Contenu du sommaire : Le travail de la critique

Revue Sociétés contemporaines Mir@bel
Numéro no 125, 2022/1
Titre du numéro Le travail de la critique
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  • Le travail de la critique

    • Notes pour une sociologie incarnée du travail de la critique - Elsa Rambaud, Johanna Siméant-Germanos p. 5-33 accès réservé
    • L'ordinaire de la critique à Téhéran : Les politiques de loisirs dans les quartiers iraniens ou les ressorts paradoxaux du gouvernement par la morale - Sahar Aurore Saeidnia p. 35-60 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      À rebours d'une approche opposant conformisme et résistance, cet article se propose d'expliciter comment les conseils de quartier de Téhéran sont à la fois des lieux de reproduction et de débordement de normes encadrant la participation à la vie publique. J'y analyse les pratiques critiques de ces intermédiaires de l'action publique locale dans le champ des loisirs. Ce secteur d'activité est emblématique à la fois du pluralisme et de la conflictualité de l'action publique en Iran, mais aussi du gouvernement par la morale qui y est l'un des ressorts centraux du pouvoir autoritaire. Pour ce faire, cet article explore à la fois les objets, les motifs ainsi que les modalités d'expression de la critique.
      In contrast with an approach that contrasts conformism and resistance, this article explains how Tehran's neighbourhood councils are both places of reproduction and redefinition of norms framing participation in public life. I analyse the critical practices of these intermediaries of local public action in the field of recreation. This sector of activity is emblematic of both the pluralism and the contentiousness of public action in Iran and the government by morality, which is one of the central sources of authoritarian power there. To this end, this article explores the objects, motives, and modes of expression of the critique.
    • Une critique bien élevée : La presse « pro-régime » dans l'Ouganda de Yoweri Museveni - Florence Brisset-Foucault p. 61-89 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise une meilleure compréhension des discours médiatiques produits dans des régimes rapidement qualifiés d'autoritaires ou de semi-autoritaires via l'exemple de la presse dite « pro-régime » dans l'Ouganda de la fin des années 1980. Il reconstitue toute la singularité sociale des registres critiques élaborés par cette presse, leur complexité politique, mais aussi ce qu'ils doivent à l'ordinaire du travail médiatique. Il illustre combien adhésion et critique peuvent être mêlées, parfois dans le même article de presse, par stratégie de protection vis-à-vis de la répression, mais aussi en cohérence avec des trajectoires politiques particulières. Il souligne l'importance de prendre en compte, en plus du face-à-face avec les autorités, les enjeux propres aux luttes internes à un proto-champ médiatique, y compris dans un tel contexte de pression politique.
      This article aims at a better understanding of the media discourses produced in regimes quickly qualified as authoritarian or semi-authoritarian through the example of the so-called “pro-regime” press in Uganda in the late 1980s. It reconstructs all the social peculiarity of the critical discourse elaborated by this press, their political complexity, but also what they owe to the ordinary work of the media. It illustrates how much acceptance and criticism can be mixed, sometimes in the same press article, as a strategy of protection against repression, but also in coherence with particular political trajectories. It underlines the importance of taking into account, in addition to the face-to-face confrontation with the authorities, the issues at stake in the internal struggles of a proto-media field, including in such a context of political pressure.
    • Du « service rebelle » aux rebelles « de service » : Des syndicalistes face à l'image critique de leur collectif - Bérénice Crunel p. 91-115 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Au sein d'une prestigieuse institution culturelle se déroule une longue lutte de (dis)qualification de l'image ouvrière et contestataire des techniciens, notamment des machinistes. Aux côtés des porte-parole syndicaux de ces personnels subalternes, cet article questionne particulièrement le poids des routines institutionnelles, syndicales et managériales sur la mise en forme et les possibilités d'expression d'une critique à la fois professionnelle et sociale. Source de fierté collective et emblème d'une certaine autonomie culturelle, cette image rebelle entretient des logiques pratiques de politisation et de contestation d'un ordre institutionnel teinté de mépris de classe. Ces représentations, auxquelles les techniciens adhèrent plus ou moins selon leur trajectoire, soutiennent un syndicalisme de lutte délégitimé par les dirigeants de l'établissement qui retournent cette image contestataire en posture d'opposition systématique, traditionnelle et dépassée. Ce point de vue est renforcé dans les réunions de négociation, codifiées par les politiques d'incitation au « dialogue social » qui, jusque dans leur configuration matérielle, contribuent à encadrer, contourner ou disqualifier les revendications portées par ces syndicalistes hétérodoxes. À rebours de « l'horizontalité entre partenaires sociaux » affichée, ces dispositifs concourent surtout au rappel à l'ordre, indissociablement institutionnel et social, des travailleurs subalternes de cette « Maison ».
      Within a prestigious cultural institution, the rebellious reputation and working-class image of technicians – especially stage hands – is the subject of a long-lasting struggle. This article particularly questions how the logics of (dis)qualification depend upon institutional, union and managerial routines. On the one hand, this symbolic universe enables the reaffirmation of a collective sense of pride and dignity and maintains practical logics of politicization and contestation to face an institutional order tinged with class contempt. On the other hand, while these representations can legitimize a “class struggle” trade unionism in the subaltern staff, they are also stigmatized by the management of the institution as a systematic, traditional and outdated opposition. This symbolic disqualification is reinforced in the negotiation meetings, which are codified by « labour relations » policies. The material configuration of these meetings contributes to framing, restricting or disqualifying the claims made by these heterodox trade unionists. In contrast to the stated « horizontality » between « social partners », these mechanisms mainly contribute to maintaining both institutional and social order, and send back technicians to their subaltern position.
    • Les professionnels de la critique : La production d'une critique institutionnalisée au sein du Contrôleur général des lieux de privation de liberté - Nicolas Fischer p. 117-145 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une enquête combinant des entretiens et une série d'observations ethnographiques, cet article revient sur le travail critique effectué par les membres du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), autorité indépendante créée en 2007 pour veiller au respect des droits fondamentaux des personnes enfermées dans un vaste ensemble d'institutions incluant les prisons ou les locaux de garde à vue. En étudiant cette nouvelle « bureaucratie du contrôle », cette contribution propose d'analyser quelle place y tient la critique, dès lors que celle-ci émane d'une institution pour laquelle la critique distanciée constitue littéralement un « métier », alors même que ces membres sont pour la plupart issus des institutions pénales ou répressives qu'ils sont amenés à évaluer. Pour mener cette interrogation, on se focalise ici sur la génération des 12 contrôleurs « fondateurs », recrutés au moment de la création de l'institution et dont la première tâche a consisté à définir l'approche et les méthodes de contrôle propres au CGLPL. Le premier volet de l'article retrace les trajectoires de ces contrôleurs, et met l'accent sur leur socialisation à la critique à la faveur de leur parcours institutionnel lui-même. Son second volet revient sur la négociation des critiques entre contrôleurs à l'occasion des visites d'établissement
      Based on a survey combining interviews and a series of ethnographic observations, this article examines the critical work carried out by the members of the Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), an independent authority created in 2007 to monitor the respect of fundamental rights for those detained in a vast array of institutions, including prisons and police custody facilities. By studying this recent « bureaucracy of control », this contribution proposes to analyze the place of critique when it comes from an institution whose members see distanced criticism as part of their "profession", even if most of these members are themselves former officials from the penal or repressive institutions they are supposed to evaluate. To answer this question, I focus on the generation of the 12 "founding" controllers, recruited at the time of the institution's creation and whose first task was to define the approach and specific control methods of the CGLPL. The first part of the article traces the trajectories of these controllers, and emphasizes their internal socialization to criticism through their very institutional career. The second part of the article looks at the negotiation of criticism between « controllers » during their visits of establishments.
  • Varia

    • La police du consentement : La qualification policière des récits de violences sexuelles - Océane Pérona p. 147-173 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Bien qu'absente de la définition des violences sexuelles donnée par le code pénal français, la question du consentement est centrale dans les enquêtes policières pour viol. À partir d'une ethnographie de 10 mois dans un service d'investigation spécialisé dans les violences sexuelles sur adultes et de 20 entretiens avec des policiers travaillant en brigade des mineurs, cet article examine le travail policier de qualification des récits des plaignantes. Il montre que celui-ci consiste en l'écriture d'un script pénal de sexualité contrainte, qui comporte une dimension situationnelle, relationnelle et fait intervenir les positions des plaignantes dans l'espace social. L'existence ou l'absence du consentement sont appréciées par les policiers à l'aune de différentes normes, socialement situées, qui travaillent les conduites sexuelles féminines, de la relation entre les plaignantes et les mis en cause, ainsi que de l'éventuelle distance sociale qui les sépare.
      Although not included in the definition of sexual violence in the French Criminal Code, the issue of consent is central to police investigations in rape cases. Based on a ten-month ethnography in an investigation service specialised in sexual violence against adults and 20 interviews with police officers working in the Minors'squads this article examines police work to qualify the complainants' stories. This consists in writing a penal script of forced sexuality, which includes a situational, relational dimension and involves the complainants' positions in the social space. The existence or absence of consent is assessed by police officers in terms of different socially situated norms that frame female sexual conduct, the relationship between complainants and defendants, and the possible social distance between them.
    • Juger la traite des êtres humains en France et en Allemagne : La construction pénale de la victime d'exploitation sexuelle - Mathilde Darley p. 175-200 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Différents travaux ont déjà analysé les politiques de contrôle de la traite des êtres humains et d'accompagnement de ses victimes à partir de leur mise en œuvre policière et associative. Le procès pour traite à des fins d'exploitation sexuelle, instance ultime de qualification des faits, est cependant resté relativement sousexploré, en dépit de son caractère central dans la production d'une « vérité judiciaire » et l'identification des victimes et auteur·es. À partir d'une ethnographie conduite dans des tribunaux français et allemands, il s'agit ici d'interroger la production pénale de la figure de victime d'exploitation sexuelle au sein de deux modèles législatifs que l'on oppose couramment en matière de régulation de la prostitution et du proxénétisme. Par-delà les contrastes, on développera l'idée que la figure de la victime de traite à des fins d'exploitation sexuelle, en raison des projections sexualisées et racialisées dont elle fait l'objet, révèle avant tout une certaine conception de la femme et de son rapport à la nation.
      Various studies have already addressed the policies for controlling trafficking in human beings and assisting its victims based on the analysis of their implementation by the police and associations. However, the trial for trafficking for sexual exploitation, the ultimate authority for qualifying the facts, has remained relatively under-explored, despite its central character in the production of a "legal truth" and the identification of victims and perpetrators. Based on an ethnography conducted in French and German courts, the aim here is to examine the criminal production of the figure of the victim of sexual exploitation within two different legislative models regarding the regulation of prostitution and pimping. Beyond the contrasts, I will develop the idea that the figure of the victim of trafficking for the purpose of sexual exploitation, because of the sexualized and racialized projections to which she is subjected, tells above all the story of a certain idea of women and their relationship to the nation.
  • En lutte