Contenu du sommaire : Les politiques publiques du changement climatique

Revue Gouvernement & action publique Mir@bel
Numéro volume 11, no 3, juillet-septembre 2022
Titre du numéro Les politiques publiques du changement climatique
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  • Les politiques publiques du changement climatique

    • Les « climatisations » différenciées de l'action publique : Normaliser l'étude du problème « changement climatique » - Marie Hrabanski, Yves Montouroy p. 9-31 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Si la « climatisation » permet de souligner la force d'attraction de la question climatique sur les agendas, il convient de rappeler qu'il s'agit avant tout d'un processus politique. La climatisation des politiques publiques doit être par conséquent mise en question dans ses jeux d'acteurs, leurs intérêts, leurs conflits et coopération, pour résister ou fabriquer le changement dans l'action publique. Plus encore, il s'agit de normaliser son étude en s'appuyant sur les outils éprouvés par la sociologie de l'action publique plutôt que d'isoler l'objet dans des conceptualisations singulières. En effet, jusqu'ici, ce néologisme a souvent conduit la recherche à développer des approches normatives pour climatiser les politiques publiques autour d'un problème complexe et transversal. Certes, théoriquement, le problème du changement climatique est bien un « super wicked problem » mais, dans les faits, ce numéro spécial dédié « aux climatisations différenciées » analyse les processus politiques par lesquels le changement climatique connaît une mise en politique « normale ». Après avoir analysé les obstacles à la mise en politique du problème climatique en résumant la recherche existante sur ce point, cette introduction expose les différents concepts et approches théoriques en sociologie de l'action publique qui contribuent à éclairer des processus d'intégration de problématisations nouvelles sur l'agenda politique. Enfin, en présentant les articles qui composent ce numéro spécial, nous montrons que ceux-ci partagent un triple constat. Tout d'abord, sur le temps long, aucun acteur ne peut plus ignorer la variable climatique devenue une norme de l'action publique. Ensuite, la climatisation n'est ni homogène, ni univoque. Enfin, ce processus n'est pas forcément suivi d'effets sur les pratiques, les ressources et les intérêts des acteurs. Au total, les contributions présentées ici montrent que, au-delà des rhétoriques politiques, du point de vue de l'action publique contemporaine, le changement climatique n'est qu'un enjeu parmi d'autres et que, par conséquent, les acteurs qui le portent comme problème public doivent encore « lutter » pour s'imposer.
      If the neologism “climatization” enables analysis to underline the importance of the climate issue on public agendas, it should be remembered that it is above all a political process. The climatizaton of public policies must therefore be questioned as regards its interplay between actors, their interests, conflicts and cooperation engaged to either resist or change public policies. Moreover, it is necessary to normalize its study by drawing upon the proven tools of the sociology of public action rather than isolating the object using singular conceptualisations of the political. Indeed, until now, this neologism has often led research to develop normative approaches to climatized public policies. Although, in the abstract, the problem of climate change is indeed a “super wicked problem”, in practice, this special issue dedicated to “differentiated climatizations” analyses the political processes by which climate change has become a “normal” problem of public policy. Having first analysed the obstacles that have often faced actors seeking to tackle climate problem by summarising the existing research on this point, this introduction sets out the different concepts and theoretical approaches from the sociology of public action that contribute to shedding light on the processes of integration of new problematisations on the political agenda. Finally, in presenting the articles that make up this special issue, we show that they share three findings. Firstly, over the long term, no actor can ignore the climate variable, which has become a norm of public action. Secondly, climatization is neither homogeneous nor unidirectional. Indeed, this process is not necessarily followed up with by actual effects on the practices, resources and interests of actors. Finally, the contributions presented here show that, beyond political rhetoric, from the point of view of contemporary public action, climate change is only one issue among others. Consequently, the actors who promote it as a public problem still have to “struggle” to impose themselves upon others.
    • L'instrument de marché CORSIA : Un compromis politique pour « climatiser » un secteur aérien international réticent - Daniel Compagnon p. 33-53 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Après l'échec de l'UE à intégrer le transport aérien international dans son propre marché carbone, l'OACI a adopté le mécanisme de compensation CORSIA. Cet instrument d'action publique internationale, associant le marché et un cadre inter-gouvernemental contraignant est le produit à la fois de processus politiques dans l'arène internationale spécialisée qu'est l'OACI, mais aussi de l'action organisée des représentants des industries de l'aérien. À l'encontre d'une lecture réductrice en termes de domination de l'idéologie néo-libérale, notre approche sociologique et empirique éclaire les significations multiples dont l'instrument de marché est investi, les conflits et le compromis politique qui l'institue finalement. Cela ne fait pas pour autant du CORSIA la preuve que la climatisation du secteur aérien est aboutie.
      After the failure of the EU to include international aviation into its own carbon market, the ICAO adopted the CORSIA offset mechanism. This instrument of international public action, combining the market and a binding inter-governmental framework, is the product both of political processes in the specialized international arena that is ICAO, and of organized action by representatives of the aviation industries. In contrast to a reductionist reading in terms of the domination of neo-liberal ideology, our sociological and empirical approach sheds light on the multiple meanings that the market instrument has been invested with, together with the conflicts and the political compromise that ultimately instituted it. This does not mean, however, that CORSIA is evidence that the climatization of the aviation sector is complete.
    • Intégrer les enjeux climatiques dans le secteur de la défense en France : La climatisation comme changement graduel de l'action publique - Adrien Estève p. 55-73 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les approches contemporaines de la climatisation de l'action publique avancent que la mise à l'agenda du changement climatique provoque deux types de transformation au sein des organisations. D'un côté, la climatisation s'inscrirait dans la continuité des pratiques traditionnelles de conversion environnementale (ou de verdissement) de l'action publique. Elle se limiterait alors à accentuer ou atténuer certaines préoccupations écologiques préexistantes comme la réduction des émissions carbonées ou à la transition énergétique. De l'autre, elle entraînerait un important bouleversement des pratiques des organisations, en raison du travail de traduction de leurs missions en termes climatiques. Ce serait particulièrement le cas des institutions chargées de la sécurité et de la défense, qui auraient tendance à « climatiser » certains enjeux comme les migrations ou le terrorisme. Cet article propose de montrer que ces deux approches sont complémentaires pour saisir la dimension progressive et graduelle du changement institutionnel provoqué par la mise à l'agenda du changement climatique, à partir du cas du ministère des Armées. La climatisation apparaît en effet comme un processus incrémental et différencié de construction du problème climatique par le secteur de la défense. Il est incrémental car la climatisation consiste en une série d'ajustements internes pour insérer le problème climatique dans des politiques publiques préexistantes. Il est également différencié car plusieurs constructions du problème peuvent coexister au sein de l'organisation, au risque de se chevaucher, voire de se concurrencer.
      Contemporary ways of thinking about the climatization of public action claim that putting climate change on the agenda causes two sorts of organizational transformations. On one hand, climatization can be the continuation of traditional greening policies. It would then only emphasize or mitigate existing ecological practices, such as the reduction of carbon dioxide emissions or energy transition. On the other hand, it can trigger an important transformation of practices because of the translation of the organizations' tasks in climate terms. This would particularly be the case of security institutions, which would tend to climatize issues such as migrations for example. This article offers to show that these two approaches are complementary to assessing the level of institutional change caused by putting climate change on the agenda, based on a study of the French Ministry of the Armed Forces. Indeed, climatization here is found to be an incremental and differentiated process of constructing climate issues within the defense sector. It is incremental since climatization consists in a series of internal adjustments aimed at incorporating these issues within existing policies. It is also differentiated because several distinct constructions of climate issues can coexist in the same organization, which in turn can lead to overlaps or competition.
    • La « climatisation » limitée et différenciée des politiques locales de gestion du risque de submersion marine en Charente-Maritime - Guillaume Rieu p. 75-98 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse le processus de « climatisation » de l'action publique, à partir d'une étude des politiques de gestion de la submersion marine menée en Charente-Maritime après la tempête Xynthia de 2010. Nous interrogeons d'abord les effets de la catastrophe sur la mise à l'agenda et le cadrage du risque de submersion marine et montrons que si la tempête a contribué à la mise à l'agenda de l'enjeu climatique, elle a aussi favorisé un cadrage « sécuritaire » du problème. Cela se traduit par un processus de « climatisation » en trompe-l'œil des politiques de gestion de la submersion marine que nous analyserons dans un second temps, avant dans un troisième temps de souligner les logiques et les modalités d'une mise en œuvre différenciée de ces politiques d'un territoire à l'autre.
      This article analyzes climatization as a process of public action, based on a study of coastal risk management in Charente-Maritime after the Xynthia storm of 2010. The paper first examines the effects of the disaster on the agenda-setting and framing of the risk of marine submersion. In so doing, it shows that whilst the storm contributed to placing the climate issue on the local political agenda, it also favored a “security”-centred framing of the problem. This is reflected in a limited process of climatizing marine submersion policies, one that is then analyzed here. Finally, this text also highlights the logic and modalities of implementations of these policies which vary from one territory to another.
    • Gouverner l'adaptation de l'agriculture au changement climatique par projet ? : Les limites de la climatisation des politiques agricoles au Sénégal - Bétina Boutroue, Marie Hrabanski, Astou Diao Camara p. 99-125 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'article nourrit les réflexions du numéro spécial sur la normalisation des études sur le problème climatique et sur les « climatisations » différenciées des politiques publiques en questionnant la dynamique d'intégration des enjeux climatiques dans les politiques agricoles au Sénégal. Ce pays se caractérise par sa forte vulnérabilité aux effets du changement climatique et est marqué par une longue tradition d'extraversion et de dépendance vis-à-vis des bailleurs de l'aide internationale. Nous mobilisons le modèle de Candel et Biesbroek d'analyse processuelle de l'intégration, comprenant quatre variables : policy framing, policy goals, policy subsystem involvement et policy instruments. Nous prenons également appui sur la littérature en socio-anthropologie du développement pour remodeler la variable instrumentale du modèle afin de l'adapter au contexte d'un pays « sous régime d'aide ». Nous montrons ainsi que l'adaptation au changement climatique est un enjeu qui est formellement bien intégré aux politiques agricoles au Sénégal, en raison de la circulation de cette norme de politique publique dans les négociations internationales (variable « policy framing »), de son appropriation à l'échelle de l'État du Sénégal (variable « policy goals ») et de son appropriation par les agences administratives dans le cadre d'une compétition institutionnelle pour les ressources de l'adaptation de l'agriculture (variable « subsystem involvement »). Cette intégration trouve pourtant ses limites dans les difficultés de l'État du Sénégal à financer des instruments propres d'adaptation de l'agriculture au changement climatique et dans l'imposition par les bailleurs du mode de gouvernement de l'adaptation par projet (variable instrumentale adaptée du modèle).
      The article feeds into the reflections of this special issue on the normalization of climate policy studies and on the differentiated “climatizations” of public policies by questioning the dynamics of how climate issues have been integrated within Senegal's agricultural policies. This country is characterized by its high vulnerability to the effects of climate change and is marked by a long tradition of extraversion and dependence on international aid donors. We use Candel and Biesbroek's processual analysis model of integration, which includes four variables: policy framing, policy goals, policy subsystem involvement and policy instruments. We also draw on the socio-anthropology of development literature to reshape the instrumental variable of the processual analysis model in order to adapt it to the context of a country “under aid regime”. We find that adaptation to climate change is an issue that is formally well integrated into agricultural policies in Senegal, due to the circulation of this public policy norm within international negotiations (the “policy framing” variable). Moreover, its appropriation at the level of the Senegalese state (the “policy goals” variable) and by administrative agencies within the framework of an institutional competition for resources for agricultural adaptation (the “subsystem involvement” variable) are also relatively well integrated. However, the difficulties of the Senegalese government in financing its own instruments for adapting agriculture to climate change, together with the imposition by donors of a project-based mode of governance for adaptation (the model's adapted instrumental variable), in practice limit actual levels of policy integration.
    • La mise en œuvre locale des instruments comme vecteur de déclimatisation des politiques publiques : Le cas de la politique agricole et de la filière banane en Guadeloupe - Yves Montouroy, Océane Biabiany, Gilles Massardier p. 127-152 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'article présenté ici participe des travaux sur les processus de climatisation et de déclimatisation des politiques publiques, notamment dans le secteur agricole européen. Notre étude montre que la mise en œuvre de la politique agricole commune favorise les marges de manœuvre des acteurs sectoriels locaux, ce qui augmente leur autonomie. Dans la filière banane en Guadeloupe, ces marges de manœuvre donnent lieu à une réinterprétation en défaveur de la prise en charge du changement climatique. Quatre variables concourent à ce processus de déclimatisation par le bas : une mise en œuvre multi-niveaux organisant une définition au local du contenu des instruments programmatiques européens ; une gouvernance polycentrique locale catalysée par la filière banane ; un agenda environnemental cadré sur la lutte contre les produits phytopharmaceutiques et enfin des arrangements locaux fabriqués pour soutenir la compétitivité de la filière. L'article contribue au numéro spécial en décryptant ce que la mise en œuvre sur un territoire et par un secteur produit sur une politique européenne climatisée. Il montre ainsi que l'appel à programmer le changement ne suffit pas à le générer mais qu'il favorise la résistance des acteurs et la « lutte » des problèmes et leur hiérarchisation. Enfin, l'article contribue à la normalisation de l'étude de l'objet climat. Fondé sur une méthodologie qualitative et une enquête de terrain conduite en Guadeloupe, l'article met ainsi en lumière une déclimatisation de la politique agricole à travers le cas de la filière banane. Cette déclimatisation est rendue possible, tout d'abord, parce que le cadrage de l'agenda politique local marginalise l'intégration du changement climatique dans la programmation de la politique agricole et ce, au profit d'une labélisation en termes de transition agroécologique compétitive définie depuis la filière. Ensuite, le contenu technique des instruments climatisés reste dépendant des barrières sectorielles, ici relégitimées au prisme des vulnérabilités locales et des pratiques agricoles existantes. En effet, nous montrons que la mise en relation entre l'agenda politique local et la mise en œuvre des instruments programmatiques est dépendante d'une action collective fortement structurée par la filière. L'enjeu est de faire des instruments européens climatisés les leviers de la transition agroécologique de la filière. Enfin, cela a été rendu possible car l'association représentant la filière a pallié auprès de ses membres les dysfonctionnements de l'État territorial, alors contraint de travailler étroitement avec celle-ci. L'analyse conclut sur la mise en évidence d'un processus de capture associant acteurs publics et la filière.
      The article focuses on a mix of climate-controlled instruments from the Common Agricultural Policy, the MAEC presented here, and is part of the literature on the processes of (de)climatization control of public policies for adaptation in agriculture. The case presented here shows that neither the adaptive multi-level governance nor the territorialized implementation are sufficient conditions for an effective implementation of climate policies. It shows that their implementation in the banana chain in Guadeloupe gives rise to a reinterpretation that is not conducive to the management of climate change. Four variables contribute to this declimatization process: a multilevel implementation organizing a local definition of the content of programmatic instruments; a local polycentric governance catalyzed by the banana industry; an environmental agenda framed on the fight against phytosanitary products; and finally, local arrangements made by the meeting of European actors at the local level and the territorialized agricultural sector and chains. Based on a qualitative survey-methodology and a field survey conducted in Guadeloupe, the article highlights a local declimatization of European climate instruments in the agricultural sector, and particularly in the banana industry. This declimatization is made possible, first of all, by the framing of the local political agenda, which marginalizes the integration of climate change in the programming of the Common Agricultural Policy in favor of a label in terms of competitive agroecological transition. Secondly, the definition of the technical content of climate change instruments remains dependent on sectoral barriers, here relegitimized through the prism of local vulnerabilities and existing agricultural practices focused exclusively on the fight against phytosanitary products, public health issues and economic transition for the banana industry. To this end, the banana industry is engaging in a collective work which places itself in a position of strength to orient local arrangements towards its own objectives. The result is that the agro-ecological and climate measures are captured at the service of an instrumental mix reinvented by the banana industry.
  • Lectures