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Revue | Revue historique |
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Numéro | no 705, janvier 2023 |
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- Les chroniques « que a faittes nostre amé et feal chancellier ». Pierre d'Orgemont et la Chronique des règnes de Jean II et de Charles V : essai de restitution - Isabelle Guyot-Bachy p. 3-59 La Chronique des règnes de Jean II et de Charles V est considérée depuis le milieu du XIXe siècle comme une histoire officielle des deux règnes, dont le roi Charles V aurait eu l'initiative et dont il aurait confié la rédaction, non plus comme ses prédécesseurs aux moines de Saint-Denis, mais à l'un de ses plus proches officiers, le chancelier Pierre d'Orgemont. Au début du XXe siècle, son éditeur, Roland Delachenal, a imposé l'idée de l'influence du roi sur le texte, voire de sa collaboration à sa conception et sa composition. La présente contribution voudrait rendre à Pierre d'Orgemont sa part auctoriale. Pour ce faire, elle s'efforce en premier lieu de scruter au fil de la lecture les indices que l'auteur a pu laisser transparaître de sa propre existence, de l'espace qui lui était familier et dans lequel il se déplaçait, et de son rapport personnel et professionnel au temps et à la chronologie. L'article pose ensuite la question de la genèse de l'œuvre : en dépit de fortes dissemblances entre le récit du règne de Jean II et celui de Charles V, on a généralement considéré que la chronique avait été composée d'un seul jet dans les années 1370. Or, l'examen de la tradition manuscrite, mais plus encore une lecture en parallèle de la Chronique française (dite de Guillaume de Nangis, amplifiée à plusieurs reprises au cours du XIVe siècle) permettent de distinguer deux moments de rédaction, le premier relevant sans doute de la seule initiative de Pierre d'Orgemont, alors conseiller du roi au Parlement de Paris, et achevé avant la mort de Jean II. Enfin, la prise en compte de l'intégralité de la chronique, avec ses deux continuations allant jusqu'en 1381 puis jusqu'en 1384, invite à reconsidérer les perspectives même d'un projet historiographique, initié plusieurs années en amont du règne de Charles V et poursuivi au-delà de sa mort, forgé au gré de la longue carrière de Pierre d'Orgemont, tout autant au service du duché de Bourgogne et de son prince apanagiste, Philippe le Hardi, que du roi de France.Since the middle of the 19 th century, the Chronique des règnes de Jean II et de Charles V has been regarded as an official history of the two reigns, which King Charles V initiated and entrusted the writing of, not to the monks of Saint-Denis like his predecessors, but to one of his closest officers, a layman, the chancellor Pierre d'Orgemont. At the beginning of the 20 th century, his publisher, Roland Delachenal, introduced the idea of the king's direct influence on the text. The present contribution aims to restore Pierre d'Orgemont's authorial role. First, by examining the clues that the author was able to reveal about his own existence, about the space he was used to living and working. In the same way, the reputation of Pierre d'Orgemont's careful chronological notation is confronted with what we know about his professional activities. The article then raises the question of the genesis of the work : despite the strong differences between the account of the reign of John II and that of Charles V, it has generally been considered that the chronicle was composed in a single draft in the 1370s. The king's manuscript (Paris, BnF fr. 2813) is said to be the perfect model. But an examination of the manuscript tradition, and a parallel review of the Chronique français (known as the amplified Chronique des rois de France de Guillaume de Nangis, amplifiée), allows us to distinguish two moments of drafting. The first part is due to the sole initiative of Pierre d'Orgemont, then king's counsellor at the Parlement de Paris ; it was mainly composed before the death of John II. Furthermore, taking into account the entire chronicle, including the two continuations up to 1381 and 1384, invites to reconsider the very perspectives of the historiographical project. Initiated several years before Charles V became king, it was continued beyond his death by the same author who had served throughout his long career both the duchy of Burgundy and its apanagist prince, Philip the Bold, and the king of France.
- Changement d'opinion sur l'intégration européenne : quand François Mitterrand essayait en vain de sortir du Système monétaire européen - Matus Halas p. 61-89 L'ancien président français François Mitterrand a été à la fois critiqué et encensé pour sa gestion de la crise de mars 1983, qui a marqué le point culminant du « tournant de la rigueur » durant son premier mandat. Lui est reproché, d'une part, son indécision, car il lui a fallu plus d'une semaine pour décider quoi faire de la monnaie française et de son gouvernement après l'échec subi aux précédentes élections municipales. Et il a été, d'autre part, félicité pour avoir choisi une voie pro-européenne, en décidant de rester dans le Système monétaire européen (SME) et en acceptant la troisième dévaluation du franc en l'espace de deux ans. Cependant, aucune de ces appréciations sur le comportement de Mitterrand pendant la crise n'est justifiée. Le président n'a pas choisi de rester dans le SME en raison de son inclination à promouvoir l'intégration européenne. En réalité, il avait d'abord la ferme volonté de sortir du SME et ce ne sont que des frictions spécifiques, accompagnées d'éléments facilitateurs, tant aux niveaux individuel, national et international, qui l'ont fait revenir sur sa décision initiale. Son malaise fondamental face aux questions économiques, les profondes divergences au sein de son administration sur la bonne marche à suivre et les mauvaises performances de l'économie française vis-à-vis de ses principaux partenaires commerciaux ont constitué trois facteurs contextuels cruciaux. Ils ont été complétés par trois changements dynamiques : le refus du Premier ministre d'appliquer la volonté initiale de Mitterrand de quitter le SME, le changement d'équilibre entre les groupes opposés au sein de l'administration et, enfin, la volonté de l'Allemagne d'aider la France à faire face à la crise. Toutes les issues politiques de cette crise ont été sur la table jusqu'à la fin, et il était impossible pour le président de prendre une décision avant que toutes les pièces de ce puzzle ne soient mises en place le 21 mars.The former French President, François Mitterrand, is both criticized and lauded for his handling of the crisis in March 1983 that marked the culmination of the turn to the rigor during his first term in office. He is criticized for indecisiveness because it took him more than a week to decide what to do with the French currency and his government after the lost municipal elections. And he is lauded for choosing a pro-European path by deciding to stay in the European Monetary System (EMS) and accepting the third devaluation of the franc in span of two years. Neither of these assessments of Mitterrand's conduct during the crisis is, however, justified. The President did not opt to stay in the EMS because of his inclination to promote the European integration. In fact, he wanted to exit the EMS in the first place and only specific frictions and enablers at the individual, domestic, and international level jointly made him reconsider his original decision. His fundamental uneasiness as regards economic issues, profound split in his administration on the best course of action, and poor performance of the French economy vis-à-vis its main trade partners provided three crucial contextual factors. They were supplemented by three dynamic shifts in form of the Prime Minister's refusal to implement Mitterrand's preferred policy, a changing balance between the opposing groups in the administration, and ultimate German willingness to help Paris deal with the crisis. All the options were on the table until the very end, and it was impossible for the President to take a decision before all pieces of the puzzle were put in place on March 21.
- Conflits de l'ethos : entre représentation sociale et pratiques du pouvoir (I) - p. 91-92
- L'ethos, un terme grec pour mieux appréhender les flexions de la grammaire romaine du politique - Jérôme Kennedy p. 93-108 Avant de s'imposer en tant que concept sociologique grâce aux travaux fondateurs de Norbert Elias, de Max Weber ou, plus récemment, de Pierre Bourdieu, le terme ethos n'était rien d'autre qu'une notion floue et ambivalente de la langue grecque classique, exploitée par un philosophe comme Aristote pour aborder tout à la fois le politique, l'art oratoire ou encore la musique… Recourir à ce mot dont l'orthographe (ἦθος, ἔθος) et le sens (manière d'être, caractère, disposition de l'âme ; coutume, usage) peuvent varier suivant les contextes et les sources est-il pertinent lorsque l'on tente d'appréhender les mutations politiques romaines des premiers siècles avant et de notre ère ? Ethos n'a certes pas d'équivalent strict dans la langue latine ( mens, mos, mos maiorum, disciplina…) mais l'exploitation de ce terme présente au moins deux avantages pour les historiens. Il permet en premier lieu de restituer la part d'incertitude et, parfois, d'aporie propre au vocabulaire et aux pratiques politiques des Romains. Il offre surtout la possibilité d'aborder la res publica à travers l'idée de la performativité de la grammaire romaine du politique. Pour le dire autrement, le langage politique ne sert pas à rendre compte d'un fonctionnement politique préexistant : il génère une fiction qui donne corps, consistance et légitimité à des structures politiques dont il délimite plus ou moins arbitrairement les normes, les capacités et les perspectives d'action. Entre conflit, légitimité et consensus, l'ethos est un angle d'étude potentiellement novateur. C'est particulièrement net pour la longue période qui s'étend de Sylla à Trajan, période de destruction créatrice des normes individuelles et collectives que l'on peut considérer comme étant celle d'une res publica impériale en mutation.Before imposing itself as a sociological concept thanks to the founding works of Norbert Elias, Max Weber or, more recently, Pierre Bourdieu, the term ethos was nothing more than a vague and ambivalent notion of classical Greek, used by a philosopher like Aristotle to address politics, oratory or music all at the same time. Is the use of this word whose spelling (ἦθος, ἔθος ) and meaning (way of being, character, disposition of the soul; custom, usage) may vary according to the contexts and the sources relevant when one tries to apprehend the Roman political changes of the 1 st centuries BCE and CE ? Ethos certainly has no strict equivalent in the Latin language (mens , mos , mos maiorum , disciplina ), but the use of this term has at least two advantages for historians. First of all, it allows us to restore the share of uncertainty and, sometimes, aporia specific to the vocabulary and political practices of the Romans. Above all, it offers the possibility of approaching the res publica through the idea of the performativity of the Roman grammar of politics. To put it another way, political language does not serve to account for a pre-existing political functioning : it generates a fiction that gives body, consistency and legitimacy to political structures of which it delimits the norms, capacities and outlook for action more or less arbitrarily. Between conflict, legitimacy and consensus, ethos is a potentially innovative angle of study. This is particularly clear for the long period that stretches from Sylla to Trajan, a period of creative destruction of individual and collective norms that can be considered as being that of a changing imperial res publica .
- L'ethos de Caton à l'épreuve du rapprochement avec Pompée - Robinson Baudry p. 109-124 Cet article a pour objet d'étudier les effets de la crise de la République sur l'ethos aristocratique, à partir de l'exemple du rapprochement entre Caton d'Utique et Pompée, survenu au début de l'année 52 av. J.-C. L'ethos de Caton était orienté par la défense intransigeante de la République aristocratique, ce qui rendait problématique le rapprochement avec celui qui, plus que tout autre, symbolisait le processus de personnalisation du pouvoir. Il s'y résolut lorsqu'il apporta son soutien à la proposition de Bibulus de conférer un consulat unique à Pompée. La préservation de son ethos requit les stratégies suivantes : discours de justification et, surtout, manifestation de sa liberté politique, y compris et peut-être surtout lorsque cette dernière allait à l'encontre des intérêts de Pompée. La stratégie parut payante : Caton conserva son ethos, si l'on en juge par les témoignages de ses contemporains et des sources postérieures. Elle n'en révèle pas moins le processus de subordination d'une aristocratie contrainte de s'en remettre au pouvoir d'un seul et les limites d'une stratégie de préservation de l'ethos, qui l'emporte sur la défense pragmatique de la République sénatoriale.This article examines the effects of the crisis of the Republic on the aristocratic ethos, using the example of the rapprochement between Cato of Utica and Pompey, which took place in early 52 BC. Cato's ethos was oriented by the intransigent defence of the aristocratic Republic, which made the rapprochement with the one who, more than any other, symbolised the process of personalisation of power, problematic. He resolved to do so when he supported Bibulus' proposal to confer a single consulship on Pompey. The preservation of his ethos required the following strategies: a speech of justification and, above all, the manifestation of his political freedom, including and perhaps especially when it ran counter to Pompey's interests. The strategy paid off: Cato retained his ethos, judging by the testimonies of his contemporaries and later sources. It nevertheless reveals the process of subordination of an aristocracy forced to rely on the power of one, and the limits of a strategy of ethos preservation, which outweighs the pragmatic defence of the senatorial republic.
Comptes rendus
- Michel Christol, Pierre Cosme et Frédéric Hurlet, Histoire Romaine, t. 2 : D'Auguste à Constantin, Paris, Fayard, 2021, 1050 p. - Jérôme Sella p. 125-132
- Luc Bourgeois, Danièle Alexandre-Bidon, Laurent Feller, Perrine Mane, Catherine Verna et Mickaël Wilmart (dir.), La Culture matérielle : un objet en question. Anthropologie, archéologie et histoire, Caen, Presses universitaires de Caen, coll. « Publications du Craham/Série antique et médiévale », 2018, 258 p. - Matthieu Scherman p. 133-134
- Tristan Martine, Jessika Nowak et Jens Schneider (dir.), Espaces ecclésiastiques et seigneuries laïques (IXe-XIIIe siècle), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2021, 265 p. - Teddy Véron p. 134-136
- Xavier Hélary, L'Ascension et la chute de Pierre de La Broce, chambellan du roi († 1278). Étude sur le pouvoir royal au temps de Saint Louis et de Philippe III (v. 1250 – v. 1280), Paris, Honoré Champion, coll. « Études d'histoire médiévale », no 16, 2021, 518 p. - Marie Dejoux p. 136-138
- Jacques Krynen, Philippe le Bel. La puissance et la grandeur, Paris, Gallimard, coll. « L'esprit de la cité », 2022, 152 p. - Claude Gauvard p. 138-141
- Riccardo Rao (dir.), Les Grands Officiers dans les territoires angevins. I grandi ufficiali nei territori angioini, Rome, École Française de Rome, « Collection de l'École Française de Rome », 518, 2017, 428 p. - David Sassu-Normand p. 141-143
- Miguel Ángel Ladero Quesada, España a finales de la Edad Media, 2. Sociedad, Madrid, Dickinson, 2019, 562 p. - Roxane Chilà p. 143-144
- Claude Gauvard, Jeanne d'Arc. Héroïne diffamée et martyre, Paris, Gallimard, coll. « Des femmes qui ont fait la France », 2022, 188 p. - Pierre Monnet p. 144-146
- Serge Brunet, Les Églises de la Terre. Les communautés paysannes du Val d'Aran et des Pyrénées centrales, XIIIe-XVIIe siècle, Toulouse, Éditions Privat, 2018, 507 p. - Philippe Hamon p. 146-148
- Nicolas Balzamo, Les Êtres artificiels. Essai sur le culte des images en Occident. XIVe-XVIIe siècle, Paris, Éditions du Cerf, 2021, 228 p. - Nicole Lemaitre p. 148-151
- Laurent Bourquin, Olivier Chaline, Michel Figeac et Martin Wrede (dir.), Noblesses en exil. Les migrations nobiliaires entre la France et l'Europe (XVe-XIXe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2021, 290 p. - Claude Michaud p. 151-154
- Anne Motta et Éric Hassler (dir.), Noblesses et villes de cour en Europe (XVIIe-XVIIIe siècle). La ville de résidence princière, observatoire des identités nobiliaires à l'époque moderne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2021, 288 p. - Claude Michaud p. 154-157
- Christian Windler (dir.), Kongressorte der Frühen Neuzeit im europäischen Vergleich. Der Friede von Baden (1714), Cologne/Weimar/Vienne, Böhlau Verlag, 2016, 303 p. - Claude Michaud p. 157-160
- Karen Offen, Debating the Woman Question in the French Third Republic, 1870-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, 694 p. - Mélanie Fabre p. 160-162
- Patrice Morlat, Orients extrêmes. Les loges coloniales du Grand Orient de France (1870-1940), Paris, Les Indes Savantes, 2021. - Jean-François Figeac p. 163-165
- Laurent Warlouzet, Europe contre Europe. Entre liberté, solidarité et puissance, Paris, CNRS Éditions, 2022, 496 p. - Denis Varaschin p. 165-167
- Florence Bourillon, Nathalie Gorochov, Boris Noguès et Loïc Vadelorge (dir.), L'Université et la ville. Les espaces universitaires et leurs usages en Europe du XIIIe au XXIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2018, 305 p. - Christian Hottin p. 167-169
- Liste des ouvrages reçus au bureau de la rédaction - p. 171-172
- Ouvrages analysés dans les comptes rendus de la présente livraison - p. 173