waged to certify “good” sociology, these themes – and the researchers who develop them – are stigmatized and pilloried – when not imprisoned and expurgated in some countries. A closer examination of the arguments used in some of these attacks shows that they either disqualify these themes by deriding them as activist research or criticize their alleged neglect or undermining of the primacy of the social class as an analytical tool. These arguments reflect different critiques against sociology. While the first build against – if not denounce – critical approaches in sociology, the others misrecognize the heuristic value of combining different variables – gendered social relations, race, class, sexual orientation, and age. Though these critiques are therefore distinct, they converge and reinforce each other in the current scientific and political context.
  • Quand le Danemark fermait ses départements de sociologie - Kristoffer Kropp, Antoine Heudre p. 26-35 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    En 1986, le ministère danois de l'Éducation pris la décision de ne plus admettre d'étudiants dans les programmes de sociologie de l'université de Copenhague, prélude à la fermeture par l'université de ses deux départements de sociologie. Il faudra attendre près de dix ans avant qu'un nouveau département de sociologie ne soit créé. Trente-cinq ans après, le monde académique danois est encore marqué par cette décision dont le souvenir resurgit régulièrement dans le débat public au sujet de l'utilité de la sociologie. Dans le contexte des attaques récentes dont font l'objet les sciences sociales dans les pays occidentaux, cet article analyse les critiques qui ont abouti à la fermeture des départements de sociologie dans les années 1980 et note des similitudes avec les arguments avancés aujourd'hui pour décrier les programmes de cette discipline. Les critiques formulées contre la sociologie dans les années 1980 provenaient de quatre sources différentes : le ministère de l'Éducation, les médias, le monde académique (y compris certains sociologues) et la bureaucratie universitaire, tiraillée entre sa volonté de défendre la liberté académique et la nécessité de prouver l'utilité de la discipline et de rendre des comptes pour répondre aux pressions externes.
    In 1986, the Danish ministry of education decided to foreclose the admission of students into the sociology degrees of the University of Copenhagen, before shutting down the university's two departments of sociology. It was only a decade later that a new sociology department was created. Thirty-five years later, the Danish scientific field is still deeply marked by this decision which is regularly invoked in public debates on the social usefulness of sociology. Against the backdrop of widespread attacks against the social sciences in the West, this article examines the critiques that led to the closing down of the sociology departments in the 1980s. It underscores their similitude with the arguments put forth in the current context to undermine the discipline. In the 1980s, attacks against sociology stemmed from four distinct sources: the education ministry, the media, the academic field (including some sociologists), and a university management torn between the defense of academic freedom and external pressures to demonstrate the usefulness of the discipline.
  • Sciences sociales et société, histoire d'un malentendu - Christophe Charle p. 36-45 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Le débat récurrent sur le statut des sciences sociales est entré, semble-t-il, dans une phase critique depuis quelques années. Si la sociologie a été surtout mise en cause dans les polémiques, on ne peut comprendre ce débat sans le resituer dans l'ensemble du champ des sciences sociales (économie, histoire, ethnologie, anthropologie, science politique, psychologie sociale, géographie humaine), dont certaines fournissent régulièrement des arguments contre la sociologie réutilisés par les idéologues d'autres horizons (politiques, journalistes, porte-parole des disciplines humanistes) et, plus largement, dans l'ensemble des disciplines universitaires, y compris les sciences non sociales qui prétendent, dans leurs développements les plus récents, traiter les mêmes questions ou apporter des réponses alternatives à la sociologie ou aux sciences sociales plus anciennes. Cet article esquisse une histoire de ces transformations et de ces débats en lien avec la divergence croissante entre les demandes sociales et politiques et l'autonomisation des objectifs des sciences sociales par rapport à elles. Une des difficultés structurelles des sciences sociales réside dans leurs divisions multiples, leur concurrence, l'émiettement des spécialisations et des productions, conséquence logique de la division croissante du travail et de l'augmentation du nombre des chercheurs et chercheuses, si l'on compare aux époques initiales où leur fonction était beaucoup mieux reçue. Ne proposant plus de grands « modèles » ou schémas simples de connaissance assimilables pour un public plus large, elles laissent de fait le champ libre à tous les essayistes ou bricolages intellectuels dont sont friands les médias contemporains. Ces constats soulignent la fragilité accrue de leur position dans le champ universitaire et intellectuel général et la nécessité de refonder leur légitimité dans la société contemporaine désemparée qui tourne de plus en plus le dos aux rationalités savantes.
    The protracted debate on the status of the social sciences seems – in recent years – to have reached a critical phase. Sociology has certainly been the prime target of these controversies. But the recurrence of this critique can only be explained by repositioning sociology within the wider scientific field – both the social sciences and other sciences. Some social sciences - economics, history, ethnography, anthropology, political science, social psychology, human geography - regularly wage critiques against sociology that are instrumentalized by political rain makers in other fields (be it the media, the political field, or the humanities). Other non-social sciences are also increasingly turning to sociological themes and professing alternatives to sociology or more established social sciences disciplines. This article sketches these evolutions and controversies and argues that they reflect the growing divide between social and political demands and the objectives pursued by the social sciences qua sciences. Compared to earlier periods when the social sciences were seen to be more in tune with societal demands, this divide is tied to a structural feature of the social sciences as a field which is characterized by multiple internal conflicts and competitions, and the fragmentation of research specializations as the logical outcome of growth – both in the expansion of divisions of labor within the field, and the growing number of researchers. ‘Grand' theories or ready-to-use explanations palatable to a wider audience are therefore supplied by media savvy essayists or intellectual jerry-rigging. This underscores the growing fragility of the social sciences within the scientific field and more generally the public space and the urgency to rekindle their legitimacy against the backdrop of the ongoing societal crisis and the wider backlash against rational scientific thought.
  • « Une péripétie du gouvernement » : la sociologie soviétique entre incitation et répression - Alexander Bikbov p. 46-61 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Après la mort de Staline, en 1953, la réouverture de l'Union soviétique à l'international permet la naissance et l'institutionnalisation progressive d'une sociologie qui intègre des apports des sciences sociales américaines, sous la surveillance du marxisme orthodoxe. Cet article décrit le développement et les crises de cette sociologie jusqu'au début des années 1970. L'auteur propose ensuite une ouverture synthétique sur les périodes ultérieures, jusqu'à celle de la Russie de Poutine. L'analyse s'attache particulièrement à l'ambiguïté qui caractérise les relations de la sociologie soviétique avec les autorités politiques. Et montre l'hybridation entre deux raisons d'État contradictoires et portées par des fractions opposées de l'appareil du Parti communiste : l'une, héritée de l'ordre politique stalinien, consiste en une pédagogie hégémoniste des masses reposant sur une doctrine des classes sociales opposant les sociétés socialistes et bourgeoises ; l'autre a un rapport direct avec les fonctions expertes de la gestion des populations. Sous tous ces rapports, la sociologie soviétique et russe donne à voir, de façon particulièrement visible, un trait général et structurant de la discipline : la cohabitation, souvent tendue, d'un pôle critique, aux prises avec l'autorité politique, et d'un pôle plus professionnalisé, tourné vers des usages « utiles » des méthodes et des connaissances sociologiques.
    Following the death of Stalin in 1953, the Soviet Union's rekindling of international relations fostered the genesis and gradual institutionalization of a sociological discipline reflective of inputs from the US social sciences while being constrained by orthodox Marxism. This article traces the expansion and crises of this discipline until the 1970s. It then briefly sketches subsequent developments, up to Putin's regime. It underscores that the ambiguous relationship between Soviet sociology and political authorities reflected the hybridization of two contradictory “raisons d'État” (reasons of state) fostered by competing fractions of the communist party. The first, inherited from the Stalinist political order, propounded a hegemonic pedagogy of the masses, leaning on a doctrine of the social classes opposing socialist and bourgeois societies. By contrast, the second fostered sociology's function as a population management expertise. These tensions within Soviet and Russian sociology constitute a petri-dish of a wider structuring feature of the discipline: the often-strained cohabitation between a critical pole grappling with political authorities, and a more professionally oriented pole engaged in “useful” usages of sociological methods and knowledge.
  • Y a-t-il un besoin des sciences sociales ? - Pierre Bourdieu p. 62-73 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Dans cet extrait d'un cours donné au Collège de France en 1988, Pierre Bourdieu formule le programme d'une critique sociologique des sciences sociales : quelles sont les conditions sociales de possibilité des sciences sociales ? Comment ces sciences sont-elles légitimées à exister ? Les sociologues considèrent souvent qu'ils sont justifiés par une fin pure de connaissance, mais cette fin pure n'est qu'un appendice, obtenu par une sorte de détournement, d'une demande sociale qui, en particulier au niveau de l'État, est une demande de service. Après avoir écarté des interrogations traditionnelles qui lui semblent de faux débats, Pierre Bourdieu esquisse une histoire sociale de la genèse de la science sociale en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis et montre que le rapport entre les sciences sociales et l'État varie selon les pays et les époques, notamment en fonction de l'autonomie à l'égard des forces dominantes dont disposent le champ administratif d'une part et le champ universitaire et le système d'enseignement d'autre part, ainsi qu'en fonction de la philosophie globale de l'État et de ses missions.
    In this excerpt from a lecture at the Collège de France in 1988, Pierre Bourdieu articulates an agenda for a critical sociology of the social sciences: what are the social conditions of possibility of the social sciences? Under what conditions can these sciences claim legitimacy qua sciences? Sociologists often consider that their very raison d'être is justified by the pure pursuit of knowledge – but this pure objective is merely an appendix, produced by a form of deflection of a social demand, which, particularly at the level of the State, constitutes a demand for a service. After discarding traditional interrogations as spurious, Pierre Bourdieu sketches a social history of the genesis of social sciences in Germany, France, Britain and the United States and underscores the variable and uneven relationship between the social sciences and the field of state power over time and across national contexts, particularly according to the autonomy against dominant forces that can be waged both by the administrative field, and the scientific and education fields, as well as the global philosophy espoused by the state regarding its missions.
  • À propos de l'autonomie de la sociologie - Julien Duval p. 74-85 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Les sociologues s'interrogent souvent sur le degré d'autonomie des différents espaces sociaux, mais assez rarement sur l'autonomie dont bénéficie leur propre activité. En l'absence de réflexion un peu systématique, le risque est grand de réduire la question de l'autonomie de la sociologie à des notions plus communes, comme la « neutralité », l'existence d'une déontologie, le principe du jugement des pairs… La démarche proposée dans cet article consiste d'abord à transposer à la sociologie certains résultats issus de l'étude du champ littéraire et du champ universitaire, la sociologie empruntant des traits à l'un comme à l'autre. Il faut ensuite prendre en compte, outre la diversité des fronts sur lesquels se joue la lutte pour l'autonomie et le fait que celle-ci n'est jamais absolue, le caractère politique des objets dont traite la sociologie et qui contredit le « contrat tacite » sur lequel repose objectivement l'autonomie relative des activités culturelles.
    Sociologists often examine the degree of autonomy of different social spaces – but they rarely reflect on the autonomy of their field of practice. Without a systematic inquiry, the risk is to fall into the trap of confining the question of the autonomy of sociology to more common notions, such as that of “neutrality”, the existence of a deontology, the principle of peer review…The approach propounded in this article aims, firstly, at transposing on sociology some of the results of studies on the literary field and the scientific field – as sociology shares common characteristics with both fields. It then underscores the need to consider not only the diverse areas of the struggle for autonomy as much as its tenuousness, but also the politics of the objects that sociology engages with, which contradicts the “tacit contract” on which the relative autonomy of cultural activities objectively leans.
  • Philia et misos dans la sociologie contemporaine en Grèce - Nikos Panayotopoulos p. 86-95 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Depuis 2020, année où le ministère de l'Éducation nationale et des cultes grec a décidé de supprimer l'enseignement de la sociologie dans les lycées, le statut scientifique de la sociologie est devenu l'un des grands enjeux du débat public : d'un côté, il est affirmé que la sociologie produit une sorte de « clientèle » de militants de gauche et, de l'autre, la sociologie est présentée comme une science capable de développer l'esprit critique nécessaire pour les citoyens d'un pays démocratique. Si ces prises de position correspondent largement à l'opposition principale qui structure le champ politique selon l'opposition « droite / gauche », ceux qui portent la haine (misos) et ceux qui expriment l'amour (philia) pour la sociologie se nourrissent réciproquement de ce qui les oppose, dans la mesure où leurs stratégies et leurs rhétoriques impliquent une méconnaissance des conditions sociales de possibilité de la légitimité sociale de la sociologie – et par-là même de sa régression actuelle.
    In 2020 the Greek Ministry of national education and religion decided to eliminate the provision of sociology courses in high schools. Since then, the scientific status of sociology has been at the forefront of political debates pitting two opposed positions. On the one hand, sociology is accused of producing a Leftist militant ‘clientele'. On the other, sociology is hailed as a science fostering the capacity for critique that citizens must develop in a democracy. These positions generally reflect the ideological divide between ‘left' and ‘right' that structures the political field. But this article contends that the strategies and rhetoric of the paragons of the hatred (misos) against sociology as much as the champions of love (philia) for sociology build on and reinforce a common misrecognition of the social conditions of possibility of the social legitimacy of sociology – and thereby of the structural forces that contribute to its ongoing undermining.
  • Pour une pédagogie rationnelle de la construction d'objet - Marie-Pierre Pouly p. 96-109 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Comment éviter que la construction d'objet ne reste une opération épistémologique ésotérique réservée aux seules élu·es qui parviennent à en percer le mystère ? L'analyse proposée ici entend contribuer au travail collectif de réflexivité pédagogique sur la transmission du métier de sociologue en esquissant provisoirement ce que pourrait être – étant donné ce que l'on sait des conditions sociales dans lesquelles s'opère la transmission de la sociologie – une pédagogie rationnelle de la construction d'objet. À condition d'expliciter patiemment la série des faits sociaux, y compris internes à la discipline sociologique, qui peuvent entraver cette transmission, il est possible de surmonter au moins partiellement certains des obstacles sociaux à la formation de l'esprit scientifique, en s'appuyant, pour les contrer, sur l'analyse sociologique et en explicitant les implicites des opérations sociologiques les plus mystérieuses.
    How can we avoid confining the process of building a research object to an esoteric epistemological quest reserved to an ex clusive happy few? This article purports to contribute to a collective reflexive pedagogical endeavor on the transmission of the craft of sociology. Considering the social conditions that determine the transmission of sociology, it sketches the preliminary conditions for a rational pedagogy on the construction of a research object. Such a reflexive pedagogy involves the careful and systematic deconstruction of the series of social facts – including those internal to the discipline itself – that can contribute to hinder this transmission. Overcoming, at least partially, some of the social obstacles to the formation of a scientific spirit requires a sociological analysis that exposes the implicit structures of the operations of sociology itself as mystification.
  • Divorce à l'allemande : Luttes symboliques et tensions institutionnelles dans la sociologie allemande contemporaine - Christian Schmidt-Wellenburg, Andreas Schmitz, Antoine Heudre p. 110-123 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Avec la création de l'Académie de sociologie (AS), le champ sociologique allemand compte désormais une nouvelle association professionnelle qui s'ajoute à la Société allemande de sociologie (DGS), établie de longue date. Cet article passe en revue les principales positions discursives, les sujets de controverse majeurs ainsi que les grandes lignes de fracture qui ont conduit à ce schisme. Les conflits contemporains sont interprétés au travers d'une représentation empirique du champ de la sociologie allemande. De manière générale, la sociologie allemande contemporaine apparaît une fois de plus dominée par deux camps opposés, arbitrairement définis mais puissants, qui se partagent la domination d'une discipline, pourtant réellement pluraliste.
    The German sociological field is now divided along two professional associations, the recently created Academy of Sociology (Akademie für Soziologie, AS) and the long-established German Sociological Association (Deutsche Gesellschaft für Soziologie, DGS). This article examines the main discursive positions, controversies and fault-lines that have contributed to this schism, based on an empirical study of the field of sociology in Germany. It underscores that these professional associations reflect, yet again, a divide between two opposed, powerful, yet arbitrarily defined poles that dominate the discipline despite its effective pluralism.
  • « C'est pas évident de prendre la vérité dans la gueule » : Notes sur le retour de l'enquête aux enquêtés - Martin Thibault p. 124-137 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    S'il est commun de considérer que la science est émancipatrice et de penser que l'accès au savoir est libérateur, il est plus compliqué de confronter les personnes interrogées lors d'une enquête à la mise en forme de leurs trajectoires et à l'analyse sociologique construite à partir des informations qu'elles ont pu communiquer. Ainsi, le chercheur peut être confronté à la question de savoir ce que les premiers concernés, qui ont participé de la construction de l'enquête et de l'objet, peuvent penser de ses analyses une fois que celles-ci ont été mises en forme. L'objet de cet article est donc de poser de manière pratique la question du retour de l'enquête aux enquêtés. À partir d'un exemple concret aux spécificités nombreuses (une enquête au long cours sur de jeunes hommes de classes populaires reposant sur des liens d'amitiés avec certains enquêtés), il s'agit de réfléchir aux effets de l'explicitation de la domination aux dominés et aux formes possibles de résistances, de méfiance, voire d'indifférence à l'égard de l'objectivation. Les formes de restitution évoquées ici revêtent des particularités les rendant possibles mais permettent d'interroger plus largement la place de la restitution dans les sciences sociales.
    While it is common sense to construe science as emancipatory and access to knowledge as liberating, the question of confronting respondents with the rationalisation of their trajectories and the sociological analysis of the data they have imparted remains largely obfuscated. This raises a question that the researcher herself must address: the reception of her analysis by the very individuals who, as respondents, have contributed to the development of her investigation and the construction of her research object. This article examines the question of the restitution of the findings of an investigation to research subjects. Taking the concrete example of a complex study (a long investigation on working class young men based on friendship ties with some respondents), it questions the effects of exposing the structures of domination on dominated subjects and the possible forms of resistance, distrust, even indifference, to the process of objectivation. In this instance, the condition of possibility of the restitution process reflects the specificities of the investigation itself – but this example constitutes an entry-point for a wider inquiry into the question of restitution in the social sciences.