Contenu du sommaire : Politique(s) et vieillissement
Revue | Politix |
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Numéro | vol. 18, no 72, décembre 2005 |
Titre du numéro | Politique(s) et vieillissement |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Politique(s) et vieillissement
- Coordonné par Thomas Frinault et Christine Guionnet- La dépendance ou la consécration française d'une approche ségrégative du handicap - Thomas Frinault p. 11 La vieillesse, anciennement dite invalide ou semi-valide, a progressivement été désignée sous le vocable de dépendance. Cette procédure d'étiquetage la qualifie comme relevant de la sphère de compétence des autorités publiques. Elle circonscrit un champ supposé être d'une autonomie suffisante pour faire l'objet d'une politique sociale spécifique. Cette dernière repose en France sur un traitement séparé d'avec le handicap adulte en réservant le qualificatif « dépendance » aux seules personnes âgées. Plutôt que l'idée communément admise d'une simple socialisation de différences naturelles, cette séparation ressort d'une naturalisation de différences sociales. Ce qu'indique un détour par la comparaison internationale. En effet, de nombreux pays ont promu un traitement commun du handicap adulte et du handicap âgé. Pour illustrer cette idée de « naturalisation de différences sociales », cet article s'attache à étudier comment la dépendance passe du statut de « condition » à celui de « problème public ». Ce qui implique de restituer la multiplicité des relations causales et des politiques publiques qui s'ensuivent. Si la construction du groupe « personnes âgées dépendantes » participe d'une tendance générale de l'Étatprovidence découpant toujours plus les espaces de résolution des problèmes, elle apparaît surtout comme le résultat cumulatif d'une série d'arrangements pratiques : intérêts professionnels, circonscription d'un public, intérêts départementaux.
- Le "métier" de vieillard - Institutionnalisation de la dépendance et processus de désindividualisation dans la grande vieillesse - Hélène Thomas p. 33 Un nouveau modèle assistantiel de protection rapprochée de la grande vieillesse a été promu dans les années 1990, qui combine les dispositifs d'hospicialisation et d'hospitalisation des personnes très âgées et de leur famille. Il n'a pas rompu avec le modèle ancien, assistantiel, hygiéniste et ségrégatif, de traitement de la vieillesse ouvrière. La ligne de partage entre les pauvres invalides, dont la fin de vie entre dans le modèle de la grande vieillesse, et les autres carrières de vieillissement s'est renforcée. Elle sépare les catégories populaires prises en charge de façon étatisée par leurs homologues sociaux, et les catégories intermédiaires et supérieures qui ne connaissent pas ce processus de vieillissement assisté. Pour ces dernières, la vieillesse et la fin de vie des individus sont devenues des pathologies tant au sens social qu'au sens médical du terme. Les personnes et leurs familles endossent alors un statut paradoxal d'individu collectif à la fois usager sans participation et citoyen par procuration, porteur d'une identité palliative de personne sans qualités. Elles font alors, de concert avec leurs proches, l'apprentissage des rôles inhérent au métier de vieillard induit par ce statut.
- Le vieillissement des immigrés en France - Le cas paroxystique des résidants des foyers - Rémi Gallou p. 57 Les questions relatives au vieillissement des immigrés dans les foyers de travailleurs ont un impact grandissant dans un contexte de forte avancée en âge des occupants de l'ensemble du secteur. Les sociologues abordant ce thème traitent d'un sujet situé aux confluents des questions de trajectoires individuelles, professionnelles et familiales, mais aussi de la santé et de l'accès aux soins, du logement et de l'insertion urbaine et plus généralement, des politiques d'intégration et d'insertion de ces populations. L'article trace le contour de ces interrogations en décrivant dans un premier temps la façon dont les politiques, en agissant au « coup par coup » et dans la seule logique d'une présence immigrée temporaire, main-d'œuvre de passage, ont créé les conditions propices à l'exclusion d'une génération de travailleurs immigrés. Dans un second temps, l'article relève la situation paradoxale du migrant âgé résidant en foyer, à savoir le non-retour au pays et son maintien sur place dans des conditions de vie précaires.
- Politiques publiques et cultures de l'âge - Une perspective internationale - Anne-Marie Guillemard p. 79 L'article vise à élaborer une théorie comparative rendant compte des niveaux et durées diversifiés d'insertion sur le marché du travail en seconde partie de carrière au sein des pays développés. L'activité après 45 ans et analysée ici comme un « construit social », à saisir au sein du réseau d'interdépendances entre édifices normatifs, systèmes d'acteurs, configurations de politiques publiques de protection sociale et d'emploi, qui la constitue dans sa spécificité sociétale. Une typologie de quatre configurations stylisées de politiques publiques de protection sociale et d'emploi est élaborée. Chacun des types est examiné sous l'angle de la « culture de l'âge » qu'il tend à promouvoir, laquelle résulte des effets de composition des configurations politiques. Ainsi, on peut opposer l'Europe continentale et sa « culture de la sortie précoce » aux pays scandinaves avec leur « culture du droit au travail à tout âge ». De cette manière, il est possible d'expliquer les trajectoires professionnelles très contrastées de seconde partie de carrière observées. L'auteur met au jour le processus qui a conduit d'options politiques différenciées prises par les principaux pays développés sur trois continents (Europe, Amérique du Nord, Japon), face au vieillissement de la population et des cultures de l'âge antagonistes qu'elles ont produites, afin de rendre compte de ces trajectoires professionnelles diversifiées.
- Les enjeux politiques du vieillissement en Russie soviétique - Stephen Lovell p. 99 Le régime soviétique fut l'aboutissement d'une révolution placée sous le signe de la jeunesse. Mais il subsista sept décennies durant et se caractérisa par la succession de cohortes entrées dans l'histoire à différents moments. Cet article s'intéresse aux processus ayant permis au socialisme soviétique de s'accorder du vieillissement concomitant de ses élites et de la société dans son ensemble. L'auteur montre que l'enchaînement des années ne fut pas seulement une contrainte pour le projet socialiste, mais qu'il contribua également à le définir : cela participa au façonnement des conceptions soviétiques de l'autorité, de la légitimité et de la justice sociale.
Varia
- La guerre des mondes : de quelques rapports entre univers sociaux différenciés - Le cas des "palmarès des hôpitaux" - Philippe Ponet p. 125 En prenant pour objet l'émergence et la pérennisation des « palmarès des hôpitaux », il s'agit moins dans cet article de restituer certaines des transformations qui travaillent les champs journalistique et médical, que de rendre compte de la fluctuation des liens entre ces deux espaces : les nombreux classements parus depuis les années 1970 permettent en effet de reconstruire avec précision les différents temps de ces « collaborations conflictuelles ». Plus généralement, cette étude se veut une contribution à l'analyse des rapports entre univers sociaux différenciés (et non à l'analyse juxtaposée de différents espaces), paradoxalement peu pris en considération, alors que leurs chaînes d'interdépendance ne cessent de s'allonger.
- Boulanger avant le boulangisme - Un officier colonial tombé en République - Mathieu Providence p. 155 Nommé en janvier 1886 au ministère de la Guerre, le général Boulanger est démissionné l'année suivante au nom du danger qu'il fait courir à la République. Cet article entend montrer que cette « menace » boulangiste se construit moins sur la base d'un changement de comportement de l'officier que sur une évolution des perceptions à son égard. C'est son passé colonial qui rend Boulanger « dangereux », car son action au ministère de la Guerre et les profits de notoriété qu'il en a retirés, font écho aux difficultés plus générales des dirigeants du régime à convertir les officiers supérieurs aux vertus de la République. Cette inquiétude est renforcée par la conjoncture particulière des débuts de la Troisième République, marqués par une forte incertitude, qui rend les républicains particulièrement sensibles à tout risque de coup d'état fondé sur l'armée.
- La guerre des mondes : de quelques rapports entre univers sociaux différenciés - Le cas des "palmarès des hôpitaux" - Philippe Ponet p. 125
Notes de lecture
- Napoli (Paolo), Naissance de la police moderne. Pouvoir, normes, société - Fabien Jobard p. 181
- Zunigo (Xavier), Volontaires chez Mère Teresa. "Auprès des plus pauvres d'entre les pauvres" - Gérard Rimbert p. 185
- La dépendance ou la consécration française d'une approche ségrégative du handicap - Thomas Frinault p. 11