Contenu du sommaire : Logement social et participation : la démocratie locative en question

Revue Participations Mir@bel
Numéro no 39, 2024/2
Titre du numéro Logement social et participation : la démocratie locative en question
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier

    • Introduction. Logement social et participation : la démocratie locative en question - Sabrina Bresson, Claire Carriou p. 7-30 accès libre
    • La participation instituée contre les associations de locataires ? Concurrences et coopérations dans la négociation des rapports entre logeurs et logé·es - Claire Carriou p. 31-60 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article porte sur les modalités actuelles de négociation des rapports locatifs entre logeurs et logé·es dans le logement social. Si les associations de locataires ont joué un rôle historique majeur dans ­­l'histoire des relations entre les organismes HLM et les locataires, portant revendications et mobilisations, elles apparaissent souvent dépassées aujourd'hui : vieillies, peu mobilisatrices, décrédibilisées par les bailleurs et inconnues de la plupart des locataires. Aussi les dispositifs participatifs mis en place par les organismes HLM ­­ont-­­ils souvent comme agenda (plus ou moins caché) de contourner ces associations et de créer de nouvelles interfaces de dialogue « avec la majorité silencieuse » (selon les termes ­­d'un responsable de gestion locative). Pour autant, les enquêtes que nous avons menées révèlent des relations faites ­­d'ambivalences, voire de collaborations plus ou moins contraintes, entre les bailleurs et ces associations, qui invitent à lire autrement la perspective de mort annoncée de ces dernières. Les associations de locataires disposent ­­d'un certain nombre de ressources qui leur permettent de conserver des marges de pouvoir : connaissance fine du terrain, position de médiation, enfin capital militant, dont les organismes HLM tirent parti dans la mesure où cela sert leurs intérêts. Ainsi se met en place, dans nombre de cas, un système ­­d'intérêts croisés : les bailleurs ­­s'appuient sur les associations de locataires dont ils peinent à se passer, tandis que les associations de locataires ­­s'attachent, pour un certain nombre ­­d'entre elles, à se déployer dans les dispositifs de participation leur permettant (peut-être) de trouver des forces pour se régénérer et continuer à défendre les droits des locataires.
      This article looks at current negotiations between landlords and tenants in social housing. Although tenants' associations have played a major role in the past, making demands and mobilizing people, they often appear outdated today: ­­old-­­fashioned, discredited by social landlords and unknown to most tenants. As a result, the participation institutionalized by social housing organizations often has the (more or less hidden) aim of bypassing these associations and creating new interfaces for dialogue “with the silent majority” of tenants (to use the words of one rental management manager). However, the surveys we have carried out reveal ambivalent relationships, and even more or less constrained collaborations, between social landlords and these associations, which suggest that the latter are far from disappearing as the literature sometimes claims. Tenants' associations still have resources that enable them to retain margins of power: detailed knowledge of the area, a position as mediator, and militant capital, which social housing organizations take advantage of insofar as it serves their interests. In many cases, a system of ­­cross-­­interests has been set up, in which social landlords rely on tenants' associations, which they find difficult to do without, while some tenants' associations try to get involved in institutionalized participation schemes, which may (perhaps) enable them to regenerate themselves and continue to fight for tenants' rights.
    • Les prestataires du ­­vivre-­ensemble dans le logement social : entre professionnalisation de la participation des locataires et ­­sous-­traitance du « sale boulot » - Benjamin Leclercq p. 61-89 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au croisement de la sociologie de la participation et de ­­l'intervention sociale, cet article analyse le positionnement de prestataires missionné·es pour gérer ­­l'intermédiation ­­bailleur-­­locataire dans des quartiers ­­d'habitat social ­­d'Île-de-France. Sous couvert de participation et de « mieux vivre ensemble », ces professionnel·les se confrontent à ­­l'ambivalence, classique dans le travail social, entre émancipation et encadrement des classes populaires. Mais leur position apparaît ­­d'autant plus instable ­­qu'elles et ils gèrent principalement, pour le compte des bailleurs, les « incivilités » des locataires, sans pouvoir renvoyer au problème social des grands ensembles. ­­L'hypothèse est que dans ­­l'optique de gérer le hiatus entre responsabilisation et soutien des locataires, ces prestataires opèrent une « professionnalisation par le bas » de ­­l'intermédiation locative, dans ­­l'optique de négocier avec les bailleurs et ­­d'accompagner les initiatives collectives.
      This article delves into the strategic positioning of service providers tasked with overseeing ­­landlord-­­tenant interactions in social housing neighborhoods in the Paris region using a crossover between participation and social intervention studies. Disguised as efforts to promote participation and “enhanced communal living,” these professionals struggle between empowering the working classes and exercising supervision over them. However, their role becomes even more precarious as they primarily address tenants' “incivilities” on behalf of landlords, without the capacity to address the broader social challenges associated with large housing estates. The central hypothesis of this study suggests that these service providers actively work to professionalize rental intermediation from within the system, aiming to bridge the gap between tenant empowerment and assistance. This involves strategic negotiation with landlords and support for collective initiatives.
    • Le voisinage réinventé dans un dispositif de gestion participative du logement social. Entre contraintes managériales et (dé)mobilisation habitante - Sabrina Bresson, Camille Floderer p. 91-124 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article repose sur ­­l'étude ­­d'un dispositif participatif, initié par un bailleur social, en partenariat avec une entreprise ­­d'ingénierie sociale et, dans certains cas, une société de promotion immobilière. Répliqué à ­­l'échelle nationale, ce dispositif, de nouvelle génération, ne vise pas seulement le dialogue ou le renforcement du lien social : il entend inciter les habitant·es à ­­l'action, en mettant à leur disposition des espaces de rencontre, mais aussi un accompagnement pour les aider à ­­s'organiser collectivement. À partir ­­d'enquêtes qualitatives réalisées dans deux ensembles HLM, ­­l'article montre comment ­­l'injonction au « bon voisinage » et les contraintes, notamment managériales, qui pèsent sur les agent·es en charge du dispositif conduisent à démobiliser des habitant·es ne se conformant pas aux formes attendues de la participation.
      This article examines a participatory device introduced by a social landlord, in conjunction with a social engineering firm and, in some cases, a property developer. Reproduced on a national scale, this ­­new-­­generation device was designed to foster dialogue and strengthen social ties, with a focus on encouraging resident action by providing them with meeting spaces and support in organizing themselves collectively. Through qualitative surveys conducted in two public housing estates, this research shows how “good neighbor” injunctions and other ­­management-­­related constraints, affecting those in charge of the device, lead to the demobilization of residents who do not adhere to expected forms of participation.
    • Espaces pédagogiques dans l'habitat social : deux expériences de recherche-action dans le Nord-Pas-de-Calais et à Paris - Yaneira Wilson, Yankel Fijalkow p. 125-155 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour améliorer la qualité de service et réduire les coûts de gestion, les bailleurs sociaux multiplient les dispositifs « ­­d'innovation sociale », notamment ceux à vocation pédagogique. La démarche pédagogique liée à la participation des habitant·es peut se décliner de différentes manières, ainsi que le montre dans cet article ­­l'analyse de deux dispositifs de ­­recherche-­­action. Le premier, dans le cadre du projet INCREASE Valorisation sociale, est mené dans ­­l'agglomération de ­­Boulogne-­­sur-Mer, grâce à un financement du Fonds européen de développement régional qui veut résoudre les problèmes de précarité énergétique et les difficultés ­­d'insertion sociale et professionnelle des ménages. Le deuxième dispositif, le programme SAPHIR, ­­s'inscrit dans un appel à projets de ­­l'Agence régionale de santé ­­Île-­­de-France relative à la « réduction des inégalités sociales de santé ». Face à ces deux démarches, cet article ­­s'interroge sur les espaces pédagogiques créés par les protagonistes avec des approches participatives dans ces ensembles immobiliers. Il montre comment ces programmes transforment le logement social en un espace pédagogique permettant ­­d'une part aux locataires ­­d'agir et de développer des compétences nouvelles, ­­d'autre part aux bailleurs sociaux ­­d'adapter leurs modes de gestion.
      To improve service quality and reduce management costs, social landlords are stepping up the number of “social innovation” schemes, particularly those with an educational focus. The pedagogical approach linked to resident participation can be applied in a variety of ways, as shown in this article by the analysis of two ­­action-­­research projects. The first, as part of the INCREASE Valorisation sociale project, is being carried out in the ­­Boulogne-­­sur-Mer conurbation by the European Regional Development Fund, with the aim of resolving the problems of fuel poverty and the social and professional integration of households. The second, the SAPHIR program, is part of a call for projects issued by the Agence Régionale de la Santé ­­Île-­­de-France to “reduce social inequalities in health”. Faced with these two initiatives, this article looks at the educational spaces created by ­­third-­­party players using participatory approaches in these housing developments. It shows how these programs transform social housing into an educational space, enabling tenants to act and develop new skills, and social landlords to adapt their management methods.
  • Varia

    • « La lutte, elle est perdue de ce ­­côté-­­là ». Résignation et distance électorale chez de jeunes militant·es écologistes - Gabriel Montrieux p. 159-187 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Si la fin des années 2010 est marquée par un renouvellement générationnel dans les mobilisations écologistes, la vague verte à ­­l'occasion du cycle électoral 2022 ­­n'a pas eu lieu. ­­L'enquête qualitative explore la construction du rapport au vote de plusieurs militant·es ­­d'un groupe local ­­d'Extinction Rebellion, dont une partie ­­s'est abstenue aux élections de 2022. Leur abstention est liée à une faible insertion professionnelle et à un déclassement résidentiel. Leur engagement militant ne vient pas contredire ce mouvement de retrait, mais participe au contraire à son amplification. Ces militant·es tracent une frontière qui les éloigne des fractions militantes localement établies. Cette abstention se comprend dès lors moins par une critique du principe de délégation politique, que par la mise à distance de formes conventionnelles de participation dans ce ­­qu'elles incarnent socialement.
      The end of the 2010s was marked by new generations in environmentalist mobilizations, nonetheless the green wave on the occasion of the 2022 electoral cycle did not happen. This qualitative investigation explores the construction of the relation to the voting for several activists of a local Extinction Rebellion group, some of whom abstained from the 2022 elections. Their abstention is linked to poor professional integration and residential decline. Their militant commitment does not contradict this movement of withdrawal, but rather contributes to its amplification. These activists draw a line that distances them from the locally established activist fractions. This abstention shall therefore be understood less as an intellectualized critique of political delegation than as a distancing from conventional forms of participation in what they socially embody.
    • Mesurer ­­l'air en citoyen·ne : réflexions sociologiques sur une expérimentation numérique de science participative - Florian Charvolin, Stéphane La Branche p. 189-210 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment concilier ­­l'exercice libre ­­d'une mesure de la pollution de ­­l'air par des personnes non professionnelles, et le caractère protocolaire de la mesure telle ­­qu'il fonde la petite communauté experte des Associations agréées de surveillance de la qualité de ­­l'air (AASQA) ? Le projet Checkbox est issu de ­­l'initiative de sociologues et ­­d'une AASQA en ­­Auvergne-­­Rhône-Alpes (Atmo Aura). Il ­­s'est agi de confier des microcapteurs à 70 personnes réparties dans trois territoires, sur trois campagnes annuelles, pour mesurer librement la pollution par particules, avec une attention spécifique sur le chauffage au bois. Le projet ­­s'écartait ­­d'un savoir protocolaire de la pollution de ­­l'air tel que mis en place par une infrastructure spécialisée, et proposait des mesures supposées libres, que les sociologues participant au projet ont montré être enserrées dans un ensemble de normes implicites. Pierre Bourdieu comme Harold Garfinkel, ­­l'un en travaillant sur quelque chose ­­d'aussi personnel que le goût (Bourdieu, 1979), ­­l'autre sur le caractère ordinaire de toute activité (Garfinkel, 2020) ont montré que ­­l'activité humaine ­­n'échappait pas à un caractère ordonné, même dans un cadre défini comme libre. Le projet Checkbox permettait cette confrontation entre ­­l'exercice explicite et protocolaire de la qualité de ­­l'air par les AASQA, et ces implicites ­­qu'on pourrait croire liés à un arbitrage totalement ouvert de la pratique.
      How to mitigate the freedom to measure anything by citizen using microsensors and the strict metrological protocol characteristic of the expert world of the official air quality surveillance association (Association Agréée de Surveillance de la Qualité de ­­l'Air or AASQA)? The Checkbox project was issued by two sociologists and a local AASQA (Atmo Aura). It consisted in lending microsensors to 70 people located in 3 different territories during 3 annual campaigns to freely measure air particulate matters, with a special focus on wood heating. The paper describes the project's conception and how it lies between citizen creativity, imaginaries, and measurement freedom, and metrological expertise of Atmo Aura. It opens new venues for taking into account the diversity and reliability of practices as soon as the metrological expertise is extended to other publics and the criteria of accuracy and legitimacy are modified. What contributors judge as what is expected in Checkbox is instrumental in the way they conduct measurement and how they account for it.