Contenu du sommaire : Numéro spécial. Langages. Langue de la Révolution française
Revue | Mots. Les langages du politique |
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Numéro | no 16, mars 1988 |
Titre du numéro | Numéro spécial. Langages. Langue de la Révolution française |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation - Jacques Guilhaumou p. 5-8
- Liberté, libertés et liberté (s) germanique (s) : une question franco-allemande, avant et après 1789 - Lucien Calvié p. 9-33 LIBERTÉ, LIBERTÉS et LIBERTÉ(S) GERMANIQUE(S) : UNE QUESTION FRANCO-ALLEMANDE, AVANT ET APRÈS 1789 Le débat politique sur la liberté, liée à l'égalité, et les libertés assimilées à des privilèges, est aussi un débat historique sur la (les) liberté(s) germanique(s) supposée(s) originelle(s). Dans la France du 18e siècle, l'opposition entre deux thèses savantes, la « germaniste » et la « romaniste », recoupe l'affrontement entre trois systèmes de pensée liés à trois forces politiques : aristocratie (Boulainvilliers), monarchie (Dubos), démocratie (Mably). Ce débat historique reprend entre 1815 et 1848 : les historiens libéraux comme Guizot cherchent à intégrer l'événement révolutionnaire de 1789 et de 1830 à un système politique stable et à une histoire nationale à constituer. Chez les libéraux allemands, le double débat sur les libertés germaniques et sur une voie allemande vers la liberté politique est lié au constat de l'impossibilité d'une révolution allemande de type français, ou au rejet de sa possibilité. La réflexion de Hegel sur la genèse de l'Etat et de la liberté politique modernes, liés à 1789, constitue une exception, d'autant plus que Marx renonce très tôt à une réflexion de ce genre, tourné qu'il est, comme Heine, vers une révolution d'un type nouveau.LIBERTY, LIBERTIES, GERMANIC LIBERTY(IES) : A FRANCO-GERMAN QUESTION, BEFORE AND AFTER 1789. The political debate upon liberty (related to equality) and liberties (related to privileges) is also an historical debate about the supposed original germanic liberty (ies). In 18th century France, two scholarly theses, the « germanist » and the « romanist » ones, are in opposition, combined with three theoretical systems linked to three political forces : aristocracy (Boulainvilliers), monarchy (Dubos), democracy (Mably). The debate is resumed after 1815, when liberal historians like Guizot seek to integrate the revolutionary events of 1789 and 1830 into a stable political system and the constitution of a national history. Among the German liberal thinkers of the 1830's, the twofold debate upon germanic liberties and a German way towards political liberty is related to heir belief in the impossibility of a German revolution of the French type. Hegel's reflexion about the genesis of modern State and political liberty in relation with 1789 must be seen as an exception, especially as Marx soon gives up such a reflexion and turns his thoughts, like Heine, towards a new type revolution.
- Révolution à la fin du 18e siècle. - Hans-Jürgen Lüsebrink, Rolf Reichardt p. 35-68 RÉVOLUTION À LA FIN DU 18e SIÈCLE. POUR UNE RELECTURE DU CONCEPT-CLÉ DU SIÈCLE DE LUMIÈRES A partir de l'analyse d'un corpus très large et diversifié (pamphlets, textes historiographiques, mémoires, textes littéraires, etc.), cette étude dégage une triple évolution du concept de révolution au 18e siècle : une singularisation d'abord qui substitue l'emploi au pluriel du terme (dans le sens « péripétie des gouvernements ») par son singulier qui prend, depuis la « Révolution de l'Amérique », le sens d'un bouleversement non seulement politique, mais également social, moral et culturel ; une actualisation, ensuite, du concept qui est, à partir des années 1770, appliqué de plus en plus fréquemment pour décrire des événements se déroulant en France même ; et, enfin, une projection vers l'avenir comblant, à travers des prophéties, mais aussi au moyen d'une nouvelle forme de philosophie de l'histoire (par exemple chez Mably et Raynal), le désir et l'attente d'une Révolution que les contemporains peuvent effectivement voir se réaliser à partir de la prise de la Bastille en 1789.REVOLUTION, AT THE END OF THE 18th CENTURY. REREADING A KEY-CONCEPT OF THE « SIÈCLE DES LUMIÈRES » Front the analysis of a large and varied corpus of texts (pamphlets, historiographical, autobiographical and literary texts, fiction etc.), this study brings out the three lines along which the concept of Revolution evolved in the 18th century. First, the use of the word in the plural - in the sense of the « vicissitudes of government » - came to be replaced by its use in the singular, which, after the « Revolution of America », came to mean total upheaval, not only political, but also social, moral and cultural. Secondly, from the 1770' s on, the concept was actualized and more and more often referred to political and social events taking place in France. Lastly, the term took on a predictive value, not only in prophecies but also in a new form of the philosophy of history (in the works of Raynal and Mably for example). It fullfilled the desire and the expectation of a Revolution which contemporaries saw come true after the Bastille was taken in 1789.
- Partis et factions en 1789 : émergence des désignants politiques - Pierre Retat p. 69-89 PARTIS ET FACTIONS EN 1789 : ÉMERGENCE DÉSIGNANTS POLITIQUES Le corpus textuel sur lequel est fondée cette enquête comprend tous les journaux parisiens parus en 1789, quelques journaux provinciaux et les principales gazettes de langue française. Elle retrace les conditions aléatoires et défavorables dans lesquelles on a procédé peu à peu à la désignation des partis ; elle repère chronologiquement l'apparition des désignants, et tente de dégager finalement la structure de la représentation politique qu'ils suggèrent. La faction y occupe une place marginale, aux extrêmes du champ politique.PARTIES AND « FACTIONS » DURING THE YEAR 1789 : APPEARANCE OF POLITICAL DENOMINATIONS This paper studies all the political newspapers published in Paris in 1789, a few provincial ones and the main foreign French-language gazettes. It accounts for the unfavourable conditions which the designation of political parties encounters in the revolutionary mentality ; it situates in time the gradual appearance of designations, and tries to delineate the structure of the political representation they suggest. The faction occupies there a marginal place, at the far end of the political field.
- Autour du mot citoyenne - Dominique Godineau p. 91-110 AUTOUR DU MOT CITOYENNE Cet article présente différents problèmes soulevés par l'existence et l'usage du mot citoyenne pendant la Révolution alors que les femmes ne jouissaient pas des droits politiques du citoyen. Quels sont les rapports entre femme et citoyenne ? Quelles actions, quelle relation (familiale ? sociale ?) définissent la citoyenne ? Comment les citoyennes peuvent-elles être membres du corps social (sujets) sans être membres du corps politique (citoyens) ? Comment, sous peine d'incohérence et de « tyrannie », les compter dans la Nation souveraine et leur refuser la souveraineté ? Comment concilier l'universalité de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et l'exclusion des femmes des droits politiques (droits naturels) attachés au titre de citoyen ? Autant de questions auxquelles les révolutionnaires, hommes et femmes, apportèrent différentes réponses ; et les militantes surent tirer parti du flou conceptuel entourant le mot citoyenne en lui donnant une définition politique qu'il ne possédait pas dans les faits.ABOUT THE WORD CITOYENNE This article presents the various problems concerning the existence and the use of the word citoyenne during the French Revolution when women had no political rights as citizens. How are femme and citoyenne related ? Which acts, which social or family relationship is the citoyenne defined by ? How can the citoyennes become a member of the social body (sujets) without becoming members of the body politic (citoyens) ? How can one both include them in the sovereign nation and deny sovereignty to them, without being guilty of inconsistency and « tyrannie » ? How can one reconcile the Universality of the « Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen » with denying women the political rights (natural rights) attached to citizenship ? To all these questions the revolutionaries, both men and women brought various answers ; and the « militantes » knew how to take advantage of the ambiguity of the word citoyenne in giving it a political meaning which it did not possess in actual fact.
- L'étranger dans la lutte des factions - Sophie Wahnich p. 111-130 L'« ÉTRANGER » DANS LA LUTTE DES FACTIONS. USAGE D'UN MOT Dans la crise de la lutte des factions, les enjeux d'une pratique langagière qui donne au mot étranger une place prépondérante dans le discours de la Convention dépassent les cadres habituels de l'historiographie. A l'usage générique qui renvoie explicitement aux pays étrangers, à l'Europe militaire coalisée, s'ajoute un usage conceptuel qui identifie la notion d'étranger à celle de tyrannie. Le mot lui-même permet alors la cristallisation des affrontements politiques et idéologiques en se constituant comme seuil. Le franchissement de ce seuil peut faire basculer la Révolution dans un système qui la nie. Les médiations par lesquelles s'effectue l'action de l'étranger ne se limitent pas aux étrangers présents en France ou aux frontières mais concernent tous les vecteurs politiques et sociaux qui remettent en question les nouvelles valeurs éthiques de la Révolution de l'an II.THE WORD « ETRANGER » (FOREIGNER) AS USED IN THE FACTION STRUGGLE In the crisis of the faction struggle, what is at stake in a practice giving to the word étranger (foreigner) one of the first places in the Convention discourse goes beyond the limits of the historiographical tradition. The word is not only used in its original meaning, explicitly referring to foreign countries, to the coalition European countries, but also as a concept which equates foreignness with tyranny. Thus political and ideological conflicts can crystallize. The concept acts as threshold over which the Revolution might go into a system which denies it. The agents of the « étranger » are not only actual foreigners living in France or across its borders but also all the political and social factors which question the new ethical values of the French Revolution.
- La langue française à l'ordre du jour (1789-1794) - Jacques Guilhaumou, Denise Maldidier p. 131-154 LA LANGUE FRANÇAISE À L'ORDRE DU JOUR Ce travail concerne le discours sur la langue dans les premières années de la Révolution française. Il reconstitue le trajet thématique de la conscience linguistique des révolutionnaires. Deux moments de corpus sont plus particulièrement abordés : l'un en 1791 autour des initiatives politico-linguistiques de F.U. Domergue, l'autre en 1794 autour des grands textes législatifs sur la langue. L'étude met ainsi en évidence la nécessité de recourir à une archive diversifiée dans toute enquête sur la politique linguistique à l'époque de la Révolution française. Elle permet d'opposer une première période en 1791 où la pensée de la langue se situe dans l'horizon de la langue des droits et le temps de l'instrumentalisation de la langue dans le cadre de la politique du gouvernement révolutionnaire en 1794.FRENCH LANGUAGE BROUGHT UP FOR DISCUSSION This study deals with the discourse on the language during the first years of the French Revolution. It reconstitutes the thematic development of the linguistic conscience of the revolutionaries. Two parts of the corpus are studied in greater detail, the first one in 1791, with reference to the politico-linguistic initiatives of F.U. Domergue, the other one in 1794 concerning the important legislative texts about language. This study clearly shows that, in any investigations of linguistic policies at the time of the French Revolution, one should resort to many kinds of public records. It enables us to compare the first period in 1791 when the theorical discourse on language is within the limits of language of rights with the second stage in 1794, when language becomes an instrument in the hands of the revolutionnary government.
- Des Idéologues contre l'excès des mots - Daniel Teysseire p. 155-173 DES IDÉOLOGUES CONTRE L'EXCES DES MOTS Volney et Cabanis, le premier dans les Ruines (1791), le second dans les Rapports du Physique et du Moral de l'homme (1802), reprennent la critique lockienne de l'abus des mots. Ils l'élargissent en une dénonciation de l'excès des mots, des systèmes de mots (croyances) et donc des disputes de mots (querelles de religions) - triple excès en quoi nos auteurs voient un instrument du despotisme politico-religieux. Tout cela débouchllimaginaires nés de ces excès de signes. Ils lui opposent le lent travail de la raison et de l'éducation, se développant en particulier dans et par une langue bien faite, suivant sur ce dernier point la tradition condillacienne.IDEOLOGISTS AGAINST THE EXCESS OF WORDS Volney, in Les Ruines ou méditations sur les révolutions des empires (1791) and Cabanis, in Rapports du Physique et du Moral de l'homme (1802), consider the excess of words (which is not only verbal exaggeration) as a particularly efficient instrument of mastery over the people by priests (of all religions) and by tyrants. Both of them are the archetype of charlatans. As a matter of fact, the charlatannerie, as Diderot says, is based upon the excess of rhetorical figures, therefore of words which constantly appeals to imagination. It contributes to put human reason (the human being in society) out of itself. That failure of humanity permits all the fanatisms. That is the reason why the ideologist must be first and foremost a pedagogue the control eloquence.
Chroniques
- Bibliographie. Langue et discours pendant la Révolution française - Jacques Guilhaumou p. 177-190
- Les « patois » pendant la période révolutionnaire : recherches sur le cas occitan - Philippe Martel p. 191-194
- Révolution française et linguistique externe - Pierre Achard p. 195-200
Comptes rendus
- Renée Balibar, L'institution du français. Essai sur le colinguisme des Carolingiens à la République - Jacques Guilhaumou p. 201-203
- Jacques Bouineau, Les toges du pouvoir, ou la Révolution de droit antique - Agnès Moreau p. 203-206
- Cao Gui-Xiang, Procédés de présentation de l'information dans la presse écrite - Maurice Tournier p. 206-207
- Alfred Cobban, Le sens de la Révolution française - Annie Geffroy p. 207-211
- Gunnel Engwall, Vocabulaire des romans français (1962-1968). Dictionnaire des fréquences - Danièle Bonnaud-Lamotte, Pierre Lafon p. 212-213
- Les Idéologues. Sémiotique, théories et politiques linguistiques pendant la Révolution française - Daniel Teysseire p. 214-219
- « Langue et Révolution », Linx, 15, 1986 - Françoise Dougnac p. 220-223
- La mort de Marat - Annie Geffroy p. 223-228
- Annette Östling Andersson, L'identification automatique des lexèmes du français contemporain - Gunnel Engwall p. 228-231
- Philosophie de la Révolution française. Représentations et interprétations - Françoise Theuriot p. 231-234
- Teun A.Van Dijk, Discourse and literature, new approaches to the analyses of literary genres - Pierre Muller p. 234-235
- Bibliographie de lexicologie socio-politique, années 1982-1987 - p. 236-240