Contenu du sommaire : Aide et investissements chinois en Asie du Sud-Est (2000-2022)

Revue Moussons : Recherche en Sciences Humaines sur l'Asie du Sud-Est Mir@bel
Numéro no 41, 2023
Titre du numéro Aide et investissements chinois en Asie du Sud-Est (2000-2022)
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Introduction

    • Aide et investissements chinois en Asie du Sud-Est (2000-2022) : mesurer l'ombre portée de la Chine - Nathalie Fau, Elsa Lafaye de Micheaux p. 5-26 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Ce numéro de la revue Moussons s'appuie sur un ensemble de résultats collectifs issus du programme de recherche Asean-China Aid financé par l'appel d'offres Emergence en Recherche de l'Université Paris Cité dont l'objectif est de mesurer et d'analyser l'aide au développement et les investissements chinois en Asie du Sud-Est. Ayant rappelé les temporalités du rapprochement entre la Chine et les pays sud-est asiatiques, cette contribution introductive présente le positionnement et la méthodologie du groupe de recherche puis en expose les principaux résultats.
      This issue is based on the results of the Asean-China Aid research programme financed by the Université Paris Cité's Emergence en Recherche call for proposals, the aim of which is to measure and analyse Chinese development aid and investment in Southeast Asia. Having recalled the temporalities of the rapprochement between China and Southeast Asian countries, this introductory contribution presents the positioning and methodology of the research group and then outlines its main results.
  • Articles

    • L'aide chinoise au développement en Asie du Sud-Est : prendre la mesure d'un déploiement régional en profondeur - Elsa Lafaye de Micheaux p. 27-61 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'aide étrangère chinoise s'est déployée en Asie du Sud-Est à travers plusieurs centaines de projets au cours des deux dernières décennies. Éclairer ce phénomène réclame d'en comprendre les contours à l'échelle de l'ASEAN rapportée aux principes, à l'histoire et aux institutions de l'aide au développement chinoise. Les différentes sources de données disponibles permettent de chiffrer la dynamique d'essor mondial qui place, après de longues années polarisées par le continent africain, l'Asie et la Belt and Road Initiative en première ligne des priorités de Pékin. À partir de la base de données AidData portant sur la période 2000-2017, on montrera comment l'Asie du Sud-Est, pour laquelle les donateurs traditionnels (Europe, États-Unis, Japon) demeurent plus généreux – sinon toujours plus significatifs politiquement –, inscrit aussi ses inégalités, ses tensions et ses épisodes nationaux propres dans le fonctionnement de ce système de coopération articulant étroitement aux promesses de prospérité partagée les besoins de l'économie et de la diplomatie chinoise, largement portées par les multinationales chinoises.
      Chinese foreign aid has been deployed in Southeast Asia through several hundred projects over the past two decades. To shed light on this phenomenon, it is necessary to understand its contours on the scale of ASEAN in relation to the principles, history and institutions of Chinese development assistance. The various data sources available make it possible to put a figure on the dynamics of the global expansion which, after long years of focus on the African continent, has placed Asia with the Belt and Road Initiative at the forefront of Beijing's priorities. Using the AidData database for the period 2000-2017, we will show how Southeast Asia, for which traditional donors (Europe, the United States, Japan) remain more generous—however less and less politically significant—, also inscribes its own inequalities, tensions and national episodes in the functioning of this system of cooperation that closely articulates the needs of the Chinese economy and diplomacy to the promises of shared prosperity, largely conveyed by Chinese multinationals.
    • Le déploiement spatial des flux financiers publics chinois en Asie du Sud-Est : une analyse à partir de la base AidData - Manuelle Franck, Nathalie Fau p. 63-108 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse la base de données AidData, qui recense les projets chinois de coopération et d'aide au développement dans le monde et notamment en Asie du Sud-Est de 2000 à 2017. En lien avec les stratégies chinoises et celles des pays d'accueil, l'article interroge en particulier les différences de temporalités de ces flux chinois par pays et par période, les différenciations en termes de secteurs économiques et d'acteurs entre les deux grandes parties de l'Asie du Sud-Est, continentale et insulaire, et entre les pays qui la composent. Des analyses à l'échelle des pays puis à l'échelle des projets nous ont ensuite conduites, grâce aux outils cartographiques, à mettre en évidence les configurations spatiales de l'aide chinoise en Asie du Sud-Est, fortement associées à la proximité de la frontière avec la Chine et à la localisation des corridors de transport continentaux. Une telle analyse a pour objectif de dégager des lignes de forces des flux financiers publics chinois en Asie du Sud-Est. Elle a également une vocation méthodologique, en soulignant, à partir de quelques exemples, la richesse et les limites de cette base de données.
      This article analyses the AidData database, which lists Chinese cooperation and development aid projects in the world, and in Southeast Asia from 2000 to 2017. In relation to Chinese strategies and those of the host countries, it especially examines the differences in the temporality of these Chinese flows by country and by period. It also focuses on the differentiations in terms of economic sectors and in terms of actors between the two main parts of Southeast Asia, continental and island, and between the countries in each group. Analyses at the country level and then at the project level then led us, thanks to cartographic tools, to highlight the spatial configurations of Chinese aid in Southeast Asia. They appear strongly associated with the proximity of the border with China and with the location of continental transport corridors. The aim of such an analysis is to identify the main lines of Chinese public financial flows in Southeast Asia. It also has a methodological purpose, by underlining the interest and the limits of this database, on the basis of a few examples.
    • Stratégies, répartition et enjeux des financements publics chinois en RDP Lao entre 2000 et 2017, d'après la base de données China AidData - Christian Taillard p. 109-132 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le Laos se place au troisième rang, après l'Indonésie et le Vietnam, des pays bénéficiaires des financements publics chinois en Asie du Sud-Est, selon la base de données China AidData, la plus complète sur le déploiement chinois à l'étranger. La première partie présente les secteurs, les étapes, la répartition géographique et les acteurs des 14,6 milliards de dollars des projets financés sur la période 2000-2017, concentrés surtout dans les secteurs de l'énergie et des transports-communications. La seconde partie étudie les montages financiers des plus grands projets : barrages et ligne à grande vitesse. Elle montre que le Laos est le premier pays d'Asie du Sud-Est à être rattrapé par les risques de surendettement liés aux modes de financement de ces grands projets.
      Laos ranks third, after Indonesia and Vietnam, among countries receiving chinese official development finance in Southeast Asia, according to the China AidData database, the most comprehensive on China's overseas deployment related to the New Silk Roads. The first part presents the sectors, timing, geographical distribution and actors of the $14.6 billion of projects financed over the period 2000-2017, concentrated mainly on the energy and transport-communications sectors. The second part studies the financial arrangements of the largest projects: dams and high-speed line. It shows that Laos is the first country in Southeast Asia to be caught up in the risks of over-indebtedness related to the methods of financing these major projects.
    • The Economic and Political Implications of China's Foreign Aid in Cambodia - Anaïg Williamson p. 133-150 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'aide internationale fournie par la Chine au Cambodge est étroitement liée à ses objectifs en matière de politique étrangère et à sa stratégie d'investissement. Elle constitue un instrument essentiel de la diplomatie économique élaborée par Pékin et a joué un rôle crucial dans les relations liant le Parti communiste chinois et le Premier ministre cambodgien Hun Sen. Depuis le début des années 2000, le soutien économique apporté par la Chine au Cambodge a habilement été mis à profit pour consolider un réseau de production complet et stratégique. En protégeant les investissements majeurs et en misant sur les relations clés établies avec les hauts fonctionnaires cambodgiens, le gouvernement chinois a créé un environnement économique indépendant et rentable pour les entreprises chinoises, tout en enrichissant le noyau dur du pouvoir cambodgien. Au-delà d'être un instrument permettant de conquérir le milieu – non sans risque – des affaires au Cambodge, l'aide économique et matérielle chinoise a également des enjeux politiques importants, d'abord sur la prise de position diplomatique du gouvernement khmer, et ensuite sur la gouvernance du Parti du peuple cambodgien. Cet article a pour objectif de détailler la manière dont l'aide internationale fournie par la Chine a contribué à l'évolution du contexte économique (extraction de ressources, développements logistiques, zones économiques spéciales), politique et militaire du Cambodge dans les années 2000 et 2010. Il déchiffre la manière dont l'aide apportée par Pékin joue à l'échelle locale sur le patronage et la dépendance afin de consolider une relation bilatérale étroite au profit de sa propre stratégie régionale. Parallèlement, l'aide de la Chine renforce la mainmise du Premier ministre Hun Sen sur l'économie cambodgienne et son emprise sur la sphère politique intérieure.
      China's foreign aid in Cambodia has been closely intertwined with its foreign policy goals and investment strategy, it is a key tool in the economic diplomacy devised by Beijing and has played a crucial role in the Chinese Communist Party's relationship with Prime Minister Hun Sen. Since the beginning of the 2000s, China's financial support in Cambodia tended to be skillfully used to secure a strategic and comprehensive production network in the country. By safeguarding major investments and leveraging key relationships with Cambodian high-ranking officials, the Chinese government has created an autonomous and profitable ecosystem for Chinese companies, all the while enriching the close-knit group in power in Cambodia. In addition to being a weapon to conquer Cambodia's high-risk business environment, Chinese financial and material aid also have significant political implications, first on the Cambodian government's political stance, and second on the Cambodian People's Party governance. This article aims to specify the role of China's foreign aid in the evolution of the Cambodian economic (resource extraction; logistics; special economic zones) as well as political and military context in the 2000s and 2010s. It deciphers the way Beijing's aid deals locally with patronage and dependency in order to consolidate the close bilateral relationship at the benefit of its own regional strategy. At the same time, China's aid strengthens Prime Minister Hun Sen's grip on the Cambodian economy as well as on its domestic governance.
    • Les stratégies minières chinoises aux Philippines - François-Xavier Bonnet p. 151-173 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les Philippines sont un archipel aux ressources minières abondantes mais encore peu développées. La Chine et dans une moindre mesure le Japon sont les principaux clients du secteur minier Philippin. Face à un système juridique minier complexe, une politique minière instable, une forte opposition à l'extraction minière de la société civile et au conflit en mer de Chine méridionale, les entreprises chinoises se sont adaptées et ont développé plusieurs stratégies : 1) une partie d'entre elles ont rejoint le secteur des mines dites artisanales afin d'échapper au contrôle de l'État et de négocier directement avec les collectivités locales, dont les provinces. Ce secteur artisanal est en grande partie illégal et il est difficile d'évaluer le poids et l'influence de ces acteurs chinois. 2) D'autres entreprises chinoises ont opté pour le secteur commercial (large-scale mining) pour l'extraction du nickel et ont dû développer des relations et des partenariats avec des dynasties familiales locales et nationales, actrices incontournables du développement minier du pays. 3) Enfin, d'autres entreprises chinoises n'extraient pas de nickel mais importent le minerai brut pour le transformer en Chine. Les décennies qui viennent devraient voir une très forte augmentation de la demande en nickel et en terres rares afin de satisfaire les besoins de la transition écologique mondiale. Les Philippines pourraient jouer un rôle important dans la chaîne de valeur, notamment des véhicules électriques.
      The Philippines is an archipelago with abundant but still underdeveloped mining resources. China, and to a lesser extent Japan, are the main clients of the Philippine mining sector. Faced with a complex mining legal system, unstable mining policy, strong opposition to mining from civil society and the conflict in the South China Sea, Chinese companies have adapted and developed several strategies: 1) Some of them have joined the so-called artisanal mining sector in order to escape state control and negotiate directly with local governments, including the provinces. This artisanal sector is largely illegal and it is difficult to assess the weight and influence of these Chinese actors. 2) Other Chinese companies have opted for the commercial sector (large-scale mining) for nickel extraction and have had to develop relationships and partnerships with local and national family dynasties, key players in the country's mining development. 3) Finally, other Chinese companies do not mine nickel but import the raw ore for processing in China. The coming decades are expected to see a huge increase in demand for nickel and rare earths to meet the needs of the global green transition. The Philippines could play an important role in the value chain, especially in electric vehicles.
    • Focalisation chinoise sur Singapour : montants, modalités et digitalisation des investissements directs étrangers (2000-2022) - Elsa Lafaye de Micheaux, Muriel Périsse p. 175-194 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En prenant place au cœur de l'économie de l'ASEAN, mais aussi du trafic maritime et financier mondial, la Chine a poursuivi l'internationalisation de ses entreprises à vitesse accélérée et selon des modalités technologiques parmi les plus évoluées. Depuis qu'elle a commencé ses investissements massifs dans la région, Singapour en a été une destination clé. Comme les autres investisseurs étrangers, les entreprises chinoises y ont ciblé la logistique, les industries manufacturières et les services à forte valeur ajoutée. Mais désormais, il semble que les investissements chinois se focalisent sur la sphère de l'économie digitale, ce que l'on peut retracer à travers l'étude des projets et acquisitions de deux acteurs clés : Alibaba et Huawei. Cet article mesure, caractérise et contextualise les IDE chinois à Singapour de 2000 à 2022 pour notamment montrer comment, par le biais d'investissements croissants dans l'économie la plus riche d'Asie du Sud-Est, la Chine consolide à la fois sa propre puissance dans le domaine du numérique et la position de supériorité régionale de Singapour.
      As China has taken its place at the heart of the ASEAN economy, as well as global maritime and financial traffic, it has continued to internationalise its businesses at an accelerated rate and in some of the most technologically advanced ways. Singapore has been a key destination since it began its massive investments in the region. Like other foreign investors, Chinese companies have targeted logistics, manufacturing and high value-added services. But now it seems that Chinese investment is focusing on the digital economy, which can be traced through the study of the projects and acquisitions of two key players: Alibaba and Huawei. This paper measures, characterises and contextualises Chinese OFDIs in Singapore from 2000 to 2022 in order to show how, through increasing investment in Southeast Asia's richest economy, China is consolidating both its own power in the digital domain and Singapore's position of regional superiority.
    • Chinese Provinces as Semi-Autonomous Diplomatic Actors in China's Investments in Southeast Asia. Evidence from Guangxi Institutions and Individuals in the Mining Sector - Hui-Yun Cher, Xavier Delannay, Aymeric Mariette p. 195-221 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le but de ce travail est de mettre en évidence l'influence significative des relations entre les échelles centrales et locales sur les stratégies d'investissement et de diplomatie de la Chine en Asie du Sud-Est. L'utilisation des théories des groupes d'intérêt et plus particulièrement la fragmentation, initialement construite pour l'analyse de la politique intérieure chinoise, permettent de mieux comprendre les objectifs de la projection internationale de la Chine. En outre, ces concepts offrent la possibilité d'intégrer l'influence des autorités provinciales chinoises dans la compréhension de la politique étrangère chinoise, une perspective encore peu présente dans la littérature. Ce cadre conceptuel est utilisé pour mettre en évidence le rôle des autorités du Guangxi dans les investissements chinois et dans l'élaboration de sa diplomatie en Asie du Sud-Est. En utilisant l'industrie minière comme étude de cas, cet article dévoile les nombreux acteurs et stratégies déployés au niveau de la province du Guangxi pour influencer la politique étrangère globale de la Chine d'une manière plus conforme à ses propres intérêts. Cet article plaide ainsi en faveur d'une lecture plus locale de la projection extérieure chinoise, afin de mieux en comprendre les acteurs et les dynamiques.
      This research highlights the central-local dynamics shaping China's investment and diplomatic strategies in Southeast Asia. Mobilizing the notions of interest groups and, in particular, the concept of fragmentation, initially developed to analyse Chinese domestic policy, it allows for a better understanding of the motives behind China's international projection, in particular by integrating the influence of Chinese provincial authorities into the analyses of Chinese foreign policy. This conceptual framework, too rarely developed in the literature, is used to highlight the role of Guangxi authorities in projecting Chinese investment and shaping its diplomacy in Southeast Asia. Taking the mining industry as a case study, this article reveals the numerous actors and strategies deployed at the Guangxi province level in order to shape China's overall foreign policy in a way that better fits its own interest. This article thus advocates for a more local political and economic approach to Chinese outward projection to better comprehend all the stakes at play behind China's global push.
    • China's Power Play in Indonesia: Infrastructure Investment and Territorial Incursions - Daniel Peterson p. 223-247 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article décrit de quelle manière les efforts de la Chine en matière de diplomatie économique et de captation des élites lui ont permis de s'implanter en Indonésie à moyen et à long terme. En conséquence, la Chine est désormais sans doute mieux positionnée pour accéder aux vastes ressources naturelles de l'Indonésie, influencer la politique étrangère indonésienne et réaliser ses propres objectifs géopolitiques stratégiques en Asie du Sud-Est et dans la mer de Chine méridionale. Mais au lieu que l'administration indonésienne en place conçoive une politique et une stratégie cohérentes à l'égard de la Chine, l'article note que l'armée indonésienne (Tentara Nasional Indonesia ou TNI) semble aller de l'avant avec sa propre stratégie, à savoir l'établissement de liens plus étroits avec les armées d'États occidentaux clés, y compris les États membres de l'AUKUS. Alors que la politique étrangère officielle de l'Indonésie consiste à ne pas s'aligner et à rester « libre et active » (bebas dan aktif), cet article postule que si l'Indonésie est vraiment « libre et active », elle devrait être libre de s'incliner vers un bloc dirigé par les États-Unis si elle le souhaite.
      This article describes how China's economic statecraft and elite capture efforts have enabled it to embed itself in Indonesia for the medium- to long-term. As a result, China is now arguably better positioned to access Indonesia's vast array of natural resources, influence Indonesian foreign policy, and realise its own strategic geopolitical goals in Southeast Asia and the South China Sea. In lieu of the incumbent Indonesian administration devising a coherent China policy and strategy, the article notes that the Indonesian military (Tentara Nasional Indonesia or TNI) has seemingly forged ahead with its own strategy, namely establishing closer ties with the militaries of key Western states, including the AUKUS member states. While Indonesia's official foreign policy is one of non-alignment and of remaining “free and active” (bebas dan aktif), this article posits that if Indonesia is truly “free and active”, it should be free to tilt towards a United States-led bloc if it feels so inclined.
  • Comptes rendus