Contenu du sommaire : Conflits et pouvoir des acteurs économiques privés transnationaux

Revue Critique internationale Mir@bel
Numéro no 97, octobre-décembre 2022
Titre du numéro Conflits et pouvoir des acteurs économiques privés transnationaux
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  • Éditorial - p. 5-6 accès libre
  • Thema Conflits et pouvoir des acteurs économiques privés transnationaux

    • Au-delà de l'unité. Penser les conflits dans l'étude des acteurs économiques privés transnationaux - Marieke Louis, Yohann Morival p. 9-22 accès réservé
    • La neutralité comme capital. Les ressorts symboliques de la compétitivité suisse sur le marché de l'arbitrage privé international (1970-1980) - Guillaume Beausire p. 23-44 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'essor du marché de l'arbitrage international au début des années 1970 s'est traduit par une utilisation croissante de tribunaux privés par les acteurs économiques transnationaux, faisant de la justice du commerce international un produit de marché prometteur d'importants profits. Une vive compétition s'est alors amorcée entre les principales places nationales pourvoyeuses de ces services. Leur stratégie pour attirer de nouveaux litiges reposait sur la construction d'un capital national combinant des ressources juridiques et symboliques. Dans cette course à l'attractivité internationale, la place suisse s'est retrouvée menacée par ses principaux concurrents anglais et français dans le cadre d'une compétition normative axée sur la libéralisation du droit de l'arbitrage destinée à offrir une plus grande flexibilité aux entreprises parties à une procédure. Elle est néanmoins parvenue à compenser son retard juridique en valorisant le mythe de la neutralité helvétique qui lui a permis, dans le contexte de la décolonisation, d'attirer des litiges d'envergure, opposant notamment des entreprises du Nord à des acteurs du Sud global.
      The steady rise of the international arbitration market since the beginning of the 1970s translated into an increasing use of private courts by transnational business actors, making international trade justice a market product promising large profits. A fierce competition was thus initiated between the main national centres providing arbitration services. Their strategy to attract new litigants relied on the making of “national capital” combining a set of legal and symbolic resources. In this race for international attractiveness, the Swiss hub was threatened by its main English and French competitors in a normative competition focused on the liberalisation of arbitration law, designed to offer greater flexibility to companies involved in arbitration procedures. The Swiss arbitration lobby nevertheless managed to compensate for its legal delay by promoting the myth of Swiss neutrality, which allowed it, in the context of decolonisation, to attract major litigations opposing business actors from the global North and South.
    • Les industriels contre « Big Pharma » ? Conflits internes et fragmentation du patronat sur la politique du médicament défendue à l'OCDE (1996-2018) - Constantin Brissaud p. 45-66 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'analyse de l'implication du BIAC, la représentation patronale institutionnalisée à l'OCDE, dans la politique du médicament défendue par l'Organisation montre, grâce à l'étude des archives du chef de la « task force santé » du BIAC entre 1996 et 2010, que le BIAC est divisé, sur le prix à payer par les pays pour accéder aux « médicaments innovants », entre entreprises productrices de médicaments et entreprises « intensives en main-d'œuvre ». Cette opposition est en outre doublée par des jeux d'alliance entre certains États, notamment les États-Unis, et les industriels du médicament, qui ont un intérêt commun à la libre fixation des prix des nouveaux médicaments arrivant sur le marché. L'emploi de concepts éprouvés en sociologie politique de l'Union européenne pour analyser la division du travail sur la santé au BIAC fait émerger la structure de ces divisions, et leur évolution dans le temps : les premiers membres de la « task force santé » du BIAC étaient des intermittents, spécialistes de la santé ; les membres actuels sont des généralistes, délégués permanents du BIAC. Plaidoyer pour la combinaison des méthodes d'analyse des espaces internationaux et des espaces de l'Union européenne comme l'Eurocratie, cet article montre enfin que les antagonismes patronaux sont surmontés dans la défense d'une valeur irénique, l'« innovation ».
      This study examines the involvement of BIAC, the advocate for business at the OECD, in the drug policy defended by the orgianisation. Analysis of the archives of the head of the BIAC “health task force” between 1996 and 2010 shows that BIAC is divided between drug-producing companies and “labour-intensive” companies on the price to be paid by countries for access to “innovative medicines”. This division is further compounded by alliances between certain states, notably the United States, and the pharmaceutical industry, which have a common interest in the free pricing of new drugs entering the market. The use of concepts proven useful in the political sociology of the European Union to analyse the division of labour on health at BIAC reveals the structure of those divisions and their evolution: the first members of the BIAC “health task force” were intermittent health specialists; they are opposed to the current members of the task force, who are generalists, permanent delegates of BIAC. This article therefore argues for the combination of methods of analysing international spaces and European Union spaces such as Eurocracy, and finally shows that antagonisms between businesses are overcome in the defense of an irenic value, “innovation”.
    • Diviser pour mieux régner ? Municipalisation et clivages privés : le cas d'Eau de Paris - Hadrien Clouet p. 67-88 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Lorsqu'un service de production et de distribution d'eau est municipalisé, il bascule de la propriété privée à la propriété publique. La ville de Paris a connu une telle bascule en 2010, lorsque le contrat qui la liait à Veolia et à Suez a été abandonné au profit d'une structure municipale intitulée « Eau de Paris ». Or cette transformation n'a pas été univoque, ni immédiate. D'une part, les acteurs privés ainsi dessaisis étaient parfois diversifiés, ce qui les a affaiblis dans la confrontation avec des acteurs publics susceptibles de jouer de leurs divisions. D'autre part, une fois absorbés dans la nouvelle organisation publique municipalisée, les acteurs privés ont introduit des tensions directement héritées des pratiques professionnelles ou bureaucratiques préalablement en vigueur. Cette étude montre ainsi l'ambigüité d'un processus de municipalisation fondé sur les clivages entre opérateurs privés mais lui-même clivé après sa victoire sur ces opérateurs.
      The municipalization of a water production and distribution service means a shift from private to public ownership. The city of Paris underwent such a change in 2010, when abandoning the contract with Veolia and Suez in favour of a municipal structure called “Eau de Paris”. But this transformation was neither unequivocal nor immediate. On the one hand, private actors may be plural and diversified. It weakens them during a confrontation with public actors likely to play on their divisions. On the other hand, once absorbed into the new municipal public organisation, private actors introduce tensions directly inherited from previous professional or bureaucratic practices. Thus, the article shows the ambiguity of a process of municipalization, which success relied on divisions between private operators but became itself divided after its victory over them.
    • Divisions patronales et clivages partisans autour des importations turques en Tunisie. Une sociologie politique des conflictualités locales du commerce Sud-Sud - Dilek Yankaya p. 89-110 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le commerce Sud-Sud est souvent pensé en contraste avec les circuits traditionnels reliant les pays du Nord à ceux du Sud. Contrairement à ces circuits caractérisés par leur asymétrie, le commerce Sud-Sud serait fondé sur une complémentarité résultant de la rencontre heureuse de différentes trajectoires d'émergence et aboutissant à un rééquilibrage des rapports de force avec le Nord. Cette conception consensualiste soulève la question de la politisation des relations d'échanges dans des contextes du Sud. En témoigne la problématisation des importations turques en Tunisie étudiée ici à l'aune des pratiques et des prises de position des acteurs économiques privés. Soutenues par un accord de libre-échange depuis 2004, ces importations ont provoqué en 2016 un débat national clivant en lien avec la montée politique du mouvement islamiste. L'étude des formes différentielles et synchrones de politisation engagée par des alliances politico-patronales selon des cadrages anti-islamiste, anticolonialiste et national-libéral démontre que le conflit partisan est intrinsèque à la fabrique du commerce international.
      South-South trade is often considered in contrast to traditional North-South circuits. Contrary to the asymmetrical nature of the latter, the first would be founded on a complementarity resulting from the successful meeting of different trajectories of emergence and leading to a rebalancing of power relations with the North. This consensualist conception raises the question of the politicisation of exchange relations in the context of the South. This article provides answers based on the study of the problematisation of Turkish imports in Tunisia in light of the actions of private economic actors. Supported by a free trade agreement since 2004, these imports provoked a polarising national debate in 2016 following the political rise of the Islamist movement. Mobilising an interactionist and localised approach, the article presents the anti-Islamist, anti-colonialist, and national-liberal frameworks according to which Turkish-Tunisian trade is constructed into a social problem by political-business alliances. The study of differential and synchronous forms of politicisation engaged by businessmen demonstrates how partisan conflict is intrinsic to the fabric of international trade.
  • Varia

    • Être sans-papiers chez soi ? Les mésaventures de l'encartement biométrique au Cameroun - Georges Macaire Eyenga, Gaëtan Omgba Mimboe, Joseph Fabrice Bindzi p. 113-134 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Les crises d'identification des sociétés postcoloniales ne portent pas toujours sur la définition de l'étranger, du marginal ou du passant. Elles ne renvoient pas non plus aux luttes ethniques ou aux expériences subjectives de définition de soi. En revanche, elles sont souvent le résultat de problèmes techniques et structurels, de politiques publiques étriquées et d'expérimentations technologiques hasardeuses comme l'atteste le projet d'identification biométrique au Cameroun. En effet, le lancement d'un programme de fabrication de nouvelles cartes d'identité biométriques a eu pour résultat que beaucoup de nationaux sont devenus des « sans-papiers » dans leur propre pays. La crise d'identité civile qui s'est ensuivie est due autant à l'échec du projet de modernisation de l'État qu'aux pratiques individuelles oscillant entre manipulations des identités et non-retrait des documents produits. Face au déficit de reconnaissance des individus, les dépossédés identitaires se mobilisent pour défendre leur droit à l'identité civile.
      Crises of identification in postcolonial societies are not always about the definition of the foreigner, the marginal, or the passer-by. Nor do they refer to ethnic struggles or subjective experiences of self-definition. Instead, they are often the result of technical and structural problems, narrow public policies, and risky technological experiments, as the project of biometric identification in Cameroon demonstrates. Indeed, the launch of a programme to produce new biometric identity cards has resulted in many nationals becoming “undocumented” in their own country. The ensuing civil identity crisis results as much from the failure of the state's modernisation project as from individual practices that oscillate between manipulation of identities and non-withdrawal of the documents produced. Faced with the lack of recognition of individuals, the dispossessed are mobilising to defend their right to a civil identity.
    • Trajectoires académiques et professionnelles des dirigeants d'entreprise au Mexique : peut-on parler de l'émergence d'une « classe internationale des affaires » ? - Julia Chardavoine p. 135-153 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      L'étude de 15 groupes économiques cotés entre 2000 et 2015 à l'indice de la bourse mexicaine et l'examen des trajectoires académiques et professionnelles de leurs dirigeants (575 au total) permettent d'interroger l'existence d'une classe internationale des affaires au Mexique. En effet, la modification des structures économiques et l'internationalisation du capital et des opérations des grandes entreprises mexicaines ne sont pas à l'origine d'une internationalisation des dirigeants. Non seulement la proportion d'étrangers qui siègent dans les conseils d'administration des grands groupes privés du pays est faible, mais la plupart des dirigeants d'entreprise nationaux n'ont pas ou peu d'expérience professionnelle hors des frontières. En revanche, le fait que les dirigeants d'entreprise mexicains étudient massivement à l'étranger, et notamment aux États-Unis, permet de conclure à une « américanisation » de leur formation à l'origine du phénomène d'alignement de la pensée économique et des pratiques du monde des affaires mexicain sur le modèle américain.
      Based on a sociographic study of the 575 members of the boards and executive committees of 15 listed companies, ranked in the index of the Mexican Stock Exchange from 2000 to 2015, and especially of their academic and professional trajectories, this article questions the existence of an international business class in Mexico. The transformation of economic structures and the internationalisation of corporations and capital do not mean that business leaders have become more international. Not only the proportion of foreigners sitting on the boards of directors of the country's largest private groups remain very low, but most national business leaders have not acquired professional experience abroad. However, most Mexican business leaders do study abroad, and in particular in the United States. The “Americanisation” of their training can explain the alignment of economic thought and practices of the Mexican business world on the American model.
  • Lectures