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Revue Française de Sociologie ![]() |
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Numéro | vol. 64, no 4, octobre-décembre 2023 |
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- Un salaire de la blanchité ? : Les revenus salariaux, une dimension sous-estimée des inégalités ethnoraciales en France - Mathieu Ichou, Ugo Palheta p. 557-595 Les recherches sur la situation professionnelle des enfants d'immigré·es ont montré l'ampleur des inégalités ethnoraciales dans l'accès à l'emploi en France. Cependant, rares sont les travaux français qui portent spécifiquement sur les inégalités ethnoraciales de salaires et, lorsqu'ils le font, ils concluent généralement à la faiblesse ou à l'absence de telles inégalités. Fondée sur un échantillon plus important que celui des analyses antérieures (concaténation de quatorze années d'« Enquête emploi en continu » [« EEC »] de 2005 à 2018) et sur des choix méthodologiques différents (distinction des enfants d'un et deux parents immigrés et inclusion des caractéristiques résidentielles des individus), la présente étude remet en question le consensus dominant dans ce champ de recherche. Nous montrons que les inégalités ethnoraciales de salaires (mensuel et horaire) sont fortes, notamment au détriment des personnes originaires d'Afrique subsaharienne, des Outre-mer et du Maghreb. Elles sont plus marquées chez les hommes que chez les femmes, et parmi les enfants de deux parents immigrés que parmi ceux nés de couples mixtes.Past research on the labor-market situation of immigrants' descendants has shown large ethno-racial inequalities in access to employment in France. However, few French studies focus specifically on ethno-racial inequalities in wages, and those that do generally conclude that such inequalities are either small or non-existent. Our study, based on a larger sample than those of previous ones (14 years of France's “Enquête Emploi en Continu” labor force surveys running from 2005 to 2018) and on distinct methodological choices (distinguishing children of one vs. two immigrant parents and including respondents” residential characteristics) questions that prevailing consensus, showing that ethno-racial inequalities in monthly and hourly wages are considerable, particularly to the detriment of individuals from Sub-Saharan Africa, France's Overseas Territories, and North Africa. Wage inequalities are also wider among men than women, and among descendants of two immigrant parents rather than one.
- Au nom de la mixité : Choisir le prénom des enfants adoptés à l'étranger et issus de couples mixtes en France - Solène Brun p. 597-624 À partir d'une enquête menée entre 2015 et 2017 auprès de familles issues de l'adoption internationale et de familles fondées par des couples mixtes, cet article s'intéresse aux enjeux de la prénomination des enfants. Dans ces deux types de familles racialement mixtes où les parents doivent négocier des appartenances et origines multiples, le choix du prénom revêt des enjeux symboliques particuliers. Ceux-ci se traduisent par des logiques et des stratégies d'inscription dans les différentes lignées familiales, mais aussi de définition identitaire, sur un plan national et sur un plan racialisé. À ce titre, cet article étudie une dimension encore peu explorée de la sociologie des prénoms mais aussi de la sociologie de la race en France, en prêtant attention à la dimension racialisée des logiques sociales de la prénomination.This article, based on a survey of international adoptive parents and mixed-race couples conducted between 2015 and 2017, looks at the considerations involved in naming children in these two types of mixed families in France. Parents in these families have to negotiate multiple affiliations and origins, meaning that choice of child's first name has particular symbolic implications. These in turn are reflected in parents' approaches and strategies for integrating the child into the different family lines; they also involve defining identities at both a national and racialized level. In this respect, the article explores an understudied dimension of the sociology of first names in France, with particular attention to the racialized dimension of the naming process.
- Se marier « hors saison » ? : L'atypisme des choix de dates dans les mariages de même sexe, révélateur d'usages juridiques genrés - Gaëlle Meslay p. 625-657 Au cours du xxe siècle, le rituel matrimonial a profondément évolué, affectant sa saisonnalité. Dans un contexte d'affaiblissement institutionnel, le mariage est devenu, pour celles et ceux qui le choisissent, un rituel de personnalisation du couple, reposant sur de forts enjeux esthétiques. Mais depuis que les couples de même sexe ont obtenu la possibilité de se marier, en 2013, leurs choix suivent-ils la saisonnalité des mariages de couples de sexe différent ? Cet article explore l'atypisme dans leurs dates de mariage, montrant que celui-ci est en partie explicable par la place qu'occupent les usages juridiques du mariage pour ces couples. Il souligne également d'importantes différences genrées sur ce point, l'atypisme des couples de femmes renvoyant davantage à des choix saisonniers, tandis que celui des hommes concerne plus spécifiquement le jour de la semaine. Cela peut s'expliquer par les motivations juridiques des femmes, davantage centrées sur l'accès à l'adoption et à l'établissement de la filiation, donnant lieu à une répartition des cérémonies au fil de l'année en fonction de l'aboutissement de leurs projets parentaux.Over the twentieth century, the ritual of getting married underwent major changes that in turn affected wedding seasonality. As the institution weakened, marriage became a ritual of couple personalization for those choosing it, and heavily based on esthetic issues. But since 2013, when same-sex marriage was legalized in France, have the dates chosen by same-sex couples followed the seasonality of different-sex couples? This article explores the atypical choices of marriage dates among same-sex couples, showing that it can be explained in part by the particular legal possibilities that marriage offers them. It also highlights considerable differences by gender: women's choice of atypical dates is more a matter of the month or season, whereas men's more often concerns the day of the week. This might be explained by women's motivations in connection with the legal possibilities afforded by marriage: female couples are more concerned than their male counterparts about access to adoption and establishing legal filiation for both partners. This can lead them to choose the date of their wedding ceremony to coincide with the moment when their parental project takes shape, whatever the season.
- Les échanges transnationaux de films : De l'opposition centre-périphérie à la construction d'un champ - Julien Duval p. 659-689 Cet article porte sur les échanges transnationaux des films. Il engage une démarche peu explorée à ce jour qui consiste à entreprendre de construire, empiriquement, à l'aide d'une analyse des correspondances multiples, un champ transnational. Si les films qui circulent au-delà de leurs frontières d'origines ne constituent qu'une part réduite de la production cinématographique mondiale, ils se distinguent d'abord par l'étroitesse ou l'étendue de la diffusion transnationale dont ils font l'objet, puis par la forme de cette diffusion selon que celle-ci est plus ou moins étroitement liée aux festivals internationaux ou aux marchés grand public. L'analyse établit ensuite l'importance de l'origine nationale des films dans leur carrière transnationale et fait apparaitre ce qu'a de suggestif mais aussi de simplificateur l'idée selon laquelle les flux transnationaux de films se réduiraient quasiment à des exportations depuis un centre étasunien vers des périphéries.This study of transnational film exchange uses Multiple Correspondence Analysis (MCA) to empirically construct a transnational field—an as-yet largely unexplored approach. While films that circulate beyond the borders of their home country represent a small proportion of worldwide movie production, what most distinguishes them from each other is how narrowly or widely they are diffused, and how diffusion differs by how closely the film is linked to international film festivals or, conversely, broad audience markets. The MCA also shows the importance of a film's country of origin for its transnational career, bringing to light the suggestive yet over-simplified idea that transnational film flows amount to little more than exports from a United States “center” towards peripheries.
- Prendre soin, reprendre en main, ou lâcher prise : trois manières de surveiller la nuit carcérale - Hadrien Le Mer p. 691-723 L'un des enjeux principaux de la journée de travail du surveillant pénitentiaire consiste à déléguer le travail de réinsertion et de prise en charge de la vulnérabilité des personnes détenues à d'autres professionnels. La nuit, la prison se vide de ses différents intervenants et ce « sale boulot » s'impose aux seuls surveillants. Cette généralisation d'un « sale boulot » qui n'est plus délégable fait apparaitre une polarisation des attitudes de surveillance. La première, l'attitude statutaire, consiste à refuser le travail de réinsertion au profit d'une préservation de soi et de son sommeil. À l'opposé de ce désengagement professionnel, je distingue deux types de missionnariat. Le premier, le missionnariat sécuritaire, s'élabore contre l'idée d'une population pénale vulnérable et met en avant l'idée d'une dangerosité des personnes détenues qui profiteraient de la nuit pour s'épanouir dans l'illégalité. Le second, le missionnariat du soin, consiste à l'inverse à s'approprier le travail de réinsertion et de prise en charge de la vulnérabilité nocturne au profit d'un anoblissement moral de la mission professionnelle de surveillance. N'étant pas véritablement formés à la mission de réinsertion, les surveillants puisent dans des socialisations préalables pour parvenir à produire une réponse à la fragilité nocturne des personnes détenues et se situer préférentiellement dans l'une de ces trois attitudes. Je m'efforce d'analyser certaines des régularités observables entre passés sociaux des surveillants et attitudes de surveillance adoptées pendant la nuit.One of the main concerns of a French prison guard over the course of their day is to delegate the task of socially reintegrating incarcerated persons and watching over their safety to other professionals. At night, however, the various contributors and providers of those services leave the prison premises, and this “dirty work”—as the guards generally refer to it—falls to those on night shift. When the “dirty work” can no longer be delegated to someone else, three, polarized attitudes to inmate guarding come to light. The first, which I call the strictly statutory attitude, amounts to simply refusing to assist inmates with reintegration in the interests of preserving oneself and one's sleep. In direct contrast to this kind of professional disengagement, we find what I'll call two different senses of mission. The first, which I call the security mission, involves the idea that the prison population is not vulnerable—another widely-held understanding—but dangerous, and that, left to their own devices, they would use the night hours to engage in illegal practices. In direct contrast, the second mission, that of “care” (a reference to the concept of “care” developed by English-language ethicists, psychologists, and feminists), consists in accepting to assist inmates with reintegration and protecting them when they are most vulnerable—during the night hours—as a way of morally ennobling the occupation of prison guard. As guards are not really trained in reintegrating inmates, they draw on their own socialization to find a response to the nocturnal fragility of incarcerated persons and situate themselves preferentially with regard to one of the three attitudes. I try to analyze some of the regularities that may be observed between prison guards' own social pasts and the attitudes they adopt on night shift.
- Un salaire de la blanchité ? : Les revenus salariaux, une dimension sous-estimée des inégalités ethnoraciales en France - Mathieu Ichou, Ugo Palheta p. 557-595
Les livres
- Heinich (Nathalie) : La valeur des personnes. Preuves et épreuves de la grandeur. Paris, Gallimard, 2022, 397 p., 25 €. - Michel Messu p. 725-728
- Pérez (Amín) : Combattre en sociologues. Pierre Bourdieu et Abdelmalek Sayad dans une guerre de libération (Algérie, 1958-1964). Marseille, Agone, 2022, 312 p., 22 €. - Marc Joly p. 728-732
- Aron (Raymond) : Critique de la pensée sociologique. Cours au Collège de France, 1970-1971 et 1971-1972. Paris, Odile Jacob, 2023, 448 p., 30 €. - Jacques Lautman p. 732-735
- Needham (Rodney) : Croyance, langage et expérience. Traduction et présentation de Pierre Clanché. Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2022, 296 p., 28 €. - Nicolas Walzer p. 735-738
- Winkin (Yves) : D'Erving à Goffman. Une œuvre performée ? Paris, MkF Éditions, 2022, 180 p., 20 €. - Jérôme Lamy p. 739-740
- Fillieule (Olivier), Leclercq (Catherine), Lefèbvre (Rémi) (dir.) : Le malheur militant. Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 2022, 288 p., 20,99 €. - Julien Allavena p. 740-744
- Rizza (Caroline), Bubendorff (Sandrine) (dir.) : Gérer les crises avec les médias sociaux ? Une approche pluridisciplinaire et professionnelle. Paris, Presses des Mines, 2022, 153 p., 29 €. - Olivier Borraz p. 744-747
- Jouvenet (Morgan) : Des glaces polaires au climat de la Terre. Enquête sur une aventure scientifique. Paris, CNRS Éditions, 2022, 350 p., 25 €. - Nicolas Cheplagin p. 747-751
- Beauchez (Jérôme) : Les sauvages de la civilisation. Regards sur la zone, d'hier à aujourd'hui. Paris, Éditions Amsterdam, 2022, 464 p., 25 €. - Michel Kokoreff p. 751-753
- Small (Mario Luis), McCrory Calarco (Jessica) : Qualitative Literacy. A Guide to Evaluating Ethnographic and Interview Research. Oakland (CA), University of California Press, 2022, 230 p., $ 24,95 [eBook]. - Jacques Siracusa p. 753-756
- Heinich (Nathalie) : La valeur des personnes. Preuves et épreuves de la grandeur. Paris, Gallimard, 2022, 397 p., 25 €. - Michel Messu p. 725-728