Contenu du sommaire : Mécaniques de la dépolitisation
Revue | Mots. Les langages du politique |
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Numéro | no 134, avril 2024 |
Titre du numéro | Mécaniques de la dépolitisation |
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Dossier
- Disqualification des conflictualités, rétrécissement du débat, invisibilisation des valeurs : la dépolitisation en discours - Valérie Bonnet, Emmanuel Marty, Cécile Robert p. 9-19
- Dépolitiser au risque de repolitiser l'abstention ? Les faux-semblants des campagnes gaullistes d'appel au vote (1958-1969) - Zoé Kergomard p. 21-38 Cet article étudie les mécanismes dépolitisants des campagnes d'appel au vote lancées sur fonds publics par des acteurs gaullistes dans les premières années de la Ve République. Si les protagonistes de ces campagnes prétendent être apolitiques, leurs tentatives d'imposer des interprétations dépolitisées du vote et du non-vote se heurtent tant au risque de vider le vote de ses enjeux qu'aux critiques croissantes de l'instrumentalisation gaulliste des élections et référendums.This article examines the depoliticising mechanisms used by publicly funded campaigns launched by Gaullist actors in the early years of the Fifth Republic to encourage people to vote. Although the protagonists of these campaigns claimed to be apolitical, their attempts to impose depoliticised interpretations of voting and non-voting came up against both the risk of emptying voting of its stakes and growing criticism of the Gaullist instrumentalisation of elections and referendums.
- La civic tech dans la presse française, entre technicisation et privatisation du problème démocratique : quand la promotion de la participation citoyenne numérique mène à sa dépolitisation - Tatiana de Feraudy p. 39-56 Cet article s'intéresse au discours sur la civic tech dans la presse française entre 2016 et 2019. Il montre que les acteurs et actrices du milieu construisent une promesse de modernisation de l'action publique et de la participation citoyenne par le numérique. La mobilisation des univers de référence du numérique et de l'entrepreneuriat leur sert à revendiquer un rôle d'intermédiation politique. La promotion d'une participation technicisée et neutralisée, ainsi que de la privatisation de l'activité d'intermédiation par le recours aux start-up du milieu, tend à contribuer à une conception dépolitisée de la participation citoyenne.This article focuses on the discourse about civic tech in the French press, between 2016 and 2019. It shows that the actors in the field build a promise that presents digital tools as allowing the modernisation of public action and of citizen participation. Mobilising the digital and entrepreneurship reference universes allows them to claim a role as policy intermediaries. The promotion of technicised and neutralised participation practices, as well as the increasing use of start-ups as contractors, which induces a privatisation of the policy intermediation activity, tend to contribute to a depoliticised vision of citizen participation.
- Lutter contre le « terrorisme » sur les réseaux sociaux : usages d'une catégorie politique dans les discours de Meta, Google et Twitter - Marguerite Borelli p. 57-79 Depuis le début de la vague d'attentats de Daech en Europe et aux États-Unis en 2015, les géants des réseaux sociaux Meta, Google et Twitter se sont investis dans la lutte contre le terrorisme sur leurs services. Cet article interroge la manière dont ces acteurs privés se sont approprié la catégorie contestée de « terrorisme », à travers une analyse de discours d'un corpus de leurs communications officielles. Celle-ci permet de montrer comment ces entreprises tentent, par diverses stratégies, d'évacuer les enjeux politiques intrinsèques à cette notion, avec un succès mitigé.Since the beginning of the wave of terror attacks by Daesh in Europe and the United States in 2015, social media corporations Meta, Google and Twitter have proclaimed a new mission to counter terrorist exploitation of their services. By way of a discourse analysis of their corporate communications, this article analyses the ways in which these firms have appropriated the essentially contested category of “terrorism”, highlighting their discursive strategies to empty this concept of its political aspects.
- Le progrès comme idéologie dépolitisante : analyse de la communication du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche sur la loi de programmation de la recherche - Robin Gaillard p. 81-99 Cet article propose de questionner la portée dépolitisante de l'idéologie du progrès dans la communication du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche sur la loi de programmation de la recherche à partir d'une approche communicationnelle de l'action publique. Nous identifions différents procédés de neutralisation discursive contribuant à dépolitiser les manières de penser le rapport entre science et société, que nous cherchons à resituer dans le cadre de la politique du discours du ministère.This paper proposes to question how the ideology of progress in the communication of the French Ministry of Research about the “Research Programming Law” ( Loi de programmation de la recherche) can be considered as depoliticising. We identify different processes of discursive neutralisation that contribute to depoliticising the ways of building the relationship between science and society, which we try to resituate in the framework of the ministry's discourse policy.
- Dire l'urgence climatique : entre rhétorique scientifique de dépolitisation et procédure argumentative de politisation - Sophie Anquetil, Carine Duteil p. 101-117 La présente recherche s'attache à caractériser la rhétorique de dépolitisation mise en place dans les discours sur l'urgence climatique et à déterminer comment ce type de rhétorique peut être mis au service d'une démarche argumentative de politisation et constituer un mode d'action politique alternatif.The aim of this research is to characterise the rhetoric of depoliticisation used in the discourses of climate emergency, and to determine how this type of rhetoric can serve an argumentative approach to politicisation and constitute an alternative mode of political action.
- Les cahiers citoyens du grand débat national (2019) : d'un geste présidentiel dépolitisant à une (re)politisation citoyenne - Manon Pengam p. 119-136 L'article porte sur un dispositif participatif : le grand débat national (GDN), et une de ses modalités, les cahiers citoyens et d'expression libre. Proposés par l'exécutif début 2019 à la suite du mouvement social des Gilets jaunes pour – officiellement – recueillir des propositions émanant de la société civile, les cahiers s'inscrivent dans une mémoire historique et discursive liée à l'Ancien Régime. Dans le cadre du GDN, nous faisons l'hypothèse d'un double mouvement de dépolitisation/(re)politisation : mouvement à la fois marqué par un geste présidentiel dépolitisant et par une (re)politisation citoyenne du dispositif, dont nous saisissons l'expression selon une perspective d'analyse du discours, par l'élaboration d'un modèle intégré.The article focuses on a participatory mechanism: the Great National Debate ( Grand Débat National – GDN), and one of its modalities, the citizens' free expression notebooks. Proposed by the executive in early 2019 following the Yellow Vests social movement to – officially – record suggestions made by civil society, the books are part of a historical and discursive memory linked to the Ancien Régime. In the context of the GDN, we hypothesise a double movement of depoliticisation/(re)politicisation: a movement marked both by a depoliticising presidential gesture, and by a citizen-led repoliticisation of the mechanism, whose expression we grasp from a discourse analysis perspective, through the development of an integrated model.
Varia
- (Dis)continuités de la crise et de ses usages : 2022, une année charnière pour « la crise des réfugiés » ? - Cécile Balty, Valériane Mistiaen p. 139-161 L'invasion de l'Ukraine en mars 2022 déclenche un important mouvement de population vers les pays d'Europe – « la crise des réfugiés la plus rapide en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale ». Pour y faire face, l'Union européenne active la directive 2001/55/CE accordant une protection temporaire à tous les Ukrainiens. Dans le discours de presse, la comparaison avec les événements de 2015 ( la crise migratoire, la crise de l'accueil, etc.) est omniprésente, du « changement de paradigme » au « double standard ». Cette contribution s'intéresse à la manière dont le même syntagme nominal (SN), la crise, construit différemment ces deux événements migratoires et à la mesure dans laquelle le cadrage des événements liés à l'Ukraine en 2022 constitue véritablement une rupture en matière de politique migratoire. Menée sur un corpus de presse belge, l'analyse s'articule autour de deux volets : l'analyse du sens et de la référence du SN la crise et son fonctionnement dans ce nouveau contexte migratoire, et l'analyse des autres dénominations qui circulent dans le discours de presse pour référer aux événements liés à l'Ukraine. Les résultats de l'analyse mettent en évidence l'usage polyréférentiel, parfois flou, du SN la crise d'une part, et sa substitution par d'autres SN ( la guerre, le conflit, la lutte) d'autre part. Dans le corpus, le SN la crise ne fait pas uniquement référence au phénomène migratoire et s'attarde surtout sur les conséquences de l'événement lui-même. L'usage des SN la guerre, le conflit, la lutte témoigne par ailleurs d'une volonté de cadrer les événements comme tels, réactivant la mémoire discursive des guerres antérieures et légitimant ainsi l'accueil des réfugiés ukrainiens au sein de l'Union européenne.The invasion of Ukraine in March 2022 triggered a major population movement towards European countries – “the fastest refugee crisis in Europe since the Second World War”. In response, the European Union implemented Directive 2001/55/EC granting temporary protection to all Ukrainians. In the press discourse, comparisons with the events of 2015 (the migration crisis, the reception crisis, etc.) are omnipresent, from the “shift in paradigm” to the “double standard”. This contribution studies the way in which the same noun phrase (NP) the crisis constructs these two migration events differently, and the extent to which the framing of events linked to Ukraine in 2022 truly constitutes a break in migration policy. Based on a corpus of Belgian press articles, the analysis is divided into two parts: an analysis of the meaning and reference of the NP the crisis and how it operates in this new migration context, and an analysis of the other terms used in press discourse to refer to the events linked to Ukraine. The results of the analysis highlight the polyreferential and sometimes vague usage of the NP the crisis on the one hand, and its substitution by other NPs ( the war, the conflict and the struggle) on the other. In the corpus, the NP the crisis does not refer solely to the migratory phenomenon and focuses mainly on the consequences of the event itself. The usage of the NPs the war, the conflict and the struggle also shows a desire to frame the events as such, reactivating the discursive memory of previous wars and thus legitimising the reception of Ukrainian refugees within the European Union.
- Proposition d'analyse de la conflictualité numérique : les commentaires sur les pages Facebook de deux candidats à la présidentielle française de 2017 - Stéphanie Wojcik p. 163-178 À partir d'un corpus de 356 commentaires faisant suite à des posts de deux candidats à l'élection présidentielle de 2017 au sujet des droits des femmes, ce texte propose d'appréhender la dimension critique et conflictuelle des échanges sur Facebook, alors même que le web et les réseaux socionumériques ont pu être étudiés à l'aune de leur capacité à stimuler la délibération démocratique.Based on a corpus of 356 comments in response to posts on the subject of women's right by two candidates in the French 2017 election campaign, the aim of this paper is to understand the critical and conflictual dimension of exchanges on Facebook, in contrast to the expectations regarding the deliberative affordances of digital social networks.
- (Dis)continuités de la crise et de ses usages : 2022, une année charnière pour « la crise des réfugiés » ? - Cécile Balty, Valériane Mistiaen p. 139-161
Entretien
- « Le politique n'existe que par le langage » - Paul Bacot, Sylvianne Rémi-Giraud, Valérie Bonnet p. 181-189 Cet entretien interroge la rencontre entre la science politique et la lexicologie à travers le parcours de Paul Bacot, longtemps directeur de la revue Mots. Les langages du politique, et engagé en politique. Le questionnement porte sur sa modélisation théorique et le rapport qu'elle entretient avec les données empiriques, les concepts et les termes qui fondent cette démarche et l'épistémologie qu'elle met au jour. L'articulation entre les pratiques militantes et la recherche scientifique fait l'objet de la réflexion finale.This interview looks at the intersection between political science and lexicology through the eyes of Paul Bacot, long-time director of the journal Mots. Les langages du politique, and a committed politician. It examines his theoretical modelling and its relationship with empirical data, the concepts and terms on which this approach is based, and the epistemology it brings to light. The link between activist practices and scientific research is the subject of the final reflection.
- « Le politique n'existe que par le langage » - Paul Bacot, Sylvianne Rémi-Giraud, Valérie Bonnet p. 181-189
Comptes rendus de lecture
- Thomas Frinault, Pierre Karila-Cohen et Erik Neveu, Qu'est-ce que l'opinion publique ? Dynamiques, matérialités, conflits : Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2023, 512 p. - Christian Le Bart p. 191-195
- Paul Bacot, Yves Déloye et Gaëtan Gorge, Quand la langue politique fourche. Lapsus, erreurs et malentendus : Paris, L'Harmattan, 2023, 144 p. - Bernard Lamizet p. 195-198