Contenu du sommaire : Ethnographies de la « famille transnationale »
Revue | Migrations société |
---|---|
Numéro | vol. 35, no 192, avril-juin 2023 |
Titre du numéro | Ethnographies de la « famille transnationale » |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
Éditorial
- Des migrants sur les chantiers olympiques de Paris 2024 : une médaille d'or pour les sans-papiers ? - Vincent Geisser, Niandou Touré p. 3-12
Ethnographies de la « famille transnationale »
- Faire, défaire, refaire les liens : Ethnographies de la « famille transnationale » - Frédérique Fogel p. 13-25 La « famille transnationale » est saisie dans ce dossier comme une expression-clef de nombreuses recherches en sciences sociales, notion référence et formule laconique utilisée pour décrire des situations et désigner des pratiques très variées. Il s'agit donc d'approcher cette « famille » soumise à la mobilité et à l'immobilité, non pas directement sur le plan théorique, mais en passant par l'ethnographie comme mode de connaissance anthropologique. Les six articles ici rassemblés présentent des cas singuliers, des individus, des groupes et des communautés divers, à des échelles spatiales et temporelles différentes. Ils décrivent des modalités du « faire famille en migration » et questionnent les relations de parenté, de parentalité, de sociabilité entre proches, ainsi que les tensions ou encore les ruptures de relations. Ensemble, ils montrent des troubles, éprouvent des normes, et ce faisant, ils forment matière à comparaisons.
- Prendre soin des enfants dans une famille transnationale : L'exemple d'une famille chinoise en France - Yohann Caradec p. 27-40 La présence de jeunes enfants dans une famille nécessite l'engagement d'au moins un adulte auprès d'eux pour assurer leur protection et leur éducation. Cette condition peut se trouver menacée dans le contexte de familles transnationales dont les membres sont dispersés géographiquement. À partir d'une recherche anthropologique en cours et d'une série d'entretiens réalisés entre 2018 et 2021 dans un service judiciaire de protection de l'enfance en banlieue parisienne, cette contribution propose d'explorer les modalités pratiques de l'exercice du Care1, à partir du cas d'une famille chinoise vivant en France au sein de laquelle la présence des adultes auprès des deux jeunes enfants n'est plus assurée en raison de la séparation du couple parental. L'article met en évidence la mobilisation d'un membre particulier du réseau familial, la grand-mère paternelle venue de Chine, et souligne l'inconfort de la place centrale du Care au sein du réseau familial qui nécessite des déplacements internationaux, des ruptures affectives et des changements de statut douloureux. Sont interrogés les enjeux d'une configuration dans laquelle prendre soin des jeunes enfants devient la priorité du réseau familial, ce qui pose également la question des ressources mobilisées pour prendre en charge les personnes âgées restées dans le pays d'origine.
- « Faire famille » par-delà les frontières : Les hommes belges en Thaïlande et leurs proches restés en Belgique - Asuncion Fresnoza-Flot p. 41-54 Le présent article examine les pratiques transnationales mobilisées pour « faire famille » par des hommes belges vivant en Thaïlande, la plupart étant en couple avec une ou un partenaire thaïlandais. Certains de ces hommes ont encore en Belgique des membres de leur famille de naissance et/ou de la famille nucléaire qu'ils ont fondée lors d'une précédente union. Le matériau empirique collecté auprès de 19 hommes belges (grâce à des entretiens approfondis réalisés à plusieurs reprises entre 2018 et 2023) montre que ces hommes, notamment les plus jeunes, restent en contact avec certains membres de leur famille en Belgique par le biais de communications à distance, de visites en Belgique ou de visites de leurs proches en Thaïlande, ainsi que par l'envoi de biens matériels. Ces pratiques transnationales sont façonnées à la fois par des facteurs micro-individuels (capital économique des enquêtés, qualité de leurs relations familiales, situation socioéconomique plus ou moins stable de leurs enfants) et macro-structurels (décalage horaire, détention ou non d'un passeport facilitant la mobilité, etc.).
- Retrouvailles avec le père : Les liens affectifs à l'épreuve de la migration - Jacques Barou p. 55-70 À partir des années 1950, la France a développé une politique migratoire envers l'Afrique qui favorisait l'arrivée d'hommes seuls ayant laissé leur famille dans leur pays d'origine. Cette absence prolongée du père, rythmée par des retours au pays une fois ou deux dans l'année, ne pouvait manquer d'avoir des répercussions sur la vie familiale et sur l'image du père aux yeux des enfants. Dans certains cas, le père a complètement disparu des préoccupations des enfants, laissant sa place à un autre adulte exerçant une fonction éducative envers eux : grand-père, oncle, frère aîné, voire voisin… mère, grand-mère ou tante, plus rarement. Dans d'autres cas, son absence a été source de souffrances et les retrouvailles ont été marquées par des conflits. Certains hommes ont fait venir dans le pays d'accueil un de leurs enfants sur le tard pour les accompagner dans leur vieillesse. La plupart du temps, ces enfants ont eu beaucoup de mal à s'adapter à leur nouvel environnement. Parfois ces retrouvailles ont pu, au contraire, favoriser l'émergence d'une image beaucoup plus positive du père. À partir d'une recherche menée au début des années 20001, cet article se propose d'analyser les diverses configurations que peuvent prendre les retrouvailles avec un père vivant à distance.
- Transnationalisation de l'espace familial et distension des liens familiaux : Le cas des Brésiliens installés à Montréal - Monica Schlobach p. 71-87 La plupart des études sur les familles transnationales soulignent l'existence en leur sein de liens de solidarité et d'entraide, et ce, malgré la distance et la dispersion géographique. Ces travaux mettent en évidence la circulation du Care, les visites et les transferts d'argent, ainsi qu'une coprésence virtuelle rendue possible grâce aux Technologies de l'information et de la communication ( tic). Dans plusieurs cas, la famille transnationale est présentée comme un modèle d'organisation familiale socialement légitime, en minimisant les effets de la distance sur l'évolution des liens familiaux. Ce texte aborde cette question à partir d'une recherche multi-située réalisée auprès de membres de familles transnationales brésiliennes vivant à Montréal et au Brésil. L'analyse des données a montré que l'éloignement géographique agit comme une barrière dans l'expression de la solidarité familiale transnationale et qu'il a des effets spécifiques sur la dynamique des relations familiales. Trois thèmes sont ici exposés, qui éclairent une face cachée des liens familiaux transnationaux : la difficile redéfinition de certains rôles familiaux ; l'incertitude relative aux conditions de la transmission intergénérationnelle au sein des familles ; et enfin, l'éloignement géographique qui entraîne un sentiment de perte affective.
- Déplacement forcé et reconfiguration familiale : La migration par étapes des Doms syro-libanais vers la France - Yahya Al-Abdullah, Niandou Touré p. 89-106 Cet article propose une approche ethnographique pour examiner les changements significatifs qui surviennent dans des familles doms tout au long de leur parcours migratoire et à leur arrivée dans le pays de destination. Ces changements comprennent les mariages précoces, les divorces et la reconfiguration des familles. L'étude fournit deux explications principales à ces mutations : la première tient aux raisons qui ont provoqué la migration ; la seconde réside dans la culture du mariage et du divorce au sein de cette communauté de migrants. M'inspirant de la notion de « migration par étapes » (introduite à la fin du XIXe siècle par Ernst Georg Ravenstein avec l'expression « Step-Wise Migration », puis reprise par différents auteurs principalement anglophones parlant alors de « Step Migration »), je l'approfondis ici en proposant une définition contextuelle qui sied à l'analyse de la migration récente de la communauté des Doms depuis la Syrie vers la France. Cette étude de cas s'appuie sur l'histoire de vie et la trajectoire migratoire d'une famille dom syro-libanaise.
- Mobilité, mémoire et parenté chez les Ludar au Mexique - Neyra Patricia Alvarado Solís p. 107-121 Originaires d'Europe de l'Est, les Ludar sont arrivés au Mexique entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe. Aujourd'hui, chaque groupe familial se déplace à travers le pays et à la frontière avec les États-Unis selon différents régimes de mobilité. Les configurations de ces groupes familiaux changent à mesure que s'y agrègent ou s'en détachent d'autres groupes en fonction des activités économiques, de l'apprentissage d'un spectacle, des rituels du cycle de vie (naissances, mariages, décès) ou des visites entre les membres qui, en circulant, ajoutent ou non des complexités aux espaces du quotidien. Cette organisation, qui semble avoir existé dès leurs premiers voyages transatlantiques et dans les Amériques, implique la mise en œuvre de stratégies, toujours inachevées, en fonction de la circulation qu'ils pratiquent et des lieux où ils s'installent temporairement auprès de populations non ludar. La casa désigne l'espace collectif, dynamique dans le temps, où se tissent les relations de parenté entre adultes et enfants, et entre Ludar et non-Ludar. À partir d'une ethnographie de longue durée auprès des Ludar du Mexique, et en focalisant ici mon attention sur les reconfigurations de l'unité de parenté, je questionne les modalités d'un transnationalisme vécu au quotidien sans franchir physiquement les frontières politiques nationales.
- Bibliographie sélective - Christine Pelloquin p. 123-127
- Faire, défaire, refaire les liens : Ethnographies de la « famille transnationale » - Frédérique Fogel p. 13-25
Varia
- Migration et (re)socialisation sexuelle : Le cas des jeunes migrants homosexuels chinois en France - Cai Chen p. 131-145 Alors que le genre est devenu une catégorie d'analyse essentielle dans les travaux scientifiques sur les plus récentes vagues d'émigration depuis la Chine, la sexualité des Chinois en Europe reste peu étudiée, en particulier celle des LGBT+. Cet article s'appuie sur une enquête ethnographique menée entre 2020 et 2021 auprès de 16 jeunes migrants homosexuels chinois (vivant ou ayant vécu en France), pour explorer les multiples facettes des « changements sexuels » vécus par ces individus sous le prisme de la (re)socialisation sexuelle dans un contexte transnational. En premier lieu, l'article examine les processus d'acquisition et d'intériorisation des connaissances, des normes, des attitudes, des codes sociaux et culturels et des valeurs liés à la sexualité au-delà des frontières culturelles et nationales. Il se penche ensuite sur les sources de (re)socialisation sexuelle de jeunes migrants homosexuels chinois en France, en se focalisant sur leurs relations interpersonnelles avec leurs pairs. Enfin, l'article conclut en tissant des liens entre les études sur la migration queer et celles sur la diaspora chinoise, tout en appelant à davantage de recherches sur les liens entre migrations chinoises en Europe et sexualité en élargissant autant que possible la façon d'appréhender cette dernière.
- Migration et (re)socialisation sexuelle : Le cas des jeunes migrants homosexuels chinois en France - Cai Chen p. 131-145
Notes de lecture
- BABY-COLLIN, Virginie ; SOUIAH, Farida (sous la direction de), Enfances et jeunesses en migration, Paris : Éd. Le Cavalier bleu, 2022, 472 p. - Amélie Grysole p. 147-154
- BOURQUIN, Laurent ; CHALINE, Olivier ; FIGEAC, Michel, WREDE Martin (sous la direction de), Noblesses en exil. Les migrations nobiliaires entre la France et l'Europe (XVe-XIXe siècle), Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2021, 290 p. - Jean-Luc Richard p. 154-157
Nouveautés documentaires du CIEMI
- Nouveautés documentaires du CIEMI - Christine Pelloquin p. 159