Contenu du sommaire : Violences et espaces. Perspectives sur la Lorraine, 1870-1962
Revue | Histoire@Politique |
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Numéro | no 32, mai-août 2017 |
Titre du numéro | Violences et espaces. Perspectives sur la Lorraine, 1870-1962 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Pour une histoire de la Lorraine (1870-1962) au prisme du concept d'« espace de violence » (« Gewaltraum »). Introduction - Lucas Hardt Cet article apporte des réflexions théoriques sur l'histoire de la Lorraine de 1870 à 1962 et le concept d'« espace de violence / Gewaltraum ». Ce concept favorise une réflexion sur les actes de violence physique en lien avec les conditions spécifiques de l'espace physique et social où ils ont lieu. Il a connu, ces dernières années, un certain succès parmi les sociologues et historiens allemands œuvrant, dans la lignée des sociologues Heinrich Popitz et Trutz von Trotha. Il est proposé au lecteur un tour d'horizon de l'histoire de ce concept, débattu par les historiens allemands notamment à la suite de la parution de l'ouvrage Bloodlands de Timothy Snyder. Ensuite, certains apports sont discutés à l'aune des travaux récents de l'historien Jörg Baberowski. Finalement, une esquisse de l'histoire de la Lorraine entre 1870 et 1962 montre à quel point cette approche peut s'avérer profitable pour l'analyse et la compréhension d'actes de violences.Drawing upon the concept of the “space of violence / Gewaltraum”, this article theoretically revisits the history of Lorraine from 1870 to 1962. As a concept, the “space of violence” encourages one to reflect on acts of physical violence in relation to the specific conditions of the physical and social space in which they take place. It has in recent years enjoyed some success among German sociologists and historians whose work follows in the steps of the sociologists Heinrich Popitz and Trutz von Trohta. This article surveys the history of this concept, which has been widely debated among German historians, particularly following the publication of Timothy Snyder's Bloodlands. It then considers some of contributions of this concept in the light of recent work by the historian Jörg Baberowski. Finally, it offers a brief outline of the history of Lorraine between 1870 and 1962, showing the degree to which this approach may be useful in studying and understanding acts of violence.
- Lorraine 1870 : la construction progressive d'un « espace de violence » - Jakob Vogel Contrairement à l'idée reçue qui fait de la Lorraine un lieu d'importants combats de la guerre franco-allemande, l'ancien duché ne constituait guère un cadre de référence pour les journalistes et les auteurs contemporains pour parler de la violence guerrière de l'été 1870. L'analyse de témoignages contemporains, d'articles de presse, mais aussi de la littérature de souvenir montre en effet la dominance d'un regard local et topographique dans les récits sur la violence des combats autour de Metz et dans la région du Nord-Est de la France. La progressive association de la Lorraine avec l'histoire des violences de 1870-1871 ne vient pas tant de l'expérience des combats eux-mêmes que de l'occupation et puis de l'annexion d'une partie de la Lorraine par l'Allemagne. La construction d'une mémoire « Lorraine » de la guerre a donc plutôt été le résultat d'un processus relativement lent de travail de mémoire, qui n'a été terminé qu'une génération après 1870 avec l'influence grandissante d'une « génération de témoignage » de Lorrains, dont l'incarnation était Raymond Poincaré, président de la République française à partir de 1913.Contrary to the widespread notion that Lorraine was the scene of significant fighting during the Franco-Prussian War, the former duchy was largely absent from contemporaneous discussions of the violence of war in the summer of 1870. Indeed, an examination of contemporary testimony, including articles in the press and memoirs, reveals that a local and topographic perspective dominates accounts of the violence of fighting around Metz and elsewhere in northeastern France. Lorraine's gradual association with the history of violence in 1870-71 has less to do with the experience of combat in itself than with the occupation and subsequent annexation of a portion of Lorraine by Germany. The construction of a “Lorraine” memory of the war was therefore the result of a relatively slow process of elaborating memory. This process only ended a generation after 1870, with the growing influence of a “witness generation” of Lorrainers epitomized by Raymond Poincaré, who became President of the Republic in 1913.
- Affrontements xénophobes et identités : les « chasses à l'Italien » en Lorraine (années 1890-1910) - Pierre-Louis Buzzi La présence d'immigrés italiens dans l'espace lorrain à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle suscite de nombreuses réticences chez une partie de la population. Une xénophobie ordinaire laisse parfois la place à des manifestations particulièrement violentes. C'est sur l'une de ces formes d'affrontement spectaculaires, appelée « la chasse à l'ours » ou « chasse à l'Italien », que le présent article souhaite concentrer son attention. Ce type d'affrontement met au jour des groupes sociaux, une diversité des armes utilisées contre les migrants et des espaces sur lesquels la violence xénophobe s'exerce, ainsi que des logiques identitaires au sein des deux groupes.In the late nineteenth and early twentieth centuries, the presence of Italian immigrants in Lorraine was a source of misgiving among a portion of the population. Everyday xenophobia sometimes gave way to particularly violent demonstrations. The present article focuses on one such dramatic form of confrontation, what was known as the “bear hunt” or “Italian hunt”. This type of confrontation sheds light on social groups, the various weapons used against migrants, the spaces in which xenophobic violence was practiced and the identitarian dynamics at work within both groups.
- De la violence de guerre à la victimisation. Les villes et les villages martyrs de Lorraine pendant la Première Guerre mondiale - Gérald Sawicki Les villes et villages de Lorraine connurent deux grands types de martyres pendant la Première Guerre mondiale. Le premier était lié aux atrocités allemandes lors de l'invasion de l'été 1914, le second à des bombardements aériens ou d'artillerie répétés tout au long de la guerre. Dans les deux cas, la violence de guerre abolissait la frontière entre civils et combattants. Les cités martyres devinrent un thème privilégié de la guerre du droit et leur mémoire fut entretenu pendant tout le conflit. Celle-ci demeure localement bien vivante encore aujourd'hui, comme à Nomeny ou à Gerbéviller.The towns and villages of Lorraine were twice martyred during the First World War. First came the atrocities of the German invasion in summer 1914. These were followed by the repeated aerial and artillery bombardment that continued the rest of the war. In both cases, the violence of war abolished the frontier between civilians and combatants. The martyred cities became a favorite theme of the war of law and their memory was maintained during the conflict. To this day, the latter is alive and well at the local level in towns such as Nomeny and Gerbéviller.
- Fuir un dispositif d'extermination. L'évasion de l'équipe du tunnel de Drancy du 62e convoi de déportation - Tanja von Fransecky En France, entre 1942 et 1944, plus de 150 déportés juifs ont tenté de s'évader d'un train de déportation en marche. La plupart essayait de s'échapper le plus rapidement possible et alors qu'ils étaient encore sur le territoire français. Si les évasions de déportés n'avaient pas pu se faire avant leur embarquement, elles avaient souvent lieu en Lorraine, région frontière avec l'Allemagne. Compris comme rapport de violence permanent, les trajets de déportation sont analysés de manière exemplaire à partir du cas d'une évasion, bien documentée, de 19 hommes en Lorraine. Les différents rapports à l'espace feront apparaître les wagons de déportation comme des instruments mobiles de la terreur qui, néanmoins, n'auraient pas tout à fait éliminé la capacité d'agir des acteurs concernés.In France, more than 150 deported Jews attempted to escape from moving deportation trains between 1942 and 1944. Most tried to escape as rapidly as possible and while still on French territory. When the deportees were unable to escape before boarding the trains, they often took place in Lorraine, a region bordering Germany. Understood as a continuous relationship of violence, the deportation journey is here examined via the example of the well-documented escape of 19 men in Lorraine. The spatial conditions in the wagons reveal them to have been mobile tools of terror that nevertheless failed to completely eliminate the ability to act of those concerned.
- « Résistant(e)s » et « Malgré-nous » : parler de la violence de la Seconde Guerre mondiale en Moselle et au Luxembourg de 1953 aux années 1980 - Elisabeth Hoffmann, Eva Maria Klos Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à nos jours, deux groupes d'acteurs marquaient les discours mémoriels en Moselle et au Luxembourg : les associations des « enrôlés de force » et des anciens résistants. En analysant l'énonciation verbale, graphique et performative de la violence de la guerre par ces deux groupes d'acteurs, cet article tente de détecter l'impact de cette énonciation ou au contraire du silence sur la violence passée. Il se penche sur trois questions : Dans quels contextes, les acteurs de mémoire parlent-ils d'actes de violence ? Quels actes décrivirent-ils ? Et pourquoi se drapèrent-ils dans le silence sur les mêmes actes de violence de la Seconde Guerre mondiale dans d'autres contextes ? En répondant à ces questions, l'article éclaire la relation entre l'énonciation de la violence, la lutte pour la reconnaissance des expériences passés et les discours victimaires.Since the end of the Second World War, two groups of actors have influenced memorial discourse in Moselle and Luxemburg : the associations of “forced conscripts” and those of former “resistance fighters”. By analyzing the verbal, graphical and performative statements of these two groups of actors regarding wartime violence, this article attempts to identify the impact of such statements regarding past violence as well as that of their absence –that is, silence. It looks into three questions : In what contexts do the actors of memory speak about acts of violence ? What acts do they describe ? And why do they cloak themselves in silence regarding the same acts of violence of the Second World War in other contexts ? By responding to these questions, the article sheds light on the relationship between the statement of violence, the struggle to win recognition of past experiences and victim discourse.
- Quand les soldats de l'Algérie française arrivaient en Lorraine. Le 1er Régiment de chasseurs parachutistes (RCP) et la traque parachutiste de Metz - Lucas Hardt Jusqu'à sa démobilisation à Metz en juillet 1961, le 1er Régiment de chasseurs parachutistes (RCP) fait partie de l'avant-garde des troupes d'élite de l'armée française dans son combat contre la rébellion algérienne. Tout au long de la guerre, ce régiment a conduit la répression dans des lieux aussi divers que la Casbah d'Alger et les montagnes des Aurès. Dès l'arrivée de ce régiment à Metz ont lieu plusieurs accrochages avec des Algériens, qui atteignent un point culminant le 23 juillet 1961. À la suite d'une échauffourée dans un dancing, environ 300 parachutistes parcourent plusieurs quartiers de la ville et s'attaquent à des Algériens dans des bars et en pleine rue.Until it was demobilized in Metz in July 1961, the 1st Parachute Chasseur Regiment (RCP) was part of the vanguard of elite French Army troops involved in fighting the Algerian uprising. Throughout the war, this regiment carried out repression in places as diverse as the Algiers' Kasbah and the Aurès mountains. As soon as this regiment arrived in Metz, fighting broke out with Algerians and culminated on July 23rd, 1961. Following a brawl at a dance hall, around 300 parachutists combed several of the city's neighborhoods, attacking Algerians in bars and the middle of the street.
- Pour une histoire de la Lorraine (1870-1962) au prisme du concept d'« espace de violence » (« Gewaltraum »). Introduction - Lucas Hardt
Varia
- L'historiographie française du fascisme et de l'antifascisme italiens - Olivier Forlin Renouvelée depuis les années 1980 sous l'influence des travaux de Renzo De Felice et d'Emilio Gentile, l'historiographie française du fascisme italien présente des analogies avec son homologue italienne ainsi que des spécificités. Elle s'inscrit également dans le cadre d'une riche production historiographique française sur l'Italie contemporaine, a acquis un rayonnement en Italie et ses problématiques ont une portée sur les lectures du fascisme français. Ayant connu eux aussi un essor depuis les années 1980, les travaux français sur l'antifascisme italien s'articulent autour de deux champs qui sont l'histoire des migrations italienne et celle des relations diplomatiques franco-italiennes.Under the influence of the writings of Renzo De Felice and Emilio Gentile, the French historiography of Italian fascism has since the 1980s undergone a revival. Though in some ways analogous to its Italian counterpart, this historiography possesses its own specificities and must be set in the broader framework of the prolific French historiography on contemporary Italy. It has become influential in Italy and its problematics have influenced the interpretation of French fascism. Having undergone similar growth in the 1980s, French work on Italian antifascism centers on two fields : the history of Italian immigration and that of Franco-Italian diplomatic relations.
- L'enseignement de l'histoire de l'Europe en lycée a vingt ans - Evelyne Héry Le programme d'histoire des classes de seconde, publié en juin 1995, présente la particularité d'être dévolu à l'histoire de l'espace européen afin de forger chez les élèves le sentiment d'appartenance à l'Europe par la connaissance de ses spécificités culturelles. Il s'agit là d'un moment fondateur pour l'enseignement de l'histoire de l'Europe en lycée. On reviendra ici sur les deux principales versions élaborées en 1992 et en 1995 afin de montrer combien, alors que la conjoncture plaçait au premier plan des missions de l'école la construction de l'identité européenne, la rédaction du programme a soulevé de nombreuses questions dans une discipline chargée un siècle plus tôt de « faire des Français ».Published in June 1995, France's nationwide high school history curriculum stood apart in being devoted to the history of the European space. In this, it sought to encourage students to feel that they belonged to Europe by exposing them to knowledge of its cultural specificities. It was a foundational moment in the teaching of European history in high school. This article examines the two main versions (1992 and 1995) of this curriculum in order to show how, while the conjuncture made the construction of European identity central to the educational mission, the work of drafting the curriculum raised many questions within a discipline that a century earlier had been tasked with “making French people”.
- L'historiographie française du fascisme et de l'antifascisme italiens - Olivier Forlin
Pistes et débats
- Sur les traces de la théorie foucaldienne de l'État - Arnault Skornicki Cet article revient sur le parcours de recherche qui mena à l'écriture de l'ouvrage intitulé La grande Soif de l'État. Foucault avec les sciences sociales (2015). S'il est un penseur qui a radicalement critiqué le « statocentrisme » de la pensée politique occidentale, c'est bien Michel Foucault, penseur du pouvoir (dispersé, réticulaire, mobile et productif), et non de l'État (souverain, unitaire, et prohibitif). Et pourtant, son œuvre a puissamment alimenté les recherches sur l'État en histoire et en sciences sociales. Pour dissiper ce paradoxe, on tente de sortir Foucault de lui-même en le confrontant à certains grands apports des sciences sociales sur l'État (Weber, Elias, Marx, Polanyi, Kantorowicz, Tilly, etc.), en comparant généalogie et sociologie historique, afin d'établir la portée et les limites de la contribution foucaldienne à la « théorie de l'État ».This article revisits the research trajectory that led to the writing of a book entitled La grande Soif de l'État : Foucault avec les sciences sociales (2015). Few thinkers have more radically critized the “statocentrism” of Western thought than Michel Foucault, a theorist of power (dispersed, reticular, mobile and productive) rather than of the state (sovereign, unitary, prohibitive). And yet his work has powerfully fueled research on the state in history and the social sciences. To dispel this paradox, Foucault is removed from himself and confronted with some of the major social scientific contributions regarding the state (Weber, Elias, Marx, Polanyi, Kantorowicz, Tilly, etc.). Genealogy is compared to historic sociology in order to establish the impact and limits of the Foucauldian contribution to the “theory of the state”.
- Sur les traces de la théorie foucaldienne de l'État - Arnault Skornicki
Sources
- La bibliothèque de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) - Angélique Bach La bibliothèque de l'Insee, héritière des fonds des bibliothèques des anciens services statistiques publics français, est aujourd'hui un gisement documentaire peu exploité par les chercheurs. Elle est cependant incontournable pour la recherche statistique, mais aussi historique et sociale en développant toutes les thématiques visées par des études statistiques. Il est ainsi possible de retracer près de deux siècles d'observation des sociétés, à la fois françaises et étrangères. La diversité des collections de la bibliothèque et sa couverture internationale en font une bibliothèque hors normes, à la mission de conservation croissante. Le défi pour les années à venir est de promouvoir et faire redécouvrir ce fonds documentaire qui peut être une ressource d'un intérêt considérable pour les chercheurs.Having inherited much of its holdings from the collections of former French public statistical services, the library of Insee is today a documentary deposit rarely used by researchers. It is nevertheless key to statistical research. To the degree they interest themselves in the subjects of statistical study, this also holds true for historical and social research. It is thus possible to retrace nearly two centuries of social observation, French and foreign alike. The diversity of the library's collections and its international coverage make for an unconventional collection with an expanding mission of preservation. In the years to come, the challenge will be to promote and raise awareness about it among researchers for whom it may represent a resource of significant interest.
- La bibliothèque de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) - Angélique Bach