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Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | vol. 29, no. 1, 1979 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Artisanat et trajectoires sociales - Bernard Zarca p. 3-26 Artisanat et trajectoires sociales Travailleurs directs, propriétaires de leurs instruments de production, les artisans occupent cependant des positions différenciées dans l'espace social, selon le montant du capital économique qu'ils détiennent et la qualification qu'ils ont acquise et dont dépend leur rapport au métier. L'analyse des cheminements professionnels d'artisans permet de mettre en évidence un pôle «patronal» où se concentrent la majorité des «artisans-héritiers» auquel s'oppose un pôle «ouvrier» où dominent les artisans issus des classes populaires. On peut également opposer à un artisanat traditionnel et relativement stable dont la reproduction de la force de travail reposait sur l'apprentissage, un artisanat jeune dont les agents ont souvent été initialement formés dans des écoles techniques. Dans la mesure où les fils de petits patrons ont été plus nombreux à rejoindre d'autres fractions des classes moyennes à un moment où les stratégies de reconversion du capital économique en capital scolaire semblaient adaptées aux transformations du système économique, il a été plus facile aux fils d'ouvriers d'entrer dans l'artisanat. Cependant, l'artisanat de promotion ouvrière est un artisanat à haut risque d'échec; le taux de renouvellement des agents y est donc beaucoup plus élevé.The Artisan and Patterns of Social Moyement The artisan, in direct touch with work and the instruments of production which characterize his social position, may be differentiated in terms of social position according to the amount of capital at his disposal and the particular qualification he has acquired. Both of these factors determine his relationship to his craft. An analysis of the professional paths open to the artisan reveals two poles of different social composition; the pole of the artisan-employer formed in the main by artisans who have inherited a skill or craft, and the working-class artisan dominated by artisans from the lower classes. Another contrast may be drawn between a form of traditional stable craftsman-ship, the labour-force of which is constantly renewed through the process of apprenticeship, and on the other hand an up-and-coming craftsmanship whose membership is frequently initially trained in technical schools. Insofar as the offspring of the petty managerial classes migrated more readily and in larger numbers to other sections of the middle classes, this phenomenon coinciding with that of the conversion of economic into academic capital as a move to promote wider changes within the economic System, it was easier for working class offspring to enter the artisan class. However, that area of craftsmanship which draws and relies on the working-class is a high-risk area and its internal turnover-rate is as a consequence considerably higher.
- L'Ami du trait - Bernard Zarca p. 27-43
- Les utopies du "retour" - Danièle Léger p. 45-63 Les utopies du «retour» En nombre croissant depuis 1974-75, des citadins s'établissent à la campagne, et spécialement dans les régions désertifiées du sud de la France, pour y vivre de l'agriculture et de l'artisanat. Ce mouvement dit «du retour à la nature» fait suite aux immigrations utopiques de l'après-68, à la montée puis au déclin des communautés rurales libertaires. Ces néo-ruraux, issus en majorité de la petite bourgeoisie nouvelle, semblent avoir abandonné les perspectives anti-institutionnelles radicales des premiers communautaires et se préoccuper essentiellement d'assurer leur intégration dans la société locale et la viabilité économique de leurs entreprises. Il y a cependant une continuité entre la «vie sans règle» des communautés libertaires et la vie «selon la nature» des néo-ruraux actuels : dans tous les cas, les représentations de la nature —comme foisonnement et comme ordre— nourrissent des tentatives essentiellement éthiques pour faire face à l'incertitude sociale et morale créée par les contradictions du développement capitaliste auxquelles les rendent particulièrement sensibles le caractère contradictoire et l'incertitude de leur propre situation sociale. L'ambiguïté structurelle des utopies néo-rurales peut ainsi être analysée comme le miroir de la condition vécue d'une couche sociale placée en porte-à-faux dans les rapports sociaux; et, réciproquement, c'est cette position en porte-à-faux qui commande la disposition utopique de ces éléments de la petite bourgeoisie nouvelle. Elle est liée notamment (mais pas uniquement) au décalage qu'aggrave la crise éconojnique entre les aspirations sociales liées à la possession d'un certain nombre de titres scolaires et universitaires et les conditions réelles d'insertion professionnelle et sociale ouvertes à leurs détenteurs. Cette ambiguïté des utopies néo-rurales est aussi ce qui les rend particulièrement vulnérables aux processus de «récupération» par lesquels le système social tend à digérer sa propre crise en s'incorporant des éléments de la catégorie sociale que celle-ci fait surgir. Si l'on observe, par exemple, les connexions qui s'établissent entre ce mouvement du «retour à la nature» et les stratégies nouvelles de l'Etat sur l'espace, on peut penser que les néo-ruraux sont les expérimentateurs de cette croissance à la fois «plus gratifiante» et «sobre» aujourd'hui mise en avant comme objectif national. Mais ces agriculteurs qui ne sont pas des paysans, ces artisans qui restent des intellectuels, ces «marginaux» devenus néo-notables, ces expérimentateurs sociaux qui invoquent la société rurale traditionnelle ont un mode propre d'action sur la société : parce qu'ils sont inclassables, ils perturbent le jeu ordinaire des classements sociaux là où ils s'établissent; parce que leurs initiatives sont ambiguës, ils agissent comme analyseurs des contradictions de leur couche sociale. De cette double manière, ils peuvent être traités comme des déstabilisateurs symboliques.The Neo-Rurals. In ever-increasing numbers since 1974-75, city-dwellers began settling in the country and living off agriculture and artecrafts. They settle mainly in areas of Southern France that had suffered a population drain. This so-called «return to nature» movement followed the utopian wave of immigrations triggered off by the aftermath of the events of 1968, and was the sequel to the rise and subsequent fall of the libertarian rural communities. These neo-rurals, originating for the most part from the new petty bourgeoisie, seem to have abandonned the radical anti-institutional outlook of the original community members and be more concerned with securing their integration into the local society and the economic viability of their enterprises. There is nonetheless a kind of conti- nuity between the «unregulated» existence of the libertarian communities and the «way-of-life-according-to-nature» of today's neo-rurals: in both cases, the respective views of nature —as proliferation and as order- are at the root of essentially ethical attempts to face up to the social and moral insecurity created by the contradictions inherent in the development of capitalism of which they are made acutely aware by the insecurity and contradictory nature of their own social situation. The structural ambiguity of the neo-rural utopias may therefore be analysed in terms of the mirror-image of the condition of a particular social stratum placed on the precarious periphery of normal social relations. Inversely, it is this precarious position which dictates the utopian outlook of these elements of the new petty bourgeoisie. This ambiguity is mainly (but not solely) linked to the discrepancy — one aggraveted by the economic recession— between social aspirations considered as a function of the possession of a certain number of educational qualifications at school and university level, and the real, sometimes harsch facts concerning the social and professional openings at their disposal. It is this very ambiguity of the utopian neo-rurals which makes them fair game for being brought back into line by society. Through this process of ideological «rehabilitation», the social System tends to digest its own crisis by absorbing elements from those social categories which have been bred by the crisis. Examination of the connexions between this return to nature, for example, and the recent long-term plans on the use of space by the State, might lead us to think that the «neo-rurals» are merely experimenting with those principles of «gratifying» and «sobre» growth which have been set forth as today's targets of national importance. But these farmers who are not real peasants, these craftsmen who remain intellectuals, these «fringe-elements» who have become notables in their own right, these social experimentors who hail back to traditional rural society, have their own peculiar influence on society; because they are unclassifiable, they throw out of gear the classifiying mechanisms of the localities where they settle; because their motivations and aims are ambiguous, they act as analysts of the contradictions inherent in their social stratum. In this twin respect they may be dealt with and viewed as symbolic destabilizors.
- La carrière d'un "cadre de gauche" après 1968 - Michel Villette p. 64-74 La carrière d'un cadre de gauche après 1968. Cet article étudie sur un cas limite le problème de la professionnalisation secondaire de jeunes qui se reconvertissent au métier de cadre moyen dans l'industrie après avoir reconnu l'impossibilité pour eux d'exercer des métiers libéraux ou universitaires plus conformes à leur vocation «d'intellectuel». L'analyse est centrée sur le cas d'un petit groupe de psychologues militants d'extrême-gauche en 1968 et devenus animateurs de formation dans une grande entreprise privée. La description de leur carrière et le commentaire détaillé d'une conversation à l'usine permettent de saisir, à la fois, les modalités subjectives de l'adaptation au métier, les techniques utilisées par la direction des relations humaines pour intégrer les nouveaux entrants et la contribution -sans doute involontaire- des jeunes «contestataires» au travail d'adaptation de l'encadrement au contexte politique de l'après mai 1968. Pour établir une continuité entre leur passé d'intellectuel et de militant et leur pratique professionnelle, les animateurs intègrent un vocabulaire et des thèmes politiques à leur idéologie professionnelle. L'embarras des autres membres de l'entreprise qui les classent tantôt comme «agents de la direction», tantôt comme «gauchistes» montre qu'ils contribuent objectivement à ambiguiser la situation. Or précisément, en cette période, la stratégie de la direction est orientée vers la dénégation des aspects «autoritaires» et «conservateurs» de l'encadrement et vers l'assimilation et la réinterprétation progressive des «idées de mai 1968». En affrontant avec passion les catégories les plus traditionnelles de l'encadrement subalterne, les animateurs sont sans doute les artisans les plus zélés de la politique de la direction générale. Pourtant, ils raisonnent en terme de «lutte des classes» et se disent «à l'avant-garde des forces populaires».The Career of a Leftist Salaried Employee after 1968. Basing his article on the examination of an extreme case, the author studies the secondary professionalization of young people who turned to careers as lower-salaried staff in industry after having recognized that they would have found it impossible to enter the liberal professions or to obtain university posts, though these would have been more suited to their vocation of «intellectuals». The analysis is centred on the case of a small group of psycholo- gists who were militant members of the far left in 1968 and who subsequently found jobs as animateurs in various training programs of a large private company. The description of their career and the detailed commentary on a conversation held at the factory makes it possible to grasp, simultaneously, the subjective modes involved in their becoming adapted to their profession, the techniques utilized by the human relations executives to integrate the new arrivals, and the contribution that the young «rebels» make - no doubt unwillingly - to the work of modifying the adaptation of the other employees to the company structure, in a way that accords with the political context of the post-May 1968 period. In order to establish some continuity between their past as intellectuals and militants and their professional practice, the animateurs integrate a political vocabulary and political themes into their professional ideology. The perplexity of the other members of the firm, who sometimes label them as «agents of management» and sometimes as «leftists», shows that objectively, they contribute to making the situation more ambiguous. Now, in this period, managements strategy is oriented precisely toward masking the «authoritarian» and «conservative» aspects of the adaptation of employees to the firm and towards the assimilation and gradual reinterpretation of the «ideas of May 1968». In confronting, with passionate conviction, the most traditionally-minded of the people involved the insertion of minor employees, the animateurs are doubtless the most zealous artisans of the policy set by top management. And yet they reason in terms of «the class struggle» and call themselves part of «the avant-garde of the popular forces».
- Taxinomies sociales et luttes de classes - Luc Boltanski p. 75-106 Taxinomies sociales et luttes de classes. Dans les produits symboliques antérieurs aux années 30 environ —romans, films, etc.— on ne trouve pas trace des «cadres». Ils ne sont pas représentés. Ils sont absents aussi des recensements statistiques où ils ne figureront qu'après guerre. Il existe bien des agents occupant dans les entreprises des positions analogues aux positions occupées aujourd'hui par les «cadres», mais tout se passe comme si ils n'avaient pas accédé au principe de leur identité ni de leur unité. L'objet de ce travail est d'analyser le processus de regroupement et le travail de redéfinition dont la catégorie des «cadres», nouveau lieu-dit de l'espace social, est le produit. L'utilisation du terme de «cadre», comme concept unificateur, et la constitution des «cadres» en groupe explicite sont inséparables des tentatives de reprise en main et de restauration de l'ordre social qui se multiplient après les grèves de 1936 : il faut regrouper les «classes moyennes» pour transformer ces «masses» inertes en une classe capable par son nombre et sa cohésion d'endiguer et de vaincre la classe ouvrière. L'apparition des «cadres» comme groupe reconnu et nommé ne peut être dissociée de l'idéologie de la troisième voie : les «classes moyennes» et, parmi elles, les «cadres» sont le «Tiers-parti» intermédiaire entre la classe ouvrière et le patronat. La littérature sur les classes moyennes et sur les «cadres», très abondante dans les années 1930-1940, surtout après 36, est inspirée, essentiellement, par le corporatisme et le catholicisme social (sans parler du fascisme italien qui fascine la plupart des idéologues de la «classe moyenne»). Vichy contribue fortement à l'unification des «cadres» en donnant à la catégorie une reconnaissance officielle. Les accords Parodi, après guerre, éternisent la représentation tripartite du monde social instituée par Vichy. La Confédération générale des cadres reprend l'héritage des Mouvements de classes moyennes des années 30-40. Parallèlement au travail d'officialisation, s'opère un important travail de représentation : toute une littérature, écrite le plus souvent par des ingénieurs catholiques, dit ce «qu'est» le «cadre», ce qu'il «doit être», les valeurs qui sont les siennes. Autour de ces ingénieurs se réalise le regroupement de ceux que l'on appelait jusque là les «collaborateurs» pour désigner les relations privilégiées que ces «salariés», ces salariés bourgeois, entretenaient avec le patronat.Social Taxonomies and Class Struggles. In the pre-1930's no trace of the 'executive' is to be found in symbolic products such as the novel or cinema. Nor do they appear in statistical censuses until after the War. Even though at the time officials did exist who occupied similar positions in business to those now occupied by executives, it is as if they had not yet achieved a common identity. The aim of this study is to analyse the way in which the executive emerged as a new figure on the social horizon through processes of regrouping and redefinition. The use of the term 'executive' as a unifying concept and the constitution of executives into an explicit group are phenomena that are inseparable from the increasing attempts to restore social order subsequent to the strikes of 1936: a need emerges to restructure the inert 'masses' of the 'Middle Classes' into a class which is capable by its membership and cohesion to check and defeat the working classes. The emergence of the 'executives' as a recognized, named group is inseparable from the ideology aiming to insert the executive element of the Middle Classes in a third position intermediate between the working classes and management. The large amount of literature devoted to the middle classes and the executives that appeared in the period 1930-1940, and particularly after 1936, was inspired essentially by corporatism and social Catholicism (not to mention Italian Fascism, a subject of fascination for a large number of Middle Class ideologists). Vichy went even further in the unifying of the executive class by giving officiai recognition to it. The post-war Parodi agreements establish for good and all the tripartite representation of the social world that had been instituted by Vichy. The Confederation Generale des Cadres, an official body representing the interests of executives, owes its orientation and character to the middle class movements of the 1930's. This officialisation is accompanied by changes on the level of representation; a whole body of literature, invariably written by Catholic engineers, sets out to define the identity, mission and values of the executive. These engineers spur the restructuring of those hitherto known as mere 'colleagues', a term used to designate und underline the special relationship held by these bourgeois wage-earners with management.
- Résumes - p. 107-112