Contenu du sommaire : Obsolètes, les réformes agraires ?

Longtemps centrales dans les stratégies de développement, les réformes agraires redistributives ont peu à peu disparu des agendas, remplacées par des approches de l'enjeu foncier dépolitisées et centrées sur la formalisation des droits et le marché. Face à l'échec de ces dernières et à la montée des pressions sur la terre, une nouvelle génération de réformes s'impose. Non plus comme simple ajustement technique, mais comme levier de transformation sociale, politique et écologique.

Si la terre joue un rôle central à la fois comme intrant productif et comme puits à déchets, les approches dominantes fondées sur la « sécurité foncière » pour faire face aux dérèglements climatiques risquent, elles, d'aggraver les inégalités existantes, en confortant les politiques responsables de la crise. Une stratégie socio-environnementale efficace passe nécessairement par une juste redistribution des terres et des ressources.

Tout au long du 20e siècle, plusieurs pays dans le monde ont entrepris d'ambitieuses réformes agraires redistributives et restitutives, en vue d'une répartition plus équitable. Les acquis de ces réformes sont aujourd'hui menacés par de nouvelles dynamiques d'accaparement. Celles-ci, aux formes variées, agissent comme des contre-réformes, en re-concentrant les droits fonciers en faveur du capital au détriment des communautés paysannes et indigènes.

La réforme agraire lancée en 2016 par le président indonésien Widodo était centrée sur l'octroi de titres fonciers communaux, le rôle des coopératives villageoises et le rôle des firmes « vertueuses ». Ignorées sur le papier, les contradictions de cet agencement se sont exprimées dans la mise en œuvre de la réforme, limitant singulièrement sa portée redistributive dans un contexte de capitalisme de connivence.

Plus de trente ans après l'avènement de la démocratie en Afrique du Sud en 1994, le legs discriminatoire et ségrégationniste de la colonisation et de l'apartheid est toujours d'actualité. Les politiques de réforme agraire mises en place, influencées par une approche dictée par le marché et une vision étroite de la question, ont engendré peu de progrès sociaux, la grande majorité des terres restant aux mains des grands propriétaires blancs.

De nombreux pays africains ont mené des réformes foncières depuis les années 1990, transformant en profondeur les sociétés rurales. Si l'objectif affiché était de renforcer les droits fonciers des usagers et usagères, ces expériences ont davantage accentué la pression sur les territoires, marchandisé les terres coutumières et modifié les relations entre l'État, les chefs traditionnels et les communautés rurales.

En Colombie, la concentration de la propriété foncière et l'échec des réformes passées limitent l'accès à la terre pour les populations rurales. Face à ces enjeux, un nouveau paradigme de réforme agraire pour le 21e siècle a émergé. Ce modèle plaide pour une transformation profonde de la société et vise à instaurer une justice climatique agraire alliant redistribution, reconnaissance, restitution, régénération et représentation.

Au cours de ses quarante années d'existence, le Mouvement des travailleurs sans terre a rendu sa dignité à une grande partie de la population rurale brésilienne, selon João Pedro Stédile. Le mouvement défend désormais un projet de réforme agraire « populaire », inscrit dans une transformation globale de la société. Mais le gouvernement Lula est trop timide en la matière, du fait de la décomposition de l'État et de l'influence de l'agrobusiness.