Contenu du sommaire : Injustices structurelles globales

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 87, août 2022
Titre du numéro Injustices structurelles globales
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  • Éditorial

  • Dossier

    • L'exclusion, une injustice structurelle particulière - Isabelle Aubert p. 21-38 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Alors que l'exclusion est très tôt caractérisée comme une injustice structurelle par Iris Marion Young qui s'y intéresse dans deux de ses principaux ouvrages, Justice and the Politics of Difference et Inclusion and Democracy, elle lui accorde très peu d'attention dans son examen des injustices structurelles globales. Après avoir détaillé quelle est la dimension globale et systémique de l'exclusion grâce aux analyses sociologiques de Niklas Luhmann et de Saskia Sassen, mais aussi une fois signalée sa gravité pour la société mondiale, le présent article propose de revenir à la théorie d'Iris Marion Young pour déterminer des types de réponses appropriées. Le modèle de connexion sociale de la philosophe, qui soutient l'idée d'une responsabilité partagée à l'égard des injustices structurelles globales, est confronté ici à ses travaux plus anciens sur les manifestations de l'exclusion dans le cadre de la communauté nationale. L'idée avancée est que, pour répondre à l'injustice structurelle globale particulière qu'est l'exclusion sociale, une articulation entre les deux modèles est nécessaire.
      While exclusion is characterised early on as a structural injustice by Iris Marion Young in two of her major books, Justice and the Politics of Difference and Inclusion and Democracy, she gives it very little attention in her examination of global structural injustices. Having detailed the global and systemic dimension of exclusion through the sociological analyses of Niklas Luhmann and Saskia Sassen, and having pointed out its seriousness for global society, this paper proposes to return to Young's theory to determine appropriate responses. Young's model of social connection, which supports the idea of shared responsibility for global structural injustices, is contrasted here with her earlier work on the manifestations of exclusion within the national community. The idea is that, in order to respond to the particular global structural injustice of social exclusion, an articulation between the two models is necessary.
    • Responsibility for Global Metabolic Injustices: The Territory, Environment, and Space Nexus - Corentin Lelong p. 39-61 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article explore les questions politiques et morales qui relient les préjudices territoriaux et les injustices structurelles. Pour ce faire, il s'appuie sur le travail d'Iris Marion Young concernant les injustices spatiales et la responsabilité politique pour souligner les questions qui gravitent autour du phénomène global de la submersion des territoires. L'accent est mis ici sur les relations entrecroisées entre le territoire, l'environnement, l'espace et la structure pour saisir la nature structurelle des injustices structurelles. Le flou qui entoure ce lien constitue un obstacle majeur qui empêche une conception adéquate des maux et des responsabilités liés au changement climatique. L'examen des pertes territoriales à travers le prisme du Capitalocène permet de surmonter ces limites tout en faisant appel à l'héritage marxiste présent dans l'appareil conceptuel d'Iris Marion Young. Ce cadre s'adapte aux intuitions cosmopolites et étatistes, car il différencie les responsabilités d'adaptation entre les agents selon qu'ils appartiennent au centre ou à la périphérie. La destruction territoriale incarne ainsi la tension entre la communauté des destins et le destin particulier des groupes plus défavorisés.
      This paper explores the political and moral issues that link together territorial harms and structural injustices. To do so, it draws on Iris Marion Young's account of spatial injustices and political responsibility to outline the issues that gravitate around the global phenomenon of sinking territories. The main focus here is on the intertwined relationships between territory, environment, space, and structure to grasp the structural nature of structural injustices. The vagueness surrounding this nexus constitutes a key impediment that precludes an adequate conception of climate change-related harm and responsibilities. Examining territorial losses through the lens of Capitalocene overcomes these limitations while appealing to the Marxist legacy of Iris Marion Young's conceptual apparatus. This framework accommodates cosmopolitan and statist intuitions as it differentiates adaptation responsibilities between agents according to whether they belong to the center or the peripheries. Territorial destruction thus embodies the tension between the community of fates and the particular destiny of more disadvantaged groups.
    • Injustice structurelle et répartition des responsabilités de protéger les réfugiés - François Boucher p. 63-85 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Au cours des dernières années, plusieurs décideurs et théoriciens politiques ont souligné l'importance de mieux partager les responsabilités de protéger les réfugiés. Ils ont suggéré de renforcer les schèmes de relocalisation des réfugiés et d'aide financière aux États recevant une part disproportionnée de réfugiés. Il s'agit là d'une importante avancée dans la coopération en vue de l'établissement d'un système international de protection des réfugiés plus juste. Toutefois, je tente dans cet article de suggérer que notre compréhension de la responsabilité de protéger les réfugiés gagne à accorder plus d'attention aux processus structurels qui engendrent l'actuel répartition mondiale des réfugiés entre différents États. Cette répartition résulte de la manière dont les décisions de plusieurs acteurs, principalement des États et des demandeurs d'asile, interagissent avec la combinaison de multiples facteurs institutionnels propres au droit international. Je mets en lumière les dynamiques qui façonnent l'actuelle répartition des devoirs de protection des réfugiés afin de défendre la thèse voulant que cette répartition constitue ce qu'Iris Marion Young appelle une injustice structurelle. Je cherche également à montrer en quoi cet angle d'analyse nous permet de raffiner notre compréhension du juste partage des responsabilités envers les réfugiés tout en répondant à quelques objections à l'applicabilité du cadre théorique des injustices structurelles au problème de la répartition des responsabilités envers les réfugiés.
      In recent years, several policymakers and political theorists have emphasized the importance of better sharing the responsibilities to protect refugees. They argued for the reinforcement of schemes of resettlement and resources sharing. This is without any doubt an important step toward establishing a fairer international refugee protection system. However, in this article I would like to suggest that our understanding of the responsibility to protect refugees gains by paying more attention to the structural processes that give rise to the current global distribution of refugees among different states. This distribution results from the way in which the decisions of several actors, mainly States and asylum seekers, interact with the combination of multiple institutional features of international law. My goal is to shed light on the dynamics that shape the current distribution of refugee protection duties in order to argue that this distribution constitutes what Iris Marion Young calls a structural injustice. I will also seek, in conclusion, to show how this structural analysis allows us to refine our understanding of the fair sharing of responsibilities towards refugees while responding to some objections to the applicability of Young's th
    • Duties, Responsibilities, and the Refugee Regime - Juliette Monvoisin p. 87-100 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article part de l'intérêt grandissant que les théories de la justice migratoire manifestent pour le modèle de la connexion sociale forgé par Iris Marion Young. Il se propose d'abord de montrer en quoi les conséquences normatives sont radicalement différentes selon qu'on interprète les injustices comme étant du ressort du respect des devoirs (injustices interactionnelles) ou de celui de la responsabilité (injustices structurelles). Il entreprend ensuite de dénoncer la confusion entre le structurel et le systémique que l'on trouve en particulier dans la façon dont Serena Parekh rend compte du régime de réfugié.es. Contrairement aux injustices structurelles, qui ne supposent pas qu'un mal ait été commis, le fait consistant pour les États à prendre activement part à un système migratoire injuste implique la violation de devoirs, et leur cessation ne doit pas dépendre leur bon-vouloir.
      This article starts with the growing interest for Iris Marion Young's social connection model displayed in the literature on migration justice. First, it shows how different the normative consequences are according to whether one considers injustices as being interactional, which entails the existence of a duty not to harm, or structural, which brings about a responsibility to remediate. Then, it points out the confusion between structural and systemic harms one may find in Serena Parekh's account of the refugee regime. Contrary to structural injustices, which do not presuppose any moral wrong, a state's active participation in an unjust migration system implies the violation of a series of duties; thus, stopping such violations states should not be a discretionary matter.
    • Reconnaître nos responsabilités en matière de lutte contre les injustices structurelles : Sur le problème épistémique de la responsabilité - Marie Garrau p. 101-120 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Bien que les agents aient la responsabilité de lutter contre les injustices structurelles, comme le soutient de façon convaincante Iris Marion Young, ils sont souvent tentés d'éviter ces responsabilités : en niant qu'elles existent, ou en récusant qu'il s'agisse de leurs responsabilités. Si ce constat est vrai, nos responsabilités en matière de lutte contre les injustices structurelles ne renvoient pas simplement à un problème pratique (comment les mettre en œuvre ?) ; elles soulèvent également et d'abord un problème épistémique (comment les reconnaître, i.e. les percevoir et les accepter ?). Ce texte est consacré à ce problème : en suivant les analyses de Young, il revient sur les différentes figures que peut prendre ce déni ou cet évitement, et propose d'en dégager certains facteurs en s'appuyant sur les travaux de Joan C. Tronto et de José Medina, qui soulignent tous deux l'importance, pour comprendre ces phénomènes d'ignorance et de déni, de prendre en compte les rapports sociaux de domination et leurs effets épistémiques et moraux différenciés.
      Although agents have a responsibility to address structural injustices, as Iris Marion Young cogently argues, they are often tempted to avoid those responsibilities: by denying that they exist, or by denying that they are of their responsibilities. If this observation is true, our responsibilities in the fight against structural injustices do not refer simply to a practical problem (how to implement them?); they also and first of all raise an epistemic problem (how to recognise them, i.e. perceive and accept them?). This text is devoted to this problem: following Young's analyses, he reviews the different forms that this denial or this avoidance can take, and proposes to identify some of its factors based on the work of Joan Tronto and José Medina, who emphasise the importance, in order to understand these phenomena of ignorance and denial, of taking into account social relations of domination and their differentiated epistemic and moral effects.
  • Varia

    • Herméneutique et théorie critique de la société - Johann Michel p. 121-133 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'herméneutique philosophique et la théorie critique sont deux courants majeurs de la pensée contemporaine qui n'ont pas cessé de s'opposer frontalement. La première, venant de Hans-Georg Gadamer, refuse toute posture critique au nom de notre appartenance fondamentalement aux traditions du sens. La seconde, venant notamment de Jürgen Habermas, justifie l'impératif moral et politique de la critique en raison des distorsions dans les rapports de travail et de pouvoir. L'objectif de l'article est de dépasser cet antagonisme en ouvrant la voie à une herméneutique critique. Une herméneutique critique est possible si l'on refuse l'existence d'une raison désincarnée tout en revendiquant l'exigence d'une critique tant interne qu'externe des valeurs instituées, au nom d'idéaux régulateurs orientés vers l'émancipation des sociétés humaines.
      Philosophical hermeneutics and critical theory are two major currents of contemporary thought that have not ceased to be in direct opposition. The first, coming from Hans-Georg Gadamer, refuses any critical posture in the name of our fundamental belonging to the traditions of meaning. The second, coming notably from Jürgen Habermas, justifies the moral and political imperative of criticism because of distortions in work and power relations. The objective of the article is to overcome this antagonism by opening the way to a critical hermeneutics. A critical hermeneutics is possible if one refuses the existence of a disembodied reason while claiming the requirement of both internal and external criticism of established values, in the name of regulatory ideals oriented towards the emancipation of human societies.