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Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | vol. 51, no. 1, 1984 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- La dénonciation - Luc Boltanski, Yann Darré, Marie-Ange Schiltz p. 3-40 La dénonciation. La distinction entre l'action individuelle et l'action collective constitue une des oppositions fondamentales sur lesquelles reposent, souvent implicitement, tant elle va de soi, la sociologie et l'histoire sociale des modes de protestation. Elle sert aussi, plus généralement, à faire le partage entre les objets de la psychologie et les objets de la sociologie. On tentera ici d'esquisser une problématique visant à surmonter cette opposition en établissant une grammaire permettant d'interpréter, au moyen des mêmes règles, les variations qui affectent les actes de protestation selon qu'ils sont présentés comme des actes «individuels» ou comme des actes «collectifs» et, d'autre part, les jugements de normalité que les autres portent sur eux. Pour construire cette problématique, on prendra pour objet la dénonciation publique. L'analyse statistique et stylistique d'un corpus de lettres de dénonciations reçues par un grand journal permet d'apporter une première série de réponses à deux questions, à savoir à quelles conditions doit satisfaire une dénonciation publique pour être jugée normale et pourquoi accomplir un acte de dénonciation publique qui a toutes chances d'être perçu comme anormal ?Denunciation. The distinction between individual and collective action is one of the fundamental oppositions underlying (often implicitly, because it is so much taken for granted) the sociology and the social history of modes of protest. It also serves, more generally, to distinguish between the objects of psychology and those of sociology. This article endeavours to outline a problematic aimed at overcoming this opposition, by establishingagrammar making it possible to interpret, by means of the same rules, the variations found in actsof protest depending on whether they are presented as «individual» or «collective» acts, and also the judgements of normality that other people apply to them. This problematic is contructed by reference to acts of public denunciation. Statistical and stylistic analysis of a corpus of letters of denunciation received by a major newspaper makes it possible to provide a first series of answers to two questions : What conditions must a public denunciation fulfil in order to be judged normal ? and what makes a person perform an act of public denunciation which has every likelihood of being seen as ab normal ?
- La conscience et la peur - David Sabean p. 41-53 La conscience et la peur : qui a tué le pasteur ? Le 9 mars 1733, les deux principaux magistrats de la ville de Kirchheim-unter-Teck envoient un rapport au duc de Wurtemberg pour annoncer la mort du pasteur de la paroisse de Zell-unter-Aichelberg survenue brutalement alors qu'il revenait de la ville de Kirchheim où il avait participé à une discussion théologique. Dix ans après, un bruit se met à circuler dans le pays : le pasteur a été assassiné par deux riches paysans, les frères Drohmann. Le duc ordonne une enquête. L'étude minutieuse du dossier d'archives met en lumière les formes du pouvoir dans un village allemand de la première moitié du 18e siècle et les relations entre le pouvoir local et les institutions d'État en montrant comment les différentes factions qui se mettent en place au cours de l'affaire s'alignent sur les structures complexes formées par l'intersection des rapports de parenté et des rapports de propriété. Plus profondément, l'analyse du discours des acteurs sur l'affaire, de l'usage qu'ils font du ragot et de la définition qu'ils se donnent de la «conscience» et du «cas de conscience», révèle les mécanismes par lesquels les plus démunis parvenaient à porter leurs dénonciations devant l'opinion publique.Conscience and Fear : Who Killed the Vicar ? On March 9th 1733, the two senior magistrates of the town of Kircheim-unter-Teck sent a report to the Duke of Wurtemberg, announcing the death of the vicar of the parish of Zell-unter-Aichelberg ; the priest had died suddenly on his way home from Kircheim, where he had taken part in a theological discussion. Ten years later, a rumour began to circulate in the region that the priest had been murdered by two rich peasants, the Drohmann brothers. The Duke ordered an inquiry. A close study of the village archives brings to light the forms of power in an early 18th-century German village and the relationship between local power and the State institutions, by showing how the different factions which emerged around the affair were aligned on the complex structures formed by the intersection between kinship relations and property relations. At a deeper level, analysis of the actors' discourse about the affair, the use they make of gossip and their definitions of «conscience» and «matters of conscience» reveals the mechanisms through which the least powerful actors were able to bring their denunciations before public opinion.
- Les incendiaires - Regina Schulte p. 55-66 Les incendiaires. L'examen de 114 procès pour incendie volontaire instruits devant les assises de Munich entre 1879 et 1900 est l'occasion d'analyser une forme de conflit particulièrement fréquente dans les campagnes de Haute-Bavière au 19e siècle. Valets de ferme, cadets célibataires ou enfants illégitimes, par exemple, les incendiaires ont en commun d'être rattachés à la communauté villageoise par un lien faible : en tant qu'ils appartiennent à une maison, à un foyer, à une famille, dont ils ne sont pourtant pas membres à part entière. A la suite d'un incident qui leur révèle l'injustice de cette situation et qui peut être, en lui-même, relativement mineur, ce lien est rompu. La crise d'identité prend alors une forme violente qui réclame des mesures radicales de restauration du soi. Mettre le feu à la maison constitue, en l'absence de ressources politiques ou juridiques, une façon, peut-être la seule possible, de proclamer, à la face du village, l'énormité de l'injustice et la profondeur des blessures infligées. Après cet acte de dénonciation, les incendiaires se livraient habituellement à la police et finissaient leurs jours dans un asile d'aliénés.Fire-raisers. A study of 114 trials for arson heard before the Munich assizes between 1879 and 1900 leads to an analysis of a form of conflict that was widespread in rural Upper Bavaria in the 19th century. The fire-raisers were often farm boys, unmarried younger brothers or illegitimate children. Their common feature was that they had only a weak link with the village community ; they were attached to a family or household without being full members. An incident, which might be relatively minor in itself, revealed to them the injustice of their situation, and the link was broken. Their identity crisis then took a violent form which called for radical measures of self-re-establishment. In the absence of political or legal resources, setting fire to the house was a way, perhaps the only possible one, of proclaiming to the village the enormity of the injustice and the depth of the wounds suffered. After this act of denunciation, the fire-raisers usually gave themselves up to the police and spent the rest of their lives in a lunatic asylum.
- Résumés - p. 67-69