Contenu du sommaire : Les génocides devant la justice allemande ; droit et reconnaissance (1945-2023)
Revue | Guerres mondiales et conflits contemporains |
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Numéro | no 292, octobre-décembre 2023 |
Titre du numéro | Les génocides devant la justice allemande ; droit et reconnaissance (1945-2023) |
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Les génocides devant la justice allemande ; droit et reconnaissance (1945-2023)
- Introduction. Les génocides devant la justice allemande ; mise en perspective historique des pratiques judiciaires et des politiques de reconnaissance (1945-2023) - Fabien Théofilakis, Bérénice Zunino p. 3-9
- Trouver des chemins et poser des jalons. Le rôle de la Shoah dans les procès de Nuremberg et l'importance de Nuremberg pour la recherche sur la Shoah - Kim Christian Priemel, Béatrice Pellissier p. 11-26 L'importance des crimes génocidaires et en particulier de la Shoah au procès des tribunaux de Nuremberg est aujourd'hui encore controversée parmi les historiens. Si « Nuremberg » équivaut pour certains au point de départ de la recherche historique et pénale sur la Shoah, d'autres situent les crimes génocidaires dans l'ombre des autres chefs d'accusation. Cette contribution montre d'une part que la destruction des Juifs d'Europe marqua aussi bien le déroulement des procès que leurs jugements, et ce avec une fréquence et une évidence remarquables. D'autre part on retracera les efforts des juristes de Nuremberg pour conceptualiser le terme de « génocide » comme catégorie heuristique à même de rendre compte de la politique de destruction nazie.It has long been a cause of disagreement between historians what role the Nuremberg Trials accorded to the Nazi regime's genocidal policies. While some consider ‘Nuremberg' the starting point of judicial and historical efforts to tackle the Holocaust others have argued that genocidal crimes were eclipsed by other counts. The present contribution adds nuance to this debate by documenting how frequently, and indeed evidently, the destruction of the European Jews featured in the trials. It also traces the jurists' efforts to conceptualize ‘genocide' as a heuristically helpful category to comprehend the Nazi regime's wide-ranging policy of mass murder.
- Punir un génocide sans appliquer la législation contre le génocide. Les auteurs de la Shoah devant les tribunaux allemands - Wolf Kaiser, Béatrice Pellissier p. 27-44 La RFA a intégré la peine maximale pour génocide dans son système judiciaire, mais cette norme n'a pas été appliquée dans les procédures pénales contre les auteurs de la Shoah en raison du principe de non-rétroactivité. En revanche, la justice de la RDA a appliqué des normes du droit pénal international, même rétroactivement, en condamnant des auteurs de crimes nazis sur la base du statut du TMI. Dans les deux États allemands, relativement peu de participants aux crimes ont été traduits en justice, principalement des auteurs directs de ces crimes. De plus, les tribunaux ouest-allemands ont prononcé dans de nombreux cas des peines étonnamment légères. En RFA, l'application du droit pénal traditionnel, voué à poursuivre les crimes ordinaires de citoyens individuels, à ces crimes de masse organisés par l'État est la principale raison de ce bilan très insatisfaisant.The Federal Republic of Germany made the maximum sentence for genocide part of its legal system, but did not apply it in proceedings against perpetrators of the Holocaust in order to avoid an application of law ex post facto. In contrast, courts of the German Democratic Republic applied norms of international criminal law retroactively by referring to the Constitution of the IMT. In both German states only few of the numerous Germans who had been actively involved in committing the Holocaust were put on trial, mainly on-site perpetrators. Moreover, in many cases West-German courts have inflicted very mild punishments. A main reason for this very unsatisfying result is that the FRG applied the traditional criminal law to mass atrocities organized by a state.
- Du prétoire à l'espace médiatique. Les procès des Einsatzgruppen (1958), de Majdanek (1975-1981) et d'Oskar Gröning (2015) dans la juridiction et les médias allemands - Bérénice Zunino p. 45-62 L'histoire médiatique des procès complète l'histoire du droit en ce qu'elle permet d'examiner la réception des procès et de leur jurisprudence dans l'espace public. Parmi les procès pénaux qui ont posé tant de problèmes à la justice fédérale, trois d'entre eux ont joué un rôle clé ; celui des Einsatzgruppen, dont la « jurisprudence des complices » a été étonnamment peu discutée dans les médias ; celui de Majdanek, qui, malgré une réception plus critique, confirma cette jurisprudence ; et celui de Gröning. Bien qu'il favorisât des avancées juridiques tardives et une maîtrise de la « maîtrise du passé » dans l'espace médiatique, ce procès est resté en deçà de l'examen critique que l'on aurait pu attendre de la part de la justice, révélant un décalage entre vérité judiciaire et prégnance du passé nazi dans la mémoire collective allemande aujourd'hui.The media history of trials complements the history of law in that it allows us to examine the reception of trials and their jurisdiction in the public arena. Among the criminal trials that posed so many issues for West German federal justice, three of them played a key role: the Ulm Einsatzkommando trial, whose “jurisdiction of accomplices” was surprisingly little discussed in the media; the Majdanek trial, which, despite a more critical reception, confirmed this jurisprudence; and the Gröning trial. Although this trial let to belated legal advances and contributed to overcome the work of overcoming the past in the media, it has not led the justice system to take a critical look at itself in the extent it might have been expected, what reveals a discrepancy between juridical truth and the central place of the Nazi past in current German collective memory.
- Le long chemin vers la « reconnaissance ». Le génocide des arméniens dans le discours politique de la RFA - Medardus Brehl, Mihran Dabag, Alice Volkwein p. 63-77 En juin 2016 le Parlement allemand a consacré une résolution à la destruction des Arméniens sous la forme d'un « texte parlementaire succinct » intitulé « Souvenir et commémoration du génocide des Arméniens et d'autres minorités chrétiennes dans l'Empire ottoman ». Cette contribution se propose de retracer le processus long et partiellement contradictoire qui a abouti à cette résolution en replaçant la discussion autour de la reconnaissance de ce génocide dans le contexte politique et mémoriel allemand. Le texte de cette résolution fera lui-même l'objet d'une analyse détaillée prenant en compte la validité de la terminologie employée. On sera dès lors amené à s'interroger sur la signification de la reconnaissance politique de violences extrêmes subies dans un contexte historique.In June 2016, 101 years after the event, the German Bundestag dedicated a resolution to the extermination of Armenians in the Ottoman Empire in the form of a "simple parliamentary resolution". The article traces the long and sometimes contradictory path to this resolution, placing the German discussion on recognition of the Armenian Genocide in historical, political and remembrance-cultural contexts. In addition, the text of the resolution itself is analyzed with regard to the language rules that are effective in it.
- Place du droit des Alliés dans le code pénal allemand ? Fritz Bauer, le droit international et le procès d'Auschwitz - Katharina Rauschenberger, Béatrice Pellissier p. 79-95 Le juriste Fritz Bauer, rentré d'exil en 1949, puis procureur général de Hesse, est connu pour son engagement invétéré en faveur de la poursuite des crimes nazis. Il a imposé le premier procès d'Auschwitz à Francfort à ses supérieurs. Cet article montre que Bauer était déjà préoccupé par les questions de poursuite des criminels de guerre dès son exil en Suède en 1944, bien avant la création du Tribunal militaire international de Nuremberg. Néanmoins, Bauer est resté à l'écart des débats internationaux liés au Tribunal de Nuremberg. En République fédérale, il s'est concentré sur la pratique des poursuites par les tribunaux ouest-allemands et a représenté une opinion minoritaire parmi les juristes ouest-allemands lorsqu'il a voulu que les assassinats ordonnés par l'État dans les camps de concentration soient considérés comme un seul et même crime. Cela aurait facilité les poursuites judiciaires en Allemagne.The jurist Fritz Bauer, who returned from exile in 1949, championed the prosecution of Nazi crimes as Attorney General in Hesse. He brought the first Frankfurt Auschwitz trial to his authorities. This article shows that Bauer was already concerned with the issues of prosecuting war criminals in exile in Sweden in 1944, well before the International Military Tribunal in Nuremberg. Nevertheless, Bauer remained excluded from the international debates related to the Nuremberg Tribunal. In the Federal Republic, he concentrated on the practice of prosecution by West German courts, and here he represented a minority opinion among West German jurists when he wanted the state-ordered murder in a concentration camp to be understood as a unit of offences. This would have made prosecution in Germany much easier.
- La reconnaissance politique et juridique du génocide nazi des Roms et des sintis en RFA - Karola Fings, Bérénice Zunino, Fabien Théofilakis, Béatrice Pellissier p. 97-114 Karola Fings dresse dans cet entretien un bilan critique des politiques mémorielles allemandes relatives aux crimes nazis perpétrés contre les Sintis et les Roms, reconnus tardivement comme génocide, en 1982. Elle inscrit la politique de privation de droits et d'extermination des Sintis et des Roms dans un antitsiganisme de longue durée, qui explique aussi en partie l'échec de la gestion pénale de ces crimes après 1945/1949. Le virage juridique des années 2010 est arrivé trop tardivement pour traduire la majorité des coupables, déjà morts, devant la justice. Cette jurisprudence représente toutefois un signal positif dans la reconnaissance tardive de ce génocide, dont la visibilité s'est accrue dans l'espace public allemand cette dernière décennie.In this interview Karola Fings takes a critical look at Germany's memory policies relating to the Nazi crimes against Roma and Sinti, belatedly recognized as a genocide in 1982. She situates the policy of disenfranchisement and extermination of Sinti and Roma within a long-standing Antitziganism, which also partly explains the failure of the criminal justice system to deal with these crimes after 1945/1949. The legal shift of the 2010s came too late to put on trial the majority of the Nazi criminals, who are already dead. However, this case law represents a positive signal in the belated recognition of this genocide, whose visibility has increased in the German public arena over the past decade.
Varia
- La lutte contre la dissidence dans l'armée de l'Air de Vichy 1940 - 1942 - Bertrand Le Bras p. 115-136 L'armistice de juin 1940 prévoyait la quasi-disparition de l'armée de l'Air. Cela n'eut pas lieu puisque, à la suite de Mers el-Kébir, près de 50 % de ses unités furent maintenues pour assurer la « défense de l'Empire ». Cette survie ne tenait qu'au bon-vouloir des occupants, toute velléité de rejoindre les forces de la France libre pouvant être prétexte à des représailles sur les forces ainsi préservées. C'est dans ce contexte que les chefs de l'armée de l'Air mirent en place un ensemble de mesures pour entraver les départs vers ce qu'on appelait alors la dissidence et développèrent un arsenal répressif pour punir ceux qui avaient tenté leur chance. L'ensemble permit aux autorités de s'assurer de la loyauté de la grande majorité des aviateurs jusqu'à la disparition de l'armée de l'Air à la fin de 1942.The armistice of June 1940 foresaw the virtual disappearance of the “armée de l'Air”. This did not happen since, following Mers el-Kébir, nearly 50% of its units were maintained to ensure the “defense of the Empire”. This survival depended only on the goodwill of the occupants, any desire to join the Free France forces could be a pretext for reprisals on the units thus preserved. It was in this context that the chiefs of the “armée de l'Air” put in place a set of measures to hinder departures towards what was then called dissent and developed a repressive arsenal to punish those who had attempted their chance. All of this allowed the authorities to ensure the loyalty of the vast majority of airmen until the disappearance of the “armée de l'Air” at the end of 1942.
- La lutte contre la dissidence dans l'armée de l'Air de Vichy 1940 - 1942 - Bertrand Le Bras p. 115-136
Comptes rendus
- Nicolas Handfield, Julie Le Gac, Chloé Poitras-Raymond (dir.), Femmes en guerre, de l'époque médiévale à nos jours, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve-d'Ascq, 2022 - Yasmine Benaïssa p. 137-140
- Enrico Serra, Camille Barrère et l'Italie (1897-1924), La Courneuve, CTHS, 2023, 365 p., cartes et index - Chantal Metzger p. 140-142
- Hubert Bonin et Bernard Lachaise (dir.), Juin 1940 à Bordeaux et en Gironde, Au cœur de la tourmente militaire et politique, La Geste, 2022, 406 p. - Stéphane Weiss p. 143-145
- Nicolas Ginsburger, Marie-Claire Robic, Jean-Louis Tissier (dir.), Géographes français en Seconde Guerre mondiale, Paris, Editions de la Sorbonne, 2021, 442 p. - Stéphane Weiss p. 145-147
- Félix Torres & Boris Dänzer-Kantof, Les atomes de la mer. La propulsion nucléaire française. Histoire d'un outil de dissuasion, Paris, Le Cherche Midi, 2022, 592 p. - Hubert Bonin p. 147-149