Contenu du sommaire : L'antiracisme en France

Le droit et l'arène judiciaire occupent une place centrale dans les mobilisations et les luttes symboliques qui opposent les partisans d'une conception substantialiste de la laïcité et de la citoyenneté républicaine à ceux qui entendent lutter contre des lois et des politiques publiques jugées « islamophobes ». À travers l'étude d'une association de défense des droits des musulmans qui a mis le droit et le registre de la légalité au cœur de son action contestataire, cet article s'intéresse aux usages militants du droit et à la mise en forme juridique des luttes contre le racisme antimusulman, dans un contexte de construction de l'islam en problème public et de disqualification des mobilisations collectives à référent islamique. Il s'agira de se demander en quoi le droit, comme répertoire séculier, constitue, pour des acteurs associatifs affichant publiquement leur islamité, une ressource pour ennoblir une définition controversée de la cause antiraciste tout en luttant contre les dynamiques législatives et jurisprudentielles restreignant l'expression et la visibilité religieuse dans un nombre croissant d'espaces sociaux.

En supposant que les manifestations antiracistes des 2 et 13 juin 2020 aient été l'occasion d'une prise de conscience du racisme structurel par les populations majoritaires, notamment en ce qui concerne les violences policières, cet article pose la question de son mécanisme. Le retentissement des manifestations de juin, sur les réseaux sociaux comme dans les « grands » médias, laisserait penser que c'est principalement en fournissant matière à une importante résonance médiatique qu'elles ont permis aux populations majoritaires de prendre conscience du racisme structurel. Mais cette impression est trompeuse : comme l'ont bien montré plusieurs travaux nord-américains sur le sujet, les milieux sociaux fréquentés par les populations majoritaires ne leur permettent pas de remettre en question les habitus qui président aux pratiques responsables du racisme structurel, dans un processus de socialisation que ni la presse, ni la radio, ni la télévision ne sont à même de contrecarrer. Du point de vue de la lutte contre le racisme, il semble plutôt que l'enjeu des manifestations de juin tienne moins à leur résonance médiatique qu'au rôle socialisateur qu'elles ont joué pour les membres des populations majoritaires qui y ont participé : ces manifestations leur ont enfin permis de fréquenter, par deux fois, un milieu susceptible de les pousser à corriger certaines des dispositions qui président aux pratiques responsables du racisme structurel – les multiples charges policières et jets de gaz lacrymogènes ont notamment été l'occasion d'une expérience de terrain riche d'enseignements pour des populations largement disposées à ne voir en la violence policière qu'une violence méritée et/ou anecdotique.

À travers l'analyse des pratiques récentes de luttes des Asiatiques en France, cet article propose de s'intéresser à l'émergence et la formation d'un nouvel antiracisme asiatique. En effet, comment l'antiracisme asiatique actuel se distingue des mobilisations passées et de quelle manière s'est-il construit ces dernières années ? Cet article reviendra sur l'antiracisme asiatique radical en France en s'attardant dans un premier temps à contextualiser les réappropriations récentes des enjeux de l'antiracisme par les Asiatiques en France et notamment l'introduction de la notion de racisme au sein de mobilisations qui s'en distinguaient explicitement. Il s'agira également de dévoiler la manière dont ces militant∙e∙s structurent cet antiracisme et procèdent à des tentatives de « faire collectif » en ligne. Finalement, il sera essentiel de mettre en lumière les outils de légitimation des mobilisations de ce groupe minorisé sur les réseaux sociaux.