Contenu du sommaire : La Françafrique, un néocolonialisme français
Revue | Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique |
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Numéro | no 157, avril-juin 2023 |
Titre du numéro | La Françafrique, un néocolonialisme français |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Le mot de la rédaction - Anne Jollet p. 5-9
DOSSIER
- La Françafrique, un néocolonialisme français - p. 13-21
- Félix Houphouët-Boigny, le « Big Boss » de la Françafrique - Tiémoko Diallo p. 23-41 Employée en 1955, à la veille des indépendances, dans le cadre de la mise en place de la loi-cadre par le député ivoirien Félix Houphouët-Boigny, favorable à l'établissement d'une coopération approfondie entre la France et les DOM-TOM, l'expression « France-Afrique » avait à l'origine une connotation positive. Elle devint petit à petit un néologisme au sens populaire péjoratif, la « Françafrique », renvoyant aux ténèbres d'une diplomatie française très officieuse à travers laquelle intérêts privés et amitiés suspectes étaient inconditionnellement défendus. Joignant l'acte à la parole, Houphouët-Boigny fit le pari de lier son destin et celui de son pays à l'ancienne puissance coloniale. Il installa la Françafrique comme norme d'une implication simultanée et concordante des responsables politiques africains avec leurs homologues français, et ce, jusqu'aux plus hauts sommets des États. Ce faisant, Houphouët-Boigny affirma sa dimension internationale et s'octroya une remarquable longévité au pouvoir. Jouant de sa proximité avec les autres présidents africains, il se fit le rouage essentiel du système françafricain et la caisse de résonance de la politique française en Afrique à l'échelle mondiale. Un choix qui lui valut l'étiquette d'homme de la France en Afrique, autrement dit, de « Big Boss » du pré-carré français sur le continent noir.Employed in 1955, on the eve of independence, as part of the implementation of the framework law by the Ivorian deputy Félix Houphouët-Boigny in favor of the establishment of in-depth cooperation between France and the overseas territories, the phrase “France-Afrique” originally had a positive connotation. It gradually became a pejorative neologism in the popular sense, “Françafrique”, referring to the shadows of a very unofficial French diplomacy through which private interests and suspicious friendships were unconditionally defended. to walk the talk, Houphouët-Boigny made the bet to link his destiny and that of his country to the old colonial power. He installed Françafrique as the norm for the simultaneous and concordant involvement of African political leaders with their French counterparts, up to the highest levels of the States. In doing so, Houphouët-Boigny affirmed its international dimension and granted itself a remarkable longevity in power. Playing on his proximity to other African presidents, he became the essential cog in the Franco-African system and the sounding board for French policy in Africa on a global scale. A choice that earned him the label of man of France in Africa, in other words, of “Big-Boss” of the French pre-square on the black continent.
- La genèse de la Françafrique, des indépendances à 1982 - Catherine Coquery-Vidrovitch p. 45-56 L'indépendance n'aurait rien changé en passant du « colonial » au « néocolonial » ? Le code du travail remontait à 1952, le suffrage universel à 1956. La création de la Communauté européenne (1957) permit aux anciennes puissances coloniales (France et Belgique) d'y faire entrer leurs anciennes colonies africaines. Au fil des ans et des traités CEE/ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), l'objectif demeura à la fois complémentaire et contradictoire : on transforma la CCFOM (Caisse centrale de la France d'outre-mer) en CCCE (Caisse centrale de coopération économique), et le franc CFA garda le même sigle, devenu « franc de la Communauté financière africaine »). Les besoins d'infrastructures encore balbutiantes n'allaient faire que s'accroître, d'où l'augmentation exponentielle de la dette publique. Le cycle funeste de l'endettement s'enclencha définitivement. Ce fut le terreau de la Françafrique. Le pouvoir en Afrique s'est décomposé, soumis à des putschs en régime libéral comme en régime « marxiste-léniniste » (Congo, Mali, Guinée). Le premier eut lieu au Togo en 1963. Il fallut la chute du mur de Berlin (1989) et l'organisation de « conférences nationales » pour voir se desserrer l'étau. La première eut lieu au Bénin en février 1990. C'était la Françafrique, sous le contrôle direct de l'Élysée, confiée par le président De Gaulle à Jacques Foccart, son « Monsieur Afrique ». Cet article en évoque les éléments.Did Independence changed from colonial to neocolonial times ? In Francophone Africa the labour code appeared in 1952, universal voting in 1956. EU (1957) accepted to receive African French and Belgium colonies. With new rules, CEE/ACP agreements (Africa – Caribbean islands– Pacific), the purpose remained similarly complementary and contradictory. CCCE became CCCE (Central Centre of Economic Cooperation), and CFA franc became the same (African Financial Community Franc). Infrastructure equipment remained more and more insufficient, and public debt more and more important. A dramatic cycle of debt and loans progressed. Thence Françafrique emerged, directly controlled by President Charles De Gaulle with his “Mister Africa”, Jacques Foccart. This is the topic of this paper.
- Françafrique et génocide des Tutsis du Rwanda : les leçons à tirer - François Graner p. 57-77 Maintenir une zone d'influence française en Afrique. Ce fil conducteur de la politique de François Mitterrand est aussi celui de ses prédécesseurs et successeurs. Il mène à tout, y compris à soutenir des dictateurs contre leur propre peuple. Le Rwanda en est un exemple extrême, car les extrémistes hutus y ont préparé et exécuté le génocide des Tutsis. Le système françafricain dans son ensemble permet de comprendre ce qui a pu ainsi amener des responsables civils et militaires français à être accusés de complicité de génocide, sans avoir eux-mêmes l'intention de commettre un tel crime. En retour, analyser les interventions françaises au Rwanda, très bien documentées, permet d'éclairer l'ensemble de la politique française en Afrique. Tirer les leçons du Rwanda sera indispensable pour que cette politique change.Maintain a zone of French influence in Africa. This common thread of François Mitterrand's policy is also that of his predecessors and successors. It leads to anything, including supporting dictators against their own people. Rwanda is an extreme example, where Hutu extremists prepared and executed the genocide of the Tutsis. The « Françafrique » system as a whole makes it possible to understand what could have led French civilian and military officials to be accused of complicity in genocide, without themselves intending to commit such a crime. In return, analyzing the french interventions in Rwanda, very well documented, sheds light on the whole french policy in Africa. Learning from Rwanda will be essential for this policy to change.
- Le massacre de Thiaroye : crime continu de la Françafrique - Armelle Mabon p. 79-99 Le massacre de Thiaroye (Sénégal), commis le 1er décembre 1944 par l'armée française sur d'ex-prisonniers de guerre originaires de l'AOF (Afrique occidentale française), est une illustration de la Françafrique. Les États africains concernés n'ont jamais exigé que la lumière soit faite sur ce mensonge d'État qui dure depuis près de quatre-vingts ans, et l'État sénégalais n'envisage toujours pas la fouille des fosses communes. L'État français, par suite des recours devant la justice, a été contraint de revoir la qualification de rébellion armée et de répression sanglante. Désormais, ce crime colonial qui reste impuni est bien nommé massacre, mais l'État français, en poursuivant l'obstruction à la manifestation de la vérité, ne propose pas de réhabilitation pour ces hommes assassinés, condamnés à tort et spoliés de leurs droits, ni de réparation aux familles. Face à une injustice aussi criante, cette inertie indigne des pouvoirs publics n'est plus tenable.The Thiaroye massacre (Senegal) perpetuated on December 1st 1944 by the french army towards former war prisoners coming from French West Africa is an illustration of “Françafrique”. Concerned African countries never demand to shed light on this state lie which has been lasting for almost 80 years and Senegal still doesn't contemplate the digging of the common grave. France, following court appeal, has been constrained to reconsider the classification of armed rebellion and bloody crackdown. Now, this colonial crime which will remain unpunished is appropriately named massacre but France yet to pursue obstruction to truth disclosure and still doesn't offer rehabilitation for those men assassinated, wrongfully condemned and despoiled from their rights nor redress to the families.
- La Françafrique au lycée, ou comment bâtir un programme sur un cimetière indien - Alain Gabet p. 101-115 La non-reconnaissance de la notion de « Françafrique » par le milieu universitaire a conduit naturellement à sa non-inscription dans les programmes de lycée. Or, cette lacune est dommageable à plusieurs titres, tant dans l'enseignement de l'histoire-géographie que dans ceux d'EMC (Enseignement moral et civique) et d'HGGSP (spécialité centrée sur l'histoire-géographie du nouveau bac général). Le refus systématique de toute réflexion sur les relations franco-africaines postcoloniales occulte un aspect essentiel de l'histoire et du fonctionnement de notre république. Les programmes du nouveau lycée ressemblent donc à un hôtel bâti sur un cimetière indien, où l'enseignant devra user de tout l'espace offert par le principe de liberté pédagogique pour introduire le concept de Françafrique et ainsi redonner de la cohérence à des programmes qui donnent à lire notre pays et le monde de manière trop parcellaire, discontinue et, au total, inintelligible.The non-recognition of the notion of “Françafrique” by the university environment naturally led to its non-inclusion in high school programs. However, this gap is harmful for several reasons, both in the teaching of history-geography and those of EMC (Moral and Civic Education) and HGGSP (specialty centered on history-geography, of the new general baccalaureate). The systematic refusal of any reflection on postcolonial Franco-African relations obscures an essential aspect of the history and functioning of our republic. The programs of the new high school therefore resemble a hotel built on an Indian cemetery where the teacher will have to use all the space offered by the principle of pedagogical freedom to introduce the concept of Françafrique and thus restore coherence to programs that give to read our country and the world in a too fragmented way, discontinuous and unintelligible.
CHANTIERS
- Le SPD face au défi des nationalités. L'exemple de la Lituanie prussienne (1890-1914) - Florian Ferrebeuf p. 119-136 À la fin des années 1890, le SPD essaie de s'implanter de manière durable en Lituanie prussienne. Dans cette région multi-ethnique, qui fait partie intégrante de la Prusse Orientale, le parti social-démocrate doit faire face à la concurrence de nombreux rivaux (conservateurs, libéraux, nationaux-libéraux et nationalistes lituaniens). Or, si le SPD professe publiquement un internationalisme, il n'assume pas, paradoxalement, un biais germanique bien réel. Cette contradiction prend tout son sens en Lituanie prussienne où, malgré des résultats encourageants, le SPD ne réussit pas à faire élire un de ses candidats. Le facteur national, assimilé par les partis rivaux, en est assurément l'une des causes. Cet article vise à comprendre les contradictions internes et les hésitations du SPD face à un espace plurinational, aussi bien sur le plan théorique que sur le plan pratique.At the end of the 1890s, the SPD tried to establish a lasting foothold in Prussian Lithuania. In this multi-ethnic region, which is an integral part of East Prussia, the Social Democratic Party had to compete with many rivals (conservatives, liberals, national liberals and Lithuanian nationalists). However, while the SPD publicly professes an internationalism, it does not, paradoxically, assume a very real Germanic bias. This contradiction is particularly evident in Prussian Lithuania, where, despite encouraging results, the SPD did not succeed in getting one of its candidates elected. The national factor, assimilated by the rival parties, is certainly one of the causes. This article aims to understand the internal contradictions and hesitations of the SPD in the face of a multinational space, both theoretically and practically.
- Le SPD face au défi des nationalités. L'exemple de la Lituanie prussienne (1890-1914) - Florian Ferrebeuf p. 119-136
MÉTIERS
Aux sources de l'histoire
- « Marx en France » - Jean-Numa Ducange p. 139-149 Jean-Numa Ducange, conseiller historique de l'exposition « Marx en France » au musée de l'Histoire vivante de Montreuil, retrace dans cet entretien les enjeux de la référence à Karl Marx en France, où elle n'a jamais disparu et reste bien présente. L'exposition commence par présenter les rapports, pas toujours cordiaux, entre Marx et les socialistes français, de son vivant, à partir de ses séjours à Paris dans les années 1840. Elle montre ensuite l'implantation de la pensée de Marx au 20e siècle, qui joue un rôle clé non seulement dans la vie intellectuelle, mais également dans le combat politique, à partir de la structuration du Parti communiste notamment. Les années 1960-1970 sont celles d'une explosion des publications marxistes de toutes tendances, mais l'exposition, très visuelle, aborde aussi la référence à Marx dans la culture et dans l'art, une référence toujours bien présente, malgré le déclin de l'influence du marxisme, dans les luttes sociales et politiques contemporaines.In this interview, Jean-Numa Ducange, curator of the “Marx in France” exhibition at the Musée de l'Histoire Vivante in Montreuil, discusses the significance of references to Karl Marx in France, where they never disappeared and are still very much present. The exhibition begins by presenting the not always friendly relations between Marx and the French socialists during his lifetime, starting with his stays in Paris in the 1840s. It then shows how Marx's thought took root in the twentieth century, playing a key role not only in intellectual life but also in the political struggle, particularly in the structuring of the Communist Party. The 1960s and 1970s saw a flowering of Marxist publications of all tendencies. This exhibition is highly visual and focuses also on references to Marx in the cultural and artistic fields. Despite Marxism's declining influence, references to it are still very much present in contemporary social and political struggles.
- « Marx en France » - Jean-Numa Ducange p. 139-149
Transmettre l'Histoire
- Des remises de prix marquantes aux Rendez-vous de l'Histoire de Blois 2022 - Chloé Maurel p. 151-156
DÉBATS
- La caricature, un objet d'histoire ? Après le 7 janvier 2015 - Annie Duprat p. 159-176 Cet article revient sur ce que représente la caricature pour les historien·nes, après le cataclysme politique et social soulevé par l'attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, tout en s'interrogeant sur le statut de la caricature dans la société. L'introduction décrit les circonstances et dresse les portraits des victimes, dessinateurs de la revue. L'article rappelle alors les spécificités de la caricature, de son étymologie d'abord, puis en présente une brève histoire et décrit ses champs d'application, les représentations dépendant du traitement le plus approprié au contexte de la réception par les lecteurs. Pour illustrer le propos, des exemples tirés de la période révolutionnaire en France et en Europe permettent enfin de définir au plus près cet objet politique et artistique, nécessitant un traitement rigoureux qui justifie ainsi son utilisation en histoire.This article reviews what caricature represents for historians, after the political and social cataclysm raised by the attack on Charlie Hebdo in January 2015, while questioning the status of caricature in society. The introduction describes the circumstances and draws the portraits of the victims, designers of the magazine. The article then recalls the specificities of the caricature, its etymology first, then presents a brief history and describes its fields of application, the representations depending on the treatment most appropriate to the context of the reception by the readers. To illustrate the point, examples from the revolutionary period in France and Europe finally make it possible to define as closely as possible this political and artistic object, requiring a rigorous treatment which justifies its use in history.
- La caricature, un objet d'histoire ? Après le 7 janvier 2015 - Annie Duprat p. 159-176
LIVRES LUS
- Marion Pouffary, Robespierre, monstre ou héros ? - Michel Biard
- Viveka Adelswärd, Jacques Perot, Jacques d'Adelswärd-Fersen, l'insoumis de Capri - Thierry Pastorello
- École de Barbiana, Lettre à une enseignante - Grégoire Le Quang
- Bertrand Tillier, La Disgrâce des statues. Essai sur les conflits de mémoire, de la Révolution française à Black Lives Matter - Georges Vayrou
- Éliane Le Port, Écrire sa vie, devenir auteur. Le témoignage ouvrier depuis 1945 - Claudette Toulmonde
- Alain Guinot, Georges Séguy. Le Choix de l'audace. Contribution au débat sur l'avenir du syndicalisme - Stéphane Sirot
- François Da Rocha Carneiro, Une histoire de France en crampons - Dimitri Manessis
UN CERTAIN REGARD
- Emmett Till, film de Chinonye Chukwu, États-Unis, 2022, 130 min. - Sonia Suvélor p. 209-211
- Oussekine, série française d'Antoine Chevrolier, Disney+, 2022, 4x52 min. - Sonia Suvélor p. 212-214
LES CAHIERS RECOMMANDENT...
- Les Cahiers recommandent… - Anne Kienast, Frank Noulin et Jean-François Wagniart p. 215-227