Contenu du sommaire : Féminismes en Europe
Revue | Annales historiques de la Révolution française |
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Numéro | no 411, janvier-mars 2023 |
Titre du numéro | Féminismes en Europe |
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Introduction
- Féminismes en Europe - Anne Verjus, Jennifer Heuer, Françoise Orazi p. 3-24
- Des intérêts aux droits politiques des femmes : les théories utilitaristes de Bentham à l'époque de la Révolution française - Emmanuelle de Champs p. 25-45 « Comment se fait-il que le droit naturel de jouir de certains avantages politiques soit limité à l'un des deux sexes qui composent l'espèce humaine ? », écrit J. Bentham vers 1789-1790 ( Rights, representation and reform, p. 247). Au même moment que le plaidoyer de Condorcet en faveur de l'admission des femmes au droit de cité, Bentham propose dans des manuscrits rédigés à l'occasion de la Révolution des arguments de portée identique. Pourtant, alors que Condorcet fonde son argumentation sur des postulats jusnaturalistes, le second construit une démonstration fondée exclusivement sur l'utilité et la représentation des intérêts. En outre, chez Bentham, la réflexion sur le statut des femmes s'étend à l'examen des relations civiles et à l'institution du mariage. Pour lui, le moment révolutionnaire est l'occasion de refonder d'après le principe d'utilité la place des femmes en politique autant que les rapports juridiques entre les sexes. Publiées de façon très partielle du vivant de Bentham, ces idées n'ont pas eu l'impact qu'elles méritaient et restent largement méconnues aujourd'hui. En les comparant avec les projets contemporains de Condorcet, et en expliquant comment la Révolution a permis la cristallisation des idées utilitaristes sur le statut des femmes dans la famille et dans la cité, cet article replace son projet radical dans le mouvement européen des écrits, des personnes et des idées à l'époque de la Révolution et dans les décennies qui suivent.« Of the two sexes of which the species is composed, how comes all natural right to political benefits to be confined to one ? », Bentham asked in 1789-1790 ( Rights, representation and reform, p. 247), in the same year as Condorcet published his plea for women to be admitted to the right of suffrage. But unlike Condorcet, whose demonstration rested on natural law and natural rights, Bentham argued exclusively from utility and from the representation of interests. He also examined the civil status of women, especially their rights within marriage. Such an extensive application of the principle of utility to gender issues, both in the private and in the public sphere, was directly triggered by the events unfolding in France. Only partly published in Bentham's lifetime, these views have remained little known and have not received the attention they deserve. Through a comparison with Condorcet's essays, this article explains how the French Revolution allowed utilitarian ideas on the private and political rights of women to crystallise and replaces Bentham's radical project in the circulation of writings, people and ideas at the time of the Revolution and in the early nineteenth century.
- Mœurs des femmes et critique sociale entre Grande-Bretagne et Allemagne : Forkel, Carlisle et Wollstonecraft - Elias Buchetmann p. 47-72 Cet article cherche à savoir pourquoi Meta Forkel, connue pour son style de vie non conventionnel et ses engagements radicaux, a choisi de traduire ce qui semble être un livre de conduite conservateur, les Thoughts in the Form of Maxims, Addressed to Young Ladies, On Their First Establishment in the World de la comtesse de Carlisle (1789). Un indice est fourni par l'appréciation des Maxims par Mary Wollstonecraft, qui souligne la nécessité d'une compréhension de ce que faisaient Forkel et Carlisle qui aille au-delà de l'apposition d'étiquettes. Ce qui suit est une exploration des possibilités que le genre de la littérature de conseil et l'activité de traduction offraient, en particulier aux écrivaines. Je soutiens que les Maxims avaient un potentiel émancipateur dans le contexte de l'époque et que Forkel a utilisé avec succès sa traduction de 1791 de l'œuvre de Carlisle comme un moyen de participer au discours des Lumières sur le genre, souvent dominé par les hommes, en ajoutant son propre Essai sur la délicatesse féminine. Cette analyse démontre que l'exploration détaillée de la dynamique et des processus des transferts interculturels mérite d'être approfondie, non seulement en raison du rôle important joué par les femmes en tant que médiatrices, mais aussi en raison des possibilités qu'elles ont créées de manière si imaginative dans ce processus. Elle permet également de sonder ce que le féminisme, ou en tout cas les luttes des femmes pour l'émancipation, pouvait signifier ou ressembler à l'ère de la Révolution.This article investigates why Meta Forkel, known for her unconventional lifestyle and radical commitments, chose to translate what appears to be a conservative conduct book, the Countess of Carlisle's 1789 Thoughts in the Form of Maxims, Addressed to Young Ladies, On Their First Establishment in the World. A clue is provided by Mary Wollstonecraft's appreciation of Maxims, which underlines the need for an understanding of what Forkel and Carlisle were doing that goes beyond the affixing of labels. What follows is an exploration of the possibilities which the genre of advice literature and the activity of translation offered, especially to women writers. I argue that Maxims held emancipatory potential in the context of its time and that Forkel successfully used her 1791 translation of Carlisle's work as a vehicle to participate in the often male-dominated Enlightenment discourse on gender by adding her own « Essay on Female Delicacy ». This analysis demonstrates that detailed exploration of the dynamics and processes of cross-cultural transfers is worthwhile not just on account of the important role women played as mediators, but also because of the possibilities they so creatively carved out in the process. It also probes what feminism, or in any case women's struggles for emancipation, could mean or look like in the age of revolution.
- La mère citoyenne. Éléments nouveaux sur le droit de vote des femmes pendant la Révolution française - Rossella Bufano p. 73-97 Les femmes pendant la Révolution française n'ont pas le droit de vote puisque, selon la conception familialiste qui traverse le système électoral de la période, elles sont représentées par le chef de famille. La maternité revêt une importance politique pour les révolutionnaires qui placent beaucoup d'espoirs dans les charges éducatives et morales attribuées à la mère républicaine. Cette conception familialiste n'empêche pas certaines revendications en faveur d'un vote pour les femmes, surtout entre 1789 et 1793. Toutes sortes de demandes sont faites, en général hors de l'espace de l'Assemblée, plus nombreuses que ce que l'on pense habituellement. Certaines, parmi les plus connues, sont justifiées sur la base de leurs droits naturels ; mais d'autres justifient une citoyenneté électorale des femmes au nom de certaines qualités, dont la maternité, qui ne concernent pas toutes les femmes, et introduisent donc des distinctions entre elles. Des revendications qui n'aboutiront ni les unes ni les autres, mais aident à cerner les représentations du féminin en politique à l'époque de la Révolution.Women did not have the right to vote during the French Revolution. According to the familialist conception that ran through the electoral system of the period, they were represented by the head of the family. Revolutionaries imagined politically important roles for women, but often as « republican mothers » defined by their educational and moral responsibilities. Familialist concepts, however, did not completely prevent claims for women's suffrage, especially between 1789 and 1793. These often too place outside of the National Assembly ; there were more, and more varied, demands than has often been understood. Some, including the most famous, called for suffrage in terms of natural rights ; others justified women's electoral citizenship in the name of certain qualities, including maternity, which actually introduced distinctions between women. Neither strategy ultimately succeeded but looking closely at them helps us to reconsider the stakes of feminine and political representations during the era of the French Revolution.
- Citoyenne à travers les frontières : Etta Palm d'Aelders et la citoyenneté transnationale, 1788-1798 - Samantha Sint Nicolaas p. 99-122 Etta Palm d'Aelders, Néerlandaise vivant à Paris, se fait connaître au début de la Révolution française en tant que militante féministe au Cercle Social. Ses traités sur le statut légal des femmes, son rôle en tant qu'instigatrice du premier club politique féminin, les Amies de la Vérité, ont retenu l'attention. On connaît moins bien ses tentatives d'encourager les femmes à jouer un rôle semblable aux Provinces-Unies et en République batave. Cet article envisage le militantisme d'Aelders dans son aspect transnational et son rôle de « conduit » dans la transmission des idées sur la citoyenneté de la France aux Provinces-Unies, puis en République batave. L'étude des sources françaises et néerlandaises sur Aelders permet de distinguer l'évolution de sa propre conception de la citoyenneté et les différentes influences qui nourrissent sa vision de la position politique publique que les femmes devraient occuper dans les deux pays. Son expérience des deux régimes oriente son militantisme, sa conception de la citoyenneté des femmes, sa propre identité de citoyenne transnationale. Ses textes permettent une étude de cas qui illustre la répétition, transplantation et adaptation des idées révolutionnaires d'une nation à une autre.Etta Palm d'Aelders, a Dutch woman who lived in Paris, is known for her feminist activism with the Cercle Social during the early years of the French Revolution. Her treatises on the legal position of women and her role in setting up the first female political club, the Amies de la Vérité, have received particular attention. However, her attempts at carving out a similar role for women in the Dutch and Batavian Republics have been neglected. This article reconsiders Aelders as a transnational activist and ‘conduit' in the movement of ideas about citizenship across the border into the Dutch and then Batavian Republics. Combining French and Dutch sources on Aelders demonstrates developments within her own understanding of citizenship, as well as the ways in which she drew on different debates in order to carve out a public political position for women in both the French and Dutch Republics. Aelders's experiences between these political regimes shaped her activism, her understanding of women's citizenship, and her own identity as a transnational citizen. Her writings offer an invaluable micro study of the repetition, transplantation, and adaptation of revolutionary ideas across national borders.
- « Il serait aisé d'appliquer aux femmes tout ce que j'ai dit des hommes » : le féminisme silencieux de Sophie de Grouchy - Kathleen McCrudden Illert p. 123-139 Joan Scott, dans son texte fondateur sur le féminisme dans la Révolution française, a écrit sur la position « paradoxale » dans laquelle la nouvelle définition, exclusivement masculine, de la citoyenneté a placé les femmes qui cherchaient à s'intégrer dans la sphère politique. Selon elle, les femmes étaient contraintes soit de nier leur différence avec les hommes, soit d'affirmer leur féminité et de saper ainsi leur cause. Cet article soutient qu'il existait cependant une troisième manière, tout aussi paradoxale, mais potentiellement plus efficace, pour les femmes politiques de cette période, de défendre leur inclusion dans la sphère politique. Il s'agit du refus de s'engager dans le sujet. Je suggère que, dans certains contextes, un silence presque total sur le sujet des femmes pourrait en soi être un argument politique puissant. S'appuyant sur des études contemporaines sur le genre et le développement, ainsi que sur l'exemple de Sophie de Grouchy (1763-1822), actrice politique pendant la Révolution française et épouse de Condorcet, lui-même défenseur des droits des femmes, cet article interroge l'importance des silences dans l'histoire intellectuelle. En construisant une méthodologie provisoire pour lire ces omissions, je soutiens que cela est essentiel pour l'évolution de l'histoire du féminisme.Joan Scott, in her seminal text on feminism in the French Revolution, wrote of the « paradoxical » position which the new, exclusively male, definition of citizenship had put women who sought inclusion in the political sphere. Women were driven, she argued, either to deny their difference from men, or affirm their womanhood and thus undermine their case. This article argues that there was, however, a third, equally paradoxical, yet potentially more effective way that political women in this period argued for their inclusion in the political sphere. This was by refusing to engage with the subject at all. I suggest that, in certain contexts, almost total silence on the subject of women could in itself be a powerful political argument. Drawing on scholarship from the field of contemporary gender and development studies, as well as the example of Sophie de Grouchy (1763-1822), a political actor during the French Revolution and wife to Condorcet, himself an outspoken advocate for women's rights, this article interrogates the importance of silences in intellectual history. Constructing a tentative methodology for reading these omissions, I argue that doing so is essential for the evolution of the history of feminism.
- Le féminisme de Gracchus Babeuf : un anti-Rousseau ? - Stéphanie Roza p. 141-157 L'article revient sur un aspect peu connu des idées de Gracchus Babeuf, plus célèbre pour son rôle central dans la Conjuration des Égaux en 1796 : sa sensibilité à la triste condition féminine de son temps et son point de vue égalitariste en matière de rapports de sexe. Chez Babeuf, la revendication de droits égaux pour tous dans leur dimension socio-économique débouche naturellement sur une conception que l'on pourrait qualifier de féministe avant la lettre, avec en particulier la revendication d'une éducation équivalente, sinon strictement identique, pour les hommes et les femmes, qui permettrait enfin à ces dernières de développer l'ensemble de leurs facultés théoriques et artistiques. La cohérence du point de vue de Babeuf sur ces questions le distingue des opinions de Rousseau, qui constitue pourtant une de ses principales sources d'inspiration, et met en évidence les paradoxes de l'auteur de l'Émile.The article returns to a little-known aspect of the views of Gracchus Babeuf, most famous for his central role in the Conspiration of Equals in 1796 : his sensitivity to the unfortunate female condition of his time and his egalitarian view on gender relations. In Babeuf's view, the demand for equal rights for all in their socio-economic dimension naturally leads to a conception that could be described as feminist avant la lettre. He particularly emphasized the demand for an equivalent, if not strictly identical, education for men and women, which would finally allow the latter to develop all their intellectual and artistic faculties. The coherence of Babeuf's views on these issues distinguishes him from the opinions of Rousseau, who was one of his main sources of inspiration, and highlights the paradoxes of the author Emile.
Glanes
- Discours des citoyennes de la halle de Nantes aux fédérés du département de Loire-Inférieure (5 août 1790) - Paul Chopelin p. 159-161
- La gestion des flux de spectateurs dans les théâtres parisiens à la fin du Directoire - Paul Chopelin p. 163-165
Échos Révolutionnaires
- L'Esprit de la Révolution française. Entretien avec Olivier Bétourné - Olivier Bétourné, Claude Mazauric p. 167-179
Position de thèse
- Servir l'État : Claude Guillaume Lambert (1726-1794) ou la vertu en politique - Vincent Guffroy p. 181-189
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 191-214