Contenu du sommaire : Géopolitique de l'Olympisme
Revue | Hérodote |
---|---|
Numéro | no 192, 1er trimestre 2024 |
Titre du numéro | Géopolitique de l'Olympisme |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
- Éditorial. Géopolitique de l'Olympisme - Béatrice Giblin, André Suchet p. 3-10 L'Olympisme représente des enjeux de pouvoir qui se sont accrus au cours du temps avec l'élargissement du nombre d'États et des disciplines sportives qui y participent, et du fait de son immense succès médiatique depuis la retransmission des Jeux à la télévision. C'est donc avec cet angle-là qu'Hérodote a construit ce numéro. Le sport est un acteur des relations internationales dès le début du XXe siècle, mis au service de la puissance et du prestige des États. Pour ce faire, Paris a choisi d'innover avec une cérémonie d'ouverture en plein air malgré les risques encourus. Les JO, du fait de leur aura médiatique, sont aussi un moyen efficace pour des États, des nations ou des entités de se faire connaître et d'améliorer leur image. Cependant, bien que le rôle du CIO se soit accru, il est loin d'avoir le poids nécessaire pour faire respecter la Pax olympica.Olympism represents issues of power that have increased over time with the expansion of the number of States and sports that participate and because of its immense media success since the broadcast of the Games on television. It is with this angle that Herodotus built this number. Sport was an actor in international relations from the beginning of the 20th century, at the service of the power and prestige of States. To do this, Paris chose to innovate with an open-air opening ceremony despite the risks involved. The Olympics because of their media aura are also an effective way for States, nations or entities to make themselves known, to improve their image. However, although the role of the IOC has increased, it is far from having the necessary weight to enforce the Pax olympica.
- La lutte pour la gouvernance du sport mondial - Jean-Loup Chappelet p. 11-29 En moins d'un siècle, d'un passe-temps réservé à quelques gentlemen amateurs en Europe, le sport est devenu un phénomène mondial qui concerne des millions d'hommes et de femmes de toutes origines, garçons et filles, sportifs de base, d'élite ou simples spectateurs. Il s'est développé grâce à des événements internationaux de plus en plus médiatisés comme les Jeux olympiques modernes. Trois types d'organisations ont lutté pour gouverner ce phénomène au niveau mondial : 1) le Comité international olympique (CIO) qui attribue les Jeux rénovés depuis 1894 à des villes européennes ou américaines, puis du monde entier dès 1956 ; 2) les fédérations sportives internationales (FI) qui chacune gouvernent un sport particulier en fixant des règles universelles, en établissant un calendrier de compétitions internationales, en reconnaissant des fédérations nationales dans le monde entier, etc. ; et 3) des gouvernements et des organisations intergouvernementales. Cet article retrace en trois épisodes cette lutte géopolitique pour la gouvernance du sport mondial depuis 1945 qui se poursuit aujourd'hui encore avec quelques nouveaux acteurs.In less than a century, sport has transformed itself from a hobby for a few European gentlemen into a phenomenon which involves millions of men and women from all walk of life, boys and girls, mass sport participants, elite athletes or just spectators. Sport has developed thanks to heavily mediated sports events such as the modern Olympic Games. Three types of organisations have struggled to govern global sport: 1) The International Olympic Committee (IOC) which awarded the modern Olympic Games to European and US cities, and from 1956 to cities of the rest of the world; 2) The International sports Federations (IFs) which each govern a particular sport establishing universal rules, deciding on a calendar of international competitions, recognising national federation all over the world, etc.; 3) Some governments and intergovernmental organisations. This article relates in three episodes the geopolitical struggle for the governance of world sport from 1945, which continues to this day with a few new actors.
- Géopolitique du système olympique : reconnaissances, stratégies d'influence, conflits à l'aube des Jeux de Paris - Pascal Gillon p. 31-51 Le sport est entré dans l'arène des relations internationales dès le début du XXe siècle et n'en est jamais ressorti depuis. Fort de sa dramaturgie et vecteur symbolique d'un affrontement « pacifique » entre nations, il s'est particulièrement épanoui lors des Jeux olympiques, rendez-vous médiatique mondialisé. Cette compétition est le produit du système olympique réunissant une sphère sportive, dominée par le CIO, une sphère économique constituée des diffuseurs et des sponsors, une sphère de régulation rassemblant entre autres l'AMA (Agence mondiale antidopage) et le TAS (Tribunal arbitral du sport), et d'acteurs externes qui tentent d'utiliser cette dernière à des fins géopolitiques, dont les États, ou des ONG. Conserver le contrôle de la fête est devenu essentiel pour le CIO qui utilise son droit de reconnaissance et son corollaire, l'exclusion, pour y parvenir. Par ailleurs, il a dû développer une diplomatie économique et sportive pour tenter de contrer certaines stratégies d'influence tentées par les autres acteurs. Toutefois, le « coût géopolitique du sport » est faible pour certains acteurs, ce qui amène, à certaines périodes, à une forte conflictualité.Sport is a tool of international relationship since dawn of twentieth century and still continues to be part of. As a dramatic and symbolic vehicle for “peaceful” confrontation between nations, it has particularly flourished during the Olympic Games, a globalized media event. This competition is the product of the Olympic system, which brings together a sporting sphere dominated by the IOC, an economic sphere made up of broadcasters and sponsors, a regulatory sphere including WADA and CAS, and external players such as states and NGOs who attempt to use the latter for geopolitical ends. Retaining control of the event has become essential for the IOC, which uses its right of recognition and its corollary, exclusion, to achieve this. In addition, it has had to develop economic and sports diplomacy in an attempt to counter certain strategies of influence attempted by other players. However, the “geopolitical cost of sport” is low for some players, leading to high levels of conflict at certain times.
- L'héritage des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 : éducation, organisation sportive et politique publique - Pierre-Olaf Schut p. 53-65 La candidature de Paris pour les Jeux olympiques et paralympiques a mis en avant l'héritage que l'événement pouvait construire dans le pays hôte. Cette contradiction entre le caractère fugace de l'événement et la durabilité de l'héritage interroge sur son bien-fondé et son objet. Ces questions sont au centre du propos qui vise à circonscrire et donner corps à l'héritage des Jeux organisés à Paris. D'abord, il s'agit de définir l'essence et les sens de l'héritage pour appréhender sa conception. Puis, sa gouvernance est essentielle pour comprendre le jeu des acteurs engagés et leurs motivations. Cette approche par le haut doit nécessairement changer de focale et s'approcher des acteurs pour envisager l'opérationnalisation de l'action publique avant de conclure en insistant sur les besoins d'évaluations pour distinguer les réalisations des transformations.Paris' bid for the Olympic and Paralympic Games highlighted the legacy that the event could build in the host country. This contradiction between the fleeting nature of the event and the durability of the legacy raises questions about its validity and purpose. These questions are at the heart of our aim to define and give substance to the legacy of the Paris Games. First of all, we need to define the essence and meaning of the legacy in order to understand how it is conceived. Then, its governance is essential to understand the interplay of the players involved and their motivations. This top-down approach must necessarily change focus and get closer to the players in order to consider the operationalization of public action, before concluding by stressing the need for evaluations to distinguish achievements from transformations.
- La cérémonie d'ouverture des JO de Paris 2024 : une faille dans l'organisation ? - Médéric Chapitaux p. 67-77 La cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques a toujours fait partie du protocole dès les Jeux antiques avant d'être confirmée lors de la rénovation des Jeux modernes. Depuis le début du XXe siècle, la cérémonie d'ouverture a toujours été organisée dans un stade, véritable espace sanctuarisé, permettant d'encadrer les spectateurs et assurer une sécurité optimale à l'évènement. En optant pour le choix originel de la déambulation, Paris 2024 fait un choix iconoclaste qui interroge les spécialistes de la sécurité, qui plus est dans un contexte géopolitique tendu. Cet article vise à montrer comment cette cérémonie d'ouverture qui sera réalisée sur la Seine est une gageure pour les forces de sécurité intérieure en charge du bon déroulement de la manifestation.The opening ceremony of the Olympic Games has always been part of the protocol since the ancient games before being confirmed during the renovation of the modern games. Since the beginning of the 20th century, the opening ceremony has always been organized in a stadium, a true protected space, allowing spectators to be supervised and ensuring optimal security for the event. By opting for the original choice of wandering, Paris 2024 is making an iconoclastic choice which questions security specialists, moreover, in a tense geopolitical context. This article aims to show how this opening ceremony which will be carried out on the Seine is a challenge for the internal security forces responsible for the smooth running of the event.
- Les cyberattaques : un enjeu de sécurité primordial - Pierre André p. 79-92 La sécurité des JO de Paris 2024 est une priorité absolue compte tenu de l'importance médiatique exceptionnelle de cet évènement. Les cyberattaques sont parmi les risques majeurs. L'histoire des cyberattaques sur les JO est déjà longue puisqu'elle a commencé aux JO de Montréal en 1976 et, depuis, les cyberattaques ont connu non seulement une croissance exponentielle mais elles sont aussi beaucoup plus sophistiquées. Toute la partie informatique de l'évènement sportif (billetterie, web, pilotage des épreuves...) est prise en charge par le CIO et le COJO, le reste, notamment la partie sécurité des infrastructures au sens large, est du champ des pays ou des villes hôtes. La France a une approche institutionnelle et légale de la gestion des risques. L'État français a mis en place un préfet délégué aux Jeux olympiques, cela a représenté une force car cela a permis d'aligner sur des objectifs communs des acteurs très différents avec des priorités très différentes, et donc de faire de la cybersécurité une priorité qui n'est pas le sujet habituel de ceux qui construisent des infrastructures.The security of the Paris 2024 Olympics is a top priority given the exceptional media importance of this event. Cyberattacks are among the major risks. The history of cyberattacks on the Olympics is already long since it began at the Montreal Olympics in 1976 and since then they have not only grown exponentially but they are much more sophisticated. The entire IT part of the sporting event (ticketing, web, event management, etc.) is managed by the IOC and the OCOG, the rest of the security part of the infrastructures in the broad sense is the field of the host countries or cities. France has an institutional and legal approach to risk management. The French State has set up a prefect delegated to the Olympic Games, this represented a strength because it has made it possible to align on common objectives very different actors with very different priorities, and therefore to make cybersecurity a priority that is not the usual subject of those who build infrastructure.
- Les Jeux de l'« État espagnol » en « nation catalane », géopolitique régionale des Jeux méditerranéens 2018 à Tarragone - André Suchet p. 93-109 Les Jeux méditerranéens sont une compétition multisports reconnue par le Mouvement olympique au titre de Jeux régionaux, tout comme les Jeux du Pacifique, les Jeux asiatiques ou les Jeux panaméricains. Plusieurs études ont déjà traité de ces évènements sportifs, héritiers de la décolonisation, comme témoins de la situation géopolitique d'une partie du monde. Ce travail vise plutôt à en cerner les enjeux de niveau régional au sens étroit du terme. Réfutant complètement l'hypothèse selon laquelle les Jeux méditerranéens 2018 de Tarragone, au sud de Barcelone, auraient constitué une vitrine du nationalisme catalan et du projet identitaire régional, les observations tendent à montrer combien ces Jeux constituent au contraire une démonstration de force au plan sportif, culturel et politique de l'Espagne souverainiste. Ces XVIIIe Jeux méditerranéens dévoilent aussi plus largement d'autres lignes de fracture, en Espagne et en Europe, entre conservateurs et progressistes, entre masculinité(s) et féminisme(s).The Mediterranean Games are a multi-sport competition recognized by the Olympic movement as a Regional Games, just like the Pacific Games, the Asian Games or the Pan American Games. Several studies have already dealt with these sporting events, heirs of decolonization, as witnesses to the geopolitical situation of a part of the world. This work aims rather to analyze the regional level issues in the narrow sense of the term of these sports gatherings. Completely refuting the hypothesis according to which the 2018 Mediterranean Games in Tarragona (at the south of Barcelona) would have constituted a showcase of Catalan nationalism and of the regional identity project, the sources, interviews and observations tend to show the opposite. These Games constitute a demonstration of force on a sporting, cultural and political level of sovereignist Spain. More broadly, these XVIII Mediterranean Games perhaps also reveal other fault lines, fractures between nations and Europe, between conservatives and progressives, between masculinity(s) and feminism(s).
- L'hypothèse du sport international comme élément protonational dans la construction d'une nation kosovare - Pauline Soulier p. 111-127 Vingt ans après la fin de la guerre, la question du statut du Kosovo est toujours en suspens. Encore aujourd'hui, le statut de cette République autoproclamée en 2008 est contesté et fait l'objet de négociations notamment sous l'égide de l'Union européenne. Si l'État du Kosovo n'est pas reconnu au niveau international malgré la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies, qu'en est-il de la nation ? Eric Hobsbawm explique que l'élément protonational le plus décisif est la « conscience d'appartenir ou d'avoir appartenu à une entité politique durable ». Une nation, pour vivre, nécessite des points de convergence entre ses membres. Le sport, parce qu'il est présenté comme rassembleur, peut être vecteur de ce que Michael Billig nomme le « nationalisme ordinaire ». Il est alors susceptible de contribuer à la création d'un sentiment national dépassant les particularismes individuels. Le sport serait alors créateur d'un lien imaginaire dans la mouvance des travaux de Benedict Anderson. Ainsi, le sport international peut-il être l'un des éléments protonationalistes de la construction d'une nation kosovare conjuguant, voire sublimant, les antagonismes serbes et albanais. Est-il possible de pratiquer du sport en commun ? Comment de possibles équipes nationales sont-elles accueillies tant au niveau kosovar qu'international ? Les champions kosovars ont-ils un poids politique ? Nous étudierons les exemples de la tentative de récupération des judokas olympiques par le gouvernement et des tensions persistantes dans les rencontres sportives locales et européennes.Twenty years after the end of the war, the question of the status of Kosovo is still unresolved. Even today, the status of this self-proclaimed Republic in 2008 is contested and is the subject of negotiations, particularly under the aegis of the European Union. If the State of Kosovo is not recognized internationally despite United Nations Security Council Resolution 1244, what about the nation? Eric Hobsbawm explains that the most decisive protonational element is the “consciousness of belonging or having belonged to a lasting political entity”. A nation in order to live requires points of convergence between its members. Sport, because it is presented as unifying, can be a vector of what Michaël Billig calls “ordinary nationalism”. It is then likely to contribute to the creation of a national feeling going beyond individual particularities. Sport would then create an imaginary link in the movement of the work of Benedict Anderson. Thus, international sport can be one of the proto-nationalist elements in the construction of a Kosovar nation, combining or even sublimating Serbian and Albanian antagonisms. Is it possible to practice sports together? How are possible national teams welcomed both at the Kosovar and international level? Do the Kosovar champions have political weight? We will study the examples of the government's attempt to recover Olympic judokas and the persistent tensions in local and European sporting events.
- Islamisme et sport : entre invisibilité, amalgame, stigmatisation et protéiformité de la menace - Médéric Chapitaux, Philippe Terral p. 129-144 Alors que l'islamisme s'inscrit à l'agenda politico-médiatique, dans un traitement parfois approximatif, le sport se voit contraint de prévenir cette menace au sein des clubs sans pour autant en maîtriser réellement le sens. Cet article interroge la perception des services de renseignement face à l'immixtion islamiste dans le champ du sport français. Nous avons débuté notre enquête par des entretiens semi-directifs avec les responsables d'unités de renseignement et de lutte antiterroriste avant d'analyser des documents confidentiels recueillis auprès des agents de terrain. En mobilisant la notion de policing et de déviance, nous mettons en évidence les outils utilisés par les forces de sécurité pour identifier et graduer cette menace dans ce secteur éducatif.While Islamism is part of the political-media agenda, in a treatment that is sometimes approximate, sport is forced to prevent this threat within clubs without fully understanding its meaning. This article questions the perception of the intelligence services regarding Islamist interference in the field of French sport. We began our investigation with semi-structured interviews with the heads of intelligence and anti-terrorism units before analyzing confidential documents collected from field agents. By mobilizing the notion of policing and deviance, we highlight the tools used by security forces to identify and scale this threat in this educational sector.